Serge Métais (avatar)

Serge Métais

Abonné·e de Mediapart

23 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 avril 2023

Serge Métais (avatar)

Serge Métais

Abonné·e de Mediapart

Sur la sortie de route de l'ambassadeur chinois

La position officielle chinoise sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine est ambiguë. La Chine ne reconnaît pas les annexions. Mais, elle se refuse à demander le retrait de l’armée russe des territoires occupés. La sortie de route de l’ambassadeur Lu Shaye trahit la difficulté à gérer cette ambiguïté.

Serge Métais (avatar)

Serge Métais

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De la difficulté à gérer l’ambiguïté de la position chinoise 

            Je soulignais, dans mon dernier billet, l’ambiguïté de la position officielle chinoise sur la question du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La Chine ne reconnaît ni l’annexion de la Crimