A en croire les titres de première page du Monde, de la Tribune , du Figaro, l'accord de Montréal sur la biodiversité mérite le qualificatif d'"historique". Le mot fait presque peur, tant il a été employé dans le passé à mauvais escient ! On peut ainsi se remémorer l'accord de Paris, "un succès inespéré" selon le Huffington Post, mais tout au plus, selon les critères qu'avait établis au préalable ce même journal, "un accord insuffisant, mais qui prépare l'avenir". Or Libération nous rappelle le sort réservé aux palabres de la COP21, qui n'ont préparé qu'un avenir émaillé de catastrophes : l'accord de 2015 ciblait un réchauffement de 1,5°C en 2100, en référence aux températures de l'ère préindustrielle. C'est un objectif qu'on pourrait déjà estimer insuffisant au regard du bilan de l'année 2022, qui a connu un réchauffement de "seulement" 1,2°C, émaillé d'une litanie de catastrophes naturelles majeures : dès le mois de Janvier, c'est l'Australie occidentale qui suffoque, avec des températures dépassant par endroit les 50°C, soit 15°C au dessous des normales de saison ; dans la corne de l'Afrique, c'est 22 millions d'êtres humains qui souffrent de la famine, du fait des sécheresses qui se succèdent d'année en année. L'année 2022 est la plus chaude jamais enregistrée en France, succédant aux records de 2020 et de 2018 et les pics de chaleur supérieurs à 50°C ne sont pas à exclure dans un avenir proche. Une sécheresse inédite s'installe dans le pays, obligeant la plupart des départements à prendre des mesures de restriction d'eau. Et le déficit de précipitations se poursuit en automne, au moment où devraient commencer à se recharger les nappes phréatiques. La Californie est à nouveau frappée par des incendies à répétition, le plus dévastateur d'entre eux détruisant, à lui tout seul, plus de 22000 hectares de forêts. En Europe, ce sont les pays du Sud qui sont en proie à des incendies incontrôlables. Et ces incendies colossaux n'ont pas non plus épargné la France, avec ses 66000 hectares de forêts ravagés par le feu.
A côté des pays qui manquent d'eau, il y a ceux soumis à des inondations catastrophiques : en 2021, c'était l'Allemagne. En 2022, c'était la Corée du Sud et le Pakistan, avec, dans ce dernier pays, huit millions de personnes déplacées. Et la COP 27, qui s'est tenue récemment en Egypte, officialise le reniement des engagements pris au cours de la COP 21 : c'est désormais un réchauffement de 2,7°C vers lequel on tend au lieu des 1,5°C prévus par l'accord de Paris. Et l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) alerte : «Non seulement l’investissement dans les énergies propres place le monde loin du chemin de la neutralité carbone en milieu de siècle, mais il ne parvient pas non plus à prévenir un nouveau record d’émissions." Enfin, pour le Secrétaire Général de l'ONU, "le monde est sur un chemin catastrophique" : il constate que l'état actuel des engagements climatiques nous conduit à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 16% en 2030 alors que pour maintenir le climat dans les clous de l'accord de Paris, il faudrait les avoir réduit de 40%. Et il conclut : Il est temps pour les dirigeants de prendre position et de tenir leurs promesses, ou les populations dans tous les pays en paieront le prix.» Mais les conlusions de la COP 27 éludent largement la question de l'arrêt d'exploitation des énergies fossiles. Sachant que celles-ci sont responsables de 80% des émissions de CO2, cette lacune est pour le moins fâcheuse !
Aux problèmes urgents de la planète, la communauté internationale ne sait que palabrer et signer des accords non-opérants. Cette COP sur la biodiversité qui vient de s'achever en offre encore la démonstration.
