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D'ores et déjà, l'intolérance religieuse ou/et des trafics de tous types comme motifs de l'exécution de Mãe Bernadete, prêtresse du candomblé, s'éloignent à grands pas.
Et rappelons ici, encore, que le fils de la leader religieuse, tuée en août 2023, avait été également exécuté en 2017. Très exactement le 19 septembre ... tué, parmi 16 tirs, de 10 balles dans la tête, dans sa voiture, près de l'école "Centro Comunitário Nova Esperança", dans le quilombo. Homicide jamais élucidé.
Une inaction de la justice dont se plaignait encore sa mère, avec véhémence, publiquement, quelques semaines avant d’être tuée, elle aussi, de 12 balles dans le visage et de 10 balles au thorax.
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Avant d'être tués, Mãe Bernadete et son fils luttaient contre l'entreprise d'un fils d'un ex-gouverneur de Bahia
Binho do Quilombo, fils de Mãe Bernadete, menait une lutte contre l'entreprise Naturalle, qui avait reçu en 2016 une autorisation municipale pour occuper un terrain, voisin du quilombo, d'une surface de 163 hectares, pour y construire une décharge. Le propriétaire est l'homme d'affaires Vitor Loureiro Souto, l'un des fils de Paulo Souto - du parti de droite extrême União Brasil - un ancien gouverneur de Bahia pendant deux mandats : de 1995 à 1998 et de 2003 à 2007.
Paulo Souto était l'une des principales figures du groupe de barons dirigé par l'ancien sénateur et ministre Antônio Carlos Magalhães, qui a dirigé la politique de l'État de Bahia pendant près de 40 ans, [d'une main de fer] jusqu'à sa mort en 2007.
Seize jours avant son exécution, Binho a participé à un événement à l'université fédérale de Bahia (VIDEO) et a dénoncé les problèmes liés à l'installation de la décharge près du territoire quilombo. La réunion était organisée dans le but d'unir les forces pour arrêter le projet.
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La vallée d'Itamboatá est située dans une zone de protection environnementale (APA) nommée "Joanes Ipitanga", qui préserve une zone du biome forêt atlantique. Dans une étude technique signée par un biologiste engagé pour mesurer les impacts environnementaux du projet, 30 familles botaniques de 53 espèces différentes ont été trouvées dans la seule zone de la décharge. Le site abrite également des communautés traditionnelles, riveraines et quilombolas, ainsi que l'aquifère São Sebastião - un important bassin de la province de Salvador, nommée Recôncavo, qui alimente la capitale et les villes environnantes, et qui est également utilisé à des fins industrielles.
Le site est proche de deux zones économiques importantes de l'État : le complexe pétrochimique de Camaçari [qui représente environ 20% du PIB de Bahia] et la raffinerie de Mataripe, qui a été vendue au conglomérat émirati Mubadala sous le gouvernement Bolsonaro. La zone est également convoitée par des spéculateurs immobiliers pour la construction de condominios qui pourraient accueillir des travailleurs industriels.
La société Naturalle Tratamento de Residuos Ltda, d'un fils de l'ex-gouverneur, avait un intérêt stratégique dans la décharge inerte. Le projet comprenait également une zone d'élimination des déchets ménagers et hospitaliers desservant les villes de Catu, Camaçari, Mata de São João, Pojuca et Simões Filho. Au total, 482 tonnes de déchets ménagers et 7 tonnes de déchets hospitaliers auraient été éliminés chaque jour. Le bénéfice de la décharge est estimé à 20 millions de reais par an (4 millions US$).
En avril 2018, sous la pression du mouvement ‘Nossas Águas, Nossa Terra, Nossa Gente’ et en raison de l'émoi suscité par l'homicide de Binho, l'Inema - l'agence environnementale de l'Etat de Bahia - a pris la décision de fermer la décharge.
Naturalle avait alors demandé un réexamen et avait obtenu une licence environnementale en 2019. En décembre 2020, l'autorisation a été délivrée, garantissant l'installation du projet.
Les mouvements de défense de l'environnement ont alors déposé une demande de sécurité pour arrêter le projet - qui, pour l'instant, en 2023, continue à fonctionner.
Interrogée par le TIB, Naturalle a déclaré qu'elle n'était plus propriétaire de la décharge et que Recycle Waste Energy, une entreprise "spécialisée dans les décharges", en assurait désormais la gestion. Malgré cela, le site web de Naturalle indique toujours, en 2023, que l'entreprise "possède" un site de décharge inerte sur la municipalité de Simões Filho.
