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Billet de blog 28 mars 2016

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Thomas Piketty : "citoyens, sauvons l'Europe"

Analyse et commentaires d'une interview de Thomas Piketty sur Télérama

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Thomas Piketty est un des économistes qui comptent dans ce cercle très fermé. Il est l'auteur d'un travail de romain sur "le capitalisme au 21eme siècle", qui analyse l'évolution dans le temps des inégalités à  la lumière de données qui remontent jusqu'au 17eme siècle et qui à ce titre, est peut-être une somme équivalente à ce que fut en son temps le capital de Karl Marx (opinion personnelle que personne n'est obligé de partager). Il a pris, au cours de la dernière crise grecque, une position qui pouvait se résumer en une phrase : ceux qui veulent le grexit sont de dangereux apprnetis sorciers. Il croit encore en une possibilité de construire une Europe intégrée et s'en explique cette semaine dans une interview accordée au magazine Télérama. 

Pour lui, si la crise financière de 2008 est venue des Etats-Unis et de leur secteur financier,elle s'est transformée en Europe en une crise dont nous connaissons périodiquement les soubresauts : la crise de la dette. Il analyse l'incapacité de l'Europe à surmonter cette crise comme liée à de mauvaises institutions et à de mauvaises décisions. L'illustration en est la façon dont on a traité - et dont on continue de traiter la crise grecque.

Il existe - dit-il, quatre méthodes pour venir à bout d'une dette publique :  la méthode "lente" qui consiste à créer des surplus budgétaires affectés au remboursement de la dette. Ces surplus budgétaires, obtenu par une surimposition qui a toujours été jusqu'à présent assumée par les classes moyennes et populaires, sont générés au dépens de l'investissement public, c'est à dire des écoles, des hôpitaux, des infrastructures routières, fluviales ou ferroviaires, etc... C'est le choix fait aujourd'hui par l'Allemagne, un choix qu'elle a imposé à toute l'Europe, par le biais du pacte de stabilité de 2012. Mais Piketty n'exonère pas les gouvernements français de ce choix qui a conduit à la déflation et à la récession : en effet, tant Sarkozy par son soutien autraité qu'Hollande qui, en dépit des engagements qu'il avait pris, n'a jamais tenté de le renégocier. portent une part de responsabilité dans la situation actuelle de l'Europe, ce qui se traduit par cette phrase : "l'Europe serait plus ouverte si l'Allemagne et la France ne l'avaient pas mise en récession".

Nous avons parlé de quatre méthodes : il y a aussi les méthodes "rapides" au nombre de trois : d'abord l'inflation, mais "elle provoque d'autres dégats". Les allemands le savent bien, eux qui, dans les années 30, devaient aller acheter leur pain avec des brouettes de marks et c'est pour cela que leur crédo est "pas d'inflation". Ils y ont d'ailleurs tellement bien réussi qu'aujourd'hui, avec l'aberrante relance par l'offre, on est menacé de déflation qui risque d'avoir des effets encore plus négatifs ;  Ensuite, la restructuration des dettes. C'est ce que l'Union Européenne, toujours soutenue par Merkel, a refusé à la Grèce et refusera, si rien ne change, à d'autres pays de l'Union, ce qui fait dire à Yannis Varoufakis que la Grèce est le laboratoire du futur pour l'Europe. Enfin, un impôt progressif sur patrimoine privé, car ce n'est qu'en allant chercher l'argent là où il est qu'on arrivera à sortir de cette crise de la dette.

Thomas Piketty préconise un mélange des trois méthodes rapides, chacune appliquée avec modération. Mais, comme nous l'avons dit, les allemands ont une terreur panique de l'inflation et les missions de la BCE se sont focalisées sur ce seul impératif : "pas d'inflation".

En ce qui concerne la restructuration de la dette  , Piketty dresse un constat en s'appuyant sur l'exemple de la dette grecque : la Grèce a fait, entre 2007 et 2015, un réel effort pour alléger sa dette et y a réussi, en  valeur absolue. Mais, dans le même temps, du fait des mesures d'austérité, le PIB a baissé de 25%, augmentant ainsi mécaniquement une dette publique qui s'exprime en pourcentage du PIB. Cherchez l'erreur ! et cherchez la dans les conditions léonines qui sont imposées à la Grèce, dans une discussion où le soutien de la France à Tsipras était aux abonnés absents, dans une politique d'austérité qui a les mêmes effets délétères paerout où elle est appliquée. L'économiste préconise une annulation de la dette grecque, Lers allemands refusent ? "Il suffirait de leur rappeler que l'allègement de dette qu'ils ont obtenu lors de la conférence de Londres était, en pourcentage de PIB, nettement supérieur à ce qu'il faudrait accorder à la Grèce. L'amnésie collective n'est pas une option".

