salvatore palidda

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Billet de blog 30 septembre 2025

salvatore palidda

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Gênes : entretien avec les dockers mobilisés pour Gaza

C'est de Gênes, en Italie, que la grande mobilisation pour Gaza dans toute l'Italie a démarré. On le doit principalement aux aux dockers, très actifs contre la guerre et le fascisme. Héritier de la tradition internationaliste de la classe ouvrière génoise, le Collectif des Travailleurs Autonomes du Port (CALP) ainsi que Music for Peace ont lancé en premier le soutien à la Global Sumud Flotilla. 

salvatore palidda

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Entretien avec le CALP*

Gênes est la ville d'où est partie la grandiose mobilisation pour Gaza dans toute l'Italie. Cela a été possible principalement grâce aux dockers, qui ont toujours été très actifs contre la guerre et le fascisme. Héritier de la tradition internationaliste de la classe ouvrière génoise, le Collectif des travailleurs autonomes du Port (CALP) a relancé l'antifascisme et l'antiracisme. Le CALP s'est fait connaître en dénonçant systématiquement le trafic d'armes dans le port de Gênes, empêchant l'arrivée de navires chargés d'explosifs et marchandises destinées à semer la mort et la destruction parmi les civils dans des régions comme le Yémen et la Palestine. Malgré l’art 11 de la Charte constitutionnelle italienne qui établit que l'Italie est un pays qui « répudie la guerre » et les normes qui devraient interdire le commerce des armes, c'est le CALP qui s'est retrouvé sous le feu des attaques. Ses membres ont été inculpés d’association criminelle, une accusation qui nous a valu deux ans d'enquête judiciaire, avec des écoutes téléphoniques dans les voitures et les téléphones, des perquisitions aux domiciles et sur les lieux de travail.

« Une série d'autres délits s'est ajoutée, en plus des divers procès intentés contre nous, des non-lieux de certains et des condamnations d'autres. Plus de 1 700 pages de l'enquête judiciaire illustrent l'importance de la contribution que nous apportons, par notre travail de dockers, au paiement des salaires des fonctionnaires (voir CALP, Fino all'ultimo di noi). Des descriptions détaillées de notre activisme, de nos mouvements, de la manière dont nous organisons les blocages, défendons les emplois, brûlons des pneus, nous opposons aux navires transportant des armes, fermons les planques des fascistes en ville… bref, tout ce que quiconque suit les réseaux sociax du CALP a pu lire (voir aussi Calp238599372.wordpress.com et voici les vidéos du dernier blocage et de la dernière manifestation : https://www.facebook.com/reel/1116272113589490). » 

Le CALP ainsi que Music for Peace de Gênes a lancé en premiers la grande manifestation de 40000 génois le 31 août dernier, puis la grève générale du 22 septembre et encore les manifs de 20 et 25 mille à Gênes les 26 et 27 septembre pendant que les dockers bloquaient un navire d'explosifs destiné à Israel le faisant repartir vide. La mobilisation est désormais permanente partout dans la ville, mais aussi dans le reste de l’Italie. Israël est isolé ! Mais merci à Trump et à l’ignoble lâcheté des Européens Netanyahu n’arrête pas de poursuivre le but de la « solution finale » : le génocide total des Palestiniens.  

*la transcription de l’enregistrement est de Francesca Martini ; les questions, la traduction en français et l’editing sont de Salvatore Palidda

 *****

  1. Quelques mots sur l’histoire et le chemin qui a mené à la création du CALP

Le CALP s'inscrit dans la lignée du collectif des dockers des années 1970. Certains de ses fondateurs sont toujours parmi nous, malgré leur âge. Ce sont eux qui nous ont guidés et nous ont véritablement aidés à grandir en tant qu'êtres humains et en tant que dirigeants syndicaux. Ils sont toujours une référence pour nous. L'histoire du collectif des dockers des années 1970 a été très difficile, se déroulant à une époque qui, en Italie, était celle de la guérilla, des années de conflit acharné entre les groupes armés et l'État. Ils se sont donc retrouvés au cœur de tout cela, mais ont conservé une position d'autonomie face à cet immense et sanglant conflit et ont mené des batailles très importantes dans le port et au sein des mouvements.

