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Billet de blog 4 juillet 2013

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Mediapart pose une question de droit

Un journal est condamné par une Cour d'appel à la demande de requérants qui, au prétexte de la protection de la vie privée, demandent la suppression de la recension dans la presse de propos révélant des infractions particulièrement graves affectant le fonctionnement des institutions politiques et judiciaires.

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Un journal est condamné par une Cour d'appel à la demande de requérants qui, au prétexte de la protection de la vie privée, demandent la suppression de la recension dans la presse de propos révélant des infractions particulièrement graves affectant le fonctionnement des institutions politiques et judiciaires.

La condamnation du journal soulève la question suivante : " Dans quelle mesure une situation infractionnelle quelconque (fraude fiscale, trafic d'influence, financement occulte, entrave à l'action de la justice, ...)  relève-t-elle encore de la sphère de la vie privée - et peut-on légitimement invoquer la protection de cette vie privée -  quand cette situation infractionnelle motive l'ouverture de l'action publique ? "

Les requérants exposent la violation de l'intimité de leurs turpitudes pénales en invoquant la protection du droit civil tout en argumentant sur du droit pénal, mais en refusant d'agir sur le terrain du droit pénal, où l'offre de preuve est libre. La Cour de cassation condamne les "stratagèmes" dans l'escroquerie au jugement.

La responsabilité civile est une branche du droit des obligations qui comporte la théorie de la cause. La théorie de la cause pose l'obligation de la licéité.

L'action en responsabilité civile visant à effacer la révélation de faits illicites est-elle elle-même licite, conforme aux bonnes moeurs et à l'ordre public ? Si oui, il s'en déduit que la fraude fiscale, le trafic d'influence, le financement occulte sont licites, conformes aux bonnes et à l'ordre public français. Les fraudeurs fiscaux n'ont plus rien à craindre.

Les requérants se présentent comme des victimes. L'action civile des requérants pose la question de la faute de la victime. Un comportement délictueux est délibérément fautif. Comment dès lors accueillir l'action civile d'une victime délibérément fautive ? Une telle faute délibérée, pénalement répréhensible exonère de toute faute civile le gardien de la chose, l'enregistrement.

Une action en responsabilité civile aboutissant à faire condamner la révélation de faits délictueux ne peut-elle pas s'interpréter comme un abus de droit dans le sens où elle aboutit au même résultat qu'une dissipation de la preuve ? La dissipation de la preuve est-elle même une infraction.

L'argumentation basée sur le droit pénal et la solution retenue pose la question de la dénaturation des faits. L'appréciation souveraine des juges du fond semble se méprendre sur la portée du texte et le rôle des protagonistes.

Comme le rappelle la Cour de cassation, la loi pénale s'applique strictement. L'article 226-1 du code pénal vise l'auteur de l'atteinte à l'intimité. Cet article ne s'applique donc pas à l'organe de presse, ni aux journalistes. Ils ne sont pas les auteurs de l'atteinte telle que définie dans l'article 226-1.

L'article 226-2 alinéa 2 renvoie lui explicitement à la loi sur la presse en cas de publication.. Or, la Chambre criminelle juge que constitue une erreur de droit de poursuivre et condamner le directeur d'un organe de presse sans rechercher et démontrer qu'il a sciemment pris part aux faits objets de la poursuite (Crim 15 mars 1988 Bull crim N°126). Le directeur de la publication et les journalistes n'ont pas pris part sciemment à l'enregistrement.

La justice civile ignore le comportement pénalement fautif des requérants - la question de la recevabilité de leur action civile pour cause d'illicéité, d'atteinte aux bonnes moeurs et à l'ordre public - mais retient la responsabilité d'un journal et de ses journaliste en visant un texte pénal qui na paraît pas s'appliquer en l'espèce.

La justice étant rendue au nom du Peuple français et l'obligation de motivation étant d'ordre public, les propos litigieux sont eux-mêmes inscrits dans la décision de la 1° chambre civile de la Cour de cassation. En quoi la Justice, après les avoir nécessairement débattus et rendus publics, peut-elle dire qu'ils ne doivent plus l'être, sans se contredire ?

Une décision judiciaire civile interdisant la révélation d'infraction au prétexte qu'elles sont couvertes par le respect de la vie privée va conduire le ministère public et la police à ne plus poursuivre que les infractions de voie publique, les preuves ne pouvant plus dès lors êtres collectées que dans la rue.

Il existe un droit à l'information.

La sanction d'un organe de presse impose une mise en balance du droit à la vie privée et de la liberté d'expression conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Strasbourg rappelle le droit d'informer

Strasbourg condamne la France violant la liberté d'expression

La Cour européenne des droits de l'homme juge qu'une juridiction nationale confrontée à une jurisprudence européenne « applique directement la Convention et la jurisprudence de la Cour. » (CEDH Affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz c. Suisse 4 octobre 2007 § 55) et que " les Etats conservant dans leur ordre juridique respectif une ou des normes nationales similaires à celles déjà déclarées contraires à la Convention sont tenus de respecter la jurisprudence de la Cour sans attendre d'être attaqués devant elle" (Modinos c. Chypre Requête n°15070/89).

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a consacré la jurisprudence européenne en jugeant à son tour que “les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”. (Arrêt N°10.30313).

Il s'ensuit que la solution de la décision ne réside pas dans l'invocation du droit français mais dans celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des liberté fondamentales selon la jurisprudence de la'Assemblée plénière de la Cour de cassation. La France ne saurait feindre la bonne foi compte tenu de la réception dans le droit interne de la primauté de la jurisprudence de la CEDH sur la loi française. Il y a donc un risque pour l'Etat français d'être condamné pour l'ingérence disproportionnée (tant dans les injonctions que dans l'évaluation du dommage) au regard de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Un pourvoi en cassation sur un tel méli-mélo civilo-pénal nécessite au moins la saisine très rapide d'une chambre mixte, voir de l'Assemblée plénière. Le temps joue contre la France.

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