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Billet de blog 9 février 2013

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Dire des vérités paradoxales

 Les photos de nous les plus anciennes, souvent jaunies, tachées ou traversées par des traces de plis, sont celles qui nous rappellent le mieux nos 20 ans, notre enfance, voire le bébé que nous avons été : naturelles, ingénues, l'avenir devant elles, ce sont les photos d'où se dégage la plus forte impression de jeunesse. Les temps les plus reculés de l'humanité sont aussi ceux qu'on appelle parfois, l'aube de l'humanité, ou l'enfance de l'humanité, et par certains côtés, les hommes de ces époques peuvent nous sembler particulièrement spontanés, naïfs, proches de la nature. Et les poèmes à chanter d'Homère, les petites fables à raconter d'Ésope, le théâtre à jouer, de Sophocle et d'Aristophane, les dialogues parlés de Platon, les bonnes nouvelles à transmettre, de Mathieu, Marc, Luc et Jean, ont beau être des textes vieux d'environ deux millénaires, ils restent de très rafraichissantes fontaines de jouvence, par la vitalité de leur forme, et la simplicité et la luminosité de leur fond.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Les photos de nous les plus anciennes, souvent jaunies, tachées ou traversées par des traces de plis, sont celles qui nous rappellent le mieux nos 20 ans, notre enfance, voire le bébé que nous avons été : naturelles, ingénues, l'avenir devant elles, ce sont les photos d'où se dégage la plus forte impression de jeunesse. Les temps les plus reculés de l'humanité sont aussi ceux qu'on appelle parfois, l'aube de l'humanité, ou l'enfance de l'humanité, et par certains côtés, les hommes de ces époques peuvent nous sembler particulièrement spontanés, naïfs, proches de la nature. Et les poèmes à chanter d'Homère, les petites fables à raconter d'Ésope, le théâtre à jouer, de Sophocle et d'Aristophane, les dialogues parlés de Platon, les bonnes nouvelles à transmettre, de Mathieu, Marc, Luc et Jean, ont beau être des textes vieux d'environ deux millénaires, ils restent de très rafraichissantes fontaines de jouvence, par la vitalité de leur forme, et la simplicité et la luminosité de leur fond.

 Mais aux yeux du lecteur d'aujourd'hui, cette impression paradoxale de jeunesse que peuvent dégager les textes anciens, peut aussi s'accompagner d'une impression de grande sophistication ou sagesse : car au cours du temps, il n'y a pas seulement des choses qui vont de l'avant, prennent de l'ampleur, il y a aussi des choses qui sans cesse se renouvellent, sans cesse recommencent à zéro. Par exemple, au cours du temps, un arbre s'agrandit : il est d'abord une graine, puis une jeune pousse, puis un jeune arbre, d'envergure moyenne, au tronc mince et lisse, puis un arbre imposant au tronc large et ridé. Mais en même temps, les cellules de cet arbre se renouvellent sans cesse, et même dans un vieil arbre il y a de jeunes cellules, moins expérimentées et formées que les cellules les plus âgées d'une jeune pousse. De même, nos sociétés actuelles ont beau être, par certains aspects, beaucoup plus évoluées que la cité athénienne de Platon, les critiques qu'il faisait de la démocratie dans laquelle il vivait, s'appliquent encore assez bien à nos démocraties, sans doute du fait de ce renouvellement perpétuel des individus dans une société : sans cesse des mémoires vierges, des esprits plus naïfs, viennent remplacer les vieux.

 Il y a d'abord une ressemblance frappante entre d'une part, la position de quelqu'un qui aujourd'hui, est assis devant sa télévision, et d'autre part, dans l'allégorie de la caverne, que construit Platon dans La république (livres V à VII), la position des prisonniers de la caverne, assis et regardant des ombres chinoises se projeter sur une paroi devant eux. L'homme qui regarde la télévision, pouvant être vu comme un symbole du citoyen actuel qui se fait manipuler, de même que le prisonnier de la caverne est pour Platon, un symbole du citoyen athénien moyen.

 Mais outre cette ressemblance, notre caverne d'aujourd'hui pourrait être ce lieu dans lequel nous sommes jetés : les problèmes sociaux que nous vivons, la perception que nous avons de ces problèmes, par nos yeux ou par ceux des médias et journaux, les pensées ou conversations que nous avons sur ces problèmes, auxquelles se mêlent encore les voix des journaux, médias et hommes politiques. Nous sommes dans une caverne, dans la mesure où des choses rendent improbable que ces perceptions, pensées et conversations, nous permettent de comprendre et résoudre ces problèmes sociaux.

 Parmi eux, il y a des problèmes économiques, de chômage ou autres formes de pauvreté, et des problèmes sociétaux, de ghettoïsation et d'incivilités. Essayer de sortir de notre caverne actuelle, ce serait donc essayer encore de parler de ces problèmes, d'une manière qui aide à les comprendre et les résoudre. Si en essayant cela, nous nous accompagnons de Platon, alors des choses qu'il dit pour décrire le processus de sortie de la caverne, pourront parfois prendre du sens pour nous. En particulier, ce qu'il dit pour expliquer sa conception de la dialectique, pourra nous aider de manière déterminante, à mieux penser notre propre pensée, comme pouvant être aussi une sorte de pensée dialectique.


La ghettoïsation et les incivilités.

 La ghettoïsation, c'est le fait que les membres de la société française se regroupent, selon leurs origines et selon leur richesse, et se marient peu et font peu d'enfants, avec des gens d'un autre groupe que le leur, sont peu amis, voisins, camarades de classe, ou ne serait-ce que réunis un moment dans un même lieu de sortie ou d'activité non professionnelle, avec des gens d'un autre groupe : chaque groupe est alors une sorte de ghetto, plus ou moins fermé. Et les incivilités, ce sont celles qu'il y a dans les transports en commun, la rue, les écoles, celles qu'on voit ou suscite, et celles qu'on parvient à éviter par des comportements plus ou moins conscients, celles qu'on voit en vrai et celles dont on entend parler dans les journaux et médias.(1)

 Par rapport à ces problèmes, il y a deux positionnements courants : l'un plutôt de gauche et l'autre plutôt de droite. A première vue, le positionnement plutôt de droite, explique la ghettoïsation par la faute des gens d'origine lointaine, qui ne feraient pas assez d'efforts pour s'intégrer ; et il explique les incivilités, soit par la faute des gens incivils, soit par le manque de structures d'autorité dans la société. Et à première vue encore, le positionnement plutôt de gauche, explique la ghettoïsation par la faute des gens d'ascendance française ou européenne plus ancienne, qui seraient xénophobes ; et il explique les incivilités, soit par les conditions économiques difficiles de vie des gens incivils, soit aussi parfois, par la faute de la xénophobie des gens d'ascendance française ou européenne plus ancienne, qui pousserait des gens d'origine lointaine à se comporter de manière incivile.

 Sur le problème de la ghettoïsation, les deux positionnements portent en tout cas un même genre de regard, qui juge souvent des actes comme critiquables ou mauvais, et pour qui l'attribution de tel ou tel acte critiquable ou mauvais, à untel ou untel autre, est nécessairement une accusation, d'avoir surtout choisi de faire cet acte, ou de l'avoir fait par un vice naturel. Et si on y regarde mieux, il arrive aussi qu'un tel genre de regard ne veuille pas attribuer un acte qu'il trouve critiquable ou mauvais, à untel ou untel autre, pour ne pas l'accuser : parce qu'attribuer un acte critiquable ou mauvais, c'est toujours pour lui accuser. Dès lors qu'un regard, pour qui juger un acte comme critiquable ou mauvais revient à accuser, prend en plus parti pour quelqu'un, il sera conduit assez naturellement à penser que celui pour qui il prend parti, ne fait jamais rien de critiquable ou mauvais.

 Dans ses Éléments de la loi naturelle et politique, Hobbes donne l'impression qu'il y a généralement dans une population, un certain nombre de gens méchants par vice ou par choix. Depuis la montée du fascisme dans les années 1930, et les crimes en masse de la IIème guerre mondiale, beaucoup d'intellectuels comme Freud (Le malaise dans la civilisation), Jaspers (La culpabilité allemande), Arendt (Les origines du totalitarisme), ou Girard (Le bouc émissaire, La violence et le sacré), semblent faire provenir le mal de vices naturels, ou de mauvais choix. La Bible contient beaucoup de récits de mauvaises actions apparemment par mauvais choix. Et il y a aussi beaucoup de romans, et beaucoup de films hollywoodiens, qui sont peuplés par des personnages méchants, qui semblent l'être par vice ou par choix : par exemple dans des romans du XIXème sièle, le personnage de Thénardier, dans Les misérables de Hugo, ou le personnage de Vautrin, dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac.

 Sur le problème de l'incivilité, les deux positionnements peuvent encore lire ce qu'ils voient à travers ce même genre de regard, qui juge beaucoup d'actes comme critiquables ou immoraux, et accuse toujours quand il juge ainsi des actes. Mais ils peuvent aussi avoir un autre genre de regard, qui inversement, juge moins les actes comme critiquables ou mauvais, et qui, quand il juge ainsi des actes, ne cherche pourtant pas toujours à accuser. Ils peuvent expliquer les actes incivils par la situation dans laquelle les gens incivils sont placés : défaillance des structures d'autorité ou conditions économiques de vie difficiles. Ce sont alors plutôt des explications par des éléments tragiques, c'est à dire des engrenages auxquels il est très difficile, voire impossible de résister, et qui peuvent conduire des hommes gentils, ou qui ne demanderaient qu'à l'être, à faire des actes critiquables ou immoraux. Si on y regarde mieux, une autre manière de porter un regard qui juge moins comme critiquable ou immoral, serait de parfois se rendre compte que tel acte qui au départ nous paraissait immoral ou critiquable, en vérité ne l'est pas. Et une autre manière encore, de porter un regard qui attribue des actes critiquables ou immoraux, sans toujours chercher à accuser, serait de chercher à faire remarquer à quelqu'un qu'il fait quelque chose de critiquable ou immoral, non pas surtout pour l'accuser, mais plutôt sans trop lui en vouloir, et surtout pour lui demander de changer de comportement, avec une certaine confiance qu'il puisse changer.

