Nés dans un contexte juridique plutôt confus, les quatre mois de débats publics consacrés au projet Arc Express et Grand Paris représentaient un réel examen de crédibilité pour cette procédure de démocratie participative. Si les commissions des débats publics ont très honorablement répondu aux défis complexes qui leur étaient soumis, beaucoup reste à faire pour la participation des habitants aux projets de transports et d'urbanisme induits par le Grand Paris.
Nous avons eu l'occasion d'aborder les débats publics sur les projets de métro automatique une première fois peu après le vote de la loi relative au Grand Paris, puis peu après le lancement des débats à propos de la question plus précise des contrats de développement territorial.
Comment comprendre la tenue de deux débats publics distincts sur des projets concurrents mais relativement similaires et sans doute appelés à converger à terme ? Nous émettions à l'époque des doutes quant à la capacité du « citoyen lambda » à s'investir dans ces débats. Premièrement du fait de cette extrême complexité juridique, deuxièmement quant au fort retentissement politique et médiatique de ce sujet, qui laissait dubitatif quant aux chances de la population de se faire entendre. Troisièmement, le manque de temps de préparation du débat sur le Grand Paris laissait craindre des difficultés pour la CPDP (commission particulière du débat public) à développer les méthodes de participation innovantes qui eussent convenu à un sujet si ample thématiquement et géographiquement.
Faut-il regretter la faible participation de « Monsieur tout-le-monde » ?
Une soixantaine de réunions publiques plus tard, peut-on dire que les citoyens franciliens ont réussi à s'intégrer à la « caravane du débat » ? Pas exactement hélas, bien que le bilan des débats nous semble pour autant positif à plus d'un titre. Certes, malgré les 20000 visiteurs du site internet, contributeurs, auteurs de questions ou participants aux réunions, il semble exagéré de dire que le citoyen « de base » ait pleinement trouvé sa place. Les discussions passionnées entre les participants abonnés aux réunions publiques (la fameuse « caravane » sus-citée) ne doivent pas nous faire oublier qu'une proportion très réduite, et sans doute aucunement représentative, des 11 millions de Franciliens sont passé « à côté » de ces quatre mois décisifs pour l'avenir du Grand Paris. Pourquoi dès lors parler d'un bilan positif en matière de participation du public ?
D'une part, du fait de sa couverture médiatique de grande ampleur : alors que de nombreux débats publics peinent à mobiliser la presse, le retentissement médiatique du Grand Paris est incomparable dans l'histoire de la procédure. Appliquée à un sujet de conflit politique complexe, impliquant des personnalités de premier ordre, et concomitants à une actualité marquée par les difficultés connues par les transports en commun, la procédure du débat public a ainsi bénéficié de la notoriété du Grand Paris pour mieux apparaître dans l'espace médiatique. Surtout, les débats publics ont connu une mobilisation aussi générale qu'inhabituelle des élus locaux. Le principal risque encouru par le débat public était celui d'une procédure d'affichage, déconnectée des enjeux réels qui se seraient négociés dans le secret entre collectivités et Etat. Il est vrai également que plusieurs élus locaux ou parlementaires rechignent généralement à participer à cet exercice de dialogue direct avec la population ; pour certains parfois, le principe d'équivalence qui régit le débat heurte la position de l'élu français en tant que seul dépositaire de l'intérêt général. Or, et c'est peut-être ce qui rendra ces débat historiques, l'ensemble des élus locaux a ici remarquablement joué le jeu. De multiples collectivités et leurs représentants ont pris position, souvent à la suite d'un travail commun au-delà des périmètres communaux. Le succès des cahiers d'acteurs (prises de position officielles des parties prenantes au débat), puisqu'un nombre record de 250 environ ont été publiés, traduit des prises de position argumentées, écrites et publiées, où de véritables projets de territoire sont ébauchés. Ainsi, si la population francilienne n'a guère participé au débat, du moins ses représentants élus s'y sont-ils pleinement investis et ont pris des positions qui n'ont pas manquée d'être relayées voire débattues dans les différentes collectivités. De même, la participation de plusieurs partis politiques, associations et entreprises signifie autant de réseaux d'information et de débats qui ont pu toucher différentes catégories de citoyens, militants ou salariés. Enfin, l'accord final Etat-Région correspond bien au contenu des discussions publiques, jusque d'ailleurs dans les désaccords qu'il maintient (desserte du plateau de Saclay notamment).
On peut aussi juger positivement des débats en matière de participation publique, malgré la faible participation de « Monsieur tout-le-monde », tout simplement parce que les CPDP n'avaient guère les moyens de faire mieux. Alors que certains maires ont déploré l'insuffisance selon eux d'affichage public dans leur commune, voire l'absence de distribution de tracts, ne fallait-il pas dès le début faire notre deuil d'une intervention en masse du grand public ? Si le « simple citoyen » participe peu au débat public, c'est sans doute moins à cause de l'insuffisance de moyens de communication que de freins sociologiques plus divers (complexité des sujets, réticence à prendre la parole en public, doute sur les effets réels de la participation, prédominance de l'écrit,...) Plutôt que pour accroissement des moyens de participation, nous plaiderons ici pour la diversification des outils d'expression, associant les pratiques plus variées issues du monde associatif (université du citoyen, théâtre-forum, interventions dans l'espace public,...) aux panels de citoyens (jurys de citoyens, sondages délibératifs). Si ces derniers ils constituent par définition des outils fermés, ils permettent en revanche d'approcher davantage la représentativité sociologique des participants. Vouloirs instituer de tels panels en lieu et place des débats publics serait une absurdité, car cela renierait le caractère ouvert de la procédure. En revanche, les intégrer aux côtés des autres outils de débat, quitte à les financer par des économies sur certains moyens de communication, paraît de nature à apporter un enrichissement certain.
Si l'on peut regretter l'absence de formes de participation innovantes au cours des débats sur Grand Paris et Arc Express, les CPDP n'en sont pas pour autant à blâmer, compte tenu du temps de préparation inhabituellement court que leur a laissé la loi. Dans ces conditions, assurer sans accroc apparent l'organisation de débats de qualité sur un sujet si vaste et dans un contexte politique si complexe ne peut au contraire qu'être salué.
Des débat positifs, s'ils se traduisent par des concertations locales approfondies
Cependant, malgré les réussites des débats publics, il serait inopportun de considérer que la population francilienne a été consultée. La participation du public ne fait ainsi que commencer, ce dont les élus locaux devront tenir compte lorsque les réflexions sur le schéma d'ensemble du réseau de transport se déclineront station par station à l'échelon local, c'est à dire dès maintenant. Au-delà des transports, le métro automatique est un moteur de projets urbains locaux, ce que les prises de position des collectivités au cours des débats ont confirmé. Or, si les populations locales peinent à se mobiliser sur des sujets aussi vastes que le Grand Paris, elles se montrent en revanche bien plus promptes à intervenir sur les questions d'urbanisme à l'échelon communal. On ne saurait trop conseiller ainsi aux élus locaux de ne pas se fier aux nombreux points de consensus issus du débat, qui ne présagent aucunement de situations aussi apaisées lors de l'élaboration des projets urbains. Au cours du débat, seuls des habitants de Saint-Maur ont fortement exprimé leurs craintes quant aux répercussions urbaines d'une station de métro. Pour autant, cela ne veut pas dire que de telles oppositions n'émergeront pas en d'autres points de la région à mesure que les projets de territoire prendront une dimension plus concrète. En effet, de nombreux non-dits demeurent, qui sont autant de ferments potentiels de conflits. Le débat a ainsi validé la nécessité partagée de lutte contre l'étalement urbain et, Saclay mis à part, largement confirmé le rôle structurant d'un métro automatique en la matière. Toutefois, dans le même temps, « densification » reste un mot honni dans les collectivités, et des prises de paroles éparses ont confirmé des craintes latentes, par exemple « vous allez sarcelliser Versailles ». Le débat public n'a pas permis de définir comment dans le même temps lutter contre l'étalement urbain et ne pas densifier les centres-villes : tout au plus a-t-on entendu des appels à remplacer « densification » par « intensification ».
Il appartiendra à chaque collectivité (en négociation avec l'Etat pour celles concernées par un contrat de développement territorial) de trouver autour de ses station de métro son propre équilibre entre production de logement, création d'emplois, mixité sociale, espaces verts, équipements publics, etc. Dans l'élaboration de ces projets urbains, les élus et agents territoriaux ont un intérêt certain à ne pas attendre les enquêtes publiques pour consulter la population.
D'une part, il n'est pas possible de considérer que les débats publics sur le Grand Paris et Arc Express ont suffi à associer la population : portant sur de grands projets de réseaux de transport, ils n'avaient pas pour objet d'examiner en détail les projets des collectivités territoriales, dont la société du Grand Paris a plusieurs fois rappelé la responsabilité en la matière. Rétorquer à des citoyens locaux qu'ils ont déjà été consultés sur les projets urbains serait quelque peu abusif, même si réciproquement le temps du débat sur la localisation des stations de métro semble quant à lui bien clos.
D'autre part, en fonction des contextes locaux, il peut être nécessaire de lever certains non-dits liés à l'idée de densification urbaine mais aussi aux identités locales. En proche couronne par exemple, combien d'élus locaux et de citoyens affichent-ils ainsi un combat pour préserver le « caractère villageois » de leur commune, de plusieurs dizaines de milliers d'habitants ? Combien de citoyens défendent farouchement leur bien contre tout risque réel ou fantasmé de baisse de valeur, alors que d'autres s'inquiètent au contraire d'une montée de l'immobilier qui les contraindrait à déménager ? Entre nostalgie illusoire d'un passé à jamais révolu, crainte de voir les projets urbains se traduire automatiquement par des tours et des barres, défense d'une propriété durement acquise et peur de l'arrivée de populations nouvelles, plusieurs facteurs plus ou moins rationnels sont de nature à susciter des oppositions aux projets d'aménagement qui ne tiendraient pas suffisamment compte de l'état d'esprit de la population. Selon les villes concernées, il est possible que les décideurs locaux se voient confier un travail de dialogue important avec la population pour concilier une réalisation de projets urbains nécessaire pour l'intérêt général avec les préoccupations des habitants. Les élus locaux auront la tâche de réaliser l'équilibre non seulement entre leurs convictions et les opinions de leurs administrés, mais aussi avec l'Etat, chargé de veiller à l'équilibre du développement de l'Ile-de-France.
Même pour les plus réfractaires à l'idée de participation du public, ce dialogue avec la population semble opportun. Si un métro automatique peut être pensé comme un facteur de développement global pour la région Ile-de-France, comment ainsi ne pas imaginer que les territoires locaux seront à des degrés divers mis en concurrence les uns avec les autres. Du côté obscur de cette concurrence, la répartition des 70000 logements annuels prévus par la loi est un sujet sensible. De son côté plus positif, la concurrence entre territoire émergera aussi en matière d'attrait pour les entreprises. Or, la loi du Grand Paris ayant prévu des délais raccourcis pour les différentes étapes du projet de métro lui-même mais aussi pour l'établissement des contrats de développement territorial, les territoires locaux sont de fait dans l'obligation de suivre cette course de vitesse pour profiter de ces activités et emplois tant attendus du Grand Paris. Or, compte tenu des préoccupations de nombreux citoyens pour les questions urbaines, un projet se passant de concertation publique peut éventuellement susciter des mobilisations et des contentieux de nature à le retarder durablement. Les débats publics ont montré que le dialogue avec le public s'avère vertueux non seulement d'un point de vue moral, mais aussi d'un point de vue stratégique : les travaux menés sur un long terme avec les élus et la population par l'association Orbival n'ont-ils pas débouché sur le tracé le plus consensuel des débats ?
Ainsi, les quatre mois de débats publics auront-ils représenté une réelle avancée dans l'idée de participation du public, à la seule condition que les élus locaux, qui s'y sont largement mobilisés, capitalisent sur cette expérience pour poursuivre et approfondir la concertation avec leurs concitoyens. Les formes et l'ampleur de telles concertations locales seront forcément diverses selon les territoires, mais toutes partagent la nécessité d'être réfléchies dès maintenant. Projet ambitieux et porteur de développement urbain local, le futur métro automatique a soulevé une question qu'il appartient désormais aux décideurs locaux de travailler avec leur population : quel sera le visage de notre commune pour les 50 années à venir ? Equilibrer la préservation du cadre de vie existant, la création d'activité, la production de logements et les multiples aspects de l'aménagement urbain n'est pas un défi nouveau, mais les intenses mutations urbaines induites par le futur métro le rendent désormais d'une actualité incontournable.