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Billet de blog 24 juillet 2023

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Un continuum colonial inscrit dans la pierre

L’histoire coloniale rattrape les démocraties modernes, comme le montre la série de Marie Billon sur le Royaume-Uni, pour Mediapart. A l’aune des événements récents, il n’est peut-être pas inutile de rappeler également les origines coloniales du palais de l’Elysée.

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Dans un article récent, « L’histoire coloniale, imprimée dans le patrimoine », Marie Billon relate les querelles de mémoires liées à l’histoire coloniale dans le Royaume-Uni contemporain[i]. Cela m’a fait penser à un article d’Odile Tobner pour Billets d’Afrique[ii], la revue de l’association Survie[iii] qui milite contre la Françafrique.

L’infatigable militante y rappelle les origines méconnues, volontairement tronquées dans le récit national, du palais qui abrite notre présidence[iv]. Si les férus d’histoire peuvent citer Louis-Henri de La Tour d’Auvergne, comte d’Evreux, comme son premier propriétaire, tous ne sont pas forcément conscients que le noble désargenté a pu financer ses travaux somptuaires grâce à la dot de sa femme, héritière d’Antoine Crozat[v] qui avait bâti sa fortune (la première de France à l’époque) sur le commerce colonial[vi].

Ecrit au mois d’octobre 2022, ce petit écrit d’Odile Tobner résonne férocement avec l’actualité récente. En effet, il n’est pas anodin que l’illibéralisme de plus en plus violent qui s’exerce sur notre pays[vii] prenne ses ordres dans les ors d’un palais financé par le système absolutiste colonial des XVIIe et XVIIIe siècles.  De nombreuses contributions ont d’ailleurs souligné la brutalité continue du maintien de l’ordre à l’égard des populations racisées[viii], avant et après la période coloniale[ix].

Il n’est pas neutre non plus qu’un président qui se présente comme disruptif en toute chose, n’ait jamais remis en cause le décor compassé, pour ne pas dire archaïque, du palais de l’Elysée, comme lieu du pouvoir républicain. Le symbole patrimonial révèle alors tout sa force : loin d’être un progressisme, comme il a pu aimer à s‘afficher à son origine[x], le macronisme s’inscrit au contraire dans la lignée de tous les courants réactionnaires qui trouvent leurs aises dans les lieux de pouvoir hantés par les mânes de leurs victimes.

La politique ne peut négliger les symboles et certains ont une force gravitationnelle qui s’étend sur toutes les institutions[xi]. Peut-on alors réellement envisager une république démocratique et sociale qui maintiendrait son siège dans un tel lieu ?

[i] Dans la série « Une histoire dépoussiérée de l’Angleterre », épisode 4, Une histoire dépoussiérée du Royaume-Uni | Mediapart

[ii] Bien mal acquis - Survie

[iii] Survie - Ensemble contre la Françafrique

[iv] « Sur le site de l’Élysée, dans la notice sur l’histoire du bâtiment, rien n’est dit de l’origine réelle du financement de la construction. Seulement : « Louis-Henri de La Tour d’Auvergne, comte d’Évreux, acquiert en 1718 un terrain marécageux rue du Faubourg-Saint-Honoré, pour y faire construire un hôtel digne de son rang ». Le fait que le chef de l’État français réside dans un palais construit au prix de la sueur et du sang des Africains déportés en esclavage aux Amériques requiert semble-t-il une certaine discrétion. Le symbole est en effet lourd de signification à l’heure où la mémoire des crimes contre l’humanité, réputés imprescriptibles, si longtemps occultée et refoulée, tente d’émerger dans le débat public. » (Odile Tobner, article cité).

[v] Antoine Crozat — Wikipédia (wikipedia.org)

[vi] Palais de l'Élysée — Wikipédia (wikipedia.org)

[vii] Gueule de bois républicaine | Le Club (mediapart.fr)

[viii] Accablée comme une Arabe en France | Le Club (mediapart.fr)

[ix] Après le meurtre de Nahel : penser et combattre les violences des forces de l’ordre | Le Club (mediapart.fr)

[x] Le macronisme ? Une promesse de modernisation heureuse devenue un champ de ruines politique | Mediapart

[xi] Faut-il changer de Constitution ? Le débat entre Raquel Garrido et Laurent Marcangeli | Mediapart

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