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Billet de blog 31 mars 2015

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La défiance monte : le salaire de nos élus les corrompt

Il est aujourd'hui courant de croiser un journal titrant sur la crise qui affecte la « démocratie » française : une « crise de confiance ». Selon les mots du Président François Hollande, nos élus se doivent de représenter une République « exemplaire », garante de la confiance des citoyens en leurs gouvernants. Nicolas Sarkozy, avait souhaité quant à lui une République « irréprochable ». Quelles garanties fournit-on donc à de telles promesses ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est aujourd'hui courant de croiser un journal titrant sur la crise qui affecte la « démocratie » française : une « crise de confiance ». Selon les mots du Président François Hollande, nos élus se doivent de représenter une République « exemplaire », garante de la confiance des citoyens en leurs gouvernants. Nicolas Sarkozy, avait souhaité quant à lui une République « irréprochable ». Quelles garanties fournit-on donc à de telles promesses ?

Car pendant ce temps, le baromètre de la confiance politique du Cevipof nous indique que la défiance et la morosité des Français, augmente... sans blague ! Cette défiance est analysée comme une maladie du rapport des citoyens à leurs gouvernants et leurs élites qui n'envisagent qu'un effort : le « principe de transparence ».

Episode 3 : Comment se justifie le haut salaire de nos élus ?

Le premier moyen pour inciter à l'exemplarité est historique, c'est le haut salaire que perçoivent les grands responsables publics. Comment cette rétribution se justifie-t-elle ? Sur le papier, elle « permet à tout citoyen de pouvoir prétendre entrer au Parlement et garantit aux élus les moyens de se consacrer, en toute indépendance, aux fonctions dont ils sont investis » (assemblee-nationale.fr). Toujours en principe, l'autonomie financière doit, en outre, garantir nos élus de l'influence des milieux d'argent (industriels, banquiers, financiers, patrons). Elle doit garantir de la tentation de la corruption individuelle pour des intérêts propres qui les détourneraient du service de l'intérêt commun.

Depuis les lois votées le 11 octobre 2013 suite à l'affaire Cahuzac, le second moyen mis en œuvre pour forcer l'exemplarité des élus en France, c'est la contrainte à réduire l'opacité autour de leurs propriétés et de leur capital financier personnels. Désormais, la Haute Autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP) existe pour s'occuper de contrôler cela et rendre accessible au quidam la déclaration de patrimoine et d'intérêts de nos représentants.

Voici les deux solutions pour résoudre la crise de confiance et les défaillances qui affectent la République. Pourtant, nous avons vu dans un épisode précédent qu'alors que la législation se renforce autour de la transparence, la défiance ne cesse d'augmenter. Toutes les informations que nous allons relayer ici sont publiques. Alors pourquoi se scandaliser ? Parce que l'avantage réel de la transparence que prescrivent aux politiques leurs conseillers en com', c'est avant tout de faire passer pour normales des informations dont tout le monde finit par se contreficher et qui, si elles étaient révélées par d'autres, seraient jugées intolérables. Si on s'y attarde, pourquoi les solutions et leurs justifications ne tiennent pas ?

Sénateur ouin-ouin. Le premier moyen pour garantir l'honnêteté de la République, c'est donc le haut salaire que perçoivent les grands responsables publics. Mais que se passe-t-il si l'on titille les hommes politiques chers payés ? Ils répliquent qu'ils sont toujours moins rétribués, à responsabilité égale, que dans le privé. Dans le numéro 401 (septembre 2014) de la revue économique pour l'élite Challenges, le sénateur UMP de la Meuse et ancien ministre de la Défense Gérard Longuet déclare ainsi : « Je considère que je suis mal payé. Ma rémunération est équivalente à celle d'un DRH de PME ou d'un pharmacien, alors que j'œuvre pour l'intérêt du pays. Quant à l'indemnité de mandat, elle couvre à peine mes frais d'essence, de cérémonies, de communication et de double résidence. »

Les faits désormais. Un sénateur touche 5 388 euros net par mois. À cela s'ajoute une indemnité de 6 037 euros par mois qui sert à couvrir les frais de mandat pour lesquels il ne leur sera demandé aucun justificatif. Enfin, il dispose encore de 7 500 euros par mois afin d'employer des collaborateurs qui, nous « révèle » l'article, peuvent, en toute légalité être le conjoint ou un membre de la famille du sénateur. Nous avons fait l'addition. On obtient une enveloppe totale de 18 925 euros mensuels.