 Dans le Protagoras, Platon explique que les gens veulent toujours le bien, mais que parfois ils le conçoivent mal : ils font le mal parce qu'ils le prennent alors par erreur pour le bien. Dans son Essai sur le principe de population, Malthus envisage des situations de surpopulation : quand la quantité de richesses disponibles n'est pas suffisante pour nourrir une population trop importante. Dans ce cas les gens sont placés dans une situation où ils savent que, s'ils mangent à leur faim, c'est nécessairement au détriment de certains de leur semblables, qui mourront alors de faim. Des engrenages ou situations tragiques nous sont donnés à voir par le théâtre tragique, par exemple de Sophocle ou Euripide en Grèce ancienne, ou de Shakespeare ou Corneille en Occident moderne, parfois par la Bible, ou par des romans comme ceux encore de Balzac ou George Sand, Dostoïevski ou Steinbeck. On trouve parfois aussi du tragique dans des films hollywoodiens, par exemple dans Le parrain, où le fils du parrain est conduit, par un engrenage, à prendre la succession de son père dans la mafia, alors qu'il aurait voulu vivre loin de la mafia ; ou encore, dans La guerre des étoiles, où le personnage de Darth Vador était au départ un gentil chevalier jedi, jusqu'à ce qu'un engrenage le fasse basculer "du côté obscur de la force".(2)(3)

 Ce serait peut-être trop ingénu, ou déresponsabilisant, de voir très peu d'actes critiquables ou immoraux, et de ne jamais considérer que de tels actes accusent ceux qui les font. Mais avoir toujours le genre de regard inverse, serait peut-être trop misanthrope, ou manichéen.

 Quand des actes ne sont plus seulement ceux d'individus isolés, mais constituent un phénomène concernant globalement la société, un regard pour qui les actes sont facilement critiquables ou immoraux, et pour qui juger ainsi des actes revient nécessairement à accuser, peut même nous paraître assez peu pertinent. Spontanément, on peut facilement se dire qu'un individu tiré au hasard, s'il était né à la place de tel ou tel grand criminel, n'aurait probablement pas commis ses crimes. On peut en particulier facilement se dire que, si soi-même on était né à sa place, on n'aurait pas commis ses crimes. Par contre, quand dans un lieu il y a beaucoup de gens qui se comportent de manière incivile : qu'est-ce qui pourrait expliquer qu'un individu tiré au hasard, s'il était né dans ce lieu, n'aurait pas eu les mêmes chances que ceux qui sont nés dans ce lieu, de se comporter de manière incivile ? Et en particulier, qu'est-ce qui pourrait expliquer que soi-même, si on était né dans ce lieu, on n'aurait pas eu les mêmes chances que ceux qui sont nés dans ce lieu, de se comporter de manière incivile ? Ne serait-il pas immoral d'expliquer une plus grande quantité d'incivilités commises dans un lieu, par une nature plus mauvaise des gens de ce lieu ? Et ne serait-il pas absurde d'expliquer cette plus grande quantité d'incivilités, par des choix que les gens de ce lieu auraient fait, mais que d'autres tirés au hasard, s'ils étaient nés dans le même lieu, auraient eu moins de chances de faire ?

 Les deux positionnements courants font donc bien d'expliquer, au moins en partie, les incivilités par une défaillance des structures d'autorité, ou par des conditions économiques de vie difficiles, plutôt que seulement par un regard qui ne voit l'attribution d'un acte mauvais que comme une accusation. Mais il est par contre dommage que sur la ghettoïsation, ils ne sachent porter que ce genre de regard qui juge beaucoup comme critiquable ou immoral, et accuse toujours quand il juge ainsi.


 On pourrait peut-être donner une explication de la ghettoïsation par des éléments tragiques, en s'inspirant de l'explication possible des guerres par des éléments tragiques. Expliquer une guerre par des éléments tragiques, c'est mettre en évidence un engrenage auquel il est très difficile, voire impossible de résister, et qui est capable de conduire deux personnes qui auraient pu être amies, à s'entre-tuer. Un mécanisme de ce genre pourrait être le suivant. Chacune des deux personnes aurait des besoins profonds : des besoins matériels, tels les appétits dont parle Spinoza dans son Éthique, ou les besoins du corps dont parle Weil dans L'enracinement ; et des besoins affectifs, tels les désirs dont parle Spinoza, ou les besoins de l'âme dont parle Weil. Une force, parfois en partie celle du destin ou de la fatalité, pousserait alors chacune des deux personnes à empêcher à l'autre de satisfaire ses besoins profonds, de telle manière que l'autre s'en aperçoive ; ou bien, cette force pousserait simplement chacune des deux personnes à donner l'impression à l'autre qu'elle lui empêche, ou risque de lui empêcher de satisfaire ses besoins profonds.

 Cette force pourrait être un malentendu tragique. Des malentendus tragiques se trouvent par exemple dans le théâtre de Sophocle (les malentendus qui conduisent Œdipe à commettre l'inceste et devenir un parricide), ou de Shakespeare (le malentendu qui conduit Roméo et Juliette à se suicider, ou ceux sur lesquels se fonde la jalousie d'Othelo, qui le conduira à tuer son épouse Desdémone), ou dans l'explication platonicienne de l'origine du mal. Chacune des deux personnes empêcherait à l'autre de satisfaire ses besoins profonds, ou lui donnerait l'impression qu'elle risque de le lui empêcher, parce qu'elle ne comprendrait pas quels sont ces besoins, ou bien ne ferait pas comprendre à l'autre qu'elle comprend ses besoins et veut les respecter. Dans une telle situation, les deux personnes pourraient instituer des règles par lesquelles chacune respecte les besoins de l'autre et le lui fait savoir, si seulement elles connaissaient ces besoins, et voulaient se montrer l'une à l'autre, par l'adhésion claire à des règles, qu'elles veulent respecter les besoins de l'autre.

 Une autre force pourrait être un dilemme tragique. Des dilemmes tragiques se trouvent par exemple dans le théâtre d'Euripide (quand Médée hésite entre tuer ses enfants pour se venger de son mari Jason, ou laisser en vie ses enfants et laisser son mari impuni), ou de Corneille (quand Le Cid, Rodrigue, hésite entre tuer le père de Chimène, pour venger son propre père, ou garder l'amour de Chimène, en renonçant à venger son père), ou dans la situation de surpopulation qu'envisage Malthus. Chacune des deux personnes chercherait à empêcher à l'autre de satisfaire ses besoins profonds, parce qu'il lui serait impossible de satisfaire ses propres besoins profonds, sans empêcher à l'autre de satisfaire ses besoins profonds. Dans une telle situation, il n'existerait pas de règles qui, si elles étaient respectées par les deux personnes, permettraient à chacune de respecter les besoins de l'autre.

 Il apparaît donc que, dans le cas du malentendu comme dans le cas du dilemme, ce qui au fond est tragique, c'est une défaillance du droit, ou de l'action du pouvoir exécutif, c'est à dire du pouvoir politique ou de l’État : l'absence de règles instituées, ou d'actions concertées, par lesquelles chacune des deux personnes respecte les besoins profonds de l'autre et le lui fait savoir. Soit, dans le cas du malentendu, parce que l’État méconnait certains besoins profonds des gens ; soit, dans le cas du dilemme, parce qu'on est dans une situation où même l’État ne peut qu'être impuissant. Or en démocratie, l'espace de la discussion des citoyens est le lieu où s'exerce le pouvoir politique. Parfois donc, l'atmosphère de la discussion démocratique s'alourdit et s'électrise. Cela provient notamment du poids que prend le fait d'exercer le pouvoir politique, quand on sent que s'installe un malentendu tragique, voire un dilemme tragique, et qu'alors, bien exercer le pouvoir politique peut permettre de conjurer l'une ou l'autre de ces forces tragiques, mais mal exercer ce pouvoir peut accentuer encore le caractère tragique de la situation, et rendre plus vives des plaies dans la société, la rapprocher un peu plus de cet état de guerre dont parle Hobbes, et que l’État permet selon lui de conjurer (peu importe pour nous que pour Hobbes, la cause de l'état de guerre, neutralisée par l’État, soit la méchanceté naturelle ou choisie de certains hommes, ou des sources de malentendus ou de dilemmes tragiques, ou les deux à la fois).


 Le seul genre de regard sur la ghettoïsation de la France, juge beaucoup d'actes comme critiquables ou immoraux, et accuse toujours quand il juge ainsi. Alors que peut-être que, par exemple, elle s'explique surtout par des éléments tragiques. Pour en avoir le cœur net, il faut que l'on puisse savoir quels sont les besoins profonds des uns et des autres, et que l'on puisse comprendre si à des moments, il y a comme une force, en partie due au destin ou à la fatalité, qui pousse les gens en France à se fuir, parce qu'elle les pousse à s'empêcher mutuellement de satisfaire leurs besoins profonds, ou à croire que les autres risquent de le leur en empêcher ; une force qui tendrait ainsi à séparer les gens en sortes de ghettos assez hostiles les uns aux autres, alors que peut-être ils ne demanderaient qu'à pouvoir être amis.

