par Livio Pepino (ex-président du syndicat italien de la Magistrature, ex membre de la Cour de Cassation et du Conseil Supérieure de la Magistrature)
Vendredi 4 avril, le Conseil des ministres avait transformé le projet de loi sur la sécurité approuvé par la Chambre en septembre dernier et en discussion au Sénat en décret-loi (destiné à entrer en vigueur immédiatement après sa promulgation par le chef de l'État et sa publication au Journal officiel). Maintenant, le contreseing du Président de la République (prévu par l'article 87 de la Constitution) n'a pas encore eu lieu, mais, selon des rumeurs unanimes, il arrivera le 3 juin, l'opération ayant été décidée après l'acceptation par le gouvernement de certaines observations présidentielles (acceptation qui a d'ailleurs donné lieu à un simple aménagement ayant un impact très limité sur certains points, notamment en réglementant différemment, mais sans exclure, la possibilité d'incarcération des femmes enceintes ou ayant des enfants de moins d'un an et l'interdiction de vendre des cartes téléphoniques aux migrants en situation irrégulière).
Le caractère subversif de cette opération au sein du système gouvernemental est macroscopique : car les exigences de nécessité et d'urgence requises par l'article 77 de la Constitution, car il s'agit d'une mesure soustraite au débat parlementaire à un stade avancé, car elle touche à une question sensible comme la liberté individuelle et bien plus encore (https://volerelaluna.it/in-primo-piano/2025/04/07/sicurezza-un-decreto-legge-eversivo/). Mais plus significatives encore sont les blessures infligées au système des libertés, des droits et de la coexistence, qui constituent un pas supplémentaire vers un État policier. Nous l'avons déjà dénoncé sur ces pages en référence au projet de loi initial (https://volerelaluna.it/in-primo-piano/2024/10/03/sorvegliare-e-punire-i-poveri-e-i-ribelli/). Mais aujourd'hui, alors que le projet est devenu réalité, il convient de rappeler quelques points fondamentaux. Non sans rappeler, d'une part, que le décret s'inscrit dans un vaste projet de réforme autoritaire de l'État, incluant la présidence élective du gouvernement, l'autonomie régionale différenciée et la redéfinition des relations entre justice et politique, et, d'autre part, qu'il fédère (et régule) des secteurs hétérogènes mais concurrents, qui se résument à la généralisation du gouvernement répressif de la pauvreté, à la consolidation de la répression systématique des conflits sociaux et de la dissidence, et à l'expansion des pouvoirs et des protections attribués à la police et aux appareils militaires. Le premier élément qui mérite d'être souligné est le renforcement du rôle de la prison dans le gouvernement de la société. La prison est pleine à craquer : au 31 mars, le nombre de détenus a atteint 62 281, consolidant le dépassement, après 13 ans, du seuil des 62 000 personnes ; Selon le Garant des personnes privées de liberté, les suicides de détenus au cours des premiers mois de l'année s'élèvent à 22 (après avoir atteint le record de 83 l'année dernière, selon les données du ministère, probablement erronées d'au moins 7 unités) ; les actes d'automutilation ne sont pas comptabilisés ; l'ordre dans les lieux de détention n'est assuré que par la violence généralisée et l'usage généralisé de psychotropes [https://www.rapportoantigone.it/ventunesimo-rapporto-sulle-condizioni-di-detenzione/].
La réponse du décret-loi est la création de 14 nouveaux délits et d'autant d'augmentations de peines, en continuité avec un choix qui a conduit, ces deux dernières années, à l'introduction de 48 nouveaux délits. Cela entraînera un nombre accru de condamnations et de peines plus lourdes, et donc davantage de peines de prison. Ce fait appelle deux considérations supplémentaires. Premièrement : l’augmentation du nombre de détenus n’est pas la conséquence d’une hausse de la criminalité, mais un choix politique, comme le démontre le fait que le plafond de criminalité dans notre pays a été atteint en 1991, alors qu’on comptait environ 35 000 détenus (35 469 au 31 décembre), soit la moitié (voire un peu plus) de ceux d’aujourd’hui (voir ici). Deuxièmement : le modèle de référence est celui des États-Unis, où le droit pénal classique (qui mesure la peine en fonction de la gravité du crime) a été remplacé par une loi qui punit les individus non pas pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils sont, au point de punir de manière absurde de réclusion criminelle à perpétuité, en cas de récidive, le vol de trois clubs de golf, d’une pizza ou d’un snack, avec pour conséquence que les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité dans les prisons américaines sont aujourd’hui plus de 200 000, soit un habitant sur 1 500 [et presque 2,2 millions de prisonniers e l’augmentation des homicides par la police surtout de noirs et hispaniques].
