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Billet de blog 16 novembre 2025

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RIC constituant : une idée à comprendre et à creuser

Une solution simple pour un problème complexe, un élargissement des droits sans contrepartie, une institution ancienne à comprendre et à digérer. Ce qu’on appelle le référendum d’initiative citoyenne constituant (RICC) est tout cela. Peu à peu, il est promu et discuté en France, mais peine encore à être bien compris.

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Populaire auprès des gilets jaunes, porté par un jeune parti politique – Solution Démocratique- , objet de plusieurs pétitions, actuellement déposé sous la forme d’une proposition de loi constitutionnelle par la France Insoumise, le référendum d’initiative citoyenne constituant (RICC) est aussi discuté  au sein du lectorat de Médiapart.

A l’instar d’autre grandes revendications civiques qui ont ouvert nos systèmes politiques, tels que l’élargissement des droits civiques, ou du droit de suffrage, le RICC ne vise pas autre chose qu’élargir à l’ensemble des citoyens des droits basiques : celui de proposer des lois constitutionnelles et celui de les voter. En utilisant les instruments de la pétition et du référendum, les citoyens de grands pays comme la France peuvent légiférer par eux-mêmes et choisir directement les règles du jeu auxquelles ils sont soumis.

Cette grande assemblée que serait la France se mettrait donc en branle, à coup d’initiatives et référendums, toutes les fois que le système représentatif se grippe. Les représentants abusent des ordonnances ou du 49.3 ? Les citoyens peuvent changer leurs conditions d’application ou les supprimer. Des réformes impopulaires sont votées ? Les citoyens peuvent les casser, ou en proposer d’autres. Le système électoral met aux pouvoir des minorités fortunées ? Les citoyens peuvent réviser le système électoral ou modifier la sélection de leurs représentants. Si, en revanche, les représentants font leur travail avec attention, en consultant, en écoutant, en travaillant sur les meilleurs compromis, le RICC restera une épée de Damoclès inutilisée, mais toujours réconfortante pour ceux qui n’ont pas le pouvoir politique.

Comme toutes les revendications d’élargissement des droits civiques, le RICC est extrêmement soutenu en France, et particulièrement parmi les classes populaires, qui sont le baromètre d’un bon fonctionnement d’un système politique. Les élites et une certaine bourgeoisie, en revanche, restent dubitatifs. En témoignent trois objections courantes, reprises dans un des blogs Médiapart récent, et qui méritent un commentaire.  

Un problème complexe ne peut avoir une solution simple. Un postulat faux, mais plausible, qui a comme propriété de renvoyer aux calendes grecques toute solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Pourtant, les bonnes solutions ont toujours été simples. En particulier, une solution ancestrale face au mécontentement a toujours porté ses fruits : élargir des droits à l’ensemble de la population. Le droit d’être jugé de façon équitable, le droit de s’exprimer, le droit d’élire, de droit de se porter candidat… ont tous été des solutions simples à des sociétés sous tension avec des fortes dérives oligarchiques. Aujourd’hui, la même recette est proposée : élargir le droit d’initier les lois constitutionnelles, et de les voter. Ce n’est pas compliqué, en effet. Mais cela changera radicalement les rapports de force dans notre pays et réduira les fractures que l’on y observe. Dans ce contexte, pourquoi vouloir a tout prix exiger une solution compliquée ?

Faire légiférer les citoyens sur des enjeux constitutionnels, c’est dangereux. Il faut se rappeler qu’aujourd’hui le gouvernement et 60% des parlementaires peuvent changer notre Constitution et que, compte tenu de notre système électoral, il est possible d’obtenir 60% des sièges parlementaires avec une petite minorité de voix, comme cela a été le cas d’En Marche à l’Assemblée nationale en 2017. Est-ce plus ou moins dangereux ? Il y a un siècle, en Europe, des lois liberticides ont été promues et votées par des parlementaires – en Italie et en Allemagne notamment – alors que les Suisses, qui façonnaient leur Constitution directement par initiative citoyenne et referendum, n’ont cessé de renforcer leur état de droit. Il y a un demi-siècle, plusieurs parlements en Amérique Latine ont validé les coups d’états militaires alors que, lorsque les citoyens uruguayens qui ont pu voter, ont refusé la constitution portée par la junte militaire. Depuis les Uruguayens modifient leur constitution par le RICC, et c’est devenu le pays le plus stable d’Amérique du Sud. En fait, tous les exemples historiques de recul démocratique sont des cas où le parlement contrôle la constitution. Aucun des cas où les citoyens disposent du RICC n’a connu un recul significatif des droits à travers des changements constitutionnels. Ce n’est donc pas dangereux ? Si, bien sûr, malgré les exemples favorables, changer une constitution peut toujours s’avérer dangereux. Mais moins par RICC qu’à travers toutes les alternatives que nous connaissons.

Il faut d’abord éduquer les citoyens. Pour éviter tout risque, tout de même, on pourrait exiger comme condition préalable, d’éduquer les citoyens. C’est ce que disaient nos élites avant les suffrages universel masculin, ou le suffrage féminin. Seuls les gens éduqués ont accès aux droits, c’est moins dangereux. Qui donc s’est chargé d’éduquer les gens en France ? L’école est devenue laïque et obligatoire plusieurs années après l’élargissement du droit de suffrage aux hommes. Elle est devenue mixte, bien après l’élargissement du droit de suffrage aux femmes. Autrement dit, c’est au moment où l’on a peur du suffrage populaire, qu’on est motivé à l’éducation des masses. Pas avant. Voilà pourquoi il faut commencer par élargir les droits inconditionnellement : quand les gens peuvent légiférer, les conditions pour qu’ils légifèrent correctement sont mises en place par leurs représentants (ou par eux-mêmes !). Avant cela, il n’y a aucune urgence à le faire.

Conclusion. Le RICC est donc une proposition qui ne promet pas le paradis le lendemain de son obtention. Il permet simplement de responsabiliser un peu tout le monde - les citoyens, les gouvernements, les oppositions – afin nous nous comportions davantage en personnes responsables et civilisées. Ceci porte à des sociétés plus solides, plus impliquées, plus coopératives, moins endettées et plus satisfaites. C’est pour cette raison que le RICC est populaire. C’est la meilleure solution parmi celles qui circulent actuellement.  

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