Changement de décor. Cette semaine, notre atelier quitte la Maison des femmes de Saint-Denis (93) pour s’installer à la Maison de la Poésie, passage Molière dans le troisième arrondissement de Paris.
Un endroit que certaines d’entre nous connaissent puisque le 25 janvier dernier, nous y avons présenté une restitution de la première année de notre atelier « Prendre mots ». Une sélection de textes écrits et choisis par ce groupe de femmes victimes de violence fut lue par celles qui souhaitaient monter sur les planches, dans une petite mise en scène et avec l’intervention de la poète et slameuse Treize… un spectacle d’une heure et demi destinés à nos proches, familles, ami•e•s et celles et ceux que nous avions invités (les textes de cette soirée sont toujours dans ce billet de blog).
C’était il y a « quatre mois et un jour », précise une femme. Ça nous semble étrangement loin… tant de choses ont été vécues et dites depuis au sein de l’atelier.

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Cette fois, nous ne sommes pas sur scène mais dans la bibliothèque de la Maison de la Poésie qu’Armelle Stépien, responsable du développement et de la médiation culturelle, nous avait si gentiment réservée.
Sous ces lumières chaudes, ce bois blond, ces étagères remplies de livres du sol au plafond, dans ce son feutré, nous avons voulu savoir ce que les femmes participant à cet atelier ressentaient en sortant un peu du cadre, en se déplaçant de la Maison des Femmes à la Maison de la Poésie.
L’endroit si chaleureux a accueilli des textes forts et très personnels dont la lecture a fait souvent jaillir des larmes. De colère, de désespoir, de tristesse, de compassion, de soulagement peut-être aussi. Que ce groupe accueille toujours avec beaucoup de respect et de délicatesse.
(Les textes reproduits ci-dessous le sont avec l’accord des femmes pour une publication dans ce blog)
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DE LA MAISON DES FEMMES : un long chemin, j’ai peur, le silence, je ne veux pas mourir, mon corps crie, j’ai besoin d’une main, le silence, ma vie bascule,
Je ne me connais pas, je vois des taches noires. Ça déchire mon cœur, mon corps crie, mon cœur pleure, Qui m’aime ?
Tout est loin, honte immonde, dégoût, je dérive, crime cruel, vie abandonnée. Folie, enfance volée, douceur, tiens l’éclipse a effacé la lune. Je suis seule face aux choses de la vie, je chante la mort dans mon cœur mais je respire.
(Sur le cahier, il y a un long espace blanc entre ce début et la fin du texte. Elle n’a pas voulu, pas pu, pas eu le temps d’en écrire davantage, ndlr)
L’envie de guérir
« Pour ce poème, je veux vaincre l’horreur ». La vie commence ici A LA MAISON DE LA POESIE.
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Un lieu familier. Ce n’est pas comme écrire ou être à la Maison des Femmes, notre « deuxième maison » comme me le disait ce matin une femme avec qui j’y ai commencé mon processus de réparation, mais c’est un bel endroit qui marque et symbolise un premier palier de reconnexion à mes émotions, le cocon où nous avons restitué devant nos proches, les textes que nous avions écrits il y a quatre mois déjà, il y a quatre mois seulement.
J’étais chenille et me voici chrysalide, en phase de déconstruction pour mieux me reconstruire et devenir papillon.
Ici une première étape a été franchie. Ici, dans la pièce d’à côté, celle qui nous émerveillait et dans laquelle nous pouvions nous échapper au besoin.
Peu de bruits, les murs sont bien isolés, une odeur réconfortante de vieux livres papier et une odeur de chien mouillé.
(Petite pique qui nous a bien fait rire, en direction de l’une d’entre nous qui s’inquiétait qu’elle sente encore le chien qu’elle avait gardé durant tout le week-end, ndlr)