Nous avons recommencé à nous réunir avant le G8 de Gênes en juillet 2001 pour discuter quoi faire. Nous étions tous des très jeunes dockers grandis avec le mythe du 30 juin, des affrontements, des grandes batailles contre la guerre.

[Le 30 juin 1960 eut lieu l’insurrection populaire de Gênes contre le gouvernement de DC et ses alliés fascistes qui voulaient y tenir leur congrès national en ville: un outrage insupportable pour la ville médaillée d'or de la Résistance, qui a coûté la vie à des dizaines d'enfants, de femmes et des centaines de partisans, sans compter les milliers de travailleurs déportés dans les camps de concentration nazis après la grève de 1943. Rappelons également la mobilisation historique des dockers génois, d'abord en soutien aux Soviétiques, puis au Viêt-Cong, avec l'envoi en 1973 du navire Australe chargé de vivres et de fournitures médicales. Voir La continuité de Gênes face à la guerre grâce aux dockers

Nous avons tous vécu ensemble les jours difficiles du sommet du G8 ; nous étions tous membres de la CGIL [la CGT italienne] car seule la CGIL était présente dans le port. Les années ont passé, beaucoup de choses se sont produites, de nombreux accidents du travail, des luttes syndicales de toutes sortes ; mais les choses évoluaient aussi parmi nous, nous commencions à les voir différemment

[la grande mutation du port de Gênes – comme dans tous les ports – était la conséquence de l'avènement de l'automatisation, de « l'ère des conteneurs », qui a réduit le nombre de dockers à moins d'un cinquième et encore davantage celui des ouvriers travaillant dans la zone portuaire -sur l'histoire de Gênes voir ici].

Illustration 1
photo de Pietro Barabino

2011 fut une année dont peu de gens se souviennent, mais une année riche en luttes à travers l'Italie. Du nord au sud, il y a eu des mouvements, des affrontements majeurs, et nous sommes allés à la manifestation de Rome le 15 octobre 2011; elle était immense ; c'était la manifestation des Indignés. Le gouvernement Berlusconi était sur le point de tomber, et ce fut une journée d’affrontements durs. Nous étions dans trois bus au départ de Gênes – nous décrivons très bien cette journée dans le livre que nous avons écrit, CALP Fino all'ultimo di noi (on va le traduire en français). C'est un récit collectif pour raconter ce qui s'est réellement passé et se passe encore dans le port et la ville de Gênes, grâce à une classe ouvrière toujours capable de faire preuve de fierté, de combativité et de solidarité. Un bien rare et extrêmement précieux dans un monde qui se prétend totalement dominé par la logique mortifère du grand capital absolu. Nous l'avons écrit pour raconter notre histoire : nous étions là, avec de nombreux jeunes des quartiers, de nombreux dockers et des centres sociaux [autonomes, antagonistes et squatters].

Ce fut une journée de lutte acharnée, mais nous avons tous réussi à retourner à Gênes. Et c'est dans le bus du retour qu’on a commencé à réfléchir à la manière de construire un collectif de travailleurs et de raviver les vieux slogans d'autonomie qui aborderaient tout ce qui nous arrivait sous un angle différent. Et ainsi, aussitôt dit, aussitôt fait, quelques jours plus tard, un grand rassemblement a eu lieu dans un terminal du port et nous avons lancé le Collectif autonome des travailleurs portuaires pour nous réapproprier tous ces mots, et nous nous sommes mis en mouvement.

