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Billet de blog 26 juin 2021

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Secteur aérien et dérèglement climatique autour d'une table ronde

Le rassemblement de soutien aux prévenus traduits en justice pour l'action du 3 octobre à Roissy a donné lieu à une table ronde à laquelle ont participé un scientifique, un salarié de l'aéronautique syndicaliste et adhérent du collectif "Pensons l'Aéronautique pour Demain" (PAD), un syndicaliste de la raffinerie Total de Grand-Puits et une militante Alternatiba de Marseille

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Illustration 1

Devant la catastrophe annoncée et imminente selon le  rapport du GIEC qui vient de fuiter, le procès de cinq militants associatifs, qui devait se tenir ce 24 juin et a été reporté au 7 octobre, fait figure de pitrerie dérisoire. Nous voudrions que les débats de caniveau autour des questions climatiques aient la même hauteur de vue que la table ronde qui s'est tenue le 24 juin à l'occasion de l'audience préliminaire à ce procès. Mais, quand ils reçoivent Greta Thunberg à l'assemblée, les élus adoptent à son égard une attitude méprisante, voire insultante. Et au cours des campagnes municipales, départementales et régionales, l'outrance verbale tient lieu aux candidats de débat autour des questions climatiques, quand ils affublent régulièrement les citoyens, dont le seul tort est de se préoccuper  de l'avenir de leurs enfants, du qualificatif de "khmers verts". Cela en dit long sur leur méconnaissance de l'histoire :  faut-il rappeler que les khmers du Cambodge ont assassiné plusieurs millions d'êtres humains ? Le récent rapport du GIEC est là pour nous rappeler que les ignorants qui nous dirigent et les lobbies dont ils ne sont que les valets sont insidieusement en train de préparer une hécatombe sans camps de la mort, dont l'ampleur ferait pâlir de jalousie tous les potentats sanguinaires qui ont ensanglanté notre planète  au cours du 20ème siècle.

La table ronde réunissait un scientifique, un salarié de l'aéronautique syndicaliste et adhérant du collectif "Pensons l'Aéronautique pour Demain" (PAD), un syndicaliste de la raffinerie Total de Grand-Puits et une militante d'Alternatiba à Marseille. Voici un résumé de leurs interventions, dont la vidéo complète est sur la page Facebook d'Action Climat Paris.

Devant l'urgence d'agir, l'irresponsabilité du secteur aérien

Illustration 2

Xavier Capet, océanographe au CNRS et contributeur au GIEC.
Le transport aérien a aujourd'hui un problème avec la baisse d'activité due à la crise sanitaire, mais aussi un autre problème avec la crise climatique, qui s'inscrit de façon durable dans le paysage pour au moins deux raisons : la première est que la décarbonation du transport aérien est au mieux une perspective lointaine et au pire une illusion. La seconde est que les manifestations du dérèglement climatique ne font que commencer alors que nous sommes à un degré d'augmentation de la température, avec des "signaux" très inquiétants : développement des méga-feux de forêt dans toutes les parties du monde, répétitifs et auto-entretenus, montée du niveau des mers sous l'effet de la fonte des calottes glaciaires, canicules et sécheresse constatées depuis trois étés successifs en France. La question, relayée depuis plusieurs années par les media est "faut-il continuer de prendre l'avion".
La communication du secteur aérien sur le sujet tend à faire croire que son activité n'entre que pour une faible part dans le réchauffement climatique et que l'on peut continuer à voler avec insouciance, avec un angle de communication très utilisé : le secteur ne représenterait que 2,5% des émissions carbone. En valeur absolue, cela fait un milliard de tonnes, du même ordre de grandeur que la totalité des émissions des 2,5 milliards d'habitants les plus pauvres. L'argumentaire est fallacieux à plusieurs titres : d'abord, les gaz à effet de serre (GES) émis par l'aérien ne se limitent pas au CO2, et les autres gaz  portent la contribution du secteur au réchauffement à au moins 7% à l'échelle mondiale. Et ce qui complique l'action, c'est qu'il n'y a pas un secteur dominant en termes d'émissions de GES. Mais ce qui apparaît dans la communication du secteur aérien, c'est qu'il voudrait s’exonérer des efforts demandés aux autres secteurs et donc voir monter la part du secteur aérien dans les émissions. Sauf si les autres secteurs, constatant l'inaction de l'aérien, choisissent eux aussi de ne pas agir, ajoutera Xavier plus tard dans la discussion.

