En créant Médiapart, ses fondateurs ont voulu que ce journal soit un journal participatif, et pour cela ont doublé le journal d’un Club, lieu d’expression des lecteurs. Quel en est l’objectif ? Il est double : démocratique et politique. Cela part d’un constat qu’il n’y a pas de démocratie sans débat, sans large ouverture à la diversité des points de vue, à l’expression des divergences et des idées neuves. Mais pour que la démocratie s’enrichisse du débat il faut que le débat respecte quelques règles.
Une discussion démocratique suppose que les participants sont en recherche qu’ils ne sont pas persuadés de posséder la Vérité. Ils sont en réflexion, ils s’interrogent et cherchent chez l’autre tout ce qui conforte leur opinion ou ce qui la remet en question ou ce qui les surprend. Alors il ne « s’agit pas de lutter contre mais de chercher avec » (Michel Tozzi). Les interlocuteurs ne sont pas des adversaires mais des partenaires. Il ne s’agit pas de terrasser l’autre mais de trouver ensemble des faits, des arguments permettant à l’un et à l’autre de se rapprocher d’une vérité qui s’échappe toujours. Nous passons alors « du rapport de forces à un rapport de sens » (M.Tozzi). Et comme nous sommes plus intelligent à plusieurs que seul, nous en tirons tous profit.
Pour cela il est préférable de savoir de quoi l’on parle, de préciser la thèse que l’on défend, s’appuyer sur des faits, sur une histoire, des références et puis de développer une argumentation.
En quoi cela concerne-t-il la vie du Club ? Quelques séries de commentaires ne rentrent pas dans ce cadre rapidement esquissé d’un débat démocratique, mais, parfois, participent plus d’une bataille de rue où voudrait avoir raison celui qui crie le plus fort, celui qui intimide ses adversaires, celui qui répète le plus longtemps la même opinion . Il y a les « commentaires inintelligibles, ceux sans argumentation, ceux qui ne se soucient pas de faire partager une thèse, une position, une information, une objection ou une question aux autre lecteurs » (blog de Catherine Kintzler).. Ceux-là aucun fait, aucun argument ne viendra ébranler leurs certitudes. Ils considèrent le Club comme un lieu où tous les coups sont permis. Le résultat désiré par eux est que Médiapart ou, tel interlocuteur qu’ils poursuivent de leur vindicte, rende les armes et qu’ils puissent s’afficher le pied sur la dépouille arborant le sourire béat du chasseur de fauves. En se répétant à longueur de fil ils espèrent, à défaut d’être entendu, gagner par abandon ou par occupation du terrain. Le résultat dommageable est que de très nombreux lecteurs ne participent pas au Club et que des blogs passionnants disparaissent sous une multitude de commentaires stériles.
Cela n’empêche pas l’échange d’être vif, les positions contradictoires, la formulation imagée, l’humour, mais le respect de l’autre est un impératif
Le Club peut être un bien commun, ce lieu créé par Médiapart où , dans le cadre qu’il a fixé , nous acceptons les règles permettant à chacun un dialogue avec un public nombreux qui est le lectorat de Médiapart et non celui d’un lecteur. « Il ne peut être pensé comme un lieu dont tout le monde aurait la libre jouissance, mais comme un système de coopération et de gouvernance permettant de préserver et de créer des formes de richesse partagée. Cette approche implique des formes plus ouvertes et responsables de participation » (David Bollier La renaissance des communs). Ce bien commun du Club suppose que nous nous accordions sur les règles du « écrire ensemble » et du « penser ensemble ». du "rire ensemble". L’absence de gouvernance et de règles a été l’argument essentiel des accapareurs pour prétendre que la seule réglementation efficace est celle liée à la propriété privée et ainsi justifier l’enclosure. Cette position est résumée par Garrett Hardin :« La liberté dans un commun entraîne la ruine de tous » (cf. la tragédie des communs 1968). C’est l’avis d’Alain Finkielkraut qui considère que la liberté de parole sur internet en fait l’égout de la pensée. La conséquence pour l’expression des lecteurs dans les médias? Un courrier des lecteurs absent (Le canard enchaîné) ou l’existence d’un modérateur qui filtre les opinions jugées intéressantes. Ce type de gestion présuppose que des règles de bon fonctionnement ne sont pas suffisantes et en conséquence n’est publié que ce qui intéresse le journal.(Cf la sélection drastique au Monde au Nouvel Observateur ou Télérama…). Médiapart n’a pas choisi cette solution. Il a créé un lieu d’expression libre des lecteurs avec des règles (la Charte) mais sans « modération » préalable. Je le disais déjà dans un billet précédent : Au lieu de considérer cette participation des lecteurs de Médiapart comme une richesse, certains l’exploitent comme on exploite la faiblesse d’un adversaire.
Aucun droit de publication ne peut être revendiqué par un commentateur. La « censure » d’un commentaire dans le club de Médiapart ne restreint nullement sa liberté puisqu’il est possible de s’exprimer ailleurs, de créer son propre site ou journal et de se donner une charte à sa convenance ; se créant ainsi son propre lectorat avec ses propres règles de débat. Cette « censure » n’est que la condition de la liberté de tous comme la limitation du temps de parole dans une assemblée est la condition d’une possibilité de parole de tous.
Nous sommes dans les premiers balbutiements des nouvelles possibilités de la révolution technologique qu’est internet. Interrogeons nous sur les conditions qui permettent à chacun d’y exercer sa liberté de parole.