Je reprends ici juste quelques considérations, en laissant de côté ce que j'avais déjà publié sur Médiapart le 24 février. Depuis le début de l'alarme pour l’épidémie et/ou pandémie prétendue ou réelle, des tonnes d'articles ont été publiés. Parmi ceux qui me semblent mériter attention il y a les articles de critique d'une gestion de cet événement qui a déchaîné la peur, la paranoïa, l'alarmisme parfois exaspéré jusqu’à l’Etat d'exception -comme écrit Agamben dans un article en italien- dérive qui, d'ailleurs, est la tendance habituelle de la gouvernance néolibériste qui exploite à cet effet chaque émergence ou urgence réelle ou gonflée (et cela vaut également pour les tremblements de terre, les tsunamis etc.). Cela nous amène à ce que Cultures & Conflits appelle l'«Etat d'urgence permanent» qui autorise tout libre arbitre et – j’ajoute - facilite encore plus la pratique de l'anamorphose de l'Etat de droit, montrant ainsi comment la démocratie est arrivée à l'hétérogénèse c'est-à-dire à la dystopie.
Mais il y a deux aspects plutôt négligés, sauf celui concernant la spéculation financière en général. Cette spéculation financière profitant de l'épidémie ou la pandémie hypothétique ou vraiment possible n'est pas seulement celle probablement gigantesque que les gourous de ce domaine ont joué sur l'effondrement des bourses et l'augmentation du spread etc. C'est aussi celle qui est masquée par un esprit «humanitaire» comme cela été le cas à la suite du tsunami de 2004 ou du tremblement de terre en Haïti. Les populations de ces terres dévastées n'ont pratiquement rien reçu et vivent dans un état encore pire qu'auparavant (voir le terrible cas d'Haïti, en plus du livre de Naomi Klein sur Porto Rico après le choc climatiques). Au contraire, les investisseurs en catastrophe bonds ont réalisé des bénéfices difficilement imaginables pour d'autres types d'obligations (voir l'article de Bottarelli): déjà aujourd'hui ils ont un rendement de 11% supérieur au taux Libor pour la tranche obligataire la plus risquée.
Ces bonds ont été créées pour «aider les populations des pays touchés» par des épidémies ou des pandémies ainsi que d'autres catastrophes. En 2017, la Banque mondiale a émis deux tranches de catastrophe bonds (ou Cat-bonds) pour financer le projet Pandemic Emergency Financing Facility. Ils avaient deux niveaux qui ont déclenché la clause par défaut, celle qui entraîne la perte de tous les investissements: au premier niveau, il fallait atteindre 2500 décès dans le pays qui était l'épicentre de la pandémie plus 20 autres dans un pays tiers. Au niveau de la classe B, cependant, le niveau de décès était beaucoup plus faible: en revanche, un rendement élevé doit correspondre à un risque plus élevé pour l'investisseur (le risque de ces décès réside dans moins de décès). A ce jour, les deux tranches d'obligations progressent sereinement vers l'échéance de juillet prochain, aucune clause n'ayant été adoptée. Ce n'est pas nouveau, car un précédent a été offert l'été dernier par autant de titres pandémiques émis dans le cadre de l'épidémie Ébola en République Démocratique du Congo, dont les cat-bonds ont en effet atteint 40 centimes sur le dollar de valeur nominale sans que la pandémie mondiale ne soit proclamée.
Selon certains, dont Olga Jonas, chercheur principal au Harvard Global Health Institute, la Banque mondiale, à travers l'émission de ces obligations, n'a fait que de la propagande médiatique. Ils voulaient juste annoncer une nouvelle initiative qui impressionnerait le monde. "Plus que toute autre chose elle a attiré dans ses secteurs les plus attentifs aux opportunités financières, étant donné que les rendements obligataires du monde entier avaient atteint des creux historiques; 11% est apparu presque comme une oasis dans le désert: sans surprise, le vente de ces bonds a eu un sur-enregistrement de 200%, selon les données officielles fournies par la Banque mondiale elle-même. En juillet dernier, ceux qui avaient parié sur l'épidémie Ébola ont encaissé. Entre-temps, les décès se sont poursuivis au Congo (faute d'avoir atteint le nombre minimum de décès requis). Comme l'écrit Bottarelli, lorsque Bloomberg même - pas un blog de conspiration - dévoile une dynamique financière comme pour demander implicitement à des institutions de classe mondiale un acte de dignité, le risque que la mort se transforme en fiches d'un casino lugubre qui apparaît tout sauf qu’improbable ou le résultat d'une approche préconçue».
En réalité, nous sommes confrontés à ce que Foucault a suggéré d'appeler la thanatopolitique (laisser mourir) et qu'aujourd'hui -contrairement à l'ère pré-libériste- semble prévaloir sur la biopolitique (laisser vivre pour mieux exploiter, faire payer des impôts, etc.). Cela relève du fait que les dominants sont terrifiés par l'augmentation selon eux incontrôlée de la population mondiale qui se superposerait au changement climatique et déclencherait des migrations qui deviendraient des invasions voraces et des ennemis politiques des pays riches.
C'est aussi pour cette raison que les «guerres climatiques» ou guerres bactériologiques imaginées par les nouveaux gourous postmodernes sont susceptibles de provoquer une catastrophe même si le boomerang de ces trouvailles apparaît assez probable. Selon certains, trop de laboratoires secrets fabriquent des virus qu'ils ne peuvent même pas contrôler et peuvent provoquer des pandémies.
Mais la thèse la plus convaincante sur la nouvelle fréquence plus élevée des épidémies et pandémies -présumées ou réelles- est que l'écosystème s'est trop dégradé et cela favorise la propagation de virus qui avaient auparavant leur espace dans suffisamment de zones naturelles qui ont été détruites –que l’on pense aux grandes forêts- (voir en particulier les articles de Sonia Shah et aussi de M. Bussolati