Après la mort de Binho, sa mère Bernadete a tout tenté pour découvrir qui avait tué son fils et en a pris fait et cause et assumé la lutte contre l'implantation de la décharge. Dans une vidéo enregistrée lors d'une audience dans les locaux du ministère public fédéral (MPF) en juin 2022, elle déclare qu'elle est "menacée jour et nuit" et que son fils est mort en luttant contre "cette maudite décharge de Naturalle".
Dans la vidéo, elle demande également au ministère public fédéral (MPF) que la police fédérale (PF) enquête sur le meurtre de son fils benjamin : "le meurtre de mon fils a été fédéralisé et nous n'avons pas de réponse. C'est absurde. Mais ne croyez pas que nous restons immobiles... C'est une grande honte. Mon fils s'est battu pour son peuple. Il est mort en combattant. C'était le jour où il allait résoudre un problème avec Naturalle. Il est mort en se battant. Et nous n'avons pas de réponse", a-t-elle déclaré (voir VIDEO ci-dessous).
Depuis que la police fédérale a commencé à enquêter sur cette affaire il y a trois ans, les éventuels auteurs et commanditaires n'ont pas encore été identifiés. En décembre 2017, alors que la police civile poursuivait l'enquête, le dénommé Leandro da Silva Pereira a été placé en garde à vue, puis relâché sans avoir été inculpé.
The Intercept Brasil a obtenu des images, des vidéos et des photos d'une voiture, dont la plaque d'immatriculation a été identifiée, qui aurait été utilisée pour emmener les exécuteurs le jour de la mort du leader d'alors du quilombo, un des fils de Mãe Bernadete. Des images provenant de caméras de sécurité ont également permis d'identifier le conducteur lorsqu'il paye le péage sur l'autoroute, à la sortie de la vallée d'Itamboatá. Ces images ont été remises à la police civile (PCBA) trois mois après le crime, fin 2017/début 2018. Plus tard, ces preuves ont également été transmises à la police fédérale (PF).
Le 26 juillet 2023, lors de la visite de la ministre de la Cour suprême (STF) Rosa Weber au quilombo de Quingoma, dans la région métropolitaine de Salvador, la yalorixá Bernadete a confié à la présidente du STF que la communauté faisait l'objet de menaces et qu'elle était surveillée. Madame Weber dit avoir alerté le gouverneur de Bahia, Jerônimo Rodrigues, [élu depuis le 1/1/2023] du PT, et demandé une "attention particulière" aux quilombolas".
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Pour les luttes menées par Mãe Bernadete, l'avocat de la famille a qualifié de "scélérat", de "violent" et de "précipité" le discours de ce gouverneur actuel de Bahia, Jerônimo Rodrigues, du parti PT, qui a mis l'accent sur le trafic de drogue comme l'une des principales thèses qui auraient motivé l'assassinat de la dirigeante. "Avant de parler d'actions de trafiquants de drogue, la police devrait enquêter sur une éventuelle relation avec un crime qui n'a pas été résolu", a déclaré l'avocat Leandro Santos (VIDEO), dans une interview accordée à un autre média, carioca, O Globo.
Une autre critique formulée par la famille et les avocats qui ont suivi l'affaire est l'inefficacité du gouvernement de Bahia à protéger Mãe Bernadete. Deux ans avant son exécution, elle était entrée dans le programme de protection des défenseurs des droits de l'homme. Dans le cadre de ce programme, le gouvernement fédéral transfère une somme d'argent à chaque personne assistée, qui doit être gérée par le gouvernement de l'État afin de surveiller les risques éventuels et de fournir une escorte policière. Dans le cas de Mãe Bernadete, sept caméras filmaient sa routine dans le quilombo Pitanga dos Palmares, mais seules trois fonctionnaient le jour du crime.
"Les patrouilles de police n'étaient pas très efficaces. Elles passaient une fois par jour, demandaient si tout allait bien et repartaient. Ce n'était pas une escorte ostentatoire dont une personne menacée avait besoin. Celui qui a essayé de la tuer a certainement compris ces faiblesses et en a profité", a déclaré David Mendez, un autre avocat représentant la famille, à The Intercept Brasil.
Naturalle entretient des relations avec les pouvoirs publics
Les relations de Naturalle avec les pouvoirs publics vont au-delà des liens familiaux directs entre le propriétaire et l'ancien gouverneur Paulo Souto. Créée en 2014, l'entreprise a commencé à gérer le nettoyage urbain dans la ville de Camaçari, au nord de Salvador de Bahia, [Camaçari représente environ 20% du PIB de Bahia] en janvier 2017, dans le cadre d'un contrat d'urgence sans appel d'offres. L'entreprise a été payée 17,4 millions R$ (3,5 millions US$) par la municipalité pour ce contrat de 90 jours.