Depuis, nous avons connu des hauts et des bas, des moments difficiles, des moments où beaucoup sont venus vers nous, mais où, tout comme eux, beaucoup sont partis car leurs visions divergeaient des nôtres. Notre objectif était d'engager une discussion à 360 degrés sur les questions du travail syndical, de la ville, de l'antifascisme et de la rue. Ceux qui sont restés, cependant, se sont encore plus unis et nous avons mené ensemble des luttes syndicales et diverses autres batailles. Cela nous a permis de rester unis, de créer un minimum d'organisation et, pour faire court, nous avons finalement repris le fil des luttes contre les transports d’armements en 2019. Nous avons relancé cette lutte contre le trafic d'armes, que nous avions un peu hésité à entreprendre, car nous comprenions que c'était une bataille complexe, car elle était déjà en cours, et cette bataille nous a amenés jusqu'ici – c'était en quelque sorte le début. Et puis il y a eu notre engagement à relancer l’assemblée permanente Gênes antifasciste et les manifestations annuelles du 30 juin et du 24 avril, jour de la libération de Gênes en 1945.

  1. Quelles sont les relations entre le CALP et les autres dockers ? Comment se passent les contacts avec les autres segments de la classe ouvrière ? Existe-t-il une coordination sur certaines questions ?

Les relations avec les autres dockers, qui sont désormais si nombreux, sont excellentes. Nous avons tous grandi ensemble, nous avons tous commencé à travailler ensemble. Au cœur de tout cela se trouve une profonde amitié, une relation renforcée par le travail. Nous vivons pratiquement ensemble. Et puis, bien sûr, il y a des terminaux du port où il y a des travailleurs ; donc nous nous rencontrons plusieurs fois par jour, d'autres moins. Mais fondamentalement, ce qui nous unit vraiment, c'est que nous vivons et travaillons ensemble. Nous n'avons pas besoin d'organiser des assemblées successives ; nos assemblées se résument à quelques conversations autour d'un café, quelques mots entre deux remorques… ce sont nos assemblées.

De nombreux jeunes ont contacté le CALP car beaucoup de jeunes ont été embauchés, avec des contrats différents, souvent même pires, et nous menons donc des batailles syndicales pour essayer d'aligner leurs contrats sur ceux des travailleurs plus âgés, ce qui nous permet de discuter de tout. À Gênes, les amitiés ont tendance à être très consolidées pour des raisons syndicales, pour des raisons politiques, pour des raisons de supporters de stade, pour des raisons de connaissances, etc., c'est une grande ville mais pas si grande : nous nous connaissons tous.

3.⁠ Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'histoire des luttes des dockers ?

Les dockers ont toujours été condamnés, après un certain nombre d'années, à rétablir un certain équilibre, à remettre les choses en ordre, non seulement à Gênes, mais partout dans le monde. Cela me rappelle les grandes luttes qui ont eu lieu dans les ports américains, français, anglais… La classe ouvrière portuaire est unie car le type de travail qu'elle exerce, quelle que soit la latitude, c’est le même, et donc les problèmes et les risques sont toujours les mêmes. Par conséquent, les dockers – et on parle des dockers, mais cela se produit certainement dans de nombreux autres secteurs – sont condamnés, de temps à autre, à mener des batailles importantes. À Gênes, ils l'ont fait dès la Résistance contre le fascisme et les nazis; de nombreux partisans allaient et venaient du port, et de nombreux habitants partis dans les montagnes pour combattre le fascisme ont franchi les portes du port. Le port de Gênes a été sauvé par la Résistance, car les Allemands l'avaient entièrement miné et voulaient le faire sauter. Il a été déminé par des démineurs mais avec l'aide de partisans, dont beaucoup, étant dockers, connaissaient bien le positionnement des mines. Le port est donc inextricablement lié aux luttes de la Résistance dans cette ville et en Italie.

Puis vinrent les grandes luttes contre le retour du fascisme – nous parlons du 30 juin 1960 et de tout ce qui s'est passé autour de ces dates, ainsi que de nombreuses autres luttes syndicales pour les droits des travailleurs, pour tenter de ne pas disparaître, contre la privatisation qui envahissait le port en force. Il y a eu tant de luttes syndicales, et on a du mal à s'en souvenir de toutes, jusqu'à la nôtre, où, une fois de plus, les dockers se sont dressés contre le fascisme à des moments cruciaux comme le 23 mai 2019, lors de l’action très forte au cours du cortège des dockers le matin a permis de convaincre un partie des participants à aller à la manif contre un meeting fasciste au centre-ville (là il y eurent des durs affrontements avec la police qui tabassa aussi un journaliste -cfr. Fino all'ultimo di noi, p.13-14).