Ceci devrait convaincre, s'il en est besoin, que les seuls engagements "historiques" sont ceux qui sont tenus. C'est le mérite de Libération d'avoir monté ce dossier accablant, qui devrait nous sensibiliser sur le fait que les grand-messes écoblanchissantes n'ont jamais suffi et que celle sur la biodiversité qui vient de se clore à Montréal n'en est qu'une de plus : d'abord parce que cet accord soi-disant "historique" fait suite à quatre ans de palabres démontrant ainsi l'étrange conception de "l'urgence" pourtant soulignée par les signataires en regard "d'un rythme actuel d'extinction au moins dix à cent fois plus élevé que la moyenne des dernières dix millions d'années". Ensuite parce que si la préservation de la biodiversité, reconnue par les scientifiques comme une condition incontournable de notre survie sur terre, est au même titre que la préservation du climat une urgence absolue, on voit mal comment on pourrait la préserver dans un contexte de forêts qui brûlent, de cours d'eau qui s'assèchent, d'océans qui s'acidifient, d'artificialisation des sols, de surpêche, etc. Le réchauffement climatique et la perte de biodiversité ne peuvent pas être abordés indépendamment l'un de l'autre.
La COP Biodiversité définit quatre objectifs à l'horizon 2030 si, d'ici là, il reste encore quelque chose à sauvegarder de la biodiversité :
- La protection d'au moins 30 % des surfaces terrestres et d’eaux intérieures ainsi que des surfaces côtières et marines constitue le premier d'entre eux. Mais cette ambition proclamée suscite beaucoup plus de questions qu'elles n'apportent de réponses : Pourquoi 30% alors que «la science dit clairement qu’au moins 50 % de la planète devrait être protégée d’ici 2030» ? quels seront les objectifs attribués à chaque pays ? Sur ce point, une faille importante apparaît du fait que les Etats-Unis ne sont pas signataires de l'accord. Qui définira ces objectifs ? Quels sont les moyens de contraindre chaque pays à respecter ses engagements ? En l'absence de réponses claires à ces questions, l'énoncé de cet objectif ne dépassera pas le stade de la déclaration de bonnes intentions.
- On peut aussi être sceptique sur le deuxième, qui concerne essentiellement l'agriculture et l'industrie : la réduction des substances nocives employées pour augmenter la productivité et, en particulier, la productivité agricole. L'objectif s'énonce de la façon suivante : «Réduire d’au moins la moitié le risque global des pesticides et produits chimiques très dangereux.» Mais sur la façon d'évaluer le "risque global", pas de réponse claire, mais des controverses qui ne font pas avancer le sujet. Et, là encore, l'accord ne prévoit pas d’exigences obligatoires pour toutes les grandes entreprises et institutions financières d’évaluer et de divulguer leurs impacts et dépendances à l’égard de la nature d’ici à 2030».
- En rapport avec ce deuxième objectif, la COP pose un accord de principe sur la réorientation des 1800 milliards de subventions annuelles dédiées principalement aux énergies fossiles, à la surpêche ou à l’agriculture intensive. Mais les atermoiements continuent, avec l'identification, à l'horizon 2025, des subventions à supprimer, alors que celles-ci sont déjà largement connues. Et il n'est pas question, pour les secteurs visés, d'avoir à rendre des comptes à des échéances définies, ces points ayant disparu dans le texte final.
- Enfin, la question des financements dédiées à la sauvegarde de la biodiversité est toujours une pomme de discorde entre le Nord et le Sud, l'accord prévoyant une aide internationale d' «au moins 20 milliards de dollars» d’ici à 2025 et «au moins 30 milliards d’ici à 2030», venant évidemment des "pays développés". Mais ce montant est-il crédible quand on sait que la contribution des Etats-Unis non signataires de l'accord, risque de manquer. Et surtout, le montant suscite la colère des pays du Sud qui estiment -probablement à juste titre - que ce montant n'est pas suffisant et que le fond dédié à ce financement devrait atteindre 100 milliards de dollars annuels.
Aux questions relatives à la protection du climat et de la biodiversité, la communauté internationale ne sait que palabrer et signer des accords non-opérants, comme s'il ne s'agissait pas de problèmes de la première urgence. La COP sur la biodiversité qui vient de s'achever en offre encore la démonstration.