Imposer une transition socialement juste

Illustration 3

Maxime Léonard, salarié de l'aéronautique et adhérent du PAD.
Maxime rappelle la nécessité de ne pas oublier les aspects sociaux de la transition qui se prépare : Si le ralentissement de l'activité aéronautique s'est révélé bénéfique pour la planète avec des résultats tangibles en termes d'environnement, la seule boussole de nos entreprises reste la profitabilité financière, au détriment de l'emploi et des investissements : les carnets de commande assurent aujourd'hui une dizaine d'années d'activité au secteur aéronautique, qui a également profité de milliards d'aides et de prêts garantis accordés par l’État sans aucune contrepartie de protection de l'emploi et d'investissements. Il aurait donc fallu associer ces aides à des conditions rigoureuses, comme un moratoire sur les licenciements. Comme toujours dans ce type de situation, ce sont les salariés qui ont subi la crise, sous forme de plans sociaux et d'attaque de leurs droits, en particulier chez les sous-traitants. La baisse des investissements amène à se demander si "l'avion vert" cher à la propagande du secteur aérien pourra être réalisé avec des budgets recherche en berne. Aujourd'hui, le secteur commence à réembaucher avec des statuts plus précaires. Les entreprises ont donc pleinement profité de l'opportunité pour faire baisser les coûts salariaux et augmenter la rentabilité.
A moyen et long terme, il va falloir porter une transition qui concilie rebondissement du secteur et enjeux climatiques. La transition à long terme doit d'abord passer par une réflexion pour repenser l'usage de l'avion au 21ème siècle. Des pouvoirs  accrus dans les entreprises doivent être accordés aux représentants des salariés, afin de peser sur les décisions concernant la préservation des savoir-faire, les stratégies de sauvegarde de l'emploi,  la reconversion des entreprises et des salariés vers les gisements d'emploi liés à la transition écologique. Mais il faut d'abord que la loi consacre ces nouveaux pouvoirs qui ne pourront être obtenus que par une mobilisation forte des salariés.

Illustration 4

Pour un contrôle ouvrier des entreprises

Adrien Cornet, délégué syndical CGT à la raffinerie Total de Grandpuits.
Le secteur aérien et le secteur pétrolier qui exploite les industries fossiles sont intimement liés. Dans le futur projet de Total est prévue la production d'agro-carburants : la recette est à base de céréales, de colza et d'un saupoudrage d'écoblanchiment à base d'huile de cuisson (et il est interdit de rire !). La recette s'accompagne de la fermeture de Grandpuit avec une perte nette de 200 postes chez Total et de 800 chez les sous-traitants. Avec cette fermeture, l'entreprise prétend prendre le virage de la transition écologique au moment même où  elle fait creuser un oléoduc en plein milieu des parcs naturels d'Ouganda. Adrien rappelle également que fermer une raffinerie en France, c'est aggraver la pollution, car c'est déporter cette activité dans des pays où les normes sociales et environnementales sont minimales, voire inexistantes.
La seule obsession de Total est de maintenir une croissance à deux chiffres, aux dépens si c'est nécessaire de l'emploi et de l'environnement. C'est un credo commun à toutes les entreprises capitalistes, intrinsèque au système même, sans aucune considération pour ce qu'ils font des travailleurs et de la planète et ce n'est pas un problème qui va se résoudre par des taxes aux frontières ou un renforcement des normes. Comme Maxime, Adrien appelle à une mobilisation forte des salariés et des citoyens : "Si on ne pose pas les bases d'une discussion saine et sereine dans ce système capitaliste, la planète et les travailleurs vont mourir". Cette discussion ne peut que résulter d'un rapport de force qui imposera le contrôle ouvrier des entreprises, autant dire une révolution qu'au cours de la discussion, le syndicaliste mentionnera que pour lui, elle ne peut pas aboutir sans violences et sans répression.

