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Billet de blog 19 avril 2023

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Pékin veut tourner la page Poutine

Dans mon dernier billet, j’écrivais que les dirigeants chinois savent ce qui se trame actuellement à Moscou et « se projettent déjà dans l’après Poutine ». Les réflexions qui suivent visent à conforter cette hypothèse.

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            Dans mon dernier billet, j’écrivais que les dirigeants chinois savent ce qui se trame actuellement à Moscou et « se projettent déjà dans l’après Poutine ». Les réflexions qui suivent visent à conforter cette hypothèse.

            Je commencerai en mettant en parallèle le voyage de Xi Jinping à Moscou, le 21 mars 2023, avec celui de Gorbatchev à Berlin, le 6 octobre 1989. Les temps ont changé, les contextes et les protagonistes sont différents. Mais, on en conviendra, le rapprochement entre les deux évènements peut avoir une certaine pertinence.

Xi et le vassal félon

            Alors que le pouvoir communiste en Allemagne de l’Est était ébranlé par une contestation de plus en plus ouverte, Honecker (le chef du Parti et de l’Etat) se montrait fermé à toute idée de libéralisation ou de démocratisation. Il ne voulait pas entendre parler de « perestroïka ». Gorbatchev aurait pu hésiter avant de se rendre à Berlin pour les festivités du quarantième anniversaire de la création de la RDA : son voyage pouvait apparaître comme un soutien à un homme du passé. On connaît la suite. Protestations d’amitié indéfectible entre les deux hommes. Gorbatchev embrassa Honecker sur la bouche, comme l’avait fait Brejnev, dix ans plus tôt, pour le trentième anniversaire. Mais son baiser fut celui de la mort. Quelques jours plus tard, Honecker était renversé par son « dauphin », Egon Krenz. Un peu plus d’un mois plus tard, le Mur du Berlin tombait.

            Le maître, aujourd’hui, c’est le président chinois, le vassal, c’est le président russe. Autrement dit, le grand frère, c’est Xi, le petit, c’est Poutine. Et il est devenu insupportable. Il n’arrête pas de faire des bêtises. Il veut reconstituer l’empire des tsars, mais ne sait pas y faire. Il est trop agressif, bravache avec l’Occident. Après l’invasion de la Géorgie en 2008, qui ne lui apporta que le contrôle de micro-Etats sur ses marches (l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud), il annexa, en 2014, une partie (la Crimée) d’un Etat souverain, membre des Nations Unies. Déjà sanctionné, ostracisé pour sa mauvaise conduite, il en remit une couche en déclenchant une guerre absurde. Il se voyait, comme Brejnev envahissant la Tchécoslovaquie en 1968, capable de rétablir, par la seule entrée massive de ses chars et l’action de ses commandos, sa tutelle sur la direction récalcitrante d’un pays frère. Il n’avait pas compris que son entreprise ratée de libérer la Novorossiia[1], au printemps 2014, avait stimulé le sentiment national ukrainien et incité le pays à se doter d’une véritable armée. Il est maintenant en plein désarroi. Son armée n’était pas préparée à la guerre. Elle n’arrête pas de reculer et traîne les pieds dès lors qu’on lui demande de contre-attaquer. Il lui a fallu, avec les fonds mafieux de « Wagner », financer une chair à canon mercenaire qui s’est épuisée sur le front de Bakhmout. Il craint aujourd’hui la contre-offensive ukrainienne, qui pourrait être décisive, provoquant une nouvelle retraite, aux allures de défaite militaire. Une catastrophe pour la Russie.

            Le camarade Xi aurait pu hésiter avant de se rendre à Moscou, le 21 mars. Son voyage pouvait apparaître comme un soutien à un « loser ». Il n’embrassa pas Poutine sur la bouche. Mais la poignée de main qu’il échangea avec lui, devant les caméras, ne devait pas moins témoigner d’une amitié indéfectible. Cela pour les apparences. Dans la réalité, Xi a signifié à son vassal qu’il avait fait son temps. Il était hors de question, pour lui, de fournir les armes qu’il réclamait pour poursuivre sa guerre en Ukraine. Ce qui l’intéressait c’était la coopération avec la Russie post-poutinienne. Avec une Russie qui sortirait de la guerre et serait plus dépendante encore de la Chine. D’où l’importance des discussions avec Michoustine.

            Poutine était à ce point furieux et dépité, à l’issue de la visite de Xi Jinping, qu’il s’est livré, dans les jours suivants, à une nouvelle provocation : l’annonce de l’installation d’armes nucléaires en Biélorussie.

            Le chantage nucléaire, le camarade Xi n’aime pas. Vraiment pas.  S’il y a un point auquel il tient particulièrement, dans son « plan de paix en douze points pour la résolution de la guerre en Ukraine », c’est le huitième, qui dit que : « Les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées et la guerre nucléaire ne doit pas être menée. Il faut s’opposer à la menace ou l’emploi d’armes nucléaires ».

