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Billet de blog 26 février 2020

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Triangle de Gonesse : commentaires sur le rapport du CESER

Les CESER sont des organismes régionaux, institutionnalisés dans leur forme actuelle par une loi de juin 2010. Ils ont pour mission de donner un avis consultatif sur les plans régionaux d'aménagement du territoire. C'est à ce titre que celui d'Ile de France s'exprime sur la question de l'urbanisation des terres de Gonesse.

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Le document rappelle l'opposition des associations, regroupées autour du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG). Mais si le projet EuropaCity, qui devait s'implanter sur le triangle de Gonesse, a été jugé "dépassé" par le Gouvernement, ce n'est sûrement pas pour les raisons invoquées par les associations, principalement environnementales, car le débat reste ouvert sur l'avenir du triangle de Gonesse, toujours sous la menace d'une artificialisation des sols. En revanche, il est permis de penser que les réserves de Jacqueline Lorthiois (urbaniste et socio-économiste militante du CPTG) ont eu une influence sur la décision gouvernementale, car cette experte démontre inlassablement depuis plusieurs années l'inanité des promesses d'emploi, que l'exécutif a pu lui même constater avec les promesses non tenues de General Electrics concernant la branche énergie d'Alstom qu'il avait rachetée.

Les problèmes socio-économiques du territoire

L'abandon d'EuropaCity étant acté, les problèmes sociaux et économiques de ce territoire n'en demeurent pas moins : en ce qui concerne l'emploi, le rapport du CESER pointe, dans la population de ce territoire, un niveau de qualification "inférieur à la moyenne régionale (avec une proportion de cadres de 10% contre 28% pour la moyenne régionale) tandis que le taux de chômage des jeunes est plus élevé, accentuant le risque d’exclusion et de désocialisation". Ce facteur, en lien avec l'allusion aux émeutes de Villiers-le-Bel et de Sarcelles, mentionnées plus haut dans le document, est à prendre au sérieux et c'est sans doute la raison pour laquelle la région a décidé d'un plan d'investissement d'un milliard d'euro pour cette partie Est du Val d'Oise, considérée comme déshéritée. Mais l'est-elle plus que les communes limitrophes de la Seine-Saint-Denis, auxquelles le projet Europacity aurait fait perdre des milliers d'emplois ? L'échec du maire de Gonesse à imposer EuropaCity est aussi imputable au fait qu'il n'a jamais voulu admettre que le problème du chômage ne pouvait pas être résolu dans le cadre étroit d'une commune.

Concernant l'emploi, le CESER mentionne un autre fait : "Bien que le niveau de qualification soit faible, les métiers peu qualifiés dans les
secteurs de l’entretien, de la sûreté ainsi que de la logistique et du transport sont en tension". La création d'emplois ne suffira donc pas à elle seule à résorber le chômage. Parmi les "importants leviers pour le développement économique régional" figure l'attractivité résidentielle du territoire, mais celle-ci régressera avec le développement du terminal T4, qui ajoutera aux nuisances sonores et à la pollution auxquelles est soumise la population l'équivalent de celles d'Orly. De plus, "dans les prochaines années, la filière de la logistique et du transport sera certainement confrontée à une généralisation de la robotisation des entrepôts". Il n'y a nullement besoin d'être prophète pour faire cette prédiction, déjà en cours de réalisation, car le développement de l'activité aéroportuaire, s'accompagne paradoxalement d'un déclin des emplois (plus de 20000 perdus entre 2009 et 2016 malgré une augmentation du trafic). Cette régression de l'emploi  porte essentiellement sur les postes les moins qualifiés.

L'alternative agricole

Le rapport souligne les caractéristiques des terres du triangle :  fort potentiel productif de ces sols qui comptent parmi les plus riches d'Europe,  continuité des parcelles bien adaptée à l'agriculture extensive. L'existence, en lisière du triangle, de friches industrielles ou commerciales déjà artificialisées, ou "dans les secteurs de Tremblay-en-France et de Villepinte [...] de parcelles moins accessibles pour l'agriculture [qui] pourraient être plus adaptés à une artificialisation, ou converties en maraîchage", cette deuxième éventualité ayant l'avantage d'accroître encore le potentiel agricole du territoire, au service des besoins en alimentation des collectivités et des franciliens. 
Car ce territoire, à l'heure où l'on parle de circuits alimentaires de proximité, a un réel potentiel agricole et le rapport précise que rien ne s'oppose à ce que le territoire conserve son potentiel agricole, porté par des "projets d’aménagement intégrant l’agriculture dans le développement du territoire". Le rapport cite le projet d'économie sociale et solidaire CARMA comme une opportunité de mise en place "d’un cycle alimentaire sain et durable au bénéfice du territoire", qui permettrait des créations d'emplois. Car mettre en place d'un tel projet ne signifierait pas renoncer aux emplois,  qui auraient plusieurs avantages : créés à la suite d'une formation qui ne mettrait pas sur la touche les moins qualifiés, ils seraient beaucoup plus pérennes. Ainsi, la région parisienne entrerait enfin dans l'ère de l'agriculture périurbaine, déjà pratiquée par plusieurs métropoles américaines et européennes qui ont mis en place de tels projets.