Maintenant, en ce moment même, on mène une lutte contre la guerre et le trafic d'armes. Ce sont les luttes des dockers, et ce combat finira probablement par s'éteindre. Qui sait, peut-être que dans quelques années, nos enfants recommenceront à mener ces combats, se souvenant de ce que nous leur avons appris, de ce que nous leur avons dit, et ils riront même de nos paroles. C'est l'histoire des dockers, et elle ne changera jamais. Cela se produit toujours par cycles, et nous traversons actuellement l'un de ces cycles.

  1. Comment avez-vous rejoint l'USB ?

L'adhésion à l'USB a eu lieu à une époque où avec la CGIL on était très en difficulté, notamment en raison de la lutte que nous menions contre le trafic d'armes.

[La plupart des syndiqués de la CGIL au nom de la défense de l’emploi étaient contre la lutte à la production et le commerce des armements et à cela s’ajoute le fait que l’ex-gauche -le Parti Démocratique- était devenus le principal référent politique de al lobby militaire et des forces de police en Italie avec leurs leaders D’Alema, Violante et Minniti -ces deux derniers sont maintenant dirigeants de Leonardo -la multinationale italienne des armements- et les conseilleurs du gouvernement néofasciste Meloni].

Il faut dire que pendant de très nombreuses années, nous étions bien dans la CGIL. Nos relations avec la direction de la CGIL étaient excellentes, tout comme celles avec les délégués des autres usines et terminaux : amicales. Puis, un moment est venu où nous avons commencé à comprendre que les choses changeaient, que le syndicat était en train de changer. Avec la lutte contre le trafic d'armes, la fracture est devenue évidente, conduisant au licenciement de l'un d'entre nous, qui n'était pas soutenu comme un syndicat aurait dû l'être. Pour nous, « qui touche à l'un d'entre nous, nous touche tous » n'est pas une simple phrase tatouée sur nos corps ; nous le disons parce que c'est une vérité absolue. Nous avons donc entamé une discussion avec le syndicat USB, qui s'est ensuite concrétisée par le transfert de la quasi-totalité des délégués, ainsi que des militants du CALP, à l'USB. Une étape difficile pour beaucoup d'entre nous, mais nécessaire, nous l’exigeons aujourd'hui car elle correspond à nos espoirs, et nous le constatons dans la lutte contre le génocide à Gaza.

Il existe là une relation qui dépasse la relation syndicale, et cela s'est fait très rapidement, presque naturellement. Pour nous, ce fut un choix très difficile, source de nombreux problèmes, car il est clair qu'appartenir à un syndicat confédéral présente des avantages, dans le sens où l'on est accepté aux tables de négociation. Alors que l'USB, malgré un nombre élevé de travailleurs inscrits dans certains terminaux – bien plus qu’à la CGIL – ne participe toujours pas aux tables des négociations, nous vivons uniquement d'assemblées, de relations aussi élémentaires… c'est une question très complexe, mais cela ne nous fait pas reculer. Nous sommes fiers d'avoir pris cette décision ; si nous devions revenir en arrière, nous le referions.

  1. Quel est le bilan des blocages du port de Gênes et d'ailleurs ces dernières années ?

Les blocages à Gênes, comme partout, ont connu des hauts et des bas. Il y a eu des moments où ils étaient massifs, importants et décisifs, et d'autres où nous étions plus isolés. Je rappelle toujours que le port de Gênes a été bloqué à de nombreuses reprises ces dernières années par nous, par le syndicat et par le mouvement pour diverses raisons, toutes liées à la guerre en Palestine et au trafic d'armes, sans aucune couverture médiatique comme celle d’aujourd’hui. Eh bien, c'est normal, les choses continuent comme ça ; beaucoup nous demandent : « Que ferez-vous, que ne ferez-vous pas ?» Nous sommes parfaitement conscients de ce que nous pouvons faire et jusqu'où nous pouvons aller. Vous l'avez vu ces jours-ci aussi, nous sommes très calmes, nous ne sommes pas nombreux, mais nous ne sommes pas rares non plus ; parmi ceux qui travaillent sans relâche, cependant, il existe un consensus général très fort. Il y a donc eu des blocages décisifs, comme celui contre la compagnie Bahri, qui transportait des armes pour la coalition saoudienne [pour la guerre au Yémen – entre autres, les blocus de ces navires sont fréquents depuis 2019, le dernier blocage de ce navire ayant eu lieu en aout 2025].