En plus, la fonction sénatoriale permet de bénéficier de la Caisse de Sécurité Sociale des Sénateurs qui garantit une protection sociale forte, lorsqu'ils soutiennent la diminution des aides et des prestations sociales pour le reste de la population. Elle permet également de cotiser bourgeoisement à la Caisse des Retraites des Anciens Sénateurs, lorsqu'ils valident la réforme d'allongement des départs à la retraite. La pension mensuelle moyenne d'un ex-sénateur s'élève à environ 4 537 euros net, et la dite caisse disposait fin 2008 de 575 millions d'euros de réserve, parce que cet argent capitalisé est bien « placé » par des gestionnaires afin de générer des intérêts constants. Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise, lorsqu'il s'agit de faire subir une cure d'amaigrissement aux secteurs de service de l'État (Santé, Éducation, etc.).

Quant aux fameux frais d'essence de Longuet, un encadré nous précise que tout sénateur dispose de la gratuité des transports sur le réseau SNCF (en première classe) et de 40 aller-retours en avion entre Paris et son département, de quoi le mettre littéralement en orbite. Le titre de l'article résume tout ou presque : « Sénat. Bienvenue au club ». On aurait préféré « Sénat. Bienvenue chez les rentiers ». Car il n'y a personne, et surtout pas le journaliste de Challenges, pour répondre à l'impudence de Gérard Longuet que, c'est justement parce qu'il est censé œuvrer pour l'intérêt du pays, qu'il ferait mieux de la fermer.

Le Sénat est peut-être un exemple extrême, voire galvaudé, inutile de s'emporter. C'est pourquoi la perversité d'un tel article de Challenges est qu'il est gagnant à tous les coups. Il rapporte les jérémiades et les justifications d'un secteur politique public sclérosé. Vous pouvez les accepter, trouver leur club huppé et classe, ça sera bénef pour Longuet et ses copains notables. Si, à l'inverse, vous trouvez son discours scandaleux, les pages suivantes du magazine, consacrées aux vertus des grands patrons et autres cadres du secteur entrepreneurial privé, vous mettront sur la voie de leur bénéfs à eux, à stimuler le mépris des institutions. Les réformes pour « libéraliser l'économie », faire sauter les « tabous » et les « archaïsmes du système » (social), deviennent nécessaires ; Longuet en est la preuve mais aussi le complice. Ça glisse velours ou ça passe crème, du pareil au même.

Après les départementales et l'échec du PS, la pseudo « alternative en marche » de l'UMP (retour de Sarkozy) et l'ancrage du FN, le Premier Ministre Manuel Valls annonce une priorité à « l'emploi, l'emploi, l'emploi ». Pour preuve, une loi Macron II serait prévue pour cet été. Après un passage remarqué à l'émission Des paroles et des actes, Emmanuel Macron affiche toujours le même objectif : « déverrouiller l'économie française » (que des jeunes chômeurs veuillent devenir milliardaires ?), poursuivre le « choc de simplification » (avec un 49-3 II pour contourner l'Assemblée cet été et valider l'autoritarisme du régime ?). Il s'agit de favoriser la reprise et l'emploi. Comment ? En favorisant le licenciement économique, logique ! Bref, en augmentant le rendement du capital et en baissant le coût du travail pour délier les mains des patrons et des entrepreneurs qui créent, dit-on, la richesse. Le MEDEF propose déjà un CDI « sécurisé ». « Il faut faire confiance aux entreprises » rabache Pierre Gattaz au Figaro.

Le Sénat n'en est donc pas moins représentatif (c'est sa fonction après tout) d'un fait : le haut salaire de l'élu ne garantit rien. Il ne garantit pas que nos représentants se mettent au service de l'intérêt commun. Bien au contraire, on est en droit de s'interroger : le salaire de l'élu n'est-il pas juste assez confortable pour le faire décrocher des intérêts de la majorité, de sa précarité, de l'exploitation qu'elle subit ? Et le salaire de l'élu n'est-il pas juste assez confortable pour lui permettre de se projeter dans les intérêts des capitaines d'industries, des grands cadres d'entreprises qui s'en mettent plein les fouilles, et qui l'invitent, en fin de mandat, à rejoindre leurs conseils d'administration ? La vigilance sentinelle des citoyens commence ici, avec cette intuition de défiance qui n'a rien d'un fantasme.


Au prochain épisode

Le deuxième moyen pour garantir l'exemplarité : la HATVP.

Lire l'épisode 2

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