Le tronc commun du projet de réforme :
La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron a deux éléments principaux : l’âge légal de 64 ans et la hausse de durée de cotisations à 43 annuités (172 trimestres), pour avoir une retraite à taux plein.
Pour ce qui concerne les annuités, pour une année de cotisation manquante, c’est 5 % de pension en moins (ou encore 1,25% par trimestre manquant), ce qu’on appelle une décote (en supposant que ces trimestres manquent le jour où l'on atteint l'âge légal et qu'on souhaite prendre sa retraite dès cet âge légal). Imaginons l’absence de 10 ans de cotisations (soient 33 annuités), c’est donc la moitié de la pension à taux plein qui disparaît.
Une personne qui continuera de travailler jusqu’à 67 ans pour disposer de 43 annuités disposera donc d’une retraite à taux plein. Mais imaginons que cette personne travaillant jusqu’à 67 ans n’aura cotisé que 35 années, elle disposera d’une retraite à 35/43 de la pension à taux plein.
Le MICO (minimum contributif) « permet aux retraités du régime général de l'Assurance vieillesse de la Sécurité sociale qui ont cotisé sur de faibles salaires de percevoir un montant minimum de retraite de base, appelé minimum contributif. Si votre retraite de base est inférieure, elle est augmentée jusqu'au niveau de ce minimum ».
« Si vous avez au moins 120 trimestres cotisés, ce minimum contributif est de 747,57 € brut par mois. Si vous avez moins de 120 trimestres cotisés au régime général, le montant du minimum contributif est fixé à 684,14 € brut par mois ». Source : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15703
Le gouvernement dans sa loi « propose » la possibilité de travailler jusqu’à l’âge maximal de 70 ans « sans condition », si ce n'est « avec l’accord de l’employeur ». Il est possible que des salariés aimant leur travail le fasse avec plaisir. Mais c’est bien une très petite minorité où on retrouve essentiellement des professions intellectuelles. Et il faut admettre qu’à ces âges-là, on aspire (notre corps, notre mental) à autre chose qu’à bosser. Et quel employeur voudra encore salarier quelqu’un de déjà usé à 67 ans ?
Les grandes perdantes :
Ce sont les classes populaires qui subiront le plus cette réforme. Commençant tôt à travailler, il leur faudrait aller jusqu’à 64 ans (sauf cas de pénibilité du travail reconnue ou quelques cas de carrières longues comme avoir débuté sa carrière à 16, 17 ou 18 ans). Et encore n’avoir pas connu de périodes de chômage non indemnisé. Par exemple, quelqu’un qui a galéré dans sa jeunesse (le chômage tout jeune donc pas indemnisé, suivi d’une série d’emplois précaires) trouvera aussi la galère au moment de prendre sa retraite : soit travailler jusqu’à 67 ans et plus, soit arrêter à 64 ans avec une pension bien maigre.
Certes, le gouvernement prétend vouloir tenir compte de la pénibilité du travail, mais les critères sont restrictifs (et les employeurs doivent jouer le jeu). Par exemple, une vendeuse ou une professeure des écoles qui travaillent debout la plupart du temps, ça ne compte pas comme élément de pénibilité. En fait, le système mis en place pour la pénibilité ne bénéficiera qu’à peu de monde, au regard du nombre de personnes déjà usées à 60 ans ou avant.
Lire aussi mon précédent article de blog : https://blogs.mediapart.fr/rv-richard/blog/070223/reforme-des-retraites-non-au-cas-par-cas-medical
Venons-en aux travailleurs/euses ayant émigré en France :
Le terme immigré couvre beaucoup de situations différentes : quelqu’un venu enfant, des étudiants qui sont restés à l’issue de leurs études, des travailleurs hautement qualifiés, des travailleurs peu qualifiés, des personnes venues pour demander l’asile, des sans-papiers de longue date…
Pour un certain nombre, les problématiques vis-à-vis de la retraite seront tout-à-fait identiques à quelqu’un né en France (âge légal, annuités). Identique sur le papier, il faut quand même voir si leur carrière professionnelle n’a pas été entravée par des discriminations racistes ou sexistes, conduisant à un salaire moindre, des périodes de précarité.