Un deuxième élément caractérisant la mesure gouvernementale est la possibilité, toujours sur le modèle étatsunien, de « punir les pauvres ». Ceci est démontré par l'introduction dans le code pénal d'une disposition (article 634 bis) en vertu de laquelle « quiconque, au moyen de violence ou de menace, occupe ou détient sans titre un immeuble destiné au domicile d'autrui ou ses dépendances [...] est puni d'un emprisonnement de deux à sept ans », c'est-à-dire exactement la peine prévue pour l'homicide involontaire commis en violation des règles de prévention des accidents. Il va sans dire que l'occupation de bâtiments destinés à l'habitation est déjà un délit, passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans et d'une amende. C'est pourquoi la loi, plus qu'un rempart de protection des biens, est un symbole de la réponse institutionnelle à la crise du logement (100 000 condamnations à expulsion exécutoires, 40 000 expulsions chaque année, 50 000 logements sociaux occupés). Il ne saurait y avoir de démonstration plus flagrante, même symbolique, de la transition de l'État-providence à l'État pénal et du gouvernement répressif de la pauvreté.
La punition des pauvres s'accompagne de celle des dissidents radicaux. Manifester (déjà souvent entravé par des motivations spécieuses de commissaires de police trop zélés) deviendra de plus en plus risqué. Le rétablissement du délit de barrage routier « effectué par simple interposition du corps » et sa sanction d'une peine d'emprisonnement de six mois à deux ans « lorsque l'acte est commis par plusieurs personnes rassemblées » (c'est-à-dire, toujours, en considérant qu'un barrage routier effectué par une seule personne n'est guère plus qu'une hypothèse scolaire …) affecte directement et immédiatement la possibilité de manifester. En effet, même les manifestants pacifiques qui se tiennent continuellement et en groupe dans la rue face aux portes d'une usine (où une grève est en cours) ou à l'entrée d'une école occupée seront criminalisés et sanctionnés. La règle est exemplaire en elle-même, mais aussi parce qu'elle représente l'aboutissement d'un processus de restauration anachronique. De fait, le barrage routier, déjà prévu par un décret-loi de 1948, a été dépénalisé en 1999. Près de vingt ans plus tard, par le décret-loi n° 113/2018 (premier décret Salvini), le retour en arrière a commencé : le barrage routier est redevenu un délit, mais, pour atténuer la rigueur de la disposition, le caractère administratif de l'infraction a été prévu en cas d'obstruction de la route effectuée uniquement avec le corps. Avec le décret actuel, le retour à la pénalisation complète est achevé, portant directement atteinte au droit de manifester en tant que tel.
Le décret-loi contient également un large ensemble de règles qui, avec de légères différences terminologiques, qualifient les manifestations d'événements limites, prévoyant des circonstances aggravantes spécifiques pour les délits de dommages, de résistance ou de violence envers un agent public et de blessures si elles sont commises au cours de ces manifestations. Dans tous ces cas, les sanctions ont été considérablement alourdies, entraînant une sorte de transition des lois ad personam aux lois ad movimentum. Cette disposition – il convient de le souligner – renverse l'approche même du code fasciste Rocco, dont l'article 62 n° 144 du code pénal italien est un article 62 n° 144 du code pénal italien prévoyait (et prévoit, puisqu'il n'a jamais été abrogé) comme circonstance atténuante pour tout type de délit « avoir agi sur suggestion d'une foule en émeute », avec toutefois la restriction « qu'il ne s'agisse pas de réunions ou de rassemblements interdits par la loi ou par l'autorité » : le législateur républicain, malgré la Constitution, est moins respectueux du droit de manifester que son prédécesseur en chemise noire. De plus, pour la première fois dans notre système, la résistance passive est explicitement considérée comme illégale. C'est ce que prévoit le nouvel article 415 bis du Code pénal, qui introduit le délit d'émeute en prison (puni, pour ceux qui y participent simplement, d'une peine d'emprisonnement d'un à cinq ans), en précisant que « les comportements de résistance passive qui empêchent l'accomplissement des actes de la fonction ou du service nécessaires à la gestion de l'ordre et de la sécurité » constituent également des actes de résistance pertinents aux fins de l'intégration du délit.
L'incrimination de résistance passive, visant une catégorie de personnes (les détenus) considérées comme déviantes et marginales, outre sa gravité intrinsèque (précisément parce qu'elle concerne des personnes en situation de fragilité particulière), introduit dans le système un précédent au potentiel d'expansion évident, susceptible de reproduire la triste expérience de la Daspo (interdiction de participer à événements sportifs ou sociaux ou de protestation), instaurée en 1989 pour les supporters violents et devenue au fil des ans un instrument ordinaire de gouvernement territorial. Il ne s'agit pas d'une simple inférence : cela se retrouve déjà dans le même projet de loi qui étend la discipline et les sanctions prévues pour révolte, avec une légère réduction, aux actes commis dans tous les centres d'accueil pour migrants (et donc non seulement les CPR, mais aussi les CARA et les points d'accès). Parallèlement, la marge de manœuvre des mouvements actifs dans les secteurs les plus sensibles du conflit social est également fortement limitée. C'est le cas de la règle qui étend le délit d'occupation d'un bien immobilier destiné au domicile d'autrui à quiconque, « en dehors des cas de complicité du délit, interfère ou coopère à l'occupation du bien » et de celle qui prévoit une aggravation de la peine pour le délit d'« incitation à désobéir aux lois » « si l'acte « incitation à la désobéissance aux lois » « si l'acte est commis par écrit ou communication adressé aux détenus ».
