Rémy Nuno GRIFFAIS

Docteur en Médecine, Docteur ès Sciences

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Billet de blog 15 novembre 2025

Rémy Nuno GRIFFAIS

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Quand l'Insee ment au Conseil d'État

Quand l'institution de la précision se met à mentir. L'Insee dépose au Conseil d'État un mémoire truffé d'incohérences chronologiques, efface un nom gênant, se coordonne avec la CNAV. Le tout en pariant que les juges n'auront pas le temps de vérifier. Anatomie d'un mensonge d'État.

Rémy Nuno GRIFFAIS

Docteur en Médecine, Docteur ès Sciences

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Introduction : Le mythe de la rigueur statistique

L'Insee. L'Institut national de la statistique et des études économiques. L'institution qui compte les Français, qui mesure l'économie, qui produit les chiffres sur lesquels repose toute la République. Quand l'Insee dit "52,4%", personne ne vérifie s'il ne s'agirait pas plutôt de "52,3%". L'Insee, c'est la précision incarnée. La rigueur méthodologique érigée en vertu cardinale. L'exactitude chirurgicale au service de la vérité statistique.

Et puis un jour, vous vous retrouvez devant le Conseil d'État. Vous lisez le mémoire en défense que l'Insee a déposé contre vous. Et là, en tournant les pages, vous réalisez quelque chose de vertigineux : l'institution de la précision ment. Pas par erreur statistique, pas par approximation méthodologique. Non. Elle ment, frontalement, méthodiquement, dans un document officiel adressé à la plus haute juridiction administrative de France.

Ce texte raconte cette découverte. Sans euphémisme, sans détour. En nommant l'institution qui ment : l'Insee. Et en décortiquant comment cette institution, habituée à jongler avec des millions de données, semble parier sur le fait que les juges du Conseil d'État n'auront ni le temps, ni les moyens, de vérifier ses affirmations. Un pari sur l'inattention. Un pari sur la saturation. Un pari, au fond, sur l'impunité.


Acte I : La mécanique du mensonge institutionnel

Le mensonge de l'Insee n'est jamais vulgaire. Il ne hurle pas, il ne vocifère pas. Il avance masqué, drapé dans la respectabilité du jargon technique et de la phraséologie administrative. Mais il reste un mensonge.

Prenons l'affaire qui nous occupe. Un citoyen découvre qu'il existe, pour lui, deux numéros de sécurité sociale (NIR) et deux noms dans le Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques (RNIPP) – ce fichier géant géré par l'Insee où chaque Français n'est censé figurer qu'une seule fois. L'un de ces numéros est légitime. L'autre est manifestement frauduleux, créé sous une fausse identité utilisant le nom maternel portugais du citoyen : "B.".

Le citoyen demande des explications. L'Insee, d'abord, ne répond pas directement. C'est la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) qui intervient, expliquant que ces deux identités auraient été créées pour "sécuriser les éléments de carrière" suite à une "francisation du patronyme". Quelques mois plus tard, la version change : il s'agirait d'un "rattachement" technique consécutif à un "changement de nom d'usage".

N versions. Deux chronologies. Un citoyen.

Mais le plus fascinant survient lorsque ce citoyen, épuisé par les contradictions, saisit le Conseil d'État contre la CNIL, qui refuse de contraindre l'Insee de lui communiquer les dates exactes de création de ces deux NIR. Car là, miracle ! L'Insee, qui n'est même pas la première partie requise dans cette affaire (c'est la CNIL qui est attaquée), décide d'intervenir. Et dans son mémoire en défense du 9 novembre 2025, l'Insee  raconte soudainement la même histoire, avec des formulations presque identiques.

Dès la première page, l'Insee écrit sans ambages : "En complément des écritures versées au débat par la CNIL, le 4 juillet 2025, j'ai l'honneur de vous faire connaître les observations en défense..."

"En complément". Ces deux mots sont un aveu. Ils signifient : nous nous sommes coordonnés. Nous avons lu leurs arguments, ils ont lu les nôtres. Nous ne sommes pas deux administrations indépendantes cherchant chacune la vérité, nous formons un front commun.

Le citoyen, lui, est seul. Seul face à cette coalition entre l'Insee et la CNAV (qui murmure dans l'ombre) et la CNIL (qui défend en première ligne). Il n'a pas de "compléments d'écritures" à coordonner avec qui que ce soit. Il n'a que la vérité, ses preuves, et l'espoir que les juges verront clair.