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Devant moi, des visages familiers, plusieurs étagères de livres et une petite échelle en bois. Un tapis rouge à motifs sur lequel s’ancre la table en bois sur laquelle nous écrivons.
Ce tapis me rappelle celui de ma grand-mère, familier lui aussi.
J’ai toujours dans ma poche le porte-clés du Petit Prince que je portais pendant la représentation.
« L’essentiel est invisible pour les yeux », lui disait le renard. Et ce lieu est bien plus qu’une belle bibliothèque.
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Qu’est ce que ça fait d’être ici, à la Maison de la Poésie ? D’y être à la place d’une sortie de crèche par exemple. La restitution, c’était il y a 4 mois et 1 jour.
Je suis ici, à la maison… de la Poésie. Je viens de prendre un chocolat chaud devant le centre Pompidou, en arrivant après ma séance psy à la PMI.
Quelle douceur… attablée à cette magnifique table en bois, avec « nous toutes », les pieds sur le tapis.
Je suis à la maison… chez mamie. Même table, même tapis… chère grand-mère qui m’a élevée, qui a fédéré les membres de notre grande famille autour de cette même table.
J’ai toujours chez moi ta cuisinière, ton canapé, quelques pièces de ton argenterie, vestiges de ton mariage. Les meubles qui ont longtemps diffusé leur odeur si familière, si rassurante, longtemps après que tu aies quitté ton corps. Cette odeur qui a empli le salon au moment où j’avais le plus besoin de tes rires et de tes prédictions remonte-moral façon Madame Soleil. Tu aurais certainement lu dans tes cartes qu’après cette séparation avec le père de mon fils de 14 mois, j’aurais probablement rencontré l’amour…
Adolescentes, les cousines et moi-même raffolions de ces moments complices où tu prenais le temps de battre les cartes, de te concentrer avec un air sérieux qu’on ne te connaissait qu’à cet endroit, pour enfin nous annoncer le pire mais surtout le meilleur avenir. Toutes ces phrases qu’il nous suffira de prononcer en nous retrouvant, Camille, Amélie, Steph et moi pour renouer avec notre enfance. « Ah, il y a anguille sous roche ! » « Une visite ! » « Un jeune homme blond » »L’amour, la bouteille, on trinque ! »
Cette enfance qui a été joyeuse avec toi, rassurante, choyée. Purée steak haché pour Camille. Pâtes gruyère et jambon pour Aurélie. Les mercredis après midi à la danse où Camille faisait « statue », les Barbies cachées sous la cheminée et le club Dorothée.
Hier encore, je racontais à Anna comme j’aimais faire des bouquets de pâquerettes comme le sien.
Hier, c’était la fête des mères, hier c’était donc ta fête,
Merci Céleste.
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Ce jour, je l’attendais, je me suis retrouvée dans un atelier d’écriture, j’ai toujours su que j’avais en moi cette âme d’artiste, de créatrice, seulement, telle une proie, cette âme-là s’est éteinte car mon temps était à la survie, à esquisser tous les pièges, me terrer, me cacher, en somme exister sans exister puis je vous ai découvertes, chaque âme de cet atelier, j’avais arrêté de courir, j’ai mis du temps à reprendre mon souffle puis de vos âmes, de vos mots, vous avez libéré ce petit bijoux en moi, l’écrister (écrire en existant).
Je l’avoue, je n’ai pas complètement baisser le masque de protection, il est baissé à 85% c’est quand même beaucoup.
Vous ne pouvez pas imaginer dans quel contexte, après quelles mésaventures, le courage, les larmes, la soif de me dépasser dans ce lieu qui ressemble à la bibliothèque, qui sent le livre, la sécurité, cette odeur qui a permis à la petite moi, à travers des histoires, des livres, de s’échapper dans un monde imaginaire où rien ne pouvait m’arriver, un monde imaginaire pour moi, c’était « la sécurité, l’amour qui me manquait ».
J’en perds mes mots, je ressens le bois sous mes bras, cette odeur est maintenant synonyme de tellement de parcelles de moi, bref, je vais m’arrêter là et comme nous sommes sous ce dôme de sécurité hors limite, réalité où le temps est suspendu, protégées par une lumière tamisée, laissez-moi ou permettez-moi de vous dire que chacune de vos âmes seront gravées en moi, telles des soldates de paix, de résilience, de reconnaissance, puis osons le dire, des soldates d’amour.
Je ne peux aller plus loin, je retiens mes larmes, peur d’exploser et que les fragments de mon âme si lourde et si douce ne se projettent sur vous, sur moi.
Merci ne suffit pas et la petite en moi vous dit Merci 1000 fois, elle qui reprend le chemin de son enfance inachevée.
(Cette femme nous lit ensuite un extrait du Poème commencé de Pierre Dhainaut qu’elle a été piocher dans les rayonnages de la bibliothèque.)
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Ecrire en ce lieu me ravit, l’atmosphère est différente, presque solennelle, Ce lieu, bien que démystifié, je l’ai sanctuarisé car il ne s’agit pas de ma première venue ici.
Aujourd’hui, on écrit dans une ambiance studieuse, pas de planches sur lesquelles monter, une jolie bibliothèque, chaleureuse, ancienne, qui sent bon le papier et le bois avec un joli tapis au sol, participe à ce lieu feutré tel un écrin, apaisé, propice à l’écriture.
J’appréhendais de revenir et d’être submergée par mes émotions, revivant mon expérience passée si incroyable et puis la directrice des lieux m’a accueillie avec un grand sourire, ce visage familier m’a rassurée, elle m’avait reconnue, a engagé immédiatement la discussion. Sa sincérité et sa bienveillance à mon égard ont eu vite fait de me rassurer et me mettre à l’aise.
J’étais et donc je suis dans de bonnes dispositions pour composer aujourd’hui.
Elle qui a assisté à la lecture de nos textes et qui me dit que bien que la vie ne soit pas tendre, mon sourire l’a marquée et que je suis un vrai rayon de soleil, me touche.
Je suis sereine et contente d’être ici et je commence à me rendre compte du chemin parcouru grâce à chacune de vous et à ce lieu si atypique. Alors, merci.
J’apprécie d’écrire dans un autre cadre que celui de la Maison des femmes, car même si j’aime être dans un cadre bien défini parce que la routine rassure, j’aime de plus en plus explorer de nouvelles choses et apprécie de sortir de ma zone de confort.

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J’observe la salle à mon tour, je balaye les livres du regard et certains livres aux titres évocateurs me sautent aux yeux tels que Les moyens d’existence ; L’Eternel Jugurtha ; Terre et paix ; 12 poètes, 12 voix.
Je ne crois pas au hasard et ce sont des signes à qui veut bien, cela me fait sourire.
Cela résume notre expérience sur scène et celle d’aujourd’hui à merveille. L’éternel Jugurtha faisant écho à mes origines berbères dont il était l’un des rois.
(L’Eternel Jugurtha, est l’œuvre principale Jean Amrouche, auteur algérien de langue française, ndlr)
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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.