Enfin, l'impôt progressif sur les patrimoines : il existe timidement en France sous la forme de l'ISF, mais la plupart des pays ne le pratiquent pas. Quant à l'impôt sur les transactions financières, c'est la France elle-même qui a, jusqu'à maintenant, entravé sa mise en place.

Sur le chapitre des lois et  institutions, les propositions de Thomas Picketty sont les suivantes :

- Constatant que les pays de l'est n'adhèrent pas du tout à l'idée d'une intégration européenne, Piketty préconise de recentrer l'Union Européenne autour de quatre pays de la zone euro, qui représentent à eux seuls 77% du PIB européen : Allemagne, France, Italie, Espagne : lui qui parlait, en juillet au sujet de la dette grecque, "d'engager un bras de fer avec l'Allemagne", dit maintenant : "je pense que si on leur faisait une véritable contre-proposition d'intégration politique renforcée au sein de la zone euro avec un noyau de quatre pays, décidés à mener des politiques de développement économique et social, les allemands accepteraient". Mais il faudrait pour cela que la France sorte du coma profond où les deux derniers quinquénnats l'on plongée et qu'elle engage le dialogue avec les pays concernés. Cette proposition d'une Europe du premier cercle n'est pas nouvelle : elle fait, entre autres, partie du programme de Nouvelle Donne, qui précise les conditions d'accès à ce groupe, au nombre de cinq :
- Ne pas être un paradis fiscal ce qui exclut aujourd'hui le Luxembourg, pour lequel Thomas Piketty a des mots très durs : on s'est rendu compte que les multinationales s'entendaient avec le Luxembourg pour payer 1 ou 2% d'impôts seulement. Et Jean-Claude Juncker [...] est venu nous expliquer qu'il lui fallait une stratégie de développement pour son pays et que tout ce qu'il avait trouvé, c'était de siphonner la base fiscale de ses voisins"
- Etre membre de la zone Euro (ce qui mettrait fin aux exigences exorbitantes de la Grande Bretagne, qui demandait un droit de contrôle sur les décisions concernant la zone euro, demands heureusement repoussée par les partenaires !).
- Avoir signé la taxe sur les transactions financières. Ici, tout reste à faire, mais rappelons que c'est la France qui a bloqué. Mais Nouvelle Donne préconise que cette taxe soit sur une assiette plus large que ce qui a été dit au départ.
- S'engager sur l'adoption d'un traité de convergence sociale
- Accepter que les ressources de l'Europe ne reposent plus exclusivement sur les citoyens. Là aussi, on constate une convergence avec les termes de l'interview, qui mentionne : "le système institutionnel européen, fondé sur la règle de l'unanimité, ne permet pas d'avancer. Il aboutit à toujours surtaxer les contribuables captifs, donc le travail peu ou moyennement qualifié, parce que les contribuables les plus mobiles, mais aussi les salariés à très haut revenus, peuvent mettre fiscalement l'Europe en compétition".  

Ce dernier point amène à une proposition clé : créer un impôt européen sur les entreprises. Nouvelle Donne, qui soutient aussi cette mesure, rappelle que les Etats-Unis de l'avant Roosevelt étaient, eux aussi, en butte à une situation de dumping social entre les états et qu'immédiatement après son élection, Roosevelt avait institué un impôt fédéral sur les entreprises qui devait être le même dans tous les états. On peut penser que s'il ne l'avait pas fait, les Etats Unis n'existeraient plus aujourd'hui. Une mesure similaire contribuerait à mettre fin à cette concurrence mortifère des états en Europe.

Pour arriver à une véritable gouvernance de la zone euro,des organes politiques sont nécessaires : le parlement européen actuel se compose d'une représentation non proportionnelle avantageant les petits pays. Une chambre parlementaire de la zone euro, issue des représentations nationales et où les décisions seraient prises à la majorité, permettrait de débloquer la situation liée à la règle de l'unanimté, notamment en ce qui concerne cet impôt européen sur les sociétés dont nous avons parlé plus haut. "L'Allemagne ne serait pas contre", dit Piketty, mais il faudrait pour cela que les trois pays mentionnés plus haut le proposent en même temps. 

Le titre dit assez clairement que l'Europe est moribonde. Le seul espoir de la sauver repose sur une réforme profonde de ses institutions, donc sur une révision en profondeur des traités. Il faudrait bien sûr que les décisions du parlement puisse mettre un véto à celles de la Commission Européenne et d'un parlement européen qui n'est qu'une chambre d'enregistrement de celle-ci. Si nous ne parvenons pas à franchir ce pas, il y a fort à craindre que le rêve d'une Europe unie ne soitplus, avant dix ans d'ici, qu'un souvenir.

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