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Billet de blog 23 mai 2025

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Habemus papam

Certains voient l'élection d'un pape à la double nationalité américaine et péruvienne comme une ouverture sur le monde : en effet, François a été le premier pape non-européen et la grande majorité des papes, dans toute l'histoire de l'Eglise, ont été italiens et français. Mais, pour autant, l'Eglise sera-t-elle plus écoutée internationalement ?

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Un de mes voisins juifs m'a dit un jour que, des trois grandes religions monothéistes, c'était le Christianisme qui avait les exigences morales les plus élevées. D'abord surpris, j'ai ensuite cherché à comprendre les raisons qui motivaient cette opinion de la part d'un non-chrétien. Elles tiennent, à mon avis, dans deux notions que seul professe le Christianisme : un pardon sans limites et la vertu théologale de la charité. Pour le premier, la meilleure référence est une parole du Christ qui, jusque sur la croix, plaidait en faveur de ses tortionnaires (Père, pardonnez leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font). Pour la deuxième, c'est une épître de Saint Paul qui en révèle l'importance : (Je pourrais parler tous les langages des anges et des hommes; si je n'ai pas la charité, je ne suis rien). Selon ce texte, donner tout son argent au pauvre ne suffit pas à définir la charité : celle-ci implique avant tout une absence totale de jugement de valeur envers les personnes à qui on apporte une aide, exactement le contraire des dames patronesses de Jacques Brel. 

Aux premiers temps de la Chrétienté, l'Eglise Catholique n'existait pas en tant qu'institution : la direction de l'Eglise primitive était collégiale et l'évèque de Rome n'y avait aucune prépondérance. Saint Pierre n'a pas été élu par un conclave (il n'y avait pas de cardinaux) et n'a probablement jamais su qu'il était le premier pape. Les protestants mettent même en doute qu'il soit jamais allé à Rome. C'est au Moyen-Age que l'Eglise s'est érigée en tant qu'institution, qui s'est mise, comme c'est la règle en ce cas, à privilégier sa survie en oubliant sa raison d'être : cela a conduit à une liste interminable de débordements (croisades, inquisition, pogroms antisémites, bûchers, chasse au sorcières, trafic des indulgences...) qui étaient autant de dévoiements de l'esprit évangélique qu'elle était censée propager dans le monde.

Et pourtant, la force du message est telle qu'il a survécu à toutes ces déviances - on peut même dire malgré l'Eglise Catholique. Quiconque a vu, dans le film "Amen" de Polanski, les scènes qui se déroulent au Vatican, ne peut qu'être interpellé par la passivité de cette curie romaine, qui vivait dans sa bulle vaticane alors que l'Europe était à feu et à sang. Une écrivaine dénonce  la "froideur du pape". Elle mentionne l'aide sélective de l'Eglise  en faveur des seuls juifs convertis, et la participation du Vatican à l'exfiltration des criminels nazis vers l'Amérique latine. Et pourtant, même chez les non-croyants, comme Albert Camus qui déclare : " Nous aurions voulu que le pape prît parti, au cœur même de ces années honteuses, et dénonçât ce qui était à dénoncer", le chef de l'Eglise reste paradoxalement une référence morale

Certains voient l'élection d'un pape à la double nationalité américaine et péruvienne comme une ouverture sur le monde : en effet, François a été le premier pape non-européen et la grande majorité des papes, dans toute l'histoire de l'Eglise, ont été italiens et français. Mais, pour autant, l'Eglise sera-t-elle plus écoutée internationalement ? Dans les temps plus récents, Jean-Paul II s'était prononcé contre la guerre américaine en Irak et François a plaidé pour le retour de la paix en Ukraine ou en Syrie. Le pape est dans la lignée de l'Evangile quand il rappelle la parole des béatitudes (Heureux les artisans de paix). Mais la  réplique prétée à Staline "le Vatican, combien de divisions ?" dénonce un monde dominé par les rapports de force. Il n'existe aucun exemple que des prises de position en faveur de la paix aient jamais empéché une guerre et on peut douter que Léon XIV puisse changer la règle. 

De même que le Vatican n'a jamais pu infléchir la nature du capitalisme. Le nom que s'est choisi le nouveau pape est clairement une référence à son prédécesseur Léon XIII, pape de la transition entre le dix-neuvième et le vingtième siècle qui  a dénoncé "le modèle Germinal" et le maintien délibéré dans la pauvreté des masses ouvrières, sur fond de cupidité des entreprises et des actionnaires. Intention louable, mais vouloir "moraliser" le capitalisme, s'apparente à vouloir convertir un vol de vautours aux cinq fruits et légumes par jour. Car les changements sociaux qui ont marqué la deuxième moitié du vingtième siècle ont plus été motivés par la nécessité de lutter contre le danger communiste que par la doctrine sociale de l'Eglise énoncée dans l'encyclique rerum novarum. Et maintenant que ce danger a disparu, les vieux démons de la société capitaliste ont fait leur retour, avec le refus d'une fiscalité équitable qui mettrait à contribution les plus riches.  Dans la lignée de ses deux prédécesseurs, homonyme et immédiat, le nouveau pape a dénoncé les excès d'un paradigme économique qui exploite les ressources de la Terre et marginalise les plus pauvres.

Nous arrivons ainsi aux prises de position de l'Eglise concernant la question écologique. Là encore, les premières déclarations du pape Léon XIV laissent à penser qu'il est dans la ligne de ses deux prédécesseurs et de l'encyclique "Laudato si" publiée par François. Mais si les scientifiques qui ont travaillé sur le réchauffement climatique sont aujourd'hui censurés, ce ne sont pas les encycliques qui réussiront à convaincre Trump et sa clique maffieuse et ignorante que le réchauffement climatique n'est pas "un canular". Là encore, les appels à la "justice climatique" envers les plus pauvres se heurteront à l'inaction et aux bavardages des COP successives. Surtout si des intérêts économiques sont en jeu.

Léon XIV appelle aussi les chrétiens à retrouver la foi. Beaucoup plus importante serait une autre conception de la foi, celle qui déplacera les montagnes. Ce ne sont pas les chrétiens de façade à la façon Trump ou Vance qui feront changer le monde, mais ceux, croyants ou non, pour lesquels le message évangélique est plus important que la croyance en Dieu. Mais seront-ils un jour suffisamment nombreux et influents pour infléchir le cours des choses ?

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