C'est le résultat indiscutable des investigations qui ont été menées l'été dernier : la superficie des zones d'algues vertes recensées par avion a augmenté de 50% depuis 2002, soit 13 ans après que le docteur Pierre Philippe, à l'époque jeune médecin urgentiste à l'hôpital de Lannion, ait reçu le premier cas de décès par intoxication à l'hydrogène sulfuré (H2S). Soupçonnant les algues vertes d'en être la cause, il a alors demandé une autopsie, sans résultat.
D'autres morts - animales et humaines - ont été constatées dans les années qui ont suivi, sans aucune réaction des autorités locales ou régionales. Le docteur Philippe, qui a multiplié les mises en garde incriminant les algues vertes, est sèchement rappelé à l'ordre par son autorité de tutelle qui parle d'une "ligne rouge à ne pas franchir". Les lanceurs d'alerte qui ont dénoncé le phénomène retrouvent des bottes de paille ou des tas de fumier devant leur maison.
Il y a aussi des tentatives d'intimidation et des menaces contre la journaliste Inès Leraud qui a dénoncé le phénomène dans une enquête publiée sous forme de bande dessinée et un acte criminel contre une de ses consoeurs, Morgane Large, qui a retrouvé un boulon d'une roue de sa voiture dévissé, sans même que cet acte criminel suscite le début d'une enquête. Tout ce qui va à l'encontre des intérêts économiques d'un secteur - l'agriculture et l'élevage intensifs émetteurs de phosphates et de nitrates à l'origine de la prolifération - ou du secteur touristique est l'objet de pressions contre les lanceurs d'alerte du corps médical, de la presse, des scientifiques ou des associations et tous les moyens sont bons pour les museler.
Même la télévision est dans le collimateur, comme Thalassa, mise en cause par le président de région Jean-Yves le Driant pour avoir parlé de ce sujet tabou dans une de ses émissions. C'est ce déni généralisé des politiques, des administrations et des tribunaux que, déjà en 2017, commentait le docteur Philippe : « Au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu’il existe de toute évidence une volonté de désinformation sur ce sujet. A chaque fois, on commence par nier la réalité du lien entre des œdèmes pulmonaires et l’hydrogène sulfuré. ».
Une simple constatation devrait au moins conduire à une application stricte du principe de précaution : tous les cas de morts animales ou humaines signalés se trouvaient à proximité de zones de pourrissement des algues vertes, une des victimes étant morte pendant qu'elle évacuait un chargement de ces algues toxiques. La requête de sa famille pour faire classer ce décès en accident du travail est restée lettre morte pendant neuf ans. La prolifération des algues vertes a bien été suspectée, mais, comme par hasard, les prélèvements n'étaient soit pas faits à temps, soit inutilisables pour des raisons de mauvaise conservation. La seule exception est celle d'un cheval, dont le propriétaire - qui est lui-même passé très près de la mort - a du batailler pour qu'il ne soit pas incinéré immédiatement et que des analyses soient diligentées à ses frais. La constatation d'un taux élevé d'H2S dans le corps de l'animal n'a pas empêché le tribunal administratif de Rennes d'affirmer qu'il était mort étouffé dans la vase.
Tous ces évènements, déjà relatés précédemment, sont arrivés sans même susciter l'élaboration d'un protocole permettant d'en déterminer les causes, malgré les demandes réitérées des associations. Tout récemment, le 12 septembre, la mort a encore frappé : cette fois-ci, c'est deux chiens qui sont retrouvés morts sur une plage, un troisième ayant survécu et présentant tous les symptômes d'une intoxication à H2S. Les pouvoirs publics vont-ils enfin mettre un terme à leur inertie criminelle ou faudra-t-il attendre d'autres morts humaines pour qu'ils se décident enfin à réglementer les rejets par l'agriculture de substances favorisant la prolifération de ces algues vertes ?
En attendant des décisions qui ne viennent pas, les algues vertes étendent leur territoire : parties de la baie de Saint Brieuc, elles colonisent aujourd'hui des zones allant du nord de la Vendée jusqu'à Lion sur Mer en baie de Seine, incommodant les riverains au moins par les odeurs qui en émanent. Faudra-t-il que l'ensemble des côtes de la Manche et de l'Atlantique deviennent inhabitables pour que nous nous décidions enfin à prendre les mesures nécessaires ?