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Billet de blog 26 janvier 2024

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Crise sociale et économique en Allemagne, un séisme européen

Si on en croit les prévisions datant de 2014, la crise que traverse actuellement l'Allemagne était inscrite dans les faits. Aujourd'hui, la locomotive bien poussive de l'économie européenne semble être la France. Et ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'Europe, dans le contexte géopolitique actuel.

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En 2014, deux économistes allemands publiaient chacun un livre pour dénoncer les faiblesses intrinsèques de leur économie : l'équilibre budgétaire érigé en dogme était un frein à l'entretien et à la modernisation des infrastructures ; la Chine cesserait d'être le premier partenaire commercial de l'Allemagne lorsque les imprudents tranferts technologiques qui lui étaient consentis lui permettraient de se passer des importations allemandes. Enfin, la vision à court terme de la chancelière entretenait l'illusion que l'Allemagne pouvait se passer de ses partenaires européens, qui profiteraient de la locomotive économique allemande sans rien apporter en échange. Les deux auteurs prophétisaient des lendemains qui déchantent et l'un d'eux parlait même du "chant du cygne" de l'économie allemande. Le Monde nous révèle aujourd'hui à quel point l'Allemagne "perd du terrain par rapport aux grandes économies mondiales" (1).

Et on peut penser que la crise liée à la guerre en Ukraine est un révélateur des conséquences à long terme de la politique de sous-investissement public qui a été celle d'Angela Merkel : par comparaison à la France, le magazine "Der Spiegel" titre, de façon inattendue : "La France, c'est l'Allemagne en mieux". A l'appui de ce constat, 20 minutes dresse une liste  des avantages de l'hexagone : croissance deux fois plus rapide que l'Allemagne sur les cinq dernières années, coûts de production moins élévés, meilleure attractivité pour les investissements étrangers, cinq entreprises figurant dans le TOP 100 des entreprises mondiales, contre aucune pour l'Allemagne. Tout en reconnaissant par ailleurs les faiblesses spécifiques à la France : un taux de chômage qui reste élevé, une balance des exportations/importations largement déficitaire, une dette élevée qui nous met à la merci des agences de notation. De fait, le rôle de locomotive substitutive de l'économie européenne que joue notre pays sur les différents points évoqués plus haut n'est pas une bonne nouvelle pour l'ensemble de l'Europe parce qu'elle est le symptôme d'un affaiblissement généralisé de l'Europe par rapport à ses principaux concurrents, comme le suggèrent les données énoncées dans le paragraphe suivant.

Le constat dressé par l'article du Monde est sans concession : en 2023, l'Allemagne entre en récession, avec une décroissance de 0,3% du produit intérieur brut (PIB). Sur une période plus longue (2019-2023) son PIB n'a progressé que de 0,7%, contre 4% pour l'ensemble de l'Union Européenne, qui, elle-même, est loin derrière les géants économiques comme les Etats-Unis (7.5%) et surtout la Chine (20,1%). Les nouvelles données géopolitiques relatives à la guerre en Ukraine ont été un séisme pour l'Allemagne, en raison de sa dépendance énergétique à la Russie. Cette conjoncture, ainsi que l'indépendance relative aux énergies fossiles du mix énergétique français (75% d'origine nucléaire) assure aux entreprises françaises un accès à l'énergie moins coûteux qu'outre-Rhin

S'agissant du climat social, l'Allemagne, ces jours-ci, a un petit air de France, nous dit un éditorial récent du Monde. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, Scholz affronte lui aussi la colère de ses agriculteurs (2) et les mouvements sociaux se multiplient en Allemagne. Le parti qui se présente comme une alternative pour l'Allemagne (AfD) engrange aujourd'hui 20% des intentions de vote, boosté par certains Länder de l'est où il peut atteindre jusqu'à 35%. Mais les allemands se souviennent de leur passé et n'ont pas envie de le revivre, car l'évocation par ce parti de plans de déportation massive d'immigrés - complètement hors-sol car l'état de la démographie allemande ne permet pas à l'économie de se passer des étrangers - ont jeté récemment des centaines de milliers de manifestants dans la rue. Les allemands manifestent ainsi un attachement à la démocratie qui semble manquer en France. 

En résumé, la situation actuelle de l'Allemagne procède donc du fait que, malgré ses performances économiques au cours des deux dernières décénnies, son économie était très dépendante de la Russie pour l'énergie et de la Chine pour les exportations. C'est cette situation qui a changé, du fait de la guerre en Ukraine et de la montée en puissance de l'économie chinoise. Mais ce déclin de son champion économique sans qu'un autre pays puisse réellement y suppléer va marquer l'Europe toute entière.

(1) Le Monde : l'Allemagne "perd du terrain par rapport aux grandes économies mondiales, 17 janvier 2024
(2) Le Monde : Scholz affronte la colère des agriculteurs, 17 janvier 2024

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