Rester mobilisé(e)s sur les projets d'extension

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Charlène Fleury, militante Alternatiba, Marseille
Le projet T4 et son annulation ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt : d'abord parce que le T4 n'est qu'un parmi dix grands projets d'extension aéroportuaire. Ensuite parce que l'annulation n'est qu'un effet d'annonce, le Président d'ADP ayant été missionné pour concevoir un nouveau projet, sans aucune garantie que les perspectives de croissance soient revues à la baisse . Mais, malgré les déclarations lénifiantes des autorités aéroportuaires, dans le système capitaliste précédemment décrit par Adrien, on n'investit pas dans une extension d'aéroport s'il n'y a pas derrière des perspectives de croissance. Les extensions sont donc bel et bien conçues pour augmenter le trafic, comme à Nice ou l'intention avouée est d’ouvrir de nouvelles lignes vers la Chine, et toute déclaration contraire est une insulte à notre intelligence. A Marseille, le projet d'extension a été soumis à enquête publique, qui a révélé 80% d'opposants. On a alors  "relooké" le projet vieux de 20 ans en le saucissonnant en deux projets pour le rendre plus acceptable : seul le  hall supplémentaire reste d'actualité. Mais pourquoi créer un hall supplémentaire sans nouvelles capacités d'embarquement ? On peut donc penser que le projet de  quai d'embarquement, avec l'augmentation du trafic qui en résulte, ressortira un jour des cartons au moment où les opposants s'y attendent le moins.
C'était une des propositions de la convention collective pour le climat d'interdire toute extension aéroportuaire. La loi "climat et résilience" l'a limitée à une interdiction d'expropriation, sous le coup de laquelle ne tombent que deux extensions aéroportuaires (Nantes et Bâle-Mulhouse) qui ne possèdent pas les terrains nécessaires, .mais font l'objet de dérogations nommément explicitées par l'article 37 de la loi climat, rendue ainsi inopérante par la volonté du Gouvernement et des parlementaires de n'empêcher aucune extension aéroportuaire. "Un joli texte de loi qui ne sert à rien", commente Charlène. Il faut continuer à se battre, ajoute-t-elle. L'histoire récente nous montre que tant que les extensions ne sont pas construites, aucun combat n'est perdu d'avance : après Notre-Dame des Landes, Andorre où, sous la pression de l'opinion, le projet d'aéroport a été abandonné. Et l'abandon du T4 pour cause d'obsolescence doit inciter à transformer l'essai en se mobilisant contre le nouveau projet promis par Augustin de Romanet. La poursuite du combat se passe sur le terrain judiciaire pour Nice et Marseille, pour attaquer les permis de construire qui ont malheureusement été accordés. Les cas de Bordeaux et de Rennes, gelés sous l'effet des difficultés financières provoquées par la crise sanitaire montrent bien que jamais les opportunités n'ont été aussi grandes pour s'opposer.Il faudra également se mobiliser pour Lille et Nantes pour soutenir les luttes locales qui sont en train de se structurer et répondre à de probables enquêtes publiques.
Beaucoup de moyens sont à notre disposition : Charlène fait état de nombreuses et importantes alliances qui sont en train de se nouer sur le terrain associatif. On peut lutter avec des pétitions, sensibiliser les opinions publiques, aller en justice, pratiquer la désobéissance civile comme l'ont fait Audrey, Camille, Côme, Gabriel et Robin que nous soutenons aujourd'hui. Il y a aussi les assises de l'aéronautique en septembre dont pourront émerger des propositions. Tous ces moyens d'action sont à combiner et à utiliser au bon moment. On peut, comme Charlène, être optimiste sur nos capacités à vaincre sur le terrain contre des lois complètement inopérantes, grâce à une mobilisation importante dont le procès qui se prépare n'est qu'une étape préliminaire.

Au dernier moment, le procès des cinq militants a été reporté et l'audience à laquelle ils ont comparu aujourd'hui n'était qu'une audience préliminaire. Le rassemblement du 24 a cependant été maintenu avec un programme allégé, dont la table ronde commentée ici et les prises de parole ont été les temps forts, ainsi que la haie d'honneur au passage des prévenus en route vers le tribunal (photo ci-dessous). Ce soutien, nous aurons l'occasion de le renouveler le 7 octobre, date de report du procès. Soyons nombreux pour qu'il s'amplifie et contribue à une issue heureuse.

Illustration 6

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