Il y a eu ensuite des blocages tout aussi décisifs, non seulement de notre part, mais aussi de la part des Français, des Grecs et dans d'autres ports italiens comme Livourne, Naples et Salerne. En bref, les dockers italiens ont une vision claire du génocide à Gaza, ainsi que du trafic d'armes. Ils y croient, ils y croient, et nous avançons.

Les blocages ont eu des résultats positifs et négatifs. Le trafic d'armes est un secteur complexe, car très secret et occulte ; des informations précises sont nécessaires, notamment sur la question des conteneurs. Lorsque on voit des chars ou des hélicoptères, on intervient immédiatement. Avec les conteneurs, en revanche, si on ne peut pas consulter les documents d'expédition et savoir ce qu'ils transportent, tout devient compliqué. Tous les conteneurs sont identiques. C'est pourquoi nous réclamons la création d'un observatoire portuaire permanent pour garantir le respect de la loi 185/90. Il doit y avoir des professionnels, des experts, qui évaluent les choses comme ils le font pour les autres types de trafic, qui évaluent les marchandises transportées, qui effectuent des contrôles et qui, en cas de détection de marchandises suspectes, les interceptent en vertu de la loi en vigueur. Non pas parce que nous, CALP ou USB, le disons, mais parce qu'il existe une loi interdisant le transit d'armes vers des pays en guerre, et Israël en fait partie. Nous avons besoin d'un observatoire composé d'associations professionnelles, de transitaires, de l'autorité du système, de l'autorité portuaire, de la municipalité, de la région … Nous avons besoin d'un observatoire pour surveiller tout cela et bloquer les articles suspects. Nous ne pouvons certainement pas bloquer tous les conteneurs, c'est impossible. Il est possible aujourd'hui d'arrêter les exportations vers Israël, nous l'avons déjà dit, nous pensons que c'est le seul outil dont nous disposons. [le dernier blocage a été réalisé juste le soir du 27 septembre 2025 pendant la manifestation des 25 mille lancée par le CALP et Music for Peace].

⁠6. Le commerce des armes et les relations italo-israéliennes

La relation de l’Italie avec Israël est une relation économique solide, importante, voire extrêmement importante. Des calculs récents montrent que les exportations normales vers Israël se situent entre 15 000 et 17 000 conteneurs pleins par an. Si l'on inclut les conteneurs vides, elles doublent. Il s'agit donc d'une relation commerciale considérable, provenant principalement du nord de l'Italie, mais aussi de nombreuses régions européennes convergeant vers Gênes. Bien sûr, Israël a toujours été ce qu'il est, et pas seulement hier ; ce n'est donc pas comme si l'histoire avec la Palestine venait de se produire tout d’un coup, car elle dure depuis soixante-dix ans ; cependant, ces derniers temps, elle a atteint un niveau intolérable. C'est pourquoi nous appelons aujourd'hui à l'arrêt général de toutes les exportations et importations en provenance et à destination d'Israël. Nous pensons que c'est le seul moyen de mettre fin à ce massacre ; nous pensons que c'est la seule chose possible. On nous rappelle souvent ce qui s'est passé avec l'Afrique du Sud. Cela semblait impossible, mais le boycott et les sanctions économiques contre l'Afrique du Sud ont permis à ce pays de changer de cap, de libérer Mandela, d'organiser des élections, bref, de changer l'avenir de l'Afrique du Sud. Nous œuvrons dans le même sens. Nous voulons que l'Italie bloque tout commerce avec Israël, en particulier le commerce militaire, qui ne devrait même pas exister. Nous rappelons à tous que la loi 185 de 1990 interdit le transit et le commerce d'armes dans les pays se préparant à la guerre ou en guerre ; nous disons donc qu'Israël se trouve exactement dans cette situation. Nous devons donc absolument rompre immédiatement toutes relations militaires et commerciales avec Israël, car le matériel qui tombe et semble inoffensif, à double usage, devient en réalité exclusivement destiné à un usage militaire. Par conséquent, même sur la question des exportations normales, nous devons appliquer des sanctions économiques, bloquer toutes les relations, en espérant que la situation en Palestine puisse changer. Nous pensons que c'est le seul outil qui puisse nous aider à résister à ce qui se passe, probablement très tard, mais nous devons commencer.