 Peu importe quelles choses faites de plomb, d'airain, ou autre mauvais métal, passées ou inéluctables, pourraient ici sembler pudiquement enveloppées, avec les belles choses passées ou inéluctables, dans cette notion de destin ou de fatalité. Car en vérité, tout ce qui est passé ou inéluctable fait partie de la vie qui nous est donnée, et une vie atteint son plus haut niveau possible d'authenticité et de félicité, seulement quand elle accepte tout ce qui est passé ou inéluctable comme faisant partie d'elle même dans sa vérité la plus intime, et quand elle cherche alors à prolonger cela en l'état le plus heureux possible. La notion de destin ou de fatalité n'enveloppe donc pas simplement les choses de plomb passées ou inéluctables, mais elle les absorbe en même temps qu'elle absorbe les belles choses passées ou inéluctables, et elle change tout cela en or : en suivant peut-être alors, la recette de la joyeuse alchimie stoïcienne. Le fait d'exprimer un refus de ce qui est donné dans la vie, et de trop donner libre cours à ses lamentations, est aussi quelque chose que Platon reprochait aux poètes dans La république (livre X) : « Quand nous entendons Homère, ou un quelconque des fabricants de tragédies, imiter un des héros, qui est plongé dans la souffrance et qui, au milieu de ses gémissements, développe une longue tirade, ou encore qu'on voit ces héros chanter tout en se frappant la poitrine, tu sais que nous y prenons du plaisir, que nous les suivons en nous abandonnant, en souffrant avec eux, et qu'avec le plus grand sérieux nous louons comme bon poète celui qui sait nous mettre le plus possible dans un tel état. [...] Mais quand à l'un d'entre nous survient un chagrin qui lui est personnel, tu penses bien qu'au contraire nous cherchons à faire belle figure par l'attitude opposée, consistant à être capable d'endurer calmement, et dans l'idée que c'est là le propre d'un homme, tandis que l'autre attitude, celle que nous louions alors, est celle d’une femme. [...] Alors, dis-je, cet éloge est-il admissible, qui consiste, quand on voit un homme tel qu'on ne daignerait pas être soi-même — on en aurait honte –, à y prendre du plaisir, au lieu d'en être dégoûté, et à en faire l’éloge ? »(4)

 Mais comme les philosophes stoïciens nous le donnent aussi à penser, cette force tendant à séparer les gens les uns des autres en ghettos, n'est peut-être pas si elle existe, entièrement composée de choses inéluctables ou passées. Elle est peut-être aussi composée de choses sur lesquelles on peut avoir une influence. Mais il n'est pas toujours aisé de parler de ces choses-là, et ce qui crée cette difficulté d'en parler, contribue ainsi aussi à alourdir et électriser la discussion démocratique : l'accueil que reçut le livre de Malthus sur la surpopulation, témoigne assez bien de cela.

 Ce livre sur la surpopulation, qu'il publia au début du XIXème siècle, fit scandale, particulièrement auprès des intellectuels socialistes de tout ce siècle, notamment à cause d'un passage très crû de sa première édition, que Malthus supprima des éditions suivantes :

 « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s'il ne lui est pas possible d'obtenir de ses parents les subsistances qu'il peut justement demander, et si la société n'a nul besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n'y a point de couvert vacant pour lui ; elle lui ordonne de s'en aller, et elle ne tardera pas à mettre son ordre à exécution, s'il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire place, d'autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu'il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L'ordre et l'harmonie du festin sont troublés, l'abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère [...] et par les clameurs importunes »

 On pouvait reprocher à Malthus : ou bien d'exagérer telle ou telle situation de surpopulation, comme celle de son pays à son époque ; ou bien d'expliquer qu'il est juste qu'une famine, épidémie ou guerre, s'abatte alors sur la population pour ramener sa taille à la quantité adéquate par rapport à la quantité de richesses disponibles ; ou bien encore, d'expliquer qu'il est juste que ce fléau s'abatte sur les uns plutôt que sur les autres, par exemple sur les déshérités plutôt que sur les fils de la bourgeoisie. Mais c'était alors chercher à tordre le propos de Malthus pour le rendre inacceptable, au lieu de chercher à en tirer ce qui est bon, peut-être parce que c'était trop insupportable de regarder en face l'éclat tragique de ce qui est bon dans son propos. Malthus répond ainsi à ses accusateurs, dans les éditions suivantes de son livre (chapitre 19) : « L'abbé Raynal s'exprime ainsi : "Avant toutes les lois sociales, l'homme avait le droit de subsister". Il aurait pu dire avec tout autant de vérité, qu'avant l'établissement des lois sociales, tout homme avait le droit de vivre cent ans. Sans contredit, il avait ce droit et il l'a encore ; bien plus, il a le droit de vivre mille ans, s'il le peut, et si cela ne nuit pas au droit que les autres ont eux aussi de vivre. Mais dans l'un et l'autre cas, il s'agit moins d'un droit que d'une possibilité. Les lois sociales augmentent beaucoup cette possibilité en mettant en état de vivre un grand nombre d'individus qui ne pourraient pas le faire sans elles ; en ce sens, elles étendent grandement le droit de subsister. Mais jamais – ni avant ni après l'institution des lois sociales – un nombre illimité d'individus n'a joui de la faculté de vivre ; et, avant comme après, celui qui a été privé en fait de cette faculté a été du même coup privé du droit d'exister. »

 Cette réponse de Malthus nous donne à nouveau à penser que le tragique est intimement lié à la défaillance du droit ou de l’État : dans une situation de surpopulation, le droit est, en quelque sorte, brisé en partie par la force des choses, ou inéluctablement inachevé, parce qu'il y a des choses qui se passent, qu'aucune règle justifiée de droit ne pourrait imposer, mais qui ne peuvent pourtant que se passer. Il y a des actes que des gens feront, non pas parce que cela est juste, mais parce que cela leur permet de se préserver : ils écouteront alors leur amour de soi et non leur pitié ou leur sens de la justice. Un fléau ramènera la population à la taille adéquate par rapport à la quantité de richesses disponibles, sans que cela puisse être justifié.

 Il y a quelque chose, dans le propos du sombre Malthus, qui est irréductiblement bon, mais cette bonté est une vérité paradoxale, qui s'affirme en se niant. La bonté de Malthus se nie une première fois, dans le fait de dire que certaines belles ou rassurantes croyances sur la vie humaine, sont des illusions, à cause de son potentiel caractère tragique, comme l'avait fait Platon d'une autre manière, et comme l'ont fait aussi quelques œuvres religieuses, littéraires ou hollywoodiennes. Mais alors cette bonté s'affirme surtout, parce que la conscience de la possibilité de situations tragiques nous permet de mieux connaître la vérité de notre vie, et de conjurer au mieux l'installation de telles situations ; par exemple, en essayant comme Malthus dans son livre, de proposer des politiques qui évitent la surpopulation. Non seulement Malthus ne tient pas la faux de la mort qui survient en cas de surpopulation, mais en plus son propos permet d'éviter à des vies d'être cruellement fauchées.

 La bonté de Malthus se nie une deuxième fois dans le fait de dire, d'une manière qui sonne comme une méchante accusation, dans des situations tragiques ou sous leur menace, que tels hommes nous empêchent, ou risquent de nous empêcher, de satisfaire nos besoins profonds ; par exemple, être le bourgeois Malthus, et dire que les déshérités sont une menace pour ceux qui peuvent manger à leur faim. Mais alors parfois, si on est dans des situations de malentendu tragique, ou si on peut encore éviter à une situation de dilemme tragique de s'installer, cette bonté s'affirme à nouveau, car si on se dit en quoi on se nuit ou risque de se nuire, cela permet ensuite d'instituer une règle de droit qui nous permet clairement d'éviter à l'avenir de nous nuire ; et ainsi cette règle nous permet à l'avenir, de nous regarder les uns les autres comme des amis, plutôt que de nous regarder les uns les autres comme des nuisances, actuelles ou potentielles.

 Enfin la bonté du pasteur Malthus se nie une troisième fois, dans le fait de reconnaitre que nous-mêmes agissons parfois par amour de soi et non par pitié, miséricorde, générosité ou sens de l'honneur ou de la justice. Mais cette bonté s'affirme alors encore, car reconnaître cela nous permet d'accepter de faire certains actes sans lesquels nous ne pourrions préserver notre vie et notre bien être, et cela nous permet d'afficher des formes de générosité qui ne soient pas des mensonges.


 Pour en revenir à la ghettoïsation de la France, elle pourrait nous apparaître comme tragique, si nous parvenions à voir en quoi il y aurait sous-jacents à elle, certains besoins profonds des gens, et une force, en partie due au destin ou à la fatalité, et en partie due à des choses qu'il est possible d'influencer mais dont il est difficile de parler, qui pousserait les habitants de la France à se fuir et se séparer en ghettos, parce qu'elle les pousserait à se nuire mutuellement, ou à croire qu'ils peuvent se nuire, dans la satisfaction de ces besoins profonds, alors que peut-être ils ne demanderaient qu'à pouvoir être amis.

 Ces choses qu'il n'est pas aisé de dire, ce sont les fois où nous sentons qu'une force pousse des gens d'un autre ghetto à nuire à nos besoins profonds, ou risquerait de les pousser à nuire à ces besoins. Par ricochet, n'importe lequel de nos besoins profonds est potentiellement difficile à dire, dès lors qu'on sent qu'il est généralement admis à l'échelle de la société, de manière explicite ou implicite, qu'il y a une force qui pousse des gens d'autres ghettos à nous empêcher, ou risquer de nous empêcher, de satisfaire ce besoin. L'accueil du livre de Malthus illustrait bien que, si dire ces choses-là n'est pas aisé, c'est parce que la bonté d'un propos qui dit ces choses là, est une vérité paradoxale. La bonté d'un tel propos se nie, parce qu'elle sonne comme une accusation, contre ceux qui sont poussés par cette force à nous nuire, ou à risquer de nous nuire ; parce qu'aussi elle est parfois une demande aux autres de faire quelque chose pour respecter un de nos besoins, or souvent nous n'aimons pas demander par peur de déranger. Mais la bonté d'un tel propos peut alors surtout s'affirmer, en permettant que les autres fassent attention à nos besoins et nous le fassent savoir, et soient ainsi regardés par nous comme des amis plutôt que comme des nuisances actuelles ou potentielles ; et parce qu'il arrive que les gens à qui nous demandons quelque chose, loin d'être dérangés par cette demande, soient heureux de nous rendre ce service, parce qu'ils veulent rentrer en contact avec nous, ou sentir qu'ils sont bons pour nous.