            Quel effronté, ce Poutine ! Comment a-t-il pu se permettre une telle avanie ? Et quand ce petit seigneur de Loukachenko, annonce, dans la foulée, que la Biélorussie aura la maîtrise de l’arme qui sera installée chez lui[2], c’est un comble ! Xi se dit que non seulement, il a affaire à des irresponsables. Mais en plus, à des idiots : ils sont entrés de plain-pied dans un scénario de prolifération de l’arme nucléaire, condamné d’avance par toute la communauté internationale. Comment Poutine a-t-il pu laisser dire de telles âneries à Loukachenko ? Pourquoi ne l’a-t-il pas remis à sa place ? Le camarade Xi en a assez de ces branquignols. Il compte sur ses alliés, chez les Siloviki (les hommes des « forces »), pour en finir bientôt avec le vassal félon.          

Xi Jinping a lâché Poutine

            J’ai, peut-être, quelque peu forcé le trait, en esquissant ce parallèle entre le voyage de Gorbatchev à Berlin, en octobre 1989, et celui de Xi Jinping à Moscou, en mars 2023. Et je viens de prêter au placide président chinois une exaspération, face au dernier chantage nucléaire de Poutine, dont on ne trouvera probablement jamais témoignage. Mais il demeure que la réaction du pouvoir chinois à la provocation de Poutine a été, à la fois, rapide et ferme. Et tout indique que la Chine ne fournira pas les armes que Poutine réclame pour poursuivre sa guerre en Ukraine.

            La perfidie dont Poutine a fait preuve a été particulièrement soulignée dans la presse chinoise. Ainsi, dès le 26 mars, le South China Morning Post titrait :

            « L'annonce de Poutine d’installer des armes nucléaires à l'étranger (…), est intervenue après qu'il s'est engagé mardi, dans une déclaration conjointe avec le président chinois Xi Jinping à Moscou, à ne pas le faire ». Autrement dit, Poutine n’a pas respecté sa promesse faite au président chinois. Il avait signé avec lui un engagement à ne pas installer d’armes nucléaires sur le territoire d’un Etat étranger. Il fait le contraire, dès que Xi est à peine de retour à Pékin. La faute est d’une extrême gravité.

            Concernant celle de Loukachenko, il faut aussi, d’un point vue chinois, en mesurer la gravité. Dire qu’il aura la maîtrise de l’arme nucléaire dès lors que Poutine l’installera chez lui, c’est inadmissible, tant pour les Chinois que pour les Américains. Il est bien clair, par exemple, que, quand ces derniers installent des armes nucléaires dans un pays de l’OTAN, ce n’est pas pour en donner la maîtrise à ce pays. S’ils devaient un jour les utiliser, ils seraient les seuls à en décider, au moment où ils le jugeraient nécessaire. C’est un principe élémentaire de non-prolifération des armes nucléaires. Un allié, chez qui une puissance nucléaire installe des armes nucléaires, ne peut prétendre en avoir le contrôle. Il ne peut, lui-même, prétendre au statut de puissance nucléaire.

            L’ambassadeur de Chine auprès de l’Union européenne, Fu Cong, interviewé dans le New York Times, début avril, a clos le débat concernant la nature du soutien que la Chine apporte aujourd’hui à Poutine. Les proclamations d’amitié indéfectible, « sans limite », entre la Chine et la Russie, faites avant le début de la guerre en Ukraine et réitérées lors du récent voyage à Moscou, ne seraient, selon lui, « rien d'autre que de la rhétorique ». Il s’est, par ailleurs, montré très ferme en disant que son pays ne fournirait aucune assistance militaire à la Russie dans sa guerre en Ukraine.

            Il n’y a pas, réellement aujourd’hui, d’ambiguïté dans la position chinoise sur ces questions de chantage nucléaire et d’armes que la Chine pourrait ou non fournir à la Russie. Les Chinois condamnent le recours au chantage nucléaire et ne fourniront pas les armes que Poutine réclame pour lui permettre de poursuivre sa guerre en Ukraine.

            Si, ambiguïté il y a, dans la position chinoise, c’est, en fait, sur la question du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Les Chinois défendent « l’intégrité territoriale » de l’Ukraine. Mais en même temps, ils ne réclament pas le retrait de l’armée russe des territoires occupés.

            Ainsi, Fu Cong a-t-il rappelé, dans son interview au New York Times, que la Chine ne reconnaît ni l’annexion de la Crimée ni celle d’autres territoires ukrainiens. Mais il a refusé de se prononcer sur la question du retrait de l’armée russe des territoires occupés.

L’ambiguïté de la position chinoise, bientôt levée ?

