Au début de l'émission, une comparaison entre pays : la France vient de relever ses tarifs ferroviaires de 5%, alors que deux autres pays annoncent des efforts tarifaires ciblés sur le train : ainsi, en Espagne, le trajet sur le train régional le plus souvent emprunté est gratuit, tandis que l'Allemagne annonce qu'à partir du mois d'avril, pour 49 euros par mois, vous pouvez voyager en illimité sur tous les trains régionaux.
Audrey Boehly, porte-parole d'un collectif contre l'extension aéroportuaire de Roissy (Non au T4), habite Montmorency, une commune du Val d'Oise lourdement impactée par l'activité de Roissy, dont elle parle en termes de "bombe climatique" : elle reçoit d'abord le téléspectateur dans son jardin, sous le bruit des avions (selon elle, un vol tous les une à deux minutes). Elle consulte ensuite son ordinateur sur les coûts comparés d'un voyage à Barcelone pour elle et sa famille (quatre personnes) en avion et en train : c'est 466 euros pour l'avion, contre 833 euros pour le train. L'entretien se transporte ensuite sur l'aéroport de Roissy, où Audrey explique les composantes de cette différence tarifaire envers un moyen de transport qui pollue cent fois plus que le train :
- L'usager du train paie à son insu un "droit de péage" sur l'utilisation des lignes. Celui-ci, loin d'être négligeable, représente entre 35 et 40% du prix du billet. Pour le voyage à quatre entre Paris et Barcelone, il s'établit à 320 euros, soit 38% du prix du trajet. Là aussi, la comparaison avec les pays voisins ne tourne pas à l'avantage de l'usager français : un graphique diffusé dans l'émission montre qu'en Allemagne, ce péage coûte deux fois moins cher au voyageur, en Italie, quatre fois moins cher et jusqu'à vingt fois moins cher en Finlande.
- En ce qui concerne l'exemple du vol Paris-Barcelone, l'absence totale de TVA sur les billets d'avion constitue un véritable avantage fiscal en faveur du transport aérien, dont ne bénéficie pas le transport ferroviaire.
- Et surtout, la détaxation du kérosène porte le prix du litre à 80 centimes d'euros, un prix qui ferait rêver les automobilistes en cette période d'inflation sur les carburants. Cette détaxation est imposée au profit des vols internationaux par la convention de Chicago de 1944, qu'il faudra bien se décider un jour à abroger. Mais la dite convention laisse la liberté fiscale aux pays en ce qui concerne les vols intérieurs. Ici aussi, on constate le favoritisme des autorités françaises à l'égard de l'avion : alors qu'aux États-Unis, au Canada, au Japon, cette taxation existe sur les vols intérieurs, la plupart des pays d'Europe en sont encore au stade de la discussion.
Force est donc de constater que la concurrence "libre et non faussée" si chère à l'Union européenne est intrasectorielle et ne s'applique pas d'un secteur du transport à l'autre. Pour Audrey, ce favoritisme français en faveur de l'avion relève d'un choix politique et deux faits lui donnent raison :
- En 2021, en proie à une crise aigüe de frime écoblanchissante, Macron suscite la création d'une Convention Citoyenne sur le Climat (CCC)... pour ne tenir ensuite aucun compte de ses préconisations à l'occasion du vote parlementaire de la loi "climat et résilience". Parmi celles-ci figurait l'interdiction de toute desserte aérienne entre les villes qui pouvaient être reliées par train en moins de quatre heures. Ce temps de trajet a été réduit à deux heures et demi, ne concernait plus que cinq lignes (contre 23 pour la proposition de la CCC). Mais le documentaire nous apprend que, dérogations aidant, 'il y a encore des vols Lyon-Marseille, des vols Paris-Nantes, des vols Paris-Bordeaux alors qu'il serait plus rapide de faire le voyage en train.
- Plus récemment, le Gouvernement d'Elisabeth Borne, ne voulant pas d'un amendement voté à l'Assemblée pour l'investissement de trois milliards d'euros en faveur du ferroviaire, a été jusqu'a dégainer l'article 49-3 pour empêcher l'adoption de cet amendement, sans que, comme d'habitude, les députés ne veuillent prendre le risque d'une dissolution à la suite du vote d'une motion de censure. Cette opposition à un investissement qui ne serait pas de trop pour "réparer" notre réseau ferroviaire, témoigne d'une volonté de refus d'un report modal de l'avion sur le train, au détriment de la santé des riverains des aéroports et de la lutte contre la part de réchauffement climatique due à l'aviation.
Pourtant, en attendant les cent milliards sur quinze ans demandés par le PDG de la SNCF, cet investissement ne serait pas de trop : en termes d'investissements dans les infrastructures ferroviaires, la France détient la lanterne rouge en Europe, avec 45 euros par habitant et par an, derrière l'Espagne (56 euros) et très loin derrière le Luxembourg ou la Suisse (respectivement 13 et 9 fois plus). Une incursion sur le paysage ferroviaire montre l'état de délabrement de celui-ci, avec la fermeture de "petites" lignes, pourtant bien utiles pour désenclaver nos campagnes, mais aussi de lignes reliant des métropoles, comme entre Saint-Étienne à Clermont-Ferrand, dont un car assure la liaison en trois heures au lien d'une heure cinquante au temps du train. Mais cette liaison n'est qu'un exemple parmi tant d'autres : ce sont de nombreux trajets transversaux qui ont été supprimés, accentuant ainsi le caractère "en étoile" du réseau ferroviaire et mettant les voyageurs devant une alternative : soit passer par Paris soit prendre l'avion.. Sur les trajets qui ont échappé au massacre, la suppression des trains de nuit empêche les arrivées à destination matinales. Une coopérative d'intérêt collectif (Railcoop) se propose de reconstituer et d'exploiter ces lignes, mais c'est une aventure dont la rentabilité - et donc la pérennité - est incertaine en raison des nombreux handicaps financiers évoqués par Audrey Boehly au début de l'émission.
Qu'il me soit permis ici de faire part d'une expérience personnelle, vécue sur la ligne TER Paris-Lille : en juin dernier, j'embarquais à 9 heures à la gare du Nord pour me rendre à Lille, où je devais participer à un rassemblement contre l'extension de cet aéroport, prévu à 11 heures. On nous annonce d'abord un retard de vingt minutes, puis de 20 minutes en 20 minutes, jusqu'à 10h30. Et là, comprenant que je ne serais jamais à l'heure, je suis forcé de renoncer au voyage.
Quand l'émission se transporte à Lille, je comprends que cette mésaventure n'est pas accidentelle : plusieurs voyageurs, qui subissent ces retards de façon récurrente, expriment leur indignation et leur ras le bol. Les suppressions de trains sont aussi le lot quotidien des usagers : plus de vingt mille trains supprimés pour la région Hauts-de-France pendant l'année 2022 sans aucune information préalable donnée aux usagers. Le manque de personnel, le manque d'entretien des voies et de maintenance des motrices sont venus à bout de la ponctualité, autrefois proverbiale, de la SNCF. Mais ce que ne dit pas l'émission, c'est que notre voisin d'outre-Rhin, en raison de nombreux retards sur son réseau ferroviaire, est incapable de faire face à l'afflux des voyageurs causé par la politique tarifaire mentionnée au début de cet article. Ce sont les séquelles du sous-investissement chronique dans les infrastructures qui a été la marque de fabrique de l'ère Merkel. En France comme en Allemagne, les mêmes causes provoquent les mêmes effets.
Mais, contrairement à la France, l'Allemagne a augmenté ses investissements et commence à remplacer le Diésel de ses vieilles motrices par l'hydrogène, fabriquée dans une usine allemande pour la Deutsche Bahn par ... Alstom. Il faut ici préciser que, comme pour l'avion, la neutralité climatique de ce mode de transport dépendra essentiellement de la façon dont est produit l'hydrogène. Le projet est "sur les rails", au sens propre puisque les premiers trains circulent déjà dans la région de Francfort, mais la France devra attendre son tour au mieux jusqu'en... 2025. Une technologie française au service prioritaire d'un autre pays ... Qui a dit que charité bien ordonnée commence par soi-même ?