L'adaptation du transport aux besoins du territoire

Le troisième volet du rapport concerne les transports. Il rappelle d'abord la décision du tribunal administratif de Montreuil , ordonnant la suspension des travaux de la gare pour une durée d'un an. Cette décision a été prise pour des motifs environnementaux, le tribunal ayant jugé insuffisantes les études d'impact. Au delà de ces considérations, cette période d'un an qui a été donnée par la justice doit être mise à profit pour reconsidérer dans son ensemble la pertinence des projets du Grand Paris sur le sujet des transports.

 L’urbaniste et socioéconomiste Jacqueline Lorthiois souligne à ce sujet la nécessaire distinction entre les fonctions de « desserte » et de « transit ». Ainsi, un transport en commun assurant une fonction de desserte effectue le maillage d’un territoire local, tandis qu’un transport assurant une fonction de transit a pour vocation de traverser un territoire qui englobe plusieurs bassins de proximité, en effectuant le moins d’arrêts possibles. Au sein de cette fonction de transit, les liaisons « radiales » relient le centre et la périphérie (ou deux périphéries en passant par le centre) tandis que les liaisons en « rocade » relient les banlieues entre elles. Compte-tenu de ces définitions, la ligne 17 constitue une ligne de transit en radiale et son parcours doit donc être le plus direct possible et ne relier que des pôles d’importance majeure, ce qui ne n’est pas le cas du Triangle de Gonesse dans sa configuration actuelle. Au nord de celui-ci les gares ne desserviraient que des zones peu densément peuplées et à faible activité, à l'exception de l'aéroport de Roissy qui dispose déjà de liaisons radiales qui le relient à Paris et de liaisons transversales qui permettent aux 5% d'habitants de Gonesse qui y travaillent de s'y déplacer. La pertinence de la 17 Nord dans son ensemble est donc loin d'être évidente et la construction d'une gare dans le triangle de Gonesse signifierait une inévitable urbanisation de celui-ci. 

"Pour un modèle urbain plus durable"

La dernière partie énonce les principes du "modèle urbain plus durable" que le CESER souhaite voir mis en place. Dès le premier paragraphe, il rappelle un précédent avis de 2017, dans lequel il mentionnait les "territoires péri-métropolitains, avec leurs importants espaces naturels agricoles et forestiers, poumon « vert » de la région capitale, [qui] "représentent un atout clé pour un développement métropolitain durable et plus résilient". Logiquement, "La non-urbanisation permettrait ainsi de répondre aux fortes préoccupations environnementales, en protégeant cette zone non artificialisée située à quinze kilomètres de la capitale". Mais la perspective d'un développement socio-économique du territoire suscite plusieurs questions sur la place qu'aurait l'organisation en circuits courts sur la couverture agro-alimentaire de territoire, sur la possibilité d'aménager des espaces récréatifs et/ou des zones de biodiversité, sur la formation professionnelle à apporter aux actifs résidents sur les métiers agricoles et les emplois qui en dérivent, dans l'optique d'une activité qui crée des emplois sur le territoire.
On pourrait donc logiquement penser que le CESER va se prononcer en faveur du maintien des espaces agricoles. Mais son analyse se veut sans parti pris et c'est dans cet esprit qu'il aborde le devenir du triangle de Gonesse, sans exclure l'urbanisation, qui fait l'objet du paragraphe suivant. Pour les auteurs du rapport, une urbanisation partielle ou totale du triangle doit s'inscrire dans une logique d'inter-territorialité, en excluant un développement basé uniquement sur l'activité aéroportuaire qui ne profite que très peu aux habitants du territoire. Les bâtiments qui sortiront de terre doivent être conformes aux normes les plus exigeantes de la transition écologique. Enfin, de nouvelles pertes de terrains agricoles doivent être compensées par la remise en agriculture de terrains déjà artificialisés. Cette dernière condition suscite le scepticisme, l'artificialisation des terrains agricoles étant le plus souvent irréversible.

En conclusion...

Pour les auteurs du rapport, le triangle de Gonesse doit devenir "un laboratoire de la « métropole nature", par la préservation des espaces agricoles et l'organisation d'une exploitation en circuits courts, qui  améliore l'attractivité résidentielle du territoire (objectif inatteignable si le T4 tient ses promesses d'augmentation du trafic aérien !), qui  privilégie l'utilisation de zones déjà urbanisées plutôt que de procéder à de nouvelles artificialisations.

Le rapport complet apparaît dans le fichier joint

contribution-triangle-de-gonesse-bureau-20200220-web-2 (pdf, 2.7 MB)

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