Expulsé du colloque Iliade sous l’accusation de vouloir rédiger des articles défavorables, l’expression « article à charge » bégayée par un jeune militant caricaturalement « émotif » ne m’a pas intrigué longtemps.
Le terme « reportage à charge » venait d’être utilisé en réaction à un reportage diffusé le 16 février 2022 au 20h de France 2 concernant Academia Christiana, une structure qui organise des universités d’étés chrétiennes-identitaires. Le reportage pointait la radicalité de l’association, illustré de pittoresques vidéos dont celle montrant cet aumônier de l’association qui, en soutane, tire au fusil lors d’une séance de ball-trap. Academia Christiana tenait un stand au Colloque Iliade.
Je me suis en revanche demandé ce qui, dans ce colloque, était si vulnérable face à un article ou reportage « à charge ».
A priori ce ne sont ni les stands ni les invités du colloque, « mutatis mutandis » équivalents à ceux présents depuis que le GRECE a commencé à organiser des colloques, il y a un demi-siècle.
Peut-être des interventions du colloque ? Mais on n’organise pas un colloque public pour y tenir des propos qui doivent rester secrets. Surtout que les organisateurs qui partagent depuis des décennies une culture du « discours interne » différent du « discours externe » ne sont pas des novices en matière de niveau de langage.
Permanence et renouvellement des identitaires
C’est bien la nouvelle droite, y compris son noyau païen, qui est la force motrice de toute cette entreprise, comme en témoignent les références (Dominique Venner), les idées exposées dans le Manifeste de l’institut Iliade, les intervenants de ce 9ème colloque (Alain de Benoist, Philippe Conrad, Lionel Rondouin) et de tous les précédents.
Les identitaires semblent co-architectes de l’entreprise, a minima partenaires.
Les identitaire lillois tiennent le stand de La Citadelle, la Maison de l’Identité de Lille, non loin du stand d’Academia Christiana fondée par un dirigeant du courant identitaire, Julien Langella, face au stand d’Europa Diffusion, leur maison de diffusion niçoise.
Si « émotif » qui faisait le zouave ne venait pas du groupe parisien éponyme récemment dissous, ni de la Cocarde étudiante qui a tenu à publier la photo de groupe de sa participation au colloque, il aurait pu naviguer en marge d’un groupe identitaire.
Affichage des activités identitaires dans l’univers chrétien
Academia Christiana vendait Catholique et Identitaire, de la Manif pour tous à la reconquête publié en 2017 par son fondateur. Mais comme le souligne la brochure Programme du colloque : « L’association accueille chaque année lors de son université d’été de nombreux orateurs de l’Institut Iliade (Jean-Yves le Gallou, Guillaume Travers, Rémi Soulié ). »
Le Programme politique d’une génération dans l’orage d’Academia Christiana est rédigé en particulier par des militants de la Nouvelle droite. Certaines contributions étonnent pour un mouvement de jeunesse catholique, comme celles de Thibaud Gibelin et de Jean-Yves Le Gallou, fidèles soutiens ou issus d’Europe Jeunesse, la troupe de scouts païens des familles du GRECE.
Le phénomène n’est pas pour autant récent : le GRECE avait su fasciner des religieux lefebvristes. Aujourd’hui l’abbé Guillaume de Tanoüarn (ex-lefebvriste revenu sous le giron du Vatican) ne manque pas une occasion d’afficher sa volonté de dialogue avec ce courant, et une publication catholique comme Monde et Vie accueille des contributeurs issus de la Nouvelle droite et recense souvent avec bienveillance les ouvrages de ce courant.
La sensibilité païenne reste néanmoins expressément présente à ce colloque. La revue trentenaire mais confidentielle Solaria est vendue, avec ses calendriers solaires païens, par son rédacteur en chef. Des stands artisanaux d’objets « nordiques » vendent certains objets plus « nazis » que « nordiques », exposant et proposant de réaliser sur commande des « Tour de Jul ». Cet objet est central dans le culte païen prôné par les cadres du GRECE, et aussi dans le culte païen que Himmler imposa aux SS. Mais là non plus, nulle nouveauté, il fut un temps où l’objet était en vente au local du GRECE pour 100 francs.
Même la jeune pâtissière qui propose ses gâteaux, affirmant "vivre au fil des saisons" et "privilégier les circuits courts", vient d’Europe Jeunesse, où elle milita avec ses sœurs tandis que leur père, journaliste de la mouvance, intégrait la rédaction d’éléments.
Dans un coin du hall, deux femmes diffusent la luxueuse revue trimestrielle The European Conservative, éditée en anglais à Budapest et soutenue par des fondations conservatrices de Budapest, Vienne et Rome. On y trouve des publicités pour des livres conservateurs ou catholiques du Brésil, voire de France pour une librairie de droite radicale de Nancy et pour une école bilingue catholique de Vendée.