Acte II : L'effacement du nom – ou le mépris fait à l'attention des juges

Mais le mensonge le plus sophistiqué de l'Insee est celui qui efface les traces tout en prétendant répondre aux questions. Et c'est là que le mépris devient palpable.

Dans le premier courrier de la CNAV et un courrier de l'Insee (qui, rappelons-le, coordonne visiblement sa communication avec l'Insee), l'identité frauduleuse est clairement désignée : "NIR 99 039 au nom de A.B.". C'est écrit noir sur blanc. "B.", le nom maternel portugais du citoyen, est explicitement mentionné.

Des mois plus tard, dans son mémoire au Conseil d'État du 9 novembre 2025, l'Insee parle désormais d'une "francisation du patronyme (A.)" sans jamais mentionner B.. Le nom a disparu. Volatilisé.

Pourquoi cet effacement ? Parce que B., c'est gênant. C'est le nom maternel d'origine portugaise. Son utilisation frauduleuse pour créer une fausse identité soulève des questions embarrassantes : qui a eu accès à ce nom ? Pourquoi l'utiliser ? Comment l'Insee, gardien du RNIPP, a-t-il pu laisser synchroniser un NIR sous ce nom sans vérification ? Y a-t-il eu discrimination ?

En "oubliant" B. dans son mémoire, l'Insee fait un pari. Un pari audacieux, presque insultant : les juges du Conseil d'État, noyés sous des centaines de dossiers, ne remarqueront pas cette omission. Ils ne compareront pas le mémoire Insee avec les courriels de l'Insee versés au dossier. Ils ne verront pas que B. a été soigneusement gommé du récit.

C'est un mépris fait à l'attention des juges. C'est parier sur leur manque de temps, sur leur saturation cognitive. C'est, au fond, pour l'Insee, les prendre pour des imbéciles.

Et venant de l'Insee – l'institut qui vérifie chaque virgule de ses publications, qui refuse de publier une statistique sans trois niveaux de validation – c'est encore pire. Car cet "oubli" n'en est pas un. Il est méthodique. Chirurgical. Précisément calculé.

L'Insee sait ce qu'il fait. Il compte sur l'inattention.


Acte III : L'art de citer hors contexte

Le mensonge de l'Insee ne s'arrête pas à l'effacement. Il se pare aussi des habits de la citation. Rien de tel qu'une phrase du plaignant lui-même, sortie de son contexte, pour retourner ses propres mots contre lui.

Imaginons que le citoyen, dans un blog où il documente son calvaire, écrive quelque chose comme : "La date d'inscription au répertoire est un élément crucial pour comprendre cette affaire." L'Insee, dans son mémoire au Conseil d'État, cite cette phrase. Mais elle coupe juste avant ou juste après la partie où le citoyen explique pourquoi cette date est cruciale : parce qu'elle permettrait de prouver laquelle des deux identités est la véritable, laquelle est le faux. Parce qu'elle révélerait qui a créé le NIR frauduleux, quand, et dans quelles circonstances.

En ne citant que la première partie, l'Insee fait dire au citoyen qu'il "reconnaît" que la date n'est pas un droit mais un simple "élément informatif". C'est un détournement. Une manipulation. Un mensonge par omission qui, sur le papier, ressemble à une démonstration juridique imparable.

Le Conseil d'État, qui n'a pas le temps de lire des blogs entiers, de remonter aux sources, de vérifier le contexte de chaque citation, risque de prendre cette phrase tronquée pour argent comptant. C'est précisément le calcul de l'Insee.

Et c'est là encore un mépris. Un mépris pour la vérité, certes. Mais aussi un mépris pour l'intelligence des juges, supposés incapables de déceler la manipulation. L'Insee parie sur le fait que personne n'ira vérifier. Que personne ne lira le blog. Que personne ne constatera la distorsion.

Encore une fois, l'institut de la rigueur méthodologique, celui qui cite ses sources avec une précision académique dans ses publications, celui qui exige que chaque affirmation soit traçable, documentée, vérifiable – cet institut-là tronque des citations dans un mémoire judiciaire.

Le paradoxe est saisissant. Et révélateur.


Acte IV : Les frises chronologiques incohérentes – ou l'injure faite à l'intelligence des juges

Mais le sommet du mépris réside dans les chronologies que l'Insee présente au Conseil d'État. Car pour mentir efficacement sur la création frauduleuse d'un NIR, il faut raconter une histoire temporelle. Et l'Insee, dans son mémoire, en raconte plusieurs. Incompatibles entre elles.