 Un exemple de besoin profond, sur lequel une force pourrait faire que les gens des différents ghettos, se nuisent ou croient se nuire, est le besoin d'enracinement. Weil définit ce besoin ainsi (IIème partie) :

 « L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des besoins les plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est à dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie  ».

 À cette définition de Weil ici, on pourrait rajouter que ce qui est partagé par des gens enracinés dans une même collectivité, ou dans un même substrat social, ce n'est peut-être pas seulement des choses assez spirituelles comme celles dont elle parle, mais aussi des choses plus triviales, comme par exemple un langage, des formes de sociabilité, ou des codes de politesse communs. Pour Weil (IIème partie), les forces qui peuvent déraciner des gens, ou même tragiquement, faire qu'ils se déracinent mutuellement, sont celles de l'argent, de la guerre de conquête, d'un État trop oppressif et centralisateur, et de la propagande, qui peut aujourd'hui être véhiculée par la télévision, et autres médias et journaux. Ce pourrait donc être notamment ce qu'il y a de passé ou d'inéluctable, dans l'expression de certaines de ces forces, qui serait fusionné avec les belles choses passées ou inéluctables, pour former finalement cet or fait de tout ce qui est passé ou inéluctable, qui fait partie de notre vie dans sa vérité la plus intime, et demande à être prolongé par nous dans l'état le plus heureux possible.(5)(6)(7)

 Mais s'il est vrai que nous avons un besoin profond d'enracinement, alors pour prolonger tout ce qui est passé ou inéluctable, en cet état le plus heureux possible, il nous faut pouvoir dire que nous avons ce besoin, et que nous souhaitons qu'il soit respecté au mieux. Les gens en France devraient alors pouvoir se mettre d'accord, transversalement à leurs origines, sur le fait que beaucoup ont ce besoin, et que pour chacun selon sa situation, définie en partie par ses origines, ce besoin s'exprime d'une manière différente, et se respecte donc d'une manière différente. Par exemple, beaucoup de gens d'ascendance française ou européenne plus ancienne, peuvent éprouver le besoin de vivre dans une société, et dans des environnements humains plus ou moins larges, qui aient une certaine fidélité par rapport aux manières dont des hommes se sont inventés comme hommes, de manière singulière, dans ce lieu qu'est la France. Et beaucoup de gens d'origine lointaine peuvent éprouver le besoin de vivre dans une société, et dans des environnements plus ou moins larges, où ils sont acceptés avec leurs origines.

 Un mauvais discours de gauche, assimilerait alors à de la xénophobie, toute expression d'un besoin d'enracinement, par les gens d'ascendance française ou européenne plus ancienne : c'est parce que la bonté de l'expression d'un besoin, est une vérité paradoxale qui lui échapperait. Il verrait l'expression de ce besoin comme une agression contre les gens d'origine lointaine, et non comme une manière de chercher à pouvoir vivre avec eux. Symétriquement, un mauvais discours de droite assimilerait à une réticence à s'intégrer, toute expression d'un besoin d'être accepté avec ses origines, par les gens d'origine lointaine. Il verrait l'expression de ce besoin comme une agression contre les gens d'ascendance française ou européenne plus ancienne, et non comme une manière de chercher à pouvoir vivre avec eux. Les deux discours symétriques ne peuvent tenir debout qu'en se fondant sur la négation d'un besoin humain profond, besoin d'enracinement ou besoin d'être accepté avec ses origines, vu par eux comme un vice. Tenir l'un de ces deux discours, ce serait donc se faire l'ennemi d'une partie de la population, briser la possibilité de partager un bien commun avec cette partie de la population, car on n'est pas l'ami de qui on ne reconnaît pas les besoins profonds, et on lui montre qu'on risque de lui nuire. En invitant les membres de la société française à adhérer à eux, les deux discours les inviteraient du même coup à devenir ennemis les uns des autres, et à ne plus partager de bien commun. Les deux discours croiraient éviter des disputes dans la société, alors qu'en vérité ils renforceraient la présence de malentendus tragiques, ou l'installation de dilemmes tragiques, sources de défiance et de disputes.

 A la décharge de ces deux éventuels discours, il faut remarquer que l'expression d'un besoin n'est pas toujours bonne. La mauvaise expression d'un besoin, et sa bonne expression, se ressemblent beaucoup, mais ont une différence déterminante, même si elle n'est pas facile à voir. L'expression d'un besoin est toujours en creux, un reproche à ceux qui nuisent à la satisfaction de ce besoin, ou semblent risquer de nuire à sa satisfaction. Mais cette expression du besoin ou ce reproche, peuvent être faits dans le seul but de reprocher : reprocher est alors une finalité. Ou alors, cette expression du besoin ou ce reproche, peuvent être faits dans le but de rendre possible de vivre avec les autres : reprocher n'est plus alors une finalité mais un moyen, qui poursuit une finalité qui le dépasse, par exemple le fait de pouvoir vivre dans une société où les gens se respectent au mieux les uns les autres, ou autre chose qui cherche à faire vivre ou à servir un bien commun aux membres de la société. Les discussions des citoyens peuvent donc être bonnes ou non, selon qu'elles se placent ou non dans la poursuite d'un bien commun. Cette poursuite d'un bien commun, est ce par quoi la bonté d'une discussion contenant des expressions de besoins ou des reproches, ne se nie pas seulement par des reproches, mais s'affirme en se niant par des reproches. Poursuivre un bien commun est ce qu'Aristote appelait, dans sa Politique (livre III, chapitre 9), une amitié entre les citoyens, sans laquelle une société ne pouvait pas pour lui être considérée comme une société digne de ce nom. Entre deux discussions contenant des expressions de besoins ou des reproches, la différence entre la bonne et la mauvaise discussion est donc une vérité paradoxale, qu'il n'est pas facile de voir ; ce qui produit cette différence, est que la bonne discussion regarde vers cette bonne étoile du bien commun, et a un mouvement vers elle, en lesquels sûrement, on ne peut croire qu'avec une certaine dose de confiance, que les autres membres de notre société croient aussi au bien commun et le veulent ; plus le ciel est chargé au dessus de la discussion, plus son atmosphère est sombre, et plus sûrement, la confiance est nécessaire pour voir cette bonne étoile et ce mouvement vers elle.(8)(9)(10)

 Le bien commun aux membres d'une société, relatif à cette société particulière, est donc dans cette société, la clé du discours amical, la clé de la vérité paradoxale selon laquelle une discussion contenant des expressions de besoins ou des reproches peut être bonne, et la clé de la conjuration des malentendus tragiques ou des installations de dilemmes tragiques. Cette bonne étoile aristotélicienne, est la fille du soleil platonicien : l'idée du Bien, dont Platon parle comme de quelque chose d'absolu, et comme de la source de cette lumière dans laquelle baigneraient ceux qui parviendraient à sortir de la caverne. Nous pourrions voir ce soleil platonicien, comme la clé d'une sorte de pensée dialectique.


La finalité poursuivie, comme clé d'une sorte de pensée dialectique.

 Sortir de la caverne, pour Platon, c'est en gros quelque chose d'assez simple à dire : c'est comprendre ces choses dont nous parlons, que nous percevons avec les sens, ou sur lesquelles nous avons des pensées spontanées ou conversations ; ou encore, c'est avoir une conception du monde qui soit pertinente. A notre époque, cela correspond à : avoir des connaissances scientifiques, en sciences dures, économie ou sciences humaines ; avoir des connaissances utiles à la pratique d'un métier, comme celles utiles à un juriste, gestionnaire, technicien ou artisan ; mais aussi, savoir dire ce que sont les choses mises en jeu par nos discours les plus généraux, par lesquels par exemple nous expliquons ce qu'est la vérité ou de quoi est fait le monde et comment il fonctionne, ou par lesquels nous justifions des actes individuels ou collectifs. Ces choses mises en jeu par ces discours généraux, sont pour Platon, notamment l'idée du Vrai, du Juste, du Beau ou du Bien, ou les choses mises en jeu par sa cosmologie, qu'il présente dans son Timée ; et pour nous aujourd'hui, elles pourraient être encore telles ou telles valeurs, concepts, lois, etc...

Celui qui comprend au moins un peu le monde ne perçoit donc plus seulement des choses avec les sens, mais il perçoit aussi des choses avec l'intellect. Ces choses perçues avec l'intellect sont pour Platon des formes intelligibles ou des idées, et pour nous elles peuvent être encore des concepts, valeurs, lois, ou toutes choses constitutives de notre conception du monde. En même temps, cette conception du monde perçue avec l'intellect, n'est pas sans lien avec ce qui est perçu avec les sens, ou avec ce dont nous parlons ou sur quoi nous avons des pensées spontanées, c'est à dire avec toutes les manifestations du monde : notre conception du monde nous permet de mieux comprendre les manifestations du monde. Comme Platon le donne à penser dans La république, sortir de la caverne, c'est donc ne pas rester enfermé dans les manifestations du monde, et essayer d'en avoir aussi une conception pertinente, qui les éclaire (livre V) : « Pour le juste et pour l'injuste [...], pour le bon et le mauvais, et pour toutes les espèces, on peut dire la même chose : chacune en elle-même est une ; mais du fait qu'elles se présentent partout mélangées avec des actions, avec des corps, et les unes avec les autres, chacune paraît être plusieurs. [...] Cela étant donc posé [...], j'aimerais bien qu'il me parle, et qu'il me réponde, le brave homme qui estime que le beau lui-même, et une certaine idée du beau lui-même qui soit toujours identiquement dans les mêmes termes, cela n'existe pas, mais qui apprécie une pluralité de belles choses ; cet amateur de spectacles qui ne supporte pas du tout qu'on affirme que le beau, ou le juste, et ainsi de suite, est une unité, "Excellent homme, déclarerons-nous [...], les choses belles paraissent nécessairement laides aussi sous quelque aspect, ainsi que toutes les autres [...]. Et quant à celles que nous déclarons être grandes, ou petites, légères, ou lourdes [...], à chaque fois chacune tiendra de l’un et de l’autre." [...] Ces choses [...] parlent par équivoques, et il n’est pas possible de penser de façon fixe qu'aucune d'elles est ni n'est pas, ni que ce soit les deux à la fois, ni aucun des deux. [...] Où pourrais-tu leur assigner une meilleure position qu'au milieu entre l'être et le néant ? [...] La foule d'idées que la foule se fait sur le beau et sur le reste voltige en quelque sorte entre ce qui n'est pas et ce qui est purement et simplement [...]. Par conséquent ceux qui regardent les nombreuses choses belles mais ne savent pas voir le beau lui-même [...], et les nombreuses choses justes, mais pas le juste lui-même, et de la même façon pour tout le reste, nous dirons qu'ils opinent sur toutes choses, mais qu'ils ne connaissent aucune des choses sur lesquelles ils opinent [...]. Mais que dire au contraire de ceux qui contemplent chacune de ces choses en elle-même, ces choses qui sont toujours identiquement dans les mêmes termes ? Ne dirons-nous pas qu'ils les connaissent [...] ? »

 L'enrichissement de notre conception du monde peut alors se faire, ou bien par un mouvement déductif de la pensée, qu'Aristote appellera un syllogisme dans son Organon : mouvement descendant, par lequel on voit que telle ou telle remarque particulière peut être conclue, à partir de telles hypothèses particulières, lois générales ou définitions générales. Ou bien, on peut enrichir notre conception du monde par un mouvement inductif de la pensée, que décrira aussi Aristote : mouvement ascendant qui, à partir de nombreuses remarques particulières, faites dans de nombreux cas particuliers, réussit à conclure une loi générale ou définition générale. Platon décrit la dialectique comme un mouvement inductif de la pensée, déployant les mots en les tournant et retournant, révélant les multiples facettes des choses que renferment ces mots, en les mettant dans toutes sortes de situations particulières, décrites par diverses hypothèses particulières, pour accéder à des conceptions générales de ces choses, ou de ces idées, notamment du Juste, du Beau ou du Bien (livre VI) : « Conçois à présent ce que j'entends par la seconde division des choses intelligibles. Ce sont celles que l'âme saisit immédiatement par la dialectique, en faisant des hypothèses [...], qui lui servent de degrés et de points d'appui pour s'élever jusqu’à un premier principe qui n'admet plus d'hypothèse. »

Platon compare enfin l'idée du Bien au soleil. Elle est ce vers quoi on cherche à aller, quand on cherche à sortir de la caverne, ultimement par la dialectique ; et c'est d'elle qu'émane la vérité sur les autres formes intelligibles ou idées, de même que c'est du soleil qu'émanent les rayons du soleil, qui rendent les choses du monde visibles pour nous (livre VII) :

 « Aux dernières limites du monde intellectuel, est l'idée du bien qu'on aperçoit avec peine, mais qu'on ne peut apercevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de beau et de bon ; que dans le monde visible, elle produit la lumière et l'astre de qui elle vient directement ; que dans le monde invisible, c'est elle qui produit directement la vérité et l’intelligence ; qu'il faut enfin avoir les yeux sur cette idée pour se conduire avec sagesse dans la vie privée ou publique. »


 Il est vrai que notre conception du bien occupe sûrement une place centrale dans notre conception du monde, quand nous mobilisons celle-ci pour justifier nos actes individuels ou collectifs. On peut souvent contester quelqu'un qui justifie quelque chose, en contestant directement sa conception du bien, même s'il est aussi possible parfois, de contester des faits sur lesquels il s'appuie, ou de contester ce qui dans la conception du monde qu'il mobilise, est susceptible d'être étudié par la science.

 Mais nous pourrions aussi donner une place centrale à l'idée du Bien, en tant que finalité poursuivie, point de mire, dans notre pratique d'une pensée dialectique. Car nous pourrions nous dire qu'une chose est bonne en soi, dès lors qu'elle peut être conçue comme une bonne chose, et ce serait alors comme une bonne chose qu'il serait bon de la concevoir. Concevoir une chose comme une bonne chose, ce serait la concevoir comme s'intégrant dans le système de choses qui poursuit une finalité, miroir de notre sensibilité ou de notre cœur, finalité monolithique ou finalité composite, englobant un ensemble équilibré de finalités. De même que le soleil rend visibles les choses matérielles, la finalité poursuivie révèlerait ce que sont vraiment les choses qu'on cherche à concevoir, puisque dès lors que celles-ci pourraient être conçues comme de bonnes choses, elle ne seraient bien conçues que quand elles seraient conçues comme de bonnes choses. Bien concevoir une chose qui peut être conçue comme une bonne chose, ce serait donc lui faire d'abord confiance comme à une amie, pour chercher à la concevoir comme une bonne chose, lui faire "donner le meilleur d'elle-même", la faire s'intégrer harmonieusement dans le système de choses poursuivant la finalité poursuivie, ou servant notre idée du Bien.

 Peu de choses sont en soi des finalités uniques, qu'il ne faudrait pas chercher à faire coexister avec d'autres finalités, dans un ensemble équilibré de finalités, formant une finalité englobante. Peu de choses même sont en soi des finalités, qu'il ne faudrait pas chercher à bien concevoir comme des moyens, s'intégrant dans le système de moyens poursuivant la finalité poursuivie. C'est enfin rarement une finalité de combattre une chose en soi, c'est à dire que peu de choses sont mauvaises en soi, et souvent on croit qu'une chose est mauvaise en soi, alors que la seule chose mauvaise est notre mauvaise conception de cette chose, qui ne lui donne pas sa chance, en la concevant comme une mauvaise chose.

 Beaucoup d'exemples illustrent comment notre idée du Bien, ou la finalité poursuivie, peut alors être utilisée comme une clé d'une sorte de pensée dialectique.

 Sous la bonne étoile aristotélicienne de l'amitié ou du bien commun, l'expression d'un besoin, ou même le reproche, n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il est mauvais de mal concevoir cette chose, c'est à dire de ne pas la concevoir comme s'intégrant dans le système de choses qui sert l'amitié ou le bien commun. Il y a deux manières de mal concevoir l'expression d'un besoin ou un reproche : la manière du mauvais discours de gauche qui, concevant cette chose comme une mauvaise chose, et voyant que cette mauvaise chose est mauvaise, décide de combattre la chose qu'il a mal conçue ; et la manière du mauvais discours de droite qui, considérant que cette chose est bonne, mais la concevant comme une mauvaise chose sans s'en rendre compte, décide de la défendre ainsi mal conçue. Comme des sœurs ennemies, les deux manières sont opposées sur la question de savoir s'il faut combattre ou défendre cette chose ; mais elles sont unies dans leur mauvaise conception de cette chose. S'il est vrai qu'elles conçoivent mal cette chose, alors elles inviteraient les citoyens à former une mêlée ressemblant à celle de ces « amateurs de spectacles » dont parle Platon : une mêlée de gens qui se tromperaient dans leur conception des choses au sujet desquelles ils se disputeraient, mais qui se disputeraient quand même dessus.

 Une telle sorte de discussion démocratique aurait quelque chose de tragique. Elle ne contiendrait peut-être pas seulement le tragique du malentendu, auquel Platon donne souvent à penser, mais aussi le tragique du dilemme, présent sous la forme d'un risque, nuage menaçant qui pèserait sur la discussion : car c'est peut-être la peur du dilemme tragique, la peur de ne pas réussir à s'entendre, qui pousserait les participant à la discussion à ne pas se dire leurs besoins, à ne pas se faire de reproches. Et tout cela viendrait peut-être d'un manque de confiance dans la bonne étoile de l'amitié ou du bien commun ; ou bien cela viendrait du fait de ne pas attribuer à cette bonne étoile sa fonction de clé, par laquelle une discussion conflictuelle ne nie pas seulement l'entente dans le conflit, mais affirme l'entente en la niant dans le conflit, en permettant que s'instaure une entente mieux fondée, que se dissipent malentendus tragiques ou risques de dilemmes tragiques.

 Quand la discussion démocratique n'est plus placée sous la bonne étoile du bien commun, il se passe aussi quelque chose qui ressemble à ce que redoute Rousseau dans son Contrat social (livre II, chapitre 3). Les gens ne défendent plus leur vision personnelle du bien commun, mais chacun défend ce qu'il considère comme son bien propre à lui seul. Quand une personne défend sa vision personnelle du bien commun, plutôt que son bien purement propre, elle continue à défendre son bien propre, puisqu'elle est la mieux placée pour que sa vision personnelle du bien commun tienne compte de son bien propre. Mais, en plus, elle affirme en niant le fait de défendre son bien propre : elle nie la défense de son bien propre, puisque sa vision du bien commun n'est pas seulement celle de son bien, mais aussi la vision du bien des autres, et puisque le bien des autres peut parfois limiter son bien propre ; mais elle affirme la défense de son bien propre, parce qu'il est de son intérêt bien compris, de participer au fait que la société dans laquelle elle vit poursuive un bien commun, parce qu'aussi les autres ne l'écouteront pas et ne lui feront pas confiance, si elle ne parle que de son bien à elle, et parce qu'enfin elle devient non nuisible aux autres, elle devient une fin compatible avec les autres fins que sont les autres.

 Certains pourront trouver hypocrite cette notion de bien commun : car la vision personnelle qu'a un membre de la société, du bien commun, est à la fois son bien propre et celui des autres ; à travers notre vision du bien commun, les autres sont pour nous à la fois un instrument de notre bonheur, c'est à dire de notre finalité à nous, et une finalité en eux mêmes ; et notre association avec les autres est elle aussi un instrument de notre bonheur propre, tout en étant une finalité en elle même. Si nous nous associons avec les autres, ce n'est pas seulement parce que nous les aimons, voulons leur bien, mais parce que nous savons aussi que cela sert notre bien propre au plus haut point : c'est en décidant de nous associer avec d'autres que nous espérons pouvoir construire avec eux comme un monde dans le monde, qui ne soit plus soumis à toutes les sauvageries, soit préservé au mieux du tragique, dans lequel la vie à laquelle nous aspirons soit possible ; cela était dit par Hobbes et mieux encore par Rousseau (livre I, chapitres 5 à 9). Mais en même temps, si les autres sont un instrument de notre bonheur, ce n'est pas seulement parce que la société comblera nos besoins matériels, mais aussi parce qu'elle comblera nos besoins affectifs, c'est à dire que s'ils sont un instrument de notre bonheur, c'est aussi parce que paradoxalement, leur rencontre est pour nous une finalité à laquelle nous aspirons profondément, nous n'aimons pas trop la solitude, aimons bien les environnements humains. Notre attitude envers les autres combine donc des choses contraires : l'instrumentalisation des autres et le fait de considérer leur rencontre comme une finalité. Mais cela n'a rien d'impossible, pour qui croit que le cœur humain peut contenir plusieurs finalités poursuivies en même temps, un ensemble équilibré de finalités, plutôt qu'une finalité monolithique unique.

 Lorsque les membres d'une société poursuivent un bien commun, celui-ci devient aussi un principe de régulation des choix politiques. Si on voit ce bien commun comme un ensemble équilibré de finalités, la plupart des choix politiques ne sont pas des finalités mais des moyens, qui doivent s'intégrer harmonieusement dans le système de choix politiques poursuivant le bien commun, de manière crédible étant donnée la réalité. Chaque choix politique est ainsi affirmé en étant nié : nié parce qu'il doit subir des contraintes, et ne plus se voir comme l'unique finalité poursuivie par la société ; mais affirmé en devenant ainsi non nuisible aux autres choses participant à la poursuite par la société de son bien commun, c'est à dire à son devenir, et même en participant pleinement positivement, à ce devenir. L'absence totale de régulation des choix politiques, c'est à dire le néo-libéralisme le plus extrême, n'est donc possible que s'il n'y a aucun bien commun aux membres de la société. Si par exemple on considère que le bonheur des membres de la société est une finalité, dans ses dimensions matérielles et affectives, on peut ensuite considérer la richesse matérielle de la société, ainsi qu'une certaine cohésion de la société, et un certain enracinement possible pour les membres de la société, comme des moyens poursuivant cette finalité. On peut ensuite se dire, par exemple, que l'immigration qui a eu lieu, a quelque chose d'une finalité, puisque les migrants ne sont pas des choses mais des humains, ce ne sont pas de purs instruments, comme le veut un peu la logique néo-libérale, mais aussi des finalités, et leur rencontre avec la société d'accueil, quand elle a lieu, n'est pas un pur instrument mais aussi une finalité ; mais l'immigration à venir n'est pas l'unique finalité poursuivie par la société, ou son unique bien commun. Il s'ensuit alors que la politique migratoire doit s'intégrer elle aussi dans le système de choix politiques poursuivant le bien commun de la société. Elle aussi donc, doit se laisser réguler par ce principe de régulation qu'est la poursuite du bien commun, se nier en n'étant pas une immigration sans limites ni dispositif d'intégration, mais surtout s'affirmer, comme non nuisible à la richesse, la cohésion, et l'enracinement possible dans la société, et participant de manière pleinement positive à son devenir.

 D'autres exemples illustrent ce rôle de clé d'une sorte de pensée dialectique, que peut jouer la finalité poursuivie. Par exemple, on oppose souvent persistance et changement, mémoire et innovation, conservation et progrès, "conservatisme" et "progressisme", alors qu'aucune de ces choses n'est en soi une finalité, et que ce n'est pas non plus une finalité de combattre l'une ou l'autre de ces choses, c'est à dire qu'aucune n'est mauvaise en soi. Toutes sont bonnes en soi, car peuvent être conçues comme de bonnes choses, s'intégrant dans un système de choses poursuivant une finalité. Un système de choses qui poursuit une finalité, et auquel participent harmonieusement deux choses contraires du genre de la mémoire et du changement, est un devenir. L'ADN, qui détermine ce que sont les êtres vivants, combine mémoire et changement : il est une mémoire qui est le support indispensable de l'évolution des espèces, car les êtres vivants sont des structures trop complexes pour pouvoir exister sans une mémoire qui les supporte ; mais si cette mémoire ne pouvait se transformer, les espèces ne pourraient se transformer, il n'y aurait pas non plus d'évolution des espèces. Le cerveau, qui détermine avec l'ADN ce qu'est un être animal, par une expérience acquise au cours de sa vie par l'animal, combine mémoire et changement : il mémorise l'expérience et acquiert l'expérience, c'est cette combinaison qui est la base de l'apprentissage. Les humains enfin ne sont pas seulement déterminés par l'ADN et le cerveau, mais aussi par la mémoire de leur société, mémoire singulière fondée sur les mémoires des cerveaux humains de ses membres et sur un langage, voire aussi une écriture ou une technique d'imprimerie, choses sans lesquelles la mémoire de la société ne pourrait exister, car il n'y aurait pas de transmission possible. Ce qui dans un être humain, est déterminé par la mémoire singulière de sa société, c'est la langue qu'il parle, les connaissances qu'il a, les savoirs faire qu'il a, la fonction qu'il a dans l'organisation de la société, et des codes de politesse, mœurs, éléments d'un imaginaire, ou autres choses que lui transmettent les substrats sociaux dans lesquels il est enraciné. A nouveau la mémoire de la société combine mémoire et changement dans le progrès : elle mémorise tous ces attributs par lesquels ses membres se sont faits hommes en les ayant inventés sous une forme singulière, et elle en acquiert de nouveaux avec le temps.

 Un autre exemple est la différence entre la critique qui critique pour critiquer, et la critique qui critique pour améliorer. La différence entre ces deux sortes de critiques est la même, que la différence entre un enfant qui joue à malaxer de l'argile, et un potier, ou plus généralement, la différence entre quelqu'un qui joue avec le matériau sans chercher à produire quelque chose, et un héritier du dieu forgeron Vulcain, un artisan. Le potier comme l'enfant qui joue à malaxer de l'argile, détruisent quelque chose, en faisant perdre à l'argile sa forme initiale. Mais à la différence de l'enfant, le potier ne détruit pas seulement, mais construit la forme du pot, et pour cela, il conserve au fur et à mesure une partie de la forme de l'argile, ce qui dans cette forme intermédiaire restera dans la forme finale du pot. L'enfant nie seulement la forme initiale de l'argile, alors que le potier affirme en niant, et ne nie que partiellement puisqu'en même temps il conserve. Ce qui fait la différence, c'est que le geste purement négateur de l'enfant ne tend vers aucune finalité, tandis que le geste du potier est un geste qui tend vers une finalité, la forme finale du pot, et c'est en cela que ce geste est un geste qui affirme en niant. La critique qui critique pour critiquer, est une critique qui ne s'auto-critique pas, mais qui au contraire s'auto-suffit, est à elle-même sa propre finalité, comme la malaxation de l'argile par l'enfant. Tandis que la critique qui critique pour améliorer ne se contente pas d'elle-même, mais poursuit une finalité qui la dépasse, et s’intègre dans un mouvement en trois moments qui poursuit cette finalité. Le premier moment est celui de la critique ; mais ensuite vient le deuxième moment, celui de la critique de la critique, où on explique en quoi la chose critiquée n'a pas seulement des défauts, mais est aussi bonne parce qu'elle sert une bonne finalité ; ensuite vient le moment où on propose une transformation de la chose critiquée, qui soit crédible, permette d'effacer les défauts de cette chose, sans lui faire perdre son aptitude à remplir sa bonne fonction. La critique pour améliorer s'expose à de nombreuses critiques, par exemple, le fait de ne pas avoir saisi toute l'utilité de la chose critiquée, ou le fait que la transformation proposée ne soit pas crédible. Mais elle est plus aboutie, car elle essaie de servir à quelque chose, alors que la critique pour critiquer ne peut servir à quelque chose que si, dans un deuxième temps, on parvient à l'intégrer dans ce mouvement qu'est une critique pour améliorer. Les sciences humaines, ou de nombreux discours qui s'en réclament, critiquent souvent des choses, comme l’État, les mœurs, les codes de politesse, le substrat social, l'enracinement, la mémoire de la société, etc... Mais ces critiques ne servent à quelque chose que quand elles s'intègrent dans un discours capable aussi de dire de manière complète, quelle est l'importance de l’État, des mœurs, des codes de politesse, etc..., et proposant finalement des transformations crédibles des choses critiquées. Sinon ce discours devient comme celui des adolescents dont parle Platon (livre VII) :

 « Tu n’as pas été sans t'apercevoir que les tout jeunes gens, lorsqu'ils goûtent pour la première fois aux échanges d'arguments, en font un usage pervers, comme d’un jeu, s’en servant toujours pour contredire, et qu'en imitant ceux qui réfutent, eux-mêmes en réfutent d'autres, prenant plaisir, comme de jeunes chiens, à tirer et à déchiqueter par la parole quiconque se trouve près d'eux [...]. Dès lors, lorsqu'ils ont eux-mêmes réfuté beaucoup de gens, et qu'ils ont été réfutés par beaucoup, ils se jettent vite, et violemment, dans le refus de rien penser de ce qu’ils pensaient auparavant ; et en conséquence eux-mêmes, aussi bien que tout ce qui touche à la philosophie, se trouvent déconsidérés aux yeux des gens [...]. Tandis qu’un homme plus âgé, dis-je, ne consentirait pas à participer d'un tel délire ; il imitera celui qui veut dialoguer pour examiner le vrai, plutôt que celui qui, pour s'amuser, joue à contredire : il sera plus mesuré lui-même, et du coup il rendra cette occupation plus honorable, au lieu de la déconsidérer [...]. Or tout ce que nous avions dit auparavant sur ce point, visait aussi à cette précaution : quand nous disions que devaient être ordonnés et stables les naturels auxquels on accorderait de prendre part aux dialogues »