Le maire nouvellement élu était Elinaldo Araújo, du parti União Brasil (droite extrême), le même parti que Paulo Souto - Vitor Souto, propriétaire de Naturalle, a également rejoint ce parti. Un autre fils de l'ancien gouverneur, Fábio Souto, est également membre du parti União Brasil. Il a été élu deux fois député fédéral et une fois député de l'État de Bahia - à deux reprises, il a représenté le parti. À une autre occasion, précédemment, il avait été élu par le PFL (droite dure), qui allait se fondre dans l'União Brasil.
À Camaçari, outre le nettoyage urbain, Naturalle gère également une décharge, qui reçoit "400 tonnes de déchets non dangereux et inertes par mois et la même quantité de déchets de classe II A (non dangereux et non inertes)", selon le site web de l'entreprise.
Outre Naturalle, Vitor Souto possède une autre société de nettoyage, Ecolurb Engenharia, Conservação e Limpeza Urbana. Dans une enquête du quotidien Folha de São Paulo, il est décrit que cette entreprise a pris en charge le ramassage des ordures dans d'importantes municipalités de Bahia gouvernées par des partis alliés à União Brasil, telles que Valença, Irecê, Esplanada et São Sebastião do Passé. Dans tous les cas, les contrats signés l'ont été sans appel d'offres.
L'associé de Vitor Souto est l'homme d'affaires Marcelo Adoro Farias, qui, en 2018, a fait un don de 30.000 R$ (6.000 US$) à la campagne du député fédéral Félix Mendonça Júnior, chef de file du parti PDT (socialiste, appartenant à l'Internationale socialiste) à Bahia. En 2016, le PDT contrôlait 21 mairies à l'intérieur de l'État - dans l'une d'entre elles, Entre Rios, Naturalle a inauguré une décharge qui desservira 600.000 personnes en 2022.
Lors des élections de 2014, alors que la législation électorale permettait encore aux personnes morales de faire des dons, Ecolurb Engenharia, Conservação e Limpeza Urbana a également transmis de l'argent à certains candidats. Le site web du tribunal supérieur électoral (TSE) enregistre sept cas de transferts - la plateforme digitale ne permet cependant pas d'identifier les bénéficiaires ni le montant des dons.
Le représentant de la société Naturalle devient chef de cabinet à la mairie
À la mairie de Simões Filho, où le quilombo s'est battu contre l'implantation de la décharge, Naturalle réussi à faire nommer son ingénieur représentant au poste de chef de cabinet du Secrétariat municipal au développement urbain et à l'environnement.
The Intercept Brasil a eu accès à une procuration, datée de mars 2016, dans laquelle Sebastião Araújo Reis de Santana est mentionné comme le représentant de Vitor Souto pour représenter l'entreprise "devant les agences environnementales, dans le but d'agir dans les processus d'autorisation, pouvant, à cette fin, formuler des demandes, signer des documents, obtenir des copies, émettre des guides d'honoraires se référant aux processus d'autorisation".
Dans le Journal officiel, en février 2017, le maire, du parti MDB (centre droit opportuniste), a nommé Sebastião Araújo Reis de Santana pour occuper le poste à Simões Filho, qui est décrit comme ayant "les pouvoirs de représenter le secrétariat pour chaque avance faite", avec les pouvoirs et les attributions dûs pour sa représentation active. En décembre 2017, alors que le chef du service était en vacances, Sebastião Araújo Reis de Santana a assumé par intérim les fonctions de secrétaire au développement urbain et à l'environnement de la ville de Simões Filho. En septembre 2019, "à sa demande", il a été démis de ses fonctions.
The Intercept Brasil a tenté de joindre Diógenes Tolentino, dit "Dinha", né en 1966, le maire de Simões Filho, dont c'est le deuxième mandat. Il n'a pu être joint ni sur son numéro de téléphone personnel, ni par l'intermédiaire de son service de presse. Sebastião Araújo Reis de Santana, l'ingénieur qui représentait Naturalle, n'a pas pu être joint.
En ce qui concerne la relation de Sebastião Araújo Reis de Santana avec la société Naturalle, cette dernière a déclaré que l'ingénieur "a fourni des conseils sur les projets à mettre en œuvre, mais n'a jamais été un employé" de la société. La note ne répond pas à la question de savoir s'il avait déjà représenté le propriétaire Vitor Souto dans une procuration.
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(ENQUÊTE en portugais de André Uzêda, publiée le 30/8/2023)
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