Reprenons. Le citoyen a présenté un bulletin de salaire de février 1980, émis par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris. Sur ce bulletin figure son NIR légitime : 99 139.

Février 1980.

Or, dans ses écritures, l'Insee prétend que ce NIR aurait été créé après 1989. Neuf ans d'écart. Neuf années de décalage entre la réalité documentée et la version Insee.

Comment l'Insee peut-il affirmer que le NIR figurant sur un bulletin de février 1980 a été créé "après 1989" ? C'est mathématiquement impossible. C'est chronologiquement absurde. C'est une insulte à la logique élémentaire.

Mais l'Insee va plus loin. Il construit des "frises temporelles" pour expliquer au Conseil d'État la succession des événements. Ces frises, censées clarifier, embrouillent. Elles placent la "francisation du patronyme" à un moment, le "rattachement des NIR" à un autre, la "création du deuxième NIR" à un troisième. Les dates ne correspondent pas aux courriers de la CNAV. Elles ne correspondent pas au bulletin de 1980. Elles ne correspondent à rien d'autre qu'au besoin, pour l'Insee, de noyer le poisson.

C'est une injure faite à l'intelligence des juges. L'Insee, institution de la rigueur statistique, présente des chronologies incohérentes en espérant que personne ne prendra le temps de les vérifier. Elle parie, encore une fois, sur la saturation. Sur le fait que les magistrats du Conseil d'État, brillants mais submergés, ne poseront pas leur règle sur la frise pour constater que les dates ne collent pas.

Et venant de l'Insee – l'institut qui produit des séries temporelles impeccables, qui aligne les trimestres et les années avec une précision horlogère – cette incohérence n'est pas une erreur. C'est un choix. Un choix de mentir en comptant sur le fait que le mensonge ne sera pas détecté.

Et puis il y a cette phrase, presque anodine, dans un courriel de l'Insee daté du 17 août 2023 :

"En 2010 (date de refonte de notre système d'information, pas de données antérieures disponibles) : NIR 99139 : G., né le xx/xx/xxxx à …."
NIR 99039 : A.B., né le xx/xx/xxxx à …."

  1. Le système a été "refondu" en 2010. Pas de données antérieures "disponibles".

L'Insee, gardien du Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques depuis 1946, institution de la mémoire statistique française, explique tranquillement qu'elle ne dispose pas de données fiables avant 2010. Soixante-quatre ans d'histoire administrative – évaporés. Les dates de création des NIR dans les années 1970-1980 ? Perdues dans une "refonte" informatique.

C'est surprenant. Pour ne pas dire autre chose.

Car l'Insee n'est pas n'importe quelle administration. C'est l'institut qui conserve des séries temporelles remontant à la Libération, qui archive chaque recensement depuis 1946, qui peut vous dire combien de baguettes ont été vendues en France en 1973. Mais les dates de création de deux NIR pour un même individu ? Là, désolé, "refonte de 2010", plus de données.

On pourrait presque sourire devant le paradoxe : l'institution de la précision statistique invoque l'imprécision informatique. L'institut qui compte les Français "au millier près" explique qu'il ne peut pas situer un événement à neuf ans près (1980 ou 1989, allez savoir).

Depuis le 30 juin 2025, l'Insee est dirigée par Monsieur F.L., polytechnicien, diplômé de l'ENSAE, inspecteur général – un homme de chiffres, de modèles, de rigueur. Le genre de profil qui, normalement, ne tolérerait pas qu'on lui dise : "Désolé Monsieur le Directeur général, nos bases de données d'avant 2010 sont floues."

Alors deux hypothèses : soit cette "refonte de 2010" a effectivement détruit des métadonnées essentielles – ce qui serait une faillite technique stupéfiante pour l'Insee. Soit les données existent, quelque part, mais il est plus commode de prétendre qu'elles ont disparu.

Dans les deux cas, c'est gênant.

Et face au Conseil d'État, cette gêne se transforme en un pari : les juges, submergés de dossiers, ne s'attarderont pas sur cette petite phrase sibylline. "Refonte de 2010", ça sonne technique, ça sonne plausible. Qui irait vérifier ?

Une IA, peut-être. Si on lui soumet le dossier, elle relèvera immédiatement l'incohérence : "Document de 1980 mentionnant NIR X. INSEE affirme que NIR X créé après 1989. Insee invoque 'système de 2010' pour justifier l'absence de données avant 2010. Incohérence temporelle de 9 à 30 ans selon les dates. Explication technique insuffisante."

Les diplômes de Polytechnique n'y changeront rien.