 Ce que critiquent aussi parfois les sciences humaines ou les discours s'en réclamant, c'est le fait que des choses singulières mémorisées par la société nous déterminent, car ils identifient la liberté, au fait de ne pas être déterminé par ce que mémorise la société, de souvent singulier. Or les atomes portent une mémoire des lois de la matière, puisqu'ils leur obéissent ; le système solaire est une mémoire, d'une configuration singulière des atomes, qui s'est installée de manière durable dans un lieu particulier à un moment particulier ; la Terre est de même une mémoire, d'une configuration singulière des atomes, installée de manière durable ; l'ADN est une mémoire de la structure singulière de notre corps ; notre cerveau est une mémoire de notre expérience singulière, que nous ne maitrisons par entièrement ; et toutes ces mémoires, souvent singulières, du monde naturel nous déterminent aussi. Par ailleurs, les choses singulières que mémorise la société, sont des attributs indispensables pour faire de nous des hommes, et des hommes heureux, sous une forme singulière, comme le langage, les mœurs, le substrat social, etc... Enfin, si la liberté consiste à pouvoir tout choisir soi-même, choisirons-nous aussi, de désirer choisir ceci plutôt que cela, et choisirons nous encore, de désirer choisir de désirer choisir ceci plutôt que cela, et ainsi de suite à l'infini ? Il est donc absurde de croire que la liberté consiste à n'être déterminé par rien de ce qui est mémorisé dans le monde naturel, ou par rien de ce qui est mémorisé par la société, car à toutes ces mémoires nous devons d'exister, et de pouvoir être heureux, et car il nous faut bien au départ désirer quelque chose pour choisir quelque chose, sans pouvoir choisir ce désir. N'être déterminé par rien n'est pas une finalité, la vraie liberté est plutôt d'avoir devant nous un monde, qui nous ouvre le mieux possible des chemins que nous pourrons prendre pour être heureux, c'est à dire obtenir le mieux possible ce que nous désirons profondément, aller ainsi vers notre finalité. Ce que nous désirons profondément nous vient de tout ce qui, parmi les mémoires naturelles ou sociales qui nous déterminent, est inéluctable ou bon. En dernier lieu, savoir ce qui est bon suppose sûrement d'avoir goûté au bonheur, et d'avoir vu beaucoup de ses semblables y goûter, et de savoir ainsi qu'il a un goût simple, même s'il n'est pas simple de l'obtenir, ou de réaliser les conditions permettant de l'obtenir. Notre finalité déterminée par notre désir profond, détermine ensuite ce en quoi consiste notre liberté, qui se décrit comme les conditions d'existence nous permettant d'obtenir le mieux possible ce que nous désirons profondément. C'est aussi un peu, ce que donne à penser Aristote dans son Éthique à Nicomaque (livre III, chapitres 1 à 6).

 On pourrait encore multiplier les exemples. L'autorité et la douceur dans l'éducation, sont des contraires, qu'il ne faut pourtant pas opposer puisqu'aucune des deux n'est une finalité ou quelque chose de mauvais en soi, mais chacune des deux peut être conçue comme une bonne chose, s'intégrant dans le système de choses poursuivant la finalité qu'est une bonne éducation. La sphère publique, irréductiblement collective et donc soumise aux choix collectifs, et la sphère privée, soumise aux choix individuels, sont des contraires, qu'il faut pourtant concevoir dans un même système de choses poursuivant le bien des membres de la société, comme Rousseau avait cherché à le faire (livre II, chapitre 4), plutôt que de vouloir donner toute la place à la sphère publique comme le voudraient les totalitarismes, ou toute la place à la sphère privée comme le voudraient de mauvaises conceptions jusqu'au-boutistes du libéralisme. La poésie est en soi bonne pour la société, puisqu'elle peut être conçue comme une chose positive pour la société, peut-être même comme l'une des finalités d'une société, contrairement à ce que semple dire Platon (mais peut-être y-a-t-il là un malentendu, puisque la société rêvée par Platon est une œuvre poétique dans laquelle une grande place est donnée aux activités physiques, à la danse, la musique et l'harmonie). La révolte pour la révolte est une mauvaise conception de la révolte, car la révolte n'est pas une finalité mais doit en poursuivre une, qui est, quand l'ordre établi a des défauts, de le transformer pour établir un nouvel ordre plus souhaitable, lorsque cette transformation n'est pas possible autrement que par la révolte ; la révolte ne s'oppose donc pas à l'ordre puisque quand elle est bien conçue, la finalité qu'elle poursuit est d'établir un nouvel ordre. Etc, etc...


Le chômage et les autres formes de pauvreté.

Sur le chômage et les autres formes de pauvreté, la discussion démocratique a à nouveau des côtés tragiques, qui sont à la fois celui du malentendu et du dilemme.

Quand on connait les causes véritables du chômage et de la pauvreté dans notre pays, on sait qu'ils ne sont pas des fatalités, et sont dus à certains choix politiques. On sait aussi alors que la France pourrait très bien être aujourd'hui dans une situation de plein emploi et de répartition équitable de la richesse, si d'autres choix avaient été faits, et elle pourrait très bien revenir vers une telle situation si elle faisait dès maintenant d'autres choix. Jean-Pierre Chevènement et l'économiste Alain Cotta ont écrit des livres qui témoignent de cela.(11)

Mais peu de gens pourtant, semblent connaître les causes véritables du chômage et de la pauvreté dans notre pays : parce que les discours des économistes permettent rarement de les connaître ; ou bien, parce qu'ils n'ont pas envie de chercher à les connaître par eux-mêmes ou ne se sentent pas assez intelligents pour cela ; ou encore, parce que leur conception de la modestie les pousse à croire les économistes sur parole. La modestie bien conçue nous invite à écouter les économistes, mais elle ne nous invite pas à croire ce qu'ils disent sans avoir compris avec notre raison pourquoi ce qu'ils disent est vrai. Une modestie qui nous inviterait à croire les économistes sans vraiment savoir pourquoi ils disent vrai, est quelque chose qui neutraliserait en nous la raison, et nous ferait retomber dans une nouvelle forme d'obscurantisme, se donnant les allures d'un haut niveau de rationalité. Dès lors qu'on se fait suffisamment confiance pour oser user de sa raison, et n'admettre que ce que notre raison admet, il peut assez facilement devenir "clair et distinct" pour nous (pour reprendre la formule de Descartes dans son Discours de la méthode), que le chômage et la pauvreté en France ont principalement trois causes simples.

 Il serait étonnant que ces trois causes si simples soient si peu connues, si nous ne vivions pas dans une époque obscurantiste. Mais de nombreuses sociétés, à un moment de leur existence, ont été obscurantistes : pourquoi pas la notre aujourd'hui ? On ne nous a pas appris à l'école que notre époque était obscurantiste, et les dépositaires de l'autorité scientifique le disent rarement aussi : mais dans quelle époque obscurantiste a-t-on vu le contraire se passer ? Seul l'usage de notre raison peut nous permettre de savoir si nous vivons ou non dans une époque obscurantiste.

 Les trois causes du chômage et de la pauvreté sont le libre-échange, le système bancaire monétariste et dérèglementé, et le fait de respecter les traités de l'Union Européenne dans leur version actuelle, qui imposent les deux premières causes, et d'autres politiques économiques qui sont d'autres causes, de second plan.

 On peut démontrer à la raison que le libre-échange est une cause décisive du chômage de masse : plus de détails sont donnés dans ce billet. En gros, c'est parce que si tous les chômeurs retrouvaient du travail, et se remettaient donc à produire et consommer, sans que chaque consommateur consomme moins de produits faits dans les pays émergents, il s'ensuivrait une augmentation importante de nos importations de produits faits dans les pays émergents, et un manque de débouchés important pour notre production massive supplémentaire. Comme en plus nos exportations n'ont aucune raison d'augmenter au même rythme que nos importations, nous aurions un déficit commercial important, chose intenable longtemps car ayant pour contrepartie un endettement vis à vis du reste du monde, en plus d'un manque de débouchés importants. Pour que chaque consommateur consomme moins de produits faits dans les pays émergents, il faut du protectionnisme, parce qu'on ne peut pas empêcher aux consommateurs de consommer les catégories de produits qu'ils consomment, et parce que parmi les catégories de produits que consomment les Français, il y a une certaine quantité de biens manufacturés, aujourd'hui fabriqués dans les pays émergents, et dont les prix défient toute concurrence étant donné le bas coût du travail là-bas. Le libre-échange coûte donc très cher à ceux qui à un moment ou à un autre sont au chômage, puisqu'il est une cause décisive du chômage de masse, mais en plus, il coute cher aux travailleurs exposés à la concurrence des pays émergents, en faisant pression à la baisse sur leurs salaires : pour rester compétitifs il faut qu'ils acceptent de bas salaires. Par ailleurs, le libre-échange rapporte un peu à tous les consommateurs, riches ou pauvres, qui peuvent acheter des produits fabriqués pour moins cher dans les pays émergents, et il rapporte beaucoup aux détenteurs du capital, qui peuvent augmenter leurs marges grâce au bas cout du travail dans les pays émergents. La relation au reste du monde qu'a la France, par le libre échange, est donc une relation qui coute très cher aux pauvres, tout en rapportant aux riches : ce n'est pas une relation solidaire au reste du monde. Certains économistes comme Jacques Sapir et d'autres, qui ont fondé une association, disent cela sur le libre-échange, de manière très convaincante pour la raison.(12)

 Le système bancaire est une cause importante du chômage de masse, parce qu'il autorise la fuite des capitaux, et parce que c'est un système imposant une politique monétaire monétariste, opposé aux politiques monétaires de relance keynésienne, qui sont importantes pour sortir du chômage, si on se laisse convaincre par les arguments, un peu complexes mais "clairs et distincts" encore, pour la raison, de Keynes et des autres économistes keynésiens. Le système bancaire est aussi une cause de pauvreté, en permettant la spéculation sans risque en contrepartie, l'évasion fiscale, l'endettement des États auprès des banques privées.(13)

  Les traités de l'UE imposent tout cela à la France, soit directement, soit indirectement en imposant de suivre les directives émises par la Commission. En plus, ils imposent une privatisation de certains secteurs d'activités, comme l'énergie et autres infrastructures, et ils imposent une mauvaise protection du consommateur : tout cela préserve ou augmente les rentes de monopole et les prix.