  1. A propos de la solidarité des Génois pour la Palestine

La relation de la population génoise avec le peuple palestinien est la même que dans toute l'Italie, et je dirais même dans toute l'Europe, et même dans le monde entier [selon les sondages de juillet 2025 plus de 63% des Italiens considèrent que Israel fait un génocide contre les Palestiniens].

Il est vrai que les phénomènes de masse nécessitent de longues périodes, mais il est également vrai que la communication que nous avons eue jusqu'à présent n'a servi à rien. Ce qui se dit sur les grandes chaînes de télévision, à quelques exceptions près, a toujours détourné le débat ; mais nous sommes arrivés à un point où les gens ont compris qu'il fallait agir. C'est peut-être aussi la peur de la guerre que nous vivons à l'Est, peut-être aussi la peur d'entendre parler de guerre si facilement et de voir les images déchirantes de ce qui se passe à Gaza. Les gens étaient désemparés, ils ne savaient pas quoi faire, ils ressentaient une véritable détresse morale, et lorsque l'aide humanitaire a commencé ici à Gênes et que l'idée de la Flottille mondiale Sumud est née, beaucoup ont compris qu'ils pouvaient faire quelque chose, donner un peu de leur temps, donner un peu de leurs biens, se sentir impliqués dans une mission courageuse, et ils ont donc voulu apporter leur contribution, et de là est né un mouvement inexorable.

Nous devions collecter 40 tonnes, nous en avons collecté 500 ou plus ; nous devions organiser une manifestation, et maintenant, nous en comptons d'innombrables, et elles continuent. Ici, on ne parle que de ça : comment vont les jeunes sur les bateaux ? (de la Flotilla). Quoi de neuf ? Parler de communauté est un euphémisme. Je crois que le peuple est solidaire du peuple, et dans ce cas précis, les peuples d'Europe et d'Italie s'identifient au peuple palestinien et tentent de lui apporter leur aide, de leur mieux. L'opération Global Sumud Flottille suscite l'admiration, attire l'attention, ces jeunes hommes et femmes qui se jettent à la mer, face à ce qui pourrait être un risque réel – et c'est le cas – nous le voyons et cela suscite un soutien massif. Nous avons la responsabilité de leur tendre la main, et nous le ferons par tous les moyens possibles.

8.⁠ Quelles seront vos premières actions si l'État sioniste attaque la Flottille?

Israël a déjà attaqué la Global Sumud Flottille, d'abord à Tunis, puis avant-hier en pleine mer. Ces avertissements sont de plus en plus sérieux et dangereux, car n'oublions pas que la seconde, en particulier, s'est produite en pleine nuit, en pleine mer, où il y avait un risque de blessure et où un incident vraiment grave a failli se produire. Si la Flottille sera bloquée, nous ferons exactement ce que nous avons dit, ni plus, ni moins ; nous l'avons déjà démontré avec la grève générale du 22 septembre, lancée par l'USB, au cours duquel des blocages ont été imposés partout : ports, gares, autoroutes, tout, et c'était une répétition générale. Il existe différents niveaux de danger, de un à dix, et cela dépendra également de leur approche de l'expédition. Cependant, s'ils arrêtent la Flottille, nous riposterons par des blocages, nous réagirons exactement comme nous l'avons déjà dit et comme nous avons démontré notre capacité de le faire. La grève générale, à ce stade, semble qu’elle sera unitaire, même si encore sur le papier. Ce sera un outil, et nous avons vu la réaction de la population, et elle sera peut-être encore plus dure selon l'agressivité d'Israël envers la Flottille.