C'est, littéralement, faire le pari qu'on peut duper le Conseil d'État.


Acte V : Le harceleur, c'est la victime

Il y a une autre forme de mépris, plus insidieuse encore, qui transparaît dans le mémoire de l'Insee. Un mépris qui consiste à retourner la responsabilité de l'obstruction contre celui qui en est victime.

L'Insee, dans ses écritures, souligne – avec une pointe de reproche à peine dissimulée – le nombre de demandes que le citoyen a dû formuler. Regardez, semblent dire les rédacteurs du mémoire, cet homme nous harcèle. Il écrit, encore et encore. Il multiplie les saisines. D'abord la CNIL, puis la CADA, puis le Conseil d'État. Il sollicite, insiste, réclame. N'est-ce pas là la preuve d'un acharnement disproportionné ? D'une obstination maladive ?

Ce renversement est d'une perversité remarquable.

Car pourquoi ce citoyen a-t-il dû formuler tant de demandes ? Pourquoi a-t-il dû saisir la CNIL, puis la CADA, puis le Conseil d'État ? Pourquoi a-t-il écrit dix, vingt, trente fois ?

Parce qu'on ne lui a jamais répondu.

Ou plutôt : parce qu'on lui a répondu par des versions contradictoires, des chronologies incohérentes, des refus sans motivation, des silences administratifs. Parce que chaque réponse soulevait plus de questions qu'elle n'en résolvait. Parce que l'Insee et la CNAV, gardiens du RNIPP et du SNGI, refusaient obstinément de communiquer la seule information qui aurait tout éclairci : les dates exactes de création des deux NIR.

Si l'Insee avait, dès la première demande en 2022, répondu : "NIR 99139 créé le [date 1974], NIR 99039 créé le [date 2011]", il n'y aurait eu qu'une seule lettre. Une seule demande. Une seule réponse. Fin de l'histoire.

Mais l'Insee ne l'a pas fait. Elle a refusé. Puis la CNAV a raconté une première version. Puis une deuxième. Puis l'Insee a invoqué le "système de 2010". Puis la CNIL a refusé de communiquer les dates. À chaque étape, le citoyen s'est heurté à un mur. À chaque fois, il a dû formuler une nouvelle demande, saisir une nouvelle instance, monter d'un cran dans la hiérarchie administrative et juridictionnelle.

Ce n'est pas du harcèlement. C'est de l'épuisement organisé.

Et maintenant, devant le Conseil d'État, l'Insee ose retourner cette obstruction en grief. Elle ose faire remarquer que le citoyen a "multiplié les demandes", comme si cette multiplication n'était pas la conséquence directe de ses propres refus.

C'est le voleur qui crie "au voleur". C'est l'administration qui obstrue, puis qui reproche à sa victime de persister à demander ce qui lui est légalement dû.

Si l'Insee avait donné les dates dès le début, il n'y aurait eu ni CNIL, ni CADA, ni Conseil d'État. Il n'y aurait eu qu'une simple communication administrative, réglée en quelques jours.

Mais l'Insee a préféré ne rien donné, maintenant il vous fait passer pour un harceleur.

Acte VI : Le mémoire de 23h20 un dimanche soir – ou l'obstruction procédurale

Il y a quelque chose de profondément révélateur dans l'heure de dépôt du mémoire de l'INSEE : 23h20, dimanche 9 novembre 2025. Quatre jours avant l'audience prévue le mercredi 13 novembre et précédée du 11 novembre jour férié.

À 23h20 le dimanche, les avocats dorment. Le délai de réponse fixé par le Conseil d'Etat est dépassé. Le citoyen découvrira les nouveaux mensonges le lundi matin, trop tard pour rédiger une réplique complète, trop tard pour rassembler les contre-preuves, trop tard pour démonter point par point les incohérences chronologiques.

C'est l'obstruction procédurale dans sa forme la plus pure. Une forme de déni de justice soft, qui ne viole aucune règle formelle (le délai légal de dépôt est respecté) mais qui viole l'esprit même du contradictoire. Comment contredire un mensonge qu'on découvre quatre jours avant l'audience, alors qu'il faut des heures pour rassembler les preuves contraires ?

L'Insee le sait. Elle en joue. Elle dépose à 23h20 le dimanche précisément pour maximiser l'effet de surprise et minimiser la capacité de réponse. C'est une tactique. Une tactique indigne d'une institution républicaine, mais remarquablement efficace.