 Il y a donc le tragique du malentendu, dans le fait que peu de gens connaissent bien ces causes du chômage et de la pauvreté. Mais il y a aussi un certain tragique du dilemme, dans le fait que beaucoup de gens ne voient pas ces causes parce qu'ils refusent de les voir, ou alors, dans le fait qu'ils acceptent de voir ces causes, mais refusent de cesser de les chérir : il y a à chaque fois quelque chose que ces gens veulent préserver, même si c'est au prix de leur aveuglement ou du chômage et de la pauvreté. La pensée scientifique permet de voir les causes du chômage et de la pauvreté en usant de sa raison, mais c'est plutôt une sorte de pensée dialectique qui est utile, pour accepter d'user de sa raison quand on refuse d'en user, ou pour nous convaincre de cesser de chérir des choses dont nous savons qu'elles sont les causes de nos pires maux. Cela nous ramène encore à Platon, pour qui le processus de sortie de la caverne commence par un apprentissage de la pensée scientifique, mais se poursuit par un apprentissage d'une pensée dialectique.

 Beaucoup de gens refusent de voir les méfaits du libre-échange, ou refusent de cesser de le chérir, parce qu'ils pensent qu'il permet au reste du monde de se développer, notamment aux pays émergents d'émerger, et parce qu'ils n'aiment pas les choses qui, comme le protectionnisme, freinent les échanges avec le reste du monde. Permettre au reste du monde de se développer, et faire des échanges avec lui, sont en soi de bonnes choses, mais il est mauvais de mal concevoir ces choses. Bien concevoir ces choses, c'est les concevoir comme de bonnes choses, s'intégrant de manière harmonieuse dans le système d'actions que nous faisons, à la poursuite d'un ensemble équilibré de finalités, comprenant non seulement le fait de faire des échanges et d'aider le reste du monde à se développer, mais aussi le fait de préserver la prospérité de notre économie, et la solidarité de notre engagement dans une relation avec le reste du monde. Nos échanges avec le reste du monde, et notre aide au reste du monde, s'affirment en se niant, dans le fait de s'intégrer harmonieusement dans le système d'actions que nous faisons, dans la poursuite de notre ensemble équilibré de finalités. Ils se nient en se laissant réguler par le protectionnisme. Mais alors ils s'affirment surtout : en permettant que notre relation au reste du monde ne soit pas nuisible pour nous, à la fois sur un plan purement matériel, en nous permettant de préserver notre prospérité, et sur un plan en partie moral, en nous permettant de préserver notre solidarité ; et en accompagnant ce frein aux échanges qu'est le protectionnisme, par d'autres mesures d'aide au développement, compatibles avec notre prospérité, qui seraient chez nous moins couteuses pour les pauvres et plus couteuses pour les riches, et dont on parle peu. Augmenter sensiblement notre aide financière publique au développement ; imposer que tous les produits exotiques vendus chez nous satisfassent des critères semblables à ceux garantis par les labels du commerce équitable ; permettre aux pays pauvres d'utiliser certains brevets scientifiques, notamment pharmaceutiques, pour leur consommation à eux ; ou organiser un service civique tourné en partie vers la solidarité avec le reste du monde.(14)

 Beaucoup de gens aussi, refusent de voir les effets néfastes pour nous, ou continuent de chérir, le fait de continuer à respecter les traités de l'UE, nous imposant notamment le libre-échange et le système bancaire monétariste et dérèglementé. C'est parce qu'à leurs yeux, cesser de respecter ces traités altèrerait notre relation aux autres pays d'Europe. Avoir des relations avec les autres pays d'Europe est en soi une bonne chose, mais c'est une mauvaise chose de mal concevoir ces relations. Bien concevoir nos relations avec les autres pays d'Europe, c'est les concevoir comme s'intégrant de manière harmonieuse dans le systèmes d'actions que nous faisons, à la poursuite de notre ensemble équilibré de finalités, comprenant notamment la prospérité et l'équité de la répartition de la richesse chez nous. Notre relation aux autres pays d'Europe s'affirme donc en se niant dans le fait de cesser, d'une manière ou d'une autre, de respecter les traités de l'UE. Elle se nie parce que le fait de respecter ces traités est une manière d'avoir une relation avec les autres pays d'Europe. Mais alors elle s'affirme surtout : en permettant que notre relation avec les autres pays d'Europe ne soit pas nuisible pour nous ; et en pouvant être remplacée par des relations plus saines avec les autres pays d'Europe. En annonçant qu'on cessera de respecter les traités de l'UE, si une renégociation de l'architecture de l'UE n'aboutit pas sur un retour des pouvoirs économiques aux démocraties nationales, réservant à l'UE le pouvoir de coordonner des politiques industrielles à l'échelle européenne, coordonner des associations géopolitiques, et organiser des échanges culturels et humains. Le retour du pouvoir économique aux démocraties nationales se justifie par le fait que ce pouvoir doit être détenu par des démocraties, et par le fait que, comme montré dans ce billet, l'UE n'est pas et ne sera pas de si tôt une institution démocratique.


Notes.

1. Sociologie sur la séparation de la société française en groupes assez fermés les uns aux autres : Donzelot, Faire société : La politique de la ville aux États-Unis et en France ; Guilluy, Fractures françaises ; Tribalat, Les yeux grands fermés : L'immigration en France ; Sayad, L'immigration ou les paradoxes de l'altérité : Les enfants illégitimes ; Begag et Chaouite, Écarts d'identité ; Begag et Delorme, Quartiers sensibles ; Begag, L'intégration ; Bozon et Héran, La formation du couple : Textes essentiels pour la sociologie de la famille ; Moreau et Sauvage, La fête et les jeunes : Espaces publics incertains ; Albertini, L'école en France du XIXème siècle à nos jours : De la maternelle à l'université ; Maisonneuve, Psychologie de l'amitié

2. Sur la culpabilité ou la tragédie : Sarthou-Lajus, La culpabilité  ; Vernant et Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne ; (Bible de Jerusalem), La Bible : Ancien Testament (début : Genèse)  ; (TOB), La Bible : Nouveau Testament ;  Jaspers, La culpabilité allemande  ; Freud, Le malaise dans la civilisation

3. Sur la surpopulation selon Malthus : Sauvy, Malthus et les deux Marx : Le problème de la faim et de la guerre dans le monde

4. Sur les sagesses en Grèce ancienne : Aristote, Éthique à Nicomaque ; (PUF), Aristote : Bonheur et vertu, Lire Épicure et les épicuriens ; Hadot, Introduction aux "Pensées" de Marc-Aurèle

5. Sociologie sur les mœurs : Heinich, La sociologie de Norbert Elias ; Bourdieu, Le sens pratique ; Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne : La présentation de soiLa mise en scène de la vie quotidienne : Les relations en public ; Tönnies, Communauté et société : Catégories fondamentales de la sociologie pure; Godbout, L'esprit du don

6. Sciences humaines sur le chez soi : Serfaty-Garzon, Chez soi : Les territoires de l'intimité ; Eiguer, L'inconscient de la maison ; Fischer, Psychologie sociale de l'environnement ; Berque, Le sens de l'espace au Japon : Vivre, penser, bâtir

7. Sociologie sur le sentiment de confiance : Luhmann, La confiance : Un mécanisme de réduction de la complexité sociale ; (Economica), Les moments de la confiance : Connaissance, affects et engagements ; Giddens, Les conséquences de la modernité ; Ponthieux, Le capital social ; Anzieu, Le groupe et l'inconscient ; Kaës, Le groupe et le sujet du groupe ; Deschamps et Moliner, L'identité en psychologie sociale : Des processus identitaires aux représentations sociales

8. Philosophie classique sur le bien commun : Aristote, Politique  ; Matheron, Individu et communauté chez Spinoza ; Rousseau, Du contrat social

9. Philosophie sur la reconnaissance : Ricœur, Parcours de la reconnaissance  ; Honneth, Les pathologies de la liberté : Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel ; Renaut, Le système du droit : Philosophie et droit dans la pensée de Fichte, Hegel, L'esprit du christianisme et son destin, Phénoménologie de l'esprit

10. Psychologie appliquée aux conflits relationnels : Marc et Picard, Les conflits relationnels ; Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : Introduction à la communication non-violente

11. Sur les choix politiques et économiques qui ont conduit la France dans le chômage et la pauvreté : Chevènement, La France est-elle finie ?  ; Cotta, La France en panne

12. Economie sur le protectionnisme et le libre-échange : Sapir, La démondialisation  ; Bairoch, Mythes et paradoxes de l'histoire économique

13. Economie sur les politiques monétaires de relance keynésienne : Cordonnier, L'économie des Toambapiks : Une fable qui n'a rien d'une fiction  ; Galbraith, L'argent ; Lavoie, L'économie postkeynésienne  ; Denis, Histoire de la pensée économique

14. Sur des manières d'aider le reste du monde, autres que le libre échange : Lechevallier, Moreau et Pacquement, Mieux gérer la mondialisation ? L'aide publique au développement  ; Roozen et Van der Hoff, L'aventure du commerce équitable : Une alternative à la mondialisation par les fondateurs de Max Havelaar

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