  1. Pourriez-vous nous dire un mot sur la rencontre européenne des dockers ? Comment les relations avec les dockers d'autres villes italiennes et européennes ont-elles été nouées, et quelles sont les prochaines étapes ?

La rencontre européenne des dockers est extrêmement importante ; je ne me souviens pas qu'elle ait jamais eu lieu à cette échelle, ni dans ce contexte. Nous avons analysé la situation actuelle de notre point de vue et écouté la situation des camarades des autres pays. En toile de fond, il y a la guerre, le conflit, et il y a le fait que les ports sont des plaques tournantes stratégiques pour le commerce, qui déterminent les conflits, les accélèrent, les déplacent, les amplifient ou y mettent fin. Le rôle des dockers est central, c'est pourquoi nous avons élaboré un document pour organiser une grève internationale contre la guerre. Nous avons également discuté, d'un point de vue syndical, des conditions de travail des dockers, de l'avenir du travail portuaire, car des zones d'ombre planent sur le travail portuaire : l'automatisation est en marche, de nombreux changements se profilent dans le monde du travail en général et dans le secteur portuaire également. Nous avons donc abordé tous ces sujets. Bien sûr, en ce moment, la guerre et les guerres sont au cœur des discussions ; puis, en réalité, nous n'avons pas l'habitude de participer à des congrès internationaux ; notre capacité d'attention est inférieure à celle des enfants ; au bout de 15 minutes, nous ne comprenons plus rien ; tout est organisé par USB et ce sont eux qui gèrent tout. Nous avons aussi donné un coup de main, car cela s'est passé au centre des dockers de Gênes; mais en réalité, ce qu'il faut dire, ce sont les choses que nous avons toujours dites : les dockers doivent faire leur part pour mettre fin à la guerre dans le monde, et je crois que nous le ferons.

  1. Après votre rencontre avec le pape François, quelle est votre relation avec le nouveau pape aujourd'hui ?

Le pape François a été un ami cher pour nous, quelqu'un que nous avons eu à nos côtés pendant une période difficile avec l’incrimination pour association criminelle et la police, alors que tout semblait s'effondrer. Outre le soutien de nos camarades, notamment de Gênes, mais aussi d'autres régions d'Italie, qui nous ont été proches, encourageants, voire protecteurs, ses paroles, son invitation au Vatican, sa persévérance, les conseils qu'il nous a prodigués … bref, nous ne l'oublierons jamais. Ce n'était pas un voyage, mais une opération très complexe pour lui rendre visite, tant pour nous que pour lui. Mais il s'en fichait et voulait que nous soyons là pour nous serrer la main, nous féliciter et montrer au monde entier qu'il était à nos côtés contre le trafic d'armes.

Nous n'avons aucune relation avec le nouveau pape. Nous ne savons pas ce qu'il pense vraiment. Qui sait, peut-être que les choses changeront. Peut-être qu'il y aura un moyen de parler à un proche, ou peut-être pas. On ne sait pas, on ne sait vraiment pas quoi dire.

  1. Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous devons observer l'évolution de la Flottille et la situation mondiale concernant la guerre. Nous pouvons faire avancer les choses rapidement de nombreuses manières sans avoir besoin de conclaves ; si nous constatons des évolutions négatives, nous adopterons nous aussi une attitude différente. Nous avons déjà dit qu'il fallait laisser la Flottille tranquille. C'est une mission importante qui doit faire ce qu'elle doit faire. Si les choses tournent mal, nous réagirons. Nous le savons, et là où nous ne savons pas, nous inventons toujours quelque chose.

* la transcription de l’enregistrement est de Francesca Martini; les questions, la traduction en français et l’editing sont de palidda

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