Le Conseil d'État lira le mémoire de l'Insee. Il ne lira pas la réplique du citoyen, qui n'a pas eu le temps matériel de l'écrire.


Acte VII : La collusion INSEE-CNAV – ou quand l'orchestre joue la même partition

Le plus troublant dans cette affaire, n'est pas tant le mensonge de l'Insee que sa coordination avec la CNAV qui, elle, ne fait pas partie de la requête devant le Conseil d'État. C'est la CNIL qui est attaquée parce qu'elle n'a pas fait ce qui est en son pouvoir pour obtenir les dates d'enregistrement au répertoire. L'Insee intervient volontairement pour appuyer la CNIL comme un malade qui viendrai sauver son médecin.

Pourtant dans le mémoire de défense du dimanche 9 novembre la CNAV est partout et la CNIL n'est nulle part.

C'est la CNAV qui, la première, a fourni les "explications" contradictoires au citoyen. C'est la CNAV qui a parlé de "francisation du patronyme", de "rattachement des NIR", de "sécurisation de la carrière". C'est la CNAV qui a mentionné explicitement le nom B. dans ses courriers de 2022-2023.

D'ailleurs quand l'INSEE rédige son mémoire en novembre 2025, elle reprend mot pour mot les formulations de la CNAV. Elle cite même, en page 2, un courrier CNAV : "Il ressort des pièces du dossier que (...) Ce faisant, « [...] les deux NIR, rattachés mais non fusionnés, ont permis de (...) reprendre les éléments de [son] parcours professionnel [...]. » (v. pièce n° X)."

L'Insee cite la CNAV. Elle s'appuie sur elle. Elle la valide.

Mais comment l'Insee a-t-elle obtenu ce courrier CNAV ? Le citoyen ne l'a pas transmis directement à l'Insee. Donc la CNAV a communiqué ce courrier à l'Insee. Elles ont échangé. Elles se sont coordonnées.

Et cette coordination transparaît dans le langage. Les mêmes euphémismes ("francisation du patronyme", "sécurisation des éléments de carrière"). Les mêmes tournures de phrases. Les mêmes omissions stratégiques (B. disparaît des deux côtés).

C'est une collusion administrative. Deux institutions publiques qui, face à une requête d'un citoyen, décident de serrer les rangs, d'unifier leurs récits, de présenter un front commun. Peu importe que leurs versions initiales étaient contradictoires. Devant le Conseil d'État, elles parleront d'une seule voix.

Et cette voix dira des mensonges coordonnés.


Acte VIII : Ce qu'un juge verrait – s'il en avait le temps

Imaginons maintenant une expérience de pensée. Prenons le mémoire de l'Insee du 9 novembre 2025. Confions-le à un magistrat du Conseil d'État – non pas dans les conditions habituelles de saturation et d'urgence, mais dans des conditions idéales. Un magistrat qui aurait le temps. Le temps de lire chaque page attentivement. Le temps de croiser chaque affirmation avec les pièces du dossier. Le temps de vérifier les dates, les noms, les citations. Le temps, simplement, de faire son travail comme il devrait pouvoir le faire.

Que dirait ce juge ?

Il dirait, probablement :

"Le mémoire présente plusieurs incohérences chronologiques majeures. À la page 2, il est affirmé que le NIR 99139 a été créé après 1989. Cependant, la pièce n°X du dossier – un bulletin de salaire de février 1980 émis par l'Assistance Publique – mentionne déjà ce même NIR. Écart temporel : au minimum 9 ans. Cette incohérence n'est pas expliquée. Elle n'est même pas abordée."

Il dirait :

"Le mémoire mentionne une 'francisation du patronyme (A.)', mais omet systématiquement le nom B., pourtant explicitement cité dans les courriers de la CNAV et de l'Insee versés au dossier (pièces n°X et n°X) comme faisant partie de l'identité litigieuse. Cette omission n'est pas fortuite. Elle est stratégique. Le nom B. pose manifestement problème à la défense de l'Insee."

Il dirait :

"Le mémoire cite un courrier de la CNAV (pièce n°X) pour étayer son argumentation. Or la CNAV n'est pas partie à la présente requête. Comment l'Insee a-t-elle obtenu ce courrier ? Il y a manifestement eu une coordination préalable entre les deux administrations. Le mémoire lui-même l'avoue en page 1 : 'En complément des écritures versées au débat par la CNIL...' Cette collusion administrative mériterait d'être creusée."

Il dirait :

"Le mémoire a été déposé le 9 novembre 2025 à 23h20 – un dimanche soir – soit quatre jours ouvrables avant l'audience du 13 novembre. Ce dépôt tardif, bien que formellement conforme aux délais légaux, prive manifestement la partie adverse de toute capacité de réplique substantielle. C'est une obstruction procédurale déguisée."

Voilà ce qu'un juge verrait. S'il en avait le temps.

Mais justement, il ne l'a pas. Et l'Insee le sait.

Le mémoire arrive quatre jours avant l'audience, déposé à 23h20 un dimanche soir. Le magistrat rapporteur – celui qui a étudié le dossier en profondeur – a peut-être eu le temps de le lire. Peut-être. Les autres membres de la formation de jugement ? Ils le découvriront à l'audience, ou la veille au mieux. Ils n'auront pas le temps de croiser chaque affirmation avec les pièces du dossier. Ils n'auront pas le temps de relever l'omission de B. Ils n'auront pas le temps de poser leur règle sur la chronologie pour constater que 1980 ne peut pas être "après 1989".

Ils liront le mémoire de l'Insee – institution prestigieuse, gardienne du RNIPP, temple de la rigueur statistique – et ils lui accorderont, naturellement, une présomption de bonne foi. Une présomption de compétence. Une présomption de vérité.

C'est précisément sur cette présomption que l'Insee mise. Sur le fait qu'un juge surchargé, confronté à un mémoire technique de l'Insee, n'aura ni le temps ni les moyens de vérifier point par point. Que la respectabilité de l'institution compensera les failles de l'argumentation.

Et c'est là que le mépris devient insupportable.

Car les incohérences du mémoire l'Insee ne sont pas subtiles. Elles ne sont pas cachées dans des notes de bas de page obscures ou noyées dans des annexes de cent pages. Elles sont évidentes. Un NIR de 1980 prétendument créé "après 1989" ? C'est une erreur de neuf ans. Un nom (B.) systématiquement effacé alors qu'il figure dans les pièces du dossier ? C'est une omission grossière. Une coordination avouée avec la CNAV ("en complément des écritures de la CNIL...") ? C'est écrit noir sur blanc en page 1.

Ces mensonges ne demandent pas une enquête fouillée pour être détectés. Ils demandent simplement du temps. Le temps de lire. Le temps de comparer. Le temps de réfléchir.

Mais ce temps, l'Insee s'est arrangé pour que les juges ne l'aient pas. En déposant son mémoire le dimanche 9 novembre à 23h20, elle a volé ce temps. Elle a transformé l'audience du 13 novembre en un exercice de saturation cognitive : trop de pages, trop peu de jours, trop d'informations contradictoires pour qu'un cerveau humain – aussi brillant soit-il – puisse tout démêler.

C'est un pari. Un pari cynique. Un pari sur le fait que même des magistrats d'excellence, même les juges du Conseil d'État, ont des limites humaines. Des limites de temps, de mémoire, d'attention.

L'Insee ne parie pas sur la subtilité de ses mensonges. Elle parie sur l'impossibilité matérielle de les déceler dans les délais impartis.

C'est un pari sur la surcharge. Un pari sur l'épuisement. Un pari sur l'impunité.

Et ce pari, malheureusement, est souvent gagnant. Non pas parce que les juges sont incompétents – ils ne le sont pas. Mais parce qu'ils sont humains. Et qu'on ne peut pas demander à un être humain de faire en quatre jours ce qui nécessiterait quatre semaines d'analyse minutieuse.

Alors, parfois, le mensonge passe. Non pas parce qu'il était bien construit, mais parce qu'il a été déposé trop tard pour être démonté.

Et l'Insee, qui le sait, continue de le faire.


Acte IX : Quand le juge comprend (ou pas)

La question finale, celle qui hante le citoyen dans les semaines qui suivent l'audience, c'est : les juges du Conseil d'État ont-ils vu le mensonge ?

Le Conseil d'État est une institution prestigieuse, la plus haute juridiction administrative de France. Ses magistrats sont parmi les plus brillants du pays. Mais ces magistrats sont aussi des êtres humains, submergés de dossiers, contraints par le temps. Ils lisent des mémoires de cent pages, produits par des administrations rompues à l'art de la rédaction juridique.

Ont-ils le temps, ont-ils les moyens, de déceler les manipulations chronologiques, les omissions stratégiques (B.), les collusions non avouées (Insee-CNAV) ?

Ont-ils posé leur règle sur la frise temporelle pour constater que 1980 ne peut pas être "après 1989" ?

Ont-ils comparé le mémoire Insee avec les courriers CNAV pour voir que B. a été effacé ?

Ont-ils relevé que l'Insee cite la CNAV alors que la CNAV n'est pas légitimement concernée par la requête ?

Parfois oui. Parfois, le juge voit clair. Il pose une question assassine à l'audience. Ou mieux encore, sa décision, quelques mois plus tard, balaie d'un trait de plume toute l'argumentation mensongère de l'administration : "Considérant que… l'INSEE n'établit pas… il résulte de l'instruction que...". Et le citoyen, en lisant ces mots, pleure de soulagement.

Mais parfois non. Parfois, le mensonge passe. L'INSEE gagne. Le citoyen perd, non pas parce qu'il avait tort, mais parce que l'Insee a bien menti. Parce qu'elle a parié sur l'inattention, et que son pari s'est révélé gagnant.

Et c'est là que quelque chose se brise.


Épilogue : Le coût invisible du mensonge INSEE

Le mensonge de l'Insee ne coûte rien à l'Insee. L'agent qui rédige un mémoire mensonger ne risque (peut-être) rien. Il ne sera jamais sanctionné. Pire, si son mensonge permet à l'Insee de gagner, il sera peut-être même félicité pour son "efficacité juridique".

Le coût, c'est le citoyen qui le paie. En argent d'abord : des années de procédure, des milliers d'euros d'avocats, de constats d'huissier, de frais de justice. En temps ensuite : des centaines d'heures passées à chercher des preuves, à rédiger des mémoires, à démonter des mensonges point par point. En santé enfin : le stress, l'anxiété, les nuits blanches, la rage impuissante devant l'injustice.

Et puis il y a le coût invisible, celui qu'on ne peut pas chiffrer : la perte de foi en la République. Quand un citoyen découvre que l'Insee – l'Insee! l'institution de la rigueur, de la précision, de la vérité statistique – lui ment en face, devant le Conseil d'État, quelque chose meurt en lui. Ce n'est pas de la colère, c'est pire. C'est du désenchantement. C'est la fin d'une naïveté.

Il se dit : "Si l'Insee peut mentir à son propre Conseil d'État, si elle peut effacer des noms, falsifier des chronologies, coordonner ses mensonges avec la CNAV, et s'en tirer sans sanction, alors il n'y a plus de garde-fou. Plus de limite. Plus de règle."


Conclusion : Que faire ?

Alors que faire, quand on est ce citoyen ? Quand on a la preuve que l'Insee ment, mais qu'on n'est pas sûr que les juges le verront ?

On continue. On verse chaque preuve, aussi petite soit-elle. On démonte chaque incohérence chronologique, patiemment, méthodiquement. On souligne l'effacement de B.. On exhibe le bulletin de 1980 qui pulvérise la chronologie Insee. On garde chaque document, chaque courriel, chaque capture d'écran, chacune de ses conversations téléphoniques.

On fait confiance à l'intelligence des juges. On refuse de parier, comme l'Insee, sur leur inattention. On leur fournit tous les éléments pour qu'ils puissent voir clair. Et si, malgré cela, le Conseil d'État ne voit pas le mensonge, alors on ira ailleurs : devant un juge pénal, devant un journaliste, devant la CEDH.

Car le mensonge de l'Insee, aussi sophistiqué soit-il, laisse des traces. Des mémoires contradictoires. Des noms effacés qui réapparaissent dans d'autres documents. Des frises temporelles incohérentes. Des collusions avouées ("en complément des écritures de la CNIL..."). Ces traces, rassemblées, forment un faisceau de présomptions. Et ce faisceau, un jour, devient une preuve.

Une preuve que l'Insee a menti.

Une preuve que l'Insee et la CNAV se sont coordonnées pour mentir.

Une preuve que le mépris fait à l'intelligence des juges est une stratégie délibérée, calculée, institutionnalisée.

Et cette preuve, même si elle arrive trop tard pour changer le jugement du Conseil d'État, elle servira ailleurs : devant d'autres juges, dans d'autres procédures et pour d'autres victimes.

Car le mensonge de l'Insee, aussi précis soit-il dans son exécution, finit toujours par se voir. Il suffit de regarder assez longtemps, assez attentivement.

En attendant, on continue. On documente. On prouve. On refuse le mépris.


Postscriptum : Ce que l'Insee sait et ne dit pas

Il reste une question, la plus simple de toutes : pourquoi l'Insee refuse-t-elle de communiquer les dates de création des deux NIR ?

La réponse ne fait guère de doute. Ce n'est pas parce que l'Insee ne connaît pas ces dates. L'excuse du "système informatique de 2010" est une pirouette, nous l'avons vu. Les dates existent, quelque part, dans les « archives » de l'institut.

Non. Si l'INSEE refuse de communiquer ces dates, c'est parce que les fournir reviendrait à admettre une vérité dévastatrice : l'identité frauduleuse (NIR 99039, A.B.R.N.) a été introduite dans le Répertoire National après la naturalisation du citoyen. Des années, peut-être des décennies après.

Cette simple information – une date – établirait la preuve irréfutable de la falsification du RNIPP. Elle montrerait que quelqu'un, quelque part, a créé de toutes pièces une fausse identité et l'a injectée dans le fichier central de l'état civil français. Un faux en écriture publique caractérisé.

Mais il y a plus troublant encore. L'Insee n'est pas à l'origine de cette falsification. Ce n'est pas elle qui a créé le faux. C'est la CNAV (=> ici).

La CNAV gère le Système National de Gestion des Identifiants (SNGI), une base de données distincte du RNIPP mais synchronisée avec lui. Lorsque la CNAV crée un faux dans le SNGI – même un NIR frauduleux, même un NIR sous une fausse identité – ce NIR et cette identité se retrouvent automatiquement dans le RNIPP de l'Insee par synchronisation informatique.

Autrement dit : la CNAV fabrique le faux, l'introduit dans ses bases, et ce faux migre mécaniquement vers le RNIPP de l'Insee. L'Insee devient ainsi, contre son gré peut-être, le réceptacle d'une fraude commise par un autre organisme.

Mais en refusant de communiquer la date de création du NIR frauduleux, l'Insee fait un choix celui de l'amalgame. Le choix de ne pas dénoncer le faux. Le choix de ne pas clarifier quelle identité est la vraie (A.R.N., créée avant la naturalisation) et quelle identité est le faux (A.B.R.N, créée après).

En maintenant ce flou, en entretenant cette confusion entre l'état civil légitime et l'état civil fabriqué, l'Insee se rend complice. Complice de la CNAV, qui a créé le faux. Complice de l'Agirc-Arrco, qui a déclenché la chaîne frauduleuse. Complice de Malakoff Humanis prévoyance, qui a utilisé ce faux pour bloquer les droits du citoyen.

Car tous ces organismes savaient. Ils savaient qu'il y avait deux identités. Ils savaient que l'une était légitime, l'autre frauduleuse. Et ils ont choisi, collectivement, de ne rien dire. De ne rien corriger. D'utiliser ce faux, sans aucun scrupule, pendant des années.

Et maintenant, devant le Conseil d'État, l'Insee refuse encore de dire la vérité. Il refuse de donner les dates qui prouveraient tout. Il préfère invoquer des systèmes informatiques, des refontes de 2010, des frises temporelles incohérentes.

L'Institution préfère mentir plutôt qu'admettre qu'elle couvre une fraude commise par d'autres.

C'est cela, la complicité administrative. Ce n'est pas toujours une participation active à la fraude. C'est parfois, simplement, le silence. Le refus de révéler ce qu'on sait. Le choix de ne pas communiquer une date.

Une seule date. Deux chiffres : l'année de création du NIR frauduleux.

Si l'Insee la donnait, tout s'écroulerait. La chronologie frauduleuse apparaîtrait au grand jour. Les responsabilités seraient plus rapidement établies. Les coupables plus rapidement identifiés et punis.

Alors l'Insee se tait. Et en se taisant, elle devient complice.

Voilà ce que cache le refus de communiquer. Voilà ce que signifie ce silence administratif, ce mépris fait à un citoyen qui demande simplement d'accéder à ses propres données.

Ce n'est pas de l'incompétence. Ce n'est pas un bug informatique. C'est un choix. Le choix de protéger un système plutôt qu'un citoyen. Le choix de couvrir une fraude plutôt que de la dénoncer.


Et pourtant, l'Insee persiste dans cette voie :
L'Insee en demandant au Conseil d'État de valider l'absence de données fiables avant 2010 prend un risque institutionnel majeur. Si le Conseil d'État accepte cette thèse, cela créera une jurisprudence explosive : le gardien du RNIPP depuis 1946 aurait perdu la traçabilité de décennies d'enregistrements. Une telle reconnaissance ébranlerait la confiance dans l'ensemble du système d'identification français.

Par ailleurs le système présente des vulnérabilités (voir ici), plusieurs hypothèses pourraient alors expliquer cet entêtement.

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