Dans notre petit cercle de jeu de mots où, tous les lundis, s’installent des femmes vulnérabilisées et/ou victimes de violence, prises en charge par la Maison des femmes de Saint-Denis (93), on a parfois la tête ailleurs, prise par un quotidien pas toujours facile.
Ce jour-là, s’excusant presque de ne pas être à l’heure, au top, à fond… ou que sais-je…, une femme confie : « La journée est dure aujourd’hui. Trop d’émotions, de colère, de tristesse, de soulagement, de joie, de frustration….»
De toute façon, nous ne sommes pas là pour évaluer, corriger, hiérarchiser nos écrits. Nous sommes là, ensemble, pour coucher des mots sur des carnets, s’écouter, échanger. Laisser vagabonder nos idées et nos stylos, offrir et recevoir ce qui sera de toute façon le meilleur de nous-mêmes en cet instant présent.
Première proposition alors : Et si vous écriviez un petit texte qui partirait de l’idée « Une femme se réveille avec un sentiment de plénitude… »
Mais c’est quoi la plénitude ? Aidées par Petit Robert, nous convenons que ce sera l’état de ce qui est complet, dans toute sa force.
(Nous ne reproduisons ici que le texte des femmes qui ont donné leur accord pour qu’il soit reproduit dans ce billet.)
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« Je me réveille, il est 8h00. Depuis des mois, je luttais avec ce fichu réveil… le chant des oiseaux en boucle de 4 secondes, à qui je clouais le bec non sans difficultés.
Ce matin, je me sens plutôt bien. J’écris ce mot avec prudence… mais en le laissant émerger, d’autres mots se bousculent déjà au bord de mon stylo : complétude, sérénité, joie, pleinitude.
Te voilà enfin. J’ose à peine te déposer par ici. Te ressentir pleinement, pleinitude, voilà ce dont j’avais envie ce matin.
Me lever, m’habiller, méditer, regarder le ciel, accompagner la petite à la crèche, sourire aux coins des lèvres, avec en secret, lovée, cette sensation retrouvée.
Tout me semble aligné aujourd’hui. Léger. Pourtant rien n’a changé. A part moi ? Ma colonne vertébrale me soutient, me porte à la verticale, et le long de cette colonne, j’ai comme des envies costales qui me poussent à avancer en chantant.
Ma fille y aurait-elle déposé cette nuit des tickets papillons, bonbons rose, chatons dorés, sable émouvant, pagaille ordonnée…? Aurais-je baigné dans un élixir psychédélique pendant mon sommeil ? Qui aurait colmaté entre elles toutes mes failles pour en faire une terre neuve, plus forte, plus stable ? Complètement prête à accueillir, à gouter, à savourer, à faire germer les graines de l’ici et maintenant ? »

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« Au clair de la lune
A l’éveil du soleil
A la lumière qui ne disparait jamais
Tout comme les battements du cœur qui veillent.
Warda, elle qui est si belle, telle une rose blanche nacrée d’eau perlée, elle se posa à la fenêtre de son âme et admira la lune et le soleil. Elle respira cette lumière qui la transcendait, celle qui la consolait et de part ses rayons faisant scintiller sa résilience, telle une fleur qui se développait.
Elle dit à la Lune : je te comprends ma douce tout comme il m’a fallu tout un cycle pour briller, mais que dis-je, étinceler, là, là, là, là.
Et toi le Soleil, savais-tu à quel point tu m’as inspirée, tu te lèves même lorsque la vie est dure et tu laisses ton corps de lumière respirer. Une fois fatiguée, tu te couches pour passer le relais, là, là, là, nous sommes alignées, le respect de ton être, la lumière derrière les nuages, puis le relais à la Lune.
Seriez-vous des femmes ? Générosité, temps pour soi, partage, relais, amour, don pour EXISTER là, là, là.
Warda dansait, vêtue de son pull vert préféré, jouant la mélodie de la plénitude avec ses bouclettes au soleil levant.
Je suis alignée de par ma force, oh mon dieu, que je suis soulagée et je vous promets d’aller me coucher, dit-elle à la Lune et au Soleil pour que l’alignement soit ancré en moi, respectant mon temps, mon cœur, mon corps, mes émotions car il n’y a rien de plus palpitant, là, là, là.
A toutes les femmes, brillez en votre temps, savourer chaque moment, avec le temps vient l’alignement.
Warda.
PS: mon prénom signifie « fleur » en arable, là, là, là. »