Parmi les propositions de la CCC piétinées par les politiques figurait également l'interdiction des extensions aéroportuaires. Cette mesure, qui concernait une dizaine de grands aéroports, n'a été adoptée par le parlement que sous réserve de la condition très restrictive de ne s'appliquer qu'aux aéroports obligés d'exproprier pour s'étendre, c'est à dire deux sur les dix - et ceux-ci ont bénéficié d'une dérogation. Donc "un joli texte de loi qui ne sert à rien", dénoncé en 2020 par Charlène Fleury, que nous rencontrons à Lille dans une des séquences suivantes de l'émission. Les riverains de l'aéroport lillois sont eux aussi menacés d'une augmentation des mouvements d'avions, soutenue par des élus totalement irresponsables parmi lesquels le président de la région Xavier Bertrand. L'aviation refuse sa part dans la lutte contre le réchauffement climatique, ce que dénoncent les militants lillois dans une parodie de promotion pour le tourisme à l'humour grinçant. En ce qui concerne le coût de l'agrandissement de ce seul aéroport, il est évalué à plus de 100 millions d'euros.
"Pendant que l'on agrandit des aéroports à coût de millions d'euros, l'argent manque cruellement ailleurs", commente l'émission. La confirmation en est apportée par la visite d'une gare de fret ferroviaire flambant neuf près de la gare du Nord. Elle a été inaugurée il y a cinq ans par Elisabeth Borne, alors ministre des transport, mais inauguration est loin d'être synonyme de mise en service. "Grâce à ce terminal", disaient les discours officiels, "le frêt ferroviaire va enfin repartir". Promesse de politique qui n'engage que ceux qui y croient puisque, cinq ans après, aucun train n'y arrive ! La faute en est, encore une fois de plus, au manque d'investissements pour la rénovation des gares de triages. Depuis le début des années 80, la part du ferroviaire dans le transport des marchandises est passé de 30% à 10%, au profit du secteur routier dont l'activité a augmenté de façon démesurée, jetant sur les routes nationales des milliers de camions qui perturbent la tranquillité des villages traversés. Et, sur la répartition du fret entre le ferroviaire et le routier, la France est encore le mauvais élève parmi tous les pays européens.
Anne Bringault de Réseau Action Climat, souligne à son tour pour Alternatives Économiques le manque criant d'investissement de la France dans le ferroviaire : c'est au contraire à une régression du réseau ferré que nous assistons avec la fermeture, depuis 2015, de plus de 1000 km de voies et de "petites" gares. La volonté politique de créer une alternative ferroviaire à la voiture doit passer par la résurrection des réseaux régionaux ; celle de créer une alternative à l'avion, par la remise en service de trains de nuit, qui permettraient de se rendre à Rome, à Berlin ou à Prague sans avoir recours à l'avion. Mais la pénurie de matériel roulant, résultat d'une politique délibérée d'abandon du ferroviaire, est un obstacle à la mise en place de cette politique, qui, même avec des investissements massifs, ne pourra être surmonté que sur quatre à huit ans à partir de la prise de décision. Et reste le problème du financement : une redevance sur les poids lourds, à l'exemple de la Suisse, pourrait être dédiée à la modernisation du ferroviaire. En taxant le kérosène des avions, L’État trouverait sans difficulté les trois milliards d'euros qu'à coup d'article 49-3, Élisabeth Borne a refusé au ferroviaire. De plus, cette mesure contribuerait à un rééquilibrage des prix en faveur du train,. La "jolie loi qui ne sert à rien" dénoncée par Charlène Fleury est surtout une occasion manquée, qui témoigne d'une volonté de statu quo.
L'émission conclut par l'évocation d'une percée technologique, qui permettrait de faire circuler les trains à des vitesses comparables à celle de l'avion, dans des "tubes" où le vide éliminerait les forces de frottement, principale cause de dépense d'énergie. Mais le projet hyperloop, imaginé il y a dix ans par Elon Musk, n'en est qu'au stade préliminaire et rien ne garantit son succès. Aussi ne faut-il pas tomber dans le piège d'un rêve analogue à celui de l'aviation civile, qui promet des solutions technologiques dans un délai incompatible avec l'urgence climatique. C'est dès maintenant qu'il faut entreprendre le nécessaire pour une restriction de l'aérien au profit d'un moyen de transport cent fois moins polluant. Les solutions existent, elles sont à notre portée à la condition que la volonté politique soit au rendez-vous.
Lien vers l'émission "sur le front" : https://www.france.tv/france-5/sur-le-front/4557199-pourquoi-le-train-est-il-toujours-plus-cher.html