Iliade ou « Institut Iliade pour la longue mémoire européenne »
« Racines », premier chapitre du Manifeste d’Iliade, assène « Toute pensée de l’ordre social se construit sur une vision de l’homme. A l’homme abstrait et interchangeable nous opposons des fondements anthropologiques concrets : nos enracinements biologiques, familiaux, politiques et civilisationnels ». « La première appartenance de l’homme est biologique ». « Depuis le quatrième millénaire avant l’ère chrétienne, aucun apport nouveau significatif n’est venu modifier l’héritage génétique européen ». Et une « communautarisation » est indispensable pour « refaire un peuple ».
L’institut s’insère aussi dans un temps moins long, celui permettant de forger/former les cadres des courants identitaires. D’où la présence d’autres structures de formations, telle Academia Christiana, mais aussi l’Issep de Marion Maréchal, l’Institut de Formation Politique, ou GegenUni, contre-université des identitaires germanophones. De ce point de vue, les droites radicales ont su progresser depuis une décennie.
Evocation de la perspective de la guerre, la violence, rituelle chez les ethno-nationalistes depuis 25 ans
Une session du colloque s’intitule : Guerre ethnique ou guerre civile ?
Le gréciste Romain Petitjean questionne : « Nous sommes dans un contexte presque de guerre civile larvée, comment faut-il qualifier ce conflit potentiel ? est-ce une guerre civile, une guerre ethnique du fait de ces poches d’allogènes qui s’installent en France? ». Laurent Obertone lui répond que c’est plus compliqué, que même dans le camp autochtone les auditeurs du colloque Iliade ne se retrouveront pas du même côté de la barrière que Yann Barthès[i] par exemple.
Pas trace non plus de ces propos dans les actes du colloque, mais la vidéo est disponible sur YouTube via le site d’Obertone.
Ni des propos belliqueux de Paul Marie-Marie Coûteaux, rapportés dans la version en ligne de l’Express, « l’ancien haut fonctionnaire, passé par les rangs du RN ira même jusqu’à avouer son " obsession " pour " la dimension salvatrice de la guerre ". Car il en est certain : le " grand chamboulement historique se fera par la violence " ». Hélas, impossible de resituer ses propos dans leur contexte : pas trace de la « table ronde » Etat régalien et communautés organiques : quel équilibre ? qui a réuni Pierre Marie Coûteaux et Alain de Benoist [ii]. En lieu et place du compte-rendu, Livr’arbitres publie un long texte d’Alain de Benoist intitulé « La crise actuelle de la démocratie ».
Le chiasme grand-remplacé : les ethno nationalistes veulent-ils assumer à nouveau le terme « racistes » ?
L’intervention de Renaud Camus veut initier une césure dans le maniement des idées et des mots par les droites radicales. Il entend clore le cycle entamé en 1975 par Alain de Benoist qui avait mené la contre-attaque face à l’accusation de racisme en se proclamant « contre tous les racismes », en chargeant certes cet antiracisme d’un contenu propre à ces courants. En 2022, Renaud Camus estime son camp ethno-nationaliste assez fort pour changer suffisamment le sens des mots, racisme et racistes, pour les assumer, les reprendre à leur compte.
S’il était suivi dans son coup de force linguistique, et rien n’est moins sûr aujourd’hui, cela marquerait une étape essentielle dans la restructuration du champ idéologique des droites radicales.
Inutile de chercher l’intervention de Renaud Camus dans la brochure des actes du colloque, éditée par la revue Livr’arbitres : le texte de l’intervention de Camus a été « grand remplacée », radicalement remplacée, car, à sa place, on peut lire, sans que ce point soit mentionné, le 58ème mini-chapitre (sur 204) de La Dépossession, dernière publication de Renaud Camus[iii].
Peut-être Iliade voulait-il éviter, que sortent, juste avant le premier tour des présidentielles, des articles du genre « un millier de partisans de Zemmour applaudissent l’idée de s’assumer comme « racistes » », ou « des adeptes du paganisme des SS plastronnent au milieu des partisans de Zemmour ».
Le texte qui contribue au silence sur le contenu de l’intervention sur les races de Renaud Camus s’intitule Races et Silence !
René Monzat
[i] Ce journaliste, animateur de l’émission Quotidien sur TMC, symbolise « la Tyrannie des biens-pensants » pour Valeurs Actuelles
[ii] Un compte rendu du colloque publié sur le site d’Iliade en dit seulement que « Les deux intellectuels s’accordent sur le fait que la privatisation de la politique est le principal ennemi »
[iii] La Dépossession, Editions du Château, 2022. (827 pages), publié aussi par La Nouvelle Librairie.