Agrandissement : Illustration 2

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« Un souffle léger
Tout devrait se disperser en flottant pour aller se déposer délicatement ça et là.
Quelques parachutes resteraient accrochés au pistil
Et tout semblerait si fragile.
Ce matin pourtant, malgré le temps agité, j’ai vu les tiges danser, épouser le mouvement gracieux du vent, fredonner sa musique intérieure et s’accoler ensemble, dans la totalité la plus sensible et la plus belle. »
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« Ce sera une belle journée, je le sens ce matin. Immédiatement envie de me lever, de presser mon citron quotidien et de dresser la liste de mes envies du moment.
Mais d’abord, que s’est-il donc passé durant la nuit ?
Je m’étais endormie sur une nouvelle de Colm Toïbin, étranges comme toutes celles de ce recueil. Pas inquiétante mais légèrement désaxée. Une histoire d’amitié subite entre deux femmes qui avaient tout pour devenir rivales.
Une histoire de destin contrarié, d’un cours dévié, de liberté des sentiments.
Peu avant, j’avais assisté à une lecture dessinée à la Maison de la Poésie. Le récit de la vie d’un homme empêché, Algérien se trouvant en France pendant la guerre d’Algérie, qui aurait peut-être pu être architecte mais qui sera maçon, qui se construit sa cabane qui sera écrasée par des bulldozers, qui sera prise en charge par le Samu social où il rencontrera Judith Perrignon, journaliste et écrivaine, qui dans leurs échanges entendra toute la poésie des mots de Rachid et en fait un récit * épique, presque mythologique. Liberté des mots.
La veille encore, au petit matin, visite de l’exposition Fils et Filiation à Paris. 16 brodeuses (dont 2 hommes), une ou deux œuvres pour chacune, souvent miniatures mais incroyablement fortes. Ces sacs de poubelle noirs, brodés de fleurs ou corail, 90 h de travail pour magnifier ce déchet ultime, le sac en plastique qui renferme ce que l’on jette.
Ou encore des photos de tableaux exposés en musée mais ici floutées, méconnaissables, et rehaussés juste de quelques tâches de fils, de perles. Une manière de dire l’héritage, liberté de la filiation.
Autant de liberté avec la création qui ont sans doute bercé ma nuit pour me donner cette pêche d’enfer.
Mais qu’est-ce que je vais en faire ?
* Judith Perrignon en a tiré un récit Nous nous parlons d’un lieu où tout est fragile, illustré par Hyppolite et édité par l’Iconoclate
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« Je suis exactement là où je suis supposée être, à ma place, tout parait si facile, je n’ai qu’à être, sans effort. Eux aussi n’ont qu’à être et ils sont, merveilleusement entiers, magnifiquement imparfaits, beaux dans la sincérité de ce qu’ils dévoilent sans effort.
Pas besoin de faire semblant, pas besoin de se cacher, nul besoin de parler s’il n’y a rien à dire, ni de s’occuper s’il n’y a rien à faire. Etre ensemble se suffit et on est bien. Trois pièces d’un puzzle qui se sont assemblées, voilà ce que nous sommes.
Incomplets quand nous sommes séparés. Pièce manquante de notre puzzle commun, un manque impossible à combler tant il est naturel d’être ensemble. C’est comme si chacun portait en lui un bout de l’autre en permanence. Une fusion, une alchimie automatique s’opère une fois réunis et nous sommes bien, parfaitement imparfaits mais complétés par ces bouts de nous ancrés en l’autre. Simplement complets, apaisés, en connexion totale et heureux.
Aujourd’hui nous sommes séparés, et physiquement je ressens ce manque. Je suis globalement bien, mais incomplète malgré tout.
Vous me manquez et bien que vous soyez tout deux dans mon cœur en permanence et que notre lien soit solide malgré la distance, je n’arrive pas à combler ce vide physique qui s’installe de nouveau quand je vous quitte, car c’est bien moi qui pars.
J’aimerais sentir cette plénitude par delà les frontières, mais je n’en garde que le souvenir à chaque fois, qui demeure cependant un trésor que je chéris au quotidien.
Merci pour ces paillettes, merci d’être. »
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« Je ne savais plus où donner de la tête. Quoique je pense, peu importe l’idée, toutes mes réflexions me remplissaient d’angoisse. Alors j’ai décidé de me perdre. Mais là aussi, ma tête me tournait. Partir à droite, prendre le métro, le bus ? Revenir sur mes pas, suivre le Soleil ? ou l’Etoile du Nord ? Etourdie par toutes ces réflexions qui me clouent au sol. Trop de phrases, trop d’idées, trop de directions. Finalement tout s’annulait pour me retrouver exactement à la même place à me prendre la tête.
C’est alors que je la remarque, là devant moi. Une toute petite empreinte. Un chat, un raton-laveur, un écureuil ? Peu importe, je laissais ma tête s’étourdir de questions.
Je me suis mise en route et suivis la piste. Les traces me menèrent au fond d’une forêt. J’oubliais d’avoir peur. J’étais perdue sans m’en rendre compte, toute hypnotisée par le sentier qui se dessinait au fur et à mesure au bout de mon nez.
C’est comme ça que j’ai fini par trouver une tanière où je pu enfin me dire que j’étais arrivée chez moi. »
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« L’émotion du jour, telle un nuage qui s’accroche à ma combanaissance * et que je peine à faire partir, à deux doigts de lui dire « tu peux dégager s’il te plait ? ».
Pleurer, c’est ce qui m’attendait aujourd’hui. Les jugements, les soupçons, les insinuations, pour une hyperémotive dont l’âme ressent chaque émotion, c’est un torrent qui frappe ma joie de vivre, et c’est ce qui, à l’abri des regards (comme si c’était une honte de pleurer) m’a fait pleurer. Puis le rire de mes neveux, de ma nièce, leur plissures qui annoncent un sourire du cœur, leurs « je t’aime » sincères, nos danses, leurs regards émerveillés m’ont fait rire.
Qu’elle est douce et à la fois dure cette journée, mais je souris d’assumer être qui je suis, sans masque, sans attente de validation, en ressentant et vivant toutes mes émotions. Cette tricolore (tristesse mélangé à la colère) m’a poussée à aller chercher un bol d’air de douceur puis mes yeux et les battements de mon cœur si fort se sont posés sur ces fleurs.
Merci Nature (les émotions, quelle aventure !) »
* Combanaissance = naissance d'une combattante. Voir le post précédent sur les mots qui nous manquent.
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L’atelier Prendre mots prend quelques jours de vacances.
Prochaine séance le 28 mai et prochain billet dans la foulée. A bientôt !
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.