            La non-reconnaissance des annexions est cohérente avec le premier point du « Plan en douze points » chinois, qui dit que « La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties ». Mais pourquoi ne pas aller plus loin en demandant le retrait de l’armée russe des territoires occupés ?

            On comprend aisément les raisons de la position ambiguë des Chinois sur cette question. Ils disent que « l’intégrité territoriale » de l'Ukraine doit être garantie. Mais, ils ne demandent pas le retrait de l’armée russe des territoires occupés, car ils considèrent que c’est l’affaire de négociations à venir entre Russes et Ukrainiens. Sous-entendu : les Russes pourraient avoir une certaine légitimité à occuper une partie du territoire ukrainien ; et, dans le cadre de négociations, les Ukrainiens pourraient l’admettre, en faisant des concessions territoriales. Lesquelles conduiraient à l’établissement d’une nouvelle frontière entre les deux Etats, et à la paix.

            En fait, cette idée, que des négociations pourraient aboutir à l’établissement d’une nouvelle frontière et à la paix, est aujourd’hui, totalement irréaliste.

            Non qu’il ne faille imaginer des négociations conduisant à un traité de paix entre la Russie et l’Ukraine. Mais ce serait, sur la base d’un retrait de l’armée russe de tous les territoires occupés, y compris la Crimée. Et les négociations porteraient, avant tout, sur les réparations de guerre que la Russie devrait payer pour les dommages humains et matériels qu’elle a causés à l’Ukraine. A la veille de leur contre-offensive, qui a toutes les chances d’être décisive, les Ukrainiens, ne peuvent envisager d’autres négociations que des négociations de ce type.

            Ce qui est nouveau, c’est la révélation d’une prise de conscience de cette réalité, au sein de l’appareil d’Etat, en Russie. Depuis au moins deux mois, de nombreux indices, parmi lesquels des « mesures actives » des services spéciaux, comme la diffusion de « Lovouchka 22 », montrent que, chez les Siloviki, autour de Patrouchev, on est, non seulement conscient de cette réalité, mais on envisage sérieusement la mise à l’écart de Poutine. Il ne fait aucun doute que les Chinois soient informés de tout cela. Rappelons que le seul haut responsable russe à s’être rendu à Pékin depuis un an, c’est Patrouchev, en septembre dernier. Le prochain à se rendre à Pékin devrait être Michoustine, selon ce qui a été convenu lors de la récente visite de Xi Jinping à Moscou.

            Il est très peu probable que les dirigeants chinois appellent au retrait de l’armée russe des territoires occupés. Du moins, avant que le pouvoir russe, en pleine déroute militaire, alors débarrassé de Poutine, ne montre sa disposition à ce retrait. Mais il aurait été intéressant de les solliciter en ce sens, lors de la visite de notre président à Pékin. Leur demander (en langage diplomatique) de lever l’ambiguïté de leur position sur le respect de « l’intégrité territoriale » de l’Ukraine. Malheureusement, si l’on en juge, par ce que la presse a rapporté des propos tenus par Emmanuel Macron, il n’en a rien été. Mais, il y a plus grave que cette occasion manquée. C’est sa déclaration même, face à Xi Jinping, lors de la réception au Palais du peuple, le 6 mars :

             « Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table de négociations pour mettre fin au conflit ukrainien ».

            Comme si la question importante, aujourd’hui, ce serait d’amener Russes et Ukrainiens (« tout le monde ») à négocier un compromis territorial ! On croyait notre président enfin résolu à considérer qu'il reviendrait aux Ukrainiens et à eux seuls, de décider s’ils devaient ou non, et quand, entamer des négociations de paix avec les Russes. En tenant de tels propos, il semble revenu aux premiers temps de l’agression russe en Ukraine. Il voulait alors dialoguer avec Poutine et ne pas « humilier la Russie ».  Il croyait un compromis possible, entre la Russie et l’Ukraine, dans le cadre de négociations. Les Chinois, eux, savent que tout cela est dépassé. Il se projettent déjà dans l’après-Poutine. Et se posent la question de la défense des intérêts de leur allié russe dans la défaite. Un allié, qui devra se retirer des territoires occupés, et n’aura bientôt d’autre choix que la négociation d’un traité de paix en forme d’acte de capitulation. 

[1] La notion de Novorossiia (« Nouvelle Russie ») fait référence à des conquêtes de l’Empire russe au temps de Catherine la Grande. Elle est aujourd’hui en vogue chez les nationalistes russes radicaux. Selon eux, la Novorossiia comprend tout l’est et le sud de l’Ukraine. Partant de la région de Kharkiv et du Donbass, elle s’étend, aux régions du littoral de la mer Noire, jusqu’à la Transdniestrie.

[2] « Nous conserverons et assurerons notre souveraineté et notre indépendance, y compris avec l’arsenal nucléaire. C’est notre arme qui permettra la souveraineté et l’indépendance », déclare Loukachenko, le 31 mars 2023.

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