L'attaque contre les mouvements de défense du logement et ceux qui soutiennent les détenus ne pourrait être plus directe et explicite. Enfin, et ce n'est pas le moins important, le décret-loi donne une tournure clairement autoritaire aux relations entre la police et les citoyens, mettant ainsi fin à la tentative laborieuse de démocratisation de celle-ci, poursuivie au fil du temps par l'instauration de l'impunité pour les actes arbitraires commis par un agent public, la déclaration d'inconstitutionnalité de l'autorisation nécessaire du ministre pour poursuivre les policiers pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions et liés à l'usage d'armes ou d'autres moyens de contrainte physique, la syndicalisation et la démilitarisation du corps, l'abolition du délit d'outrage, etc. Cette voie connaît aujourd'hui un renversement radical qui rétablit une situation similaire à celle des années 1950 (une époque où – il convient de le rappeler – les politiques de maintien de l'ordre public ont fait plus de 100 morts dans les rues et sur les places du pays -voir ici). Ceci grâce à des dispositions qui prévoient, entre autres, pour les policiers, la protection privilégiée susmentionnée lors des manifestations ; une assistance juridique spéciale consistant en la possibilité, à l'insu des autres fonctionnaires publics, de bénéficier, s'ils sont inculpés ou accusés pour des faits inhérents au service, de l'avance par l'État d'une somme de 10 000 euros pour chaque phase du procès au titre des frais de défense (avec possibilité de recours uniquement en cas de responsabilité pour fraude judiciairement établie) ; l'autorisation de porter, sans permis, une arme autre que celle de service en dehors du service ; une plus grande liberté d'action symbolisée par la possibilité, à l'égard des associations terroristes (mais avec un potentiel d'expansion évident), de recourir non seulement à des "infiltrés" mais aussi à des "agents provocateurs" et par la mise à disposition, pour les services d'ordre public (et pas seulement), de dispositifs de vidéosurveillance aptes à enregistrer l'activité opérationnelle et son déroulement.
addendum
Selon l'avocate Alessandra Algostino, il s'agit de l'expression du pire populisme pénal, inconstitutionnel dans son essence et dans ses dispositions. Il s'agit d'un coup d'État noir. À ce contenu subversif s'ajoute la subversion des relations entre le gouvernement et le Parlement. Entre le recours massif aux décrets-lois (données Openpolis du 2 octobre 2024 : au cours des deux premières années de la 19e législature, 151 lois sont entrées en vigueur ; parmi les lois entrées en vigueur, 75,5 % ont été adoptées à l'initiative du gouvernement, 41,7 % étaient des conversions de décrets-lois), l'abus de confiance (le gouvernement Meloni arrive en tête, avec 45 % du ratio entre votes de confiance et lois approuvées, données Openpolis du 17 juillet 2024), et le monocaméralisme de fait : il s'agit simplement du énième acte de subordination et d'anéantissement du Parlement ; un processus de longue haleine, dans lequel le gouvernement Meloni s'inscrit avec conviction. La répétition d'une violation ne la rend pas moins grave. Le Président de la République, en tant que garant de la Constitution, ne devrait-il pas demander – je cite Matteotti – « à la majorité de revenir au respect de la loi » ? … et ne pas signer.
Comme l'écrit Giuseppe Allegri, la contestation n'a pas manqué de la part de l'opposition parlementaire et sociale, regroupée au sein du réseau A pieno regime, composé de plus de deux cents acronymes de mouvements, clubs et associations de cette frange active de la société civile qui, en décembre dernier, a manifesté sa dissidence avec cent mille personnes manifestant dans le centre de Rome. De l'ARCI aux mouvements étudiants, des scouts aux associations de masse, des chercheurs universitaires aux espaces sociaux et aux syndicats. Mais le gouvernement néofasciste actuel veut autoriser les quelque trois cent mille agents de la sécurité publique, lorsqu'ils ne sont pas en service, à porter sans permis certains types d'armes, même différentes de celles fournies (art. 28). Comme le font également remarquer d'autres juristes, cela pourrait « accroître l'insécurité publique», étant donné que ces armes (également prévues par le décret royal de 1931) peuvent alimenter une justice improvisée, avec un usage illicite ou dangereux par les agents eux-mêmes ou par des tiers. Nous sommes donc confrontés à un décret-loi qui combine une mentalité de justiciers avec une sorte de « criminalité ». « La loi de la peur », qui attise les instincts les plus justiciers de la société. Au contraire, aucune véritable sécurité publique n'est promue, notamment en ce qui concerne les insécurités ignorées et leurs victimes, à savoir la surexploitation violente et les crimes écologiques, répandus en raison des illégalités des dirigeants locaux et nationaux avec la complicité d'une bonne partie de la police.