Sur le principe, on peut être d'accord avec la première d'entre elles, tout en déplorant qu'elle ne concerne ni Roissy ni le Bourget : "une mise en oeuvre beaucoup plus stricte des règles actuelles sur le couvre-feu à Orly". Mais c'est avouer que les autorités aéroportuaires ne sont pas capables de faire respecter leurs propres règles pour cause de dérogations nombreuses qui les rendent inopérantes. Et les riverains de Charles-de-Gaulle, dont le plan de prévention (PPBE) contre le bruit vient d'être signé par les autorités préfectorales, apprécieront à sa juste valeur le fait que, de l'aveu même du Ministre des Transports, un couvre-feu ne soit pas envisagé à Roissy. La question est donc : pourquoi l'application d'un couvre-feu doit-elle se limiter à Orly, alors que, dans le même temps, le Gouvernement Néerlandais impose à l'aéroport d'Amsterdam une série de mesures incluant un couvre-feu ?
La deuxième proposition ("poursuivre l'amélioration des performances sonores des avions") témoigne avant tout d'une méconnaissance profonde de la notion d'urgence. C'est ce qui ressort de la phrase-titre "Le moratoire et le plafonnement ne devraient être envisagés qu'en dernier ressort, après avoir épuisé toutes les autres possibilités" sans qu'il soit précisé une limite dans le temps. Rappelons que le terme "urgence" est avant-tout d'ordre médical et c'est bien de cela qu'il s'agit, comme le rappelle la tribune des soignants, parue dans "Le Monde" en date du 9 décembre 2022 : celle-ci fait état d'une mortalité accrue par maladies cardio-vasculaires pour chaque augmentation de 10 décibels d'exposition au bruit et il en est de même pour d'autres pathologies (cancer du sein, diabète, troubles du sommeil). Ce n'est pas dans les 15 ou 20 ans nécessaires pour renouveler les flottes que nous avons besoin de mesures pour diminuer le bruit et minimiser ses conséquences sanitaires, c'est maintenant ! Et il y a aussi les troubles du sommeil et de l'apprentissage scolaire, dans un temps où il est envisagé de construire un lycée d'excellence sous le bruit des avions. A-t-on entendu, de la part de madame Pécresse, ne serait-ce qu'un début d'opposition à cette proposition ? Au lieu de traiter les problèmes du présent, le tandem Pécresse-Blond préfère se projeter dans un futur lointain, car un autre volet de cette deuxième proposition prend appui sur le développement à long terme d'avions électriques et à hydrogène qui sont encore dans les cartons d'Airbus, mais aussi dont la faisabilité est loin d'être assurée ! Combien de riverains paieront de leur santé ou de leur vie l'incurie temporisatrice de madame Pécresse avant que celle-ci daigne nous faire la grâce de prendre le problème à sa racine, comme l'ont fait les autorités néerlandaises à l'aéroport d'Amsterdam ?
La troisième proposition est la "mise en place progressive, mais résolue, de la descente continue". Ici, le mot "résolue" prête à sourire, quand on sait que l'ADVOCNAR demande cette mesure depuis au moins une décennie, sans constater l'ombre d'un début d'exécution. Là encore, la notion d'urgence échappe à nos brillants "décideurs" qui sont en réalité à la botte de la DGAC. L'apprentissage de l'écopilotage pour les avions est sans nul doute une mesure à mettre en place, mais combien de temps faudra-t-il pour qu'elle soit appliquée ?
Quant à la quatrième mesure - "permettre aux habitants de se protéger du bruit en changeant les fenêtres, en isolant les habitations" - c'est tout simplement une de ces bouffonneries dont sont coutumiers les hommes politiques : ADP n'a pas attendu madame Pécresse pour mettre en route un programme d'insonorisation des maisons et appartements !!! Mais, pour en avoir bénéficié, je puis affirmer qu'une fois la demande déposée, il faut attendre des années la prise en charge des coûts par ADP. De plus, dans une période où le bruit des avions a considérablement augmenté, les restrictions territoriales appliquées à la mesure sont totalement arbitraires : par exemple, à Montmorency, la "frontière" entre ceux qui ont droit aux aides d'ADP et les autres passe quelque part entre la rue Perquel et la rue des Alouettes, alors que l'aviation exerce ses nuisances jusqu'au dessus de la commune d'Enghien. Mais cette proposition implique surtout qu'on impose aux riverains des aéroports de vivre constamment fenêtres fermées et de ne pas pouvoir prendre un apéritif ou un repas sur leur balcon ou leur terrasse sans être perturbés par le bruit des avions. De quel droit peut-on imposer une pareille contrainte aux populations survolées par les avions ? Et c'est aussi accepter que des évènements en plein air soient pertubés par le bruit d'avions passant à basse altitude, comme c'est le cas à Montmorency, pourtant situé à 15 km des installations aéroportuaires de Roissy.
Et puis il y a la question des jets privés, qui concerne principalement l'aéroport du Bourget, passée sous silence dans les quatre propositions. Une proposition d'interdiction de ces vols a été débattue récemment à l'Assemblée Nationale, qui a opposé une fin de non-recevoir à toute atteinte à cette liberté de polluer qui est le privilège des plus riches. Mais la "contribution" Pécresse-Blond sur ce point brille par son absence : Il ne faut pas toucher à cette forme de violence qu'exerce sur les riverains d'aroports l'infime fraction de ceux qui ne connaissent , pour tout moyen de déplacement, que l'avion privé ! C'est ce qui apparaît en filigrane dans les carences de ces quatre propositions.
Comme toujours, l'injustifiable se justifie par la nécessité économique, avec un corollaire qui parle mieux à l'opinion : la création ou le maintien d'emplois. C'est ce qui apparaît ici jusque dans le titre "réduire les nuisances aériennes sans pénaliser l'aérien". La raison économique se traduit jusque dans le refus obstiné d'un couvre-feu à Roissy, car ce serait pénaliser Federal Express, implanté à Roissy et fort de 3000 emplois. Le transporteur de frêt ne se prive pas de la menace de délocalisation en cas d'instauration d'un couvre-feu. La question se formule donc ainsi : est-il raisonnable d'impacter la santé de 1,5 millions de personnes riveraines de Roissy, avec les coûts que cela va engendrer, pour préserver à n'importe quel prix les emplois de Federal Express ?
Mais cette préservation à tout prix des emplois existants s'avérera, à long terme, inopérante lorsque les conséquences du réchauffement climatique auront abouti à un effondrement de l'activité économique. A l'inverse, la sociologue Dominique Méda (1) nous apprend, dans dans le livre "dernières limites" d'Audrey Boehly, qu'une transition énergétique organisée et raisonnée créera plus d'emplois qu'elle en détruira. C'est vers ce résultat qu'il faut tendre, mais il faudra, pour cela, que les décideurs politiques comprennent qu'on peut faire les choses autrement qu'ils les ont apprises à l'école et acceptent l'idée que pour continuer à vivre, il faudra renoncer au paradigme d'une illusoire croissance sans limites.
(1) Dernières limites d'Audrey Boehly, "cesser de croître pour continuer de vivre", pages 215-226, éditions de l'échiquier
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