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Billet de blog 11 mai 2024

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Financement des énergies fossiles : BNP Paribas noie-t-elle le poisson ?

BNP Paribas diminuerait son investissement dans les énergies fossiles et affirme n’avoir pas financé le secteur pétrolier et gazier depuis 2023. Est-ce au prix d’une définition bien à elle des termes «financer» et «secteur pétrolier et gazier»? Continue-t-elle à financer Total Energies ? Avant l’AG des actionnaires, les Scientifiques en rébellion posent à la banque des questions de clarification.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 18 mai aura lieu l’AG des actionnaires de BNP Paribas. C’est l’occasion de faire le point sur son financement des énergies fossiles. En effet, cette banque – comme nous l’avions rappelé l’année dernière dans une lettre ouverte signée par des centaines de scientifiques dont plusieurs co-auteures du GIEC – faisait partie ces dernières années des banques finançant le plus au niveau mondial l’expansion des énergies fossiles. Nous avions déjà l’année dernière posé officiellement des questions au conseil d’administration de BNP Paribas car – hé oui – nous sommes actionnaires de la banque. Et nous étions également allés les poser (sous les huées de certains actionnaires présents) lors de l’AG.

Cette année, BNP Paribas a fait des annonces qui se présentent comme très ambitieuses. Le problème, c’est que, à moins d’être un·e expert·e en financement bancaire, il est très compliqué pour un·e citoyen·ne lambda de décrypter ces annonces. En effet, BNP Paribas met en lumière un certain nombre de points qui vont, effectivement, dans la bonne direction. Le problème est ce dont la banque ne parle pas, ainsi que la complexité des mécanismes de financement. Prenons par exemple la phrase écrite par la banque « BNP Paribas n’a participé à aucune émission obligataire au secteur pétro-gazier depuis la mi-février 2023 ».

Sans vouloir faire de procès d’intention à la banque, une telle phrase cache potentiellement sous le tapis deux points : 1. « quels sont les mécanismes de financements autres que les émissions obligataires ? » et 2. « comment le secteur pétro-gazier est-il défini ? ». Pour prendre un exemple concret, il n’est pas certain qu’une telle phrase signifie que BNP Paribas n’ait pas participé au financement de TotalEnergies depuis février 2023, car certains types de versement sont considérés par la banque comme des « liquidités », et « qu’une banque, ca donne des liquidités », d’après les déclarations du directeur général de la banque au Sénat. On ne sait pas non plus précisément quelles entreprises rentrent ou pas dans le cadre du « secteur pétro-gazier », et le flou règne dans les documents officiels de la banque à ce sujet. Ainsi, certaines entreprises pourraient en être exclues car elles ne font pas que du pétrole ou du gaz (suivez notre regard) ; et les contours techniques exacts du « secteur pétro-gazier » ne sont pas toujours clairs : est-ce que les infrastructures de fabrication et transport du GNL en font partie, par exemple ? 

Afin de tenter de clarifier tout cela, nous profitons de cette Assemblée Générale pour poser des questions assez techniques à la banque sur la manière dont sont comptabilisés les investissements dans les énergies fossiles. Ces questions ont été posées officiellement à la banque il y a quelques jours, en prévision de l’AG des actionnaires. Nous espérons obtenir des réponses claires sur ces différents points.

___________________________________________

A l’attention du Conseil d’administration de BNP Paribas,

Nous vous adressons  nos questions quant à la portée effective de vos engagements actuels pour arrêter de soutenir de nouveaux projets pétro-gaziers, incompatibles avec le respect de l’Accord de Paris et l’atteinte de la neutralité carbone en 2050.

Suite à une première interpellation publique en février 2023 et des échanges avec votre directeur de l’Engagement M. Antoine Sire dans les semaines qui ont suivi, vous avez pris de nouveaux engagements, actant notamment la fin de vos soutiens directs aux nouveaux champs de pétrole et gaz. Votre politique sectorielle laisse néanmoins encore à ce jour la porte ouverte à la poursuite de vos soutiens à l’expansion des énergies fossiles, via des financements aux entreprises qui portent de tels nouveaux projets pétro-gaziers.

Nous avons été attentives et attentifs à la publication de votre bilan de l’année 2023 en février 2024 qui annonçait qu’aucune obligation n’avait été émise au secteur pétro-gazier depuis mi-février 2023. Vous avez également affirmé avoir considérablement réduit votre production de nouveaux crédits au secteur pétrolier et gazier en 2023. C’est un signal positif vers la fin de tout appui au développement des énergies fossiles. Cependant, à notre connaissance, cela ne fait l’objet d’aucune mesure officielle et ferme dans votre politique sectorielle, qui inclut de trop nombreuses exemptions incompatibles avec vos propres engagements climatiques à respecter l’Accord de Paris et atteindre la neutralité carbone en 2050.

Nous souhaiterions avoir quelques clarifications sur les annonces que vous avez publiées.

En préambule, nous avons une question très générale : Pourriez-vous communiquer le montant total des émissions de d’équivalent CO2 en tonnes, scopes 1-2-3 confondus, en valeur absolue, correspondant à l’ensemble de vos activités (y compris les crédits et émissions d’actions et d’obligations) pour 2023 (bilan et hors-bilan), ainsi que les prévisions pour 2025 et à l’horizon 2030 ?

Nous avons ensuite quelques questions plus spécifiques.

a) Pouvez-vous nous préciser de quelle manière vous définissez le « secteur pétrolier et gazier » ? Cette définition couvre-t-elle l’ensemble des entreprises actives sur l’ensemble de la chaîne de valeur — c’est-à-dire au moins les 1 623 entreprises identifiées dans la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) ? Ou seulement celles œuvrant dans le segment exploration et production, y compris les entreprises qui s’y développent — soit 700 entreprises selon la GOGEL ? Ou seulement les « spécialistes » ou « indépendants pétroliers », qui sont les seuls pour lesquels votre politique pétrole et gaz prévoit un arrêt des financements ?

b) Par ailleurs, quels critères retenez-vous pour définir ces « spécialistes » et « indépendants pétroliers » et de combien d’entreprises parle-t-on ? Cette définition porte-t-elle uniquement sur les activités pétrole — et non gaz ? Et porte-t-elle uniquement sur les acteurs privés — et non les entreprises publiques (telles que Saudi Aramco)? Avez-vous une liste des entreprises inclues ou exclues ?

c) Vous précisez poursuivre votre « trajectoire de réduction des financements des énergies les plus émettrices » à tel point que « le rapport entre les flux de financement octroyés par BNP Paribas aux acteurs spécialisés dans l’extraction et la production pétrolière et gazière et les flux de financement liés aux projets d’énergies renouvelables s’établit à 1 sur 11 ». Pourriez-vous confirmer que vous ne parlez que des acteurs spécialisés dans l’extraction et la production pétrolière et gazière, et nous préciser quelles entreprises sont couvertes et non couvertes ? La réduction de ces flux concerne-t-elle donc les entreprises les plus impliquées dans l’expansion pétro-gazière, TotalEnergies, Saudi Aramco et Eni par exemple ?

d) Pouvez-vous nous confirmer que la fin de l’émission de nouvelles obligations pour les entreprises du secteur représente une nouvelle décision permanente de la banque ? Si oui, est-ce que ceci apparaîtra dans un document public et officiel, et à quelle échéance ? Le cas échéant, quel serait le taux annuel moyen de diminution du montant des obligations du secteur, jusqu’à épuisement ?

e) Pouvez-vous confirmer qu’une fois que des obligations sont arrivées à échéance, elles ne peuvent pas être reconduites, et que l’absence d’émission de nouvelles obligations aux entreprises du secteur pétrole et gaz exclut donc, aussi, la possibilité de les reconduire ?

f) Comptez-vous également mettre fin aux nouveaux crédits à toutes les entreprises intervenant dans la chaîne de production des produits pétroliers et gaziers ? Si oui, est-ce que ceci apparaîtra dans un document public et officiel, et à quelle échéance ?

g) Selon le bilan, « le stock des expositions de crédit à la production d’énergies bas carbone représente désormais 65 % du stock des expositions de crédit à la production d’énergies ». Il est de 35 % pour la production d’énergies fossiles. Pourriez-vous nous confirmer que ce chiffre est bien calculé suivant la méthodologie Pacta évoquée lors d’un précédent échange ? Concrètement, sur un crédit en cours avec une entreprise énergétique qui prévoit de flécher 30 % de son capex dans la production d’énergies bas carbone et 70 % à la production d’énergies fossiles, est-ce que ce sont les 70 % de la somme qui sont comptabilisés ?

h) Confirmez-vous que seules les activités d’exploration et de production de pétrole et gaz sont couvertes dans la partie énergies fossiles, laissant de côté le reste de la chaîne de valeur, tels que les infrastructures de transport et d’export, le GNL et la production d’électricité à partir de gaz et de fioul ?

i) Confirmez-vous que la production d’énergies bas carbone inclut des activités de production d’électricité nucléaire et renouvelables, mais que toute production à partir d’énergies fossiles est exclue ?  Incluez-vous dans la production d'énergies bas carbone des projets avec stockage et capture de carbone ?

j) Vous êtes engagés à financer une production électrique ayant une intensité de CO2 inférieure à 146 gCO2/kWh à l’horizon 2025. A quel mix énergétique correspond cette valeur ? En 2030, quelle intensité carbone et quel mix énergétique ciblez-vous pour la production électrique que vous financerez ?

k) La baisse de l’intensité carbone passée et prévue provient-elle d’une baisse du financement de la production électrique à partir de sources fossiles, d’une augmentation des financements aux énergies renouvelables ou au nucléaire, ou des deux ? Pour quels montants en absolu et en relatif respectifs ?

l) Vous communiquez sur une cible rehaussée à 90 % pour la réduction de votre exposition de crédit à la production d’énergies fossiles. Comment sont révisés, sur cette base, les objectifs de réduction de 80 % et 30 % pour pétrole et gaz par rapport à 2022 ?

m) Vous précisez que votre stock de crédits à la production d’énergies bas carbone s’élève à 32 milliards d’euros. Pourriez-vous nous aider à comprendre la différence entre stock des expositions de crédit, stock de crédits, encours de crédits et exposition de crédits ? Ces expositions sont-elles exprimées en EAD ? Pouvez-vous nous confirmer que toutes ces métriques ne couvrent que les prêts, mais pas les activités d’émissions obligataires, de trading, et pas les investissements de la banque (que ce soit en compte propre ou pour compte de tiers) ?

n) Les fuites de méthane ont un impact considérable. Vos investissements dans le secteur gazier prévoient-ils un plafond maximal de fuites tolérées. Quel flux maximal tolérez-vous?

o) Nous aimerions en savoir plus sur la manière dont est calculée l’intensité carbone de vos financements et investissements dans le secteur pétrole et gaz :

--> Les trois scopes sont-ils couverts (et notamment la combustion) ?

--> Des facteurs d’émission spécifiques à chaque entreprise sont-ils utilisés ?

--> Comment sont estimées les émissions de méthane ? Quelle est la source de données utilisée ?

--> Quel est le score PCAF des estimations ?

--> Toutes vos activités sont-elles couvertes, et de quelle manière ? Notamment, comment comptabilisez-vous vos activités d’émissions d’actions et d’obligations, et comment les incluez-vous dans vos cibles de décarbonation ?

--> Confirmez-vous que l’intensité carbone des financements et investissements dans le secteur pétrolier et gazier de BNP Paribas est de 67 gCO2/MJ en 2022, avec un objectif de 61 en gCO2/MJ ? Comment expliquez-vous que cette valeur soit supérieure à la moyenne mondiale pour 2022, qui est de 56 gCO2/MJ (sur la base des chiffres fournis par l’IEA pour les émissions mondiales de CO2, et de production de pétrole et gaz, dans le World Energy Oulook 2023, p. 264 et 268) ?

Nous vous remercions par avance pour le temps que vous prendrez pour nous répondre.

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