Malheureusement, la retraite ne corrigera pas cela : on en parle beaucoup sur les carrières des femmes (un différentiel de salaire de 28 % (en 2018) pendant la vie professionnelle par rapport aux hommes, 42 % en différentiel par rapport aux mêmes bonshommes à laretraite).
Pour d’autres, ce sera également compliqué. Pour des personnes exilées arrivées adultes en France, leur carrière commence tard. Parfois, il existe des accords entre pays pour prendre en compte le salaire reçu dans l’un ou l’autre pays pour le calcul d’annuités, mais ce n’est pas toujours le cas, notamment du fait de l’importance du travail « informel » dans les pays du Sud ou de régimes de retraite moins bons qu’en France.
Pour disposer de la liste des pays (non-de l'Union européenne) ayant signé une convention de sécurité sociale avec la France, voir ce site de l'assurance retraite. « Le calcul de la retraite pourra tenir compte de l’ensemble de votre carrière, périodes étrangères comprises ». Pourra, mais pas devra !
On y trouve 38 pays comme des pays de l'OCDE (Japon, Canada, Etats-Unis), la Turquie,les pays du Maghreb, l'Inde et plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, la plupart étant d'anciennes colonies françaises (mais pas toutes, on n'y trouve pas la Centrafrique, le Tchad, la Guinée, Madagascar et non plus les pays non francophones d'Afrique, pas plus que des pays d'Asie du Sud-Est comme le Vietnam, le Cambodge). Le site ajoute ceci : « Si vous avez travaillé dans un pays qui n’a pas signé d’accord de sécurité sociale avec la France, votre retraite sera calculée dans chacun des pays, sans tenir compte des périodes validées dans l’autre pays ». Ainsi, dans beaucoup de cas, le système de retraite français ne reconnaîtra pas d'éventuels trimestres de travail réalisés dans les pays d'origine et appliquera donc des décotes importantes.
Pour beaucoup de raisons (carrière trop courte en France, salaires trop bas, périodes de précarité), beaucoup de personnes immigrées feront partie de celles et ceux obligées de travailler jusqu’à 67 ans ou alors disposeront d’une retraite minime à 64 ans. Pour beaucoup de travailleurs et de travailleuses étrangers, ils et elles auront occupé des métiers difficiles : arrivés vers l’âge de 60 ans, beaucoup seront épuisés.
Français/immigrés, hommes/femmes, avec sa réforme, ce gouvernement plonge beaucoup de monde dans la difficulté et ils prétendent néanmoins qu’il s’agit d’une réforme de « justice sociale », destinée à « sauver » les retraites par répartition. Or, la juste répartition doit déjà être pensée tout au long de la vie, notamment professionnelle.
Les aides de l’État :
Si éventuellement, une personne ne dispose pas de suffisamment retraite, il existe les aides de l’État comme l’ASPA (Allocation de Solidarité aux personnes âgées) ou l’ASI (Allocation supplémentaire d’invalidité). L’ASPA est une sorte de RSA des retraités.
Il faut savoir qu’il faut actuellement atteindre l’âge de 65 ans pour pouvoir bénéficier de l’ASPA, soit un an de plus que l'âge légal voulu par Macron. A ce jour, l’allocation ASPA assure un revenu (maximal) de 961,08 euros par mois pour une personne seule ; 1 492,08 euros par mois pour un couple. Attention, si la personne seule dispose déjà d’une petite retraite de 600 euros, le dispositif ASPA le complète de seulement 361,08 euros. Idem pour un couple, si le conjoint travaille et gagne le SMIC (1 709,28 euros bruts par mois en 2023), le dispositif ASPA ne marche pas.
Pour une personne étrangère, il y aussi une condition d’antériorité de titres de séjour avec droit au travail de 10 ans pour pouvoir en bénéficier.
La démagogie du RN :
Pendant ce temps, le Rassemblement National prétend défendre les petits retraités avec la hausse des « petites retraites » ainsi que de l’ASPA.
Mais on sait, on doit le répéter sans cesse : le RN est un parti raciste prônant la « préférence nationale » et donc l’exclusion de personnes étrangères d’un grand nombre d’allocations sociales : réservation des allocations familiales aux familles si au moins un des deux parents est français, institution d’une priorité nationale d’accès au logement social et étudiant, doublement de l’allocation de soutien familial pour les parents isolés français, supprimer l’aide médicale d’État qui permet de soigner les personnes sans-papiers, conditionner le versement de l’ASPA à la nationalité française ou à 20 ans de résidence sur le territoire national.
Ce parti, à l’occasion des débats sur la réforme des retraites, plaide aussi pour une relance de la natalité, des Français s’entend. « Cet objectif n’est pas tant de sauver le système de retraites par répartition que d’éviter d’avoir à faire appel à l’immigration » (cf https://www.mediapart.fr/journal/politique/080223/le-rn-defend-la-natalite-pour-les-retraites-mais-surtout-contre-l-immigration ), on l’aura bien compris.
De « l’immigration choisie » au « recours à l’immigration » : c’est toujours de la « chair à patron »
D’un projet de loi à l’autre, de la réforme des retraites à celle sur l’asile et l’immigration, les travailleuses et travailleurs étrangers sont présentés comme un levier destiné à répondre aux besoins de l’économie française, un levier qu’on pourrait actionner vers le haut ou vers le bas, apportant de la « flexibilité ».
Du côté des classes dirigeantes dites « éduquées » et se voulant même « progressistes », les discours utilitaristes, avec un saupoudrage humaniste, sur l’immigration comme nécessité pour le pays relèvent d’un certain cynisme : le « recours à l’immigration » pour pallier au manque de certaines mains d’oeuvre pour des des métiers dont « ne veulent plus les Français », pour redresser la démographie, pour payer « nos » retraites, tout ceci met mal à l’aise (*) au sens où ces personnes immigrées ne sont plus des personnes à part entière avec une vie à construire, mais juste des ressources, de la chair à patron.
Le monde est mal fait, la justice n’y existe pas (en tout cas, il faut la conquérir sans cesse) : l’offre et la demande (le libéralisme) régissent les flux de main d’oeuvre, au moins autant que la quête d’un meilleur avenir pour les exilés.
Parfois, vues d’ailleurs, nos questions de retraite en France pourraient paraître un « problème de riches » (ou de pays riche). Néanmoins, il y a aussi beaucoup de gens qui regardent cette lutte avec intérêt dans le monde, car les luttes se causent entre elles et le succès de revendications quelque part donne envie partout.
Mais qu’on arrête avec cette conception de « gentils ou méchants » étrangers. Qu’on arrête avec cette chasse aux sans-papiers. Qu’on réfléchisse aussi sur les besoins des populations au Nord ou au Sud au-delà des intérêts économiques nationaux.
(*) Ce qui peut aussi mettre mal à l’aise, c’est le recours à de nombreux médecins et infirmiers/ières étrangers pour répondre partiellement à la crise de l’hôpital et des déserts médicaux en France. Mal à l’aise, non pas qu’on veuille rejeter ces personnes (elles ont raison individuellement et peut-être le ferions-nous dans les mêmes circonstances), mais il faut reconnaître que leurs pays d’origine souffrent de ces départs de gens hautement qualifiés alors que leur population en a hautement besoin. On notera que la notion de « libre installation » est aussi au centre d’interrogations concernant le choix du lieu d’installation pour les médecins libéraux en France et le fait de légiférer en la matière.
Il faut voir aussi comment, par qui sont dirigés ces pays d’émigration, la corruption qui peut y régner, l’autoritarisme, le néo-libéralisme partout présent et au final, le manque de perspectives qu’on soit de haute qualification ou pas.