Prenons pour exemple Lodève. Petite ville, en zone de revitalisation rurale, sous-préfecture de l’Hérault dont 40 % de la population est en quartier prioritaire. Anciennement classées ZEP/REP, les quatre écoles du centre-ville sont sorties de l’éducation prioritaire à la faveur de la « refondation de l’éducation prioritaire ». Les statistiques étant fondées sur les collèges, certaines écoles dans des situations locales très particulières sont devenues les angles morts de la politique éducative prioritaire.
Ainsi, les écoles publiques de Lodève, recevant toutes des élèves du quartier prioritaire ne pouvaient pas bénéficier des moyens qui leur étaient dus au titre de la Politique de la Ville (du Contrat de Ville) du fait du non-classement REP. C’est ce que l’on appelle « les écoles orphelines ».
Le rapport Mathiot-Azéma, « territoires et réussite », remis au Ministre de l’Éducation le 5 novembre 2019, décrit honnêtement la situation de la même manière, en des termes proches :
« [...] la mission insiste sur : l’adéquation relative de la carte de l’éducation prioritaire à la réalité des difficultés sociales et scolaires, en lien avec la géographie de la politique de la ville. À cet égard, la refondation a permis une fiabilisation de la carte de l’éducation prioritaire renforcée (dite Rep+), mais elle n’est pas toujours adéquate en matière d’éducation prioritaire (dite Rep). En outre, fondée sur les caractéristiques des collèges, elle ne prend pas en compte l’ensemble des écoles susceptibles de relever de l’éducation prioritaire dites « écoles orphelines » p.11
Cependant, une large mobilisation des parents, des enseignants et des élus, où il m’a fallu prendre part active en tant qu’adjoint à la Politique de la Ville (ici ou là), a permis d’obtenir quelques avancées : une classe pour accueillir les élèves de moins de 3 ans pour toute la ville et un poste « plus de maîtres que de classes » partagé sur deux/trois écoles . C’est ce dernier poste qui doit être supprimé à la prochaine rentrée alors même qu’il apporte une extrême satisfaction pour les parents d’élèves et les enfants bien sûr, pour les enseignants évidemment, mais aussi pour l’administration locale.
La suppression de ce poste est en fait le reniement d’une double promesse de l’État qui catalyse le sentiment d’abandon qu’exprime cette France périurbaine. Tout d’abord, la promesse de mettre plus de moyens et d’être à l’écoute des territoires à l’occasion de la signature « d’un protocole d’engagements réciproques et renforcés » (novembre 2019) où l’Éducation nationale dégrade clairement son implication dans le quartier prioritaire où les inégalités sévissent. Jamais son implication ne sera aussi faible à la rentrée 2020. Deuxième promesse non tenue : le 8 avril dernier, Jean-Michel Blanquer « débloque » 1248 postes pour ne pas faire « une seule fermeture de classe en zone rurale sans l’accord du maire » ; or la ville étant en zone de revitalisation rurale doit être concernée par la mesure. Là encore, on constate un écart entre l’annonce et les faits.
Pourtant le rapport Mathiot-Azéma ne plaide pas pour une suppression de moyens pour les « écoles orphelines », notamment dans le rural, tout au contraire :
« Reprenant une demande émanant d’acteurs locaux, la mission estime opportun, comme première étape, d’étendre les mesures de dédoublement en CP, CE1 et, à venir, en grande section de maternelle à ces écoles dites orphelines lorsqu’elles sont localisées en QPV. La mission propose néanmoins de ne pas appliquer le dédoublement à celles de ces écoles qui présenteraient un indice de composition sociale largement supérieur à celui du quartier. » p.37
Quel empressement y a-t-il à supprimer un tel poste quand un second est nécessaire ? Aujourd’hui, en plein confinement, au moment même où le Président de la République souligne le creusement des inégalités sociales et scolaires sous nos fenêtres, ne devrait-il pas être le temps de se mobiliser pour préparer le retour des enfants les plus fragiles à l’école ? Les mois de mai/juin seront trop courts pour combler des écarts qui étaient déjà des gouffres avant le confinement. Le retour progressif à l’école le 11 mai marque l’aveu de l’échec de l’école à la maison. L’année scolaire prochaine sera donc essentielle pour soutenir ces élèves. Il faudra plus d’humains et certainement moins d’écrans pour voir le retour des « jours heureux » prônés par le Président en référence au programme du Conseil National de la Résistance.
L’exemple de Lodève n’est pas un cas particulier puisque ce sont pas moins de 30 postes d’aide aux élèves en difficulté qui sont supprimés dans l’Hérault : 15 RASED (réseau d’aide des élèves en difficulté) et 15 soutiens d’élèves en difficulté (pour les CP et CE1).
N’y a-t-il donc pas urgence à conserver, pour les prochaines rentrées, tous ces postes qui peuvent prioritairement venir en aide aux élèves dont les difficultés s’accentuent ?
Dans l’Éducation nationale, le temps du changement de « logiciel » dans la gestion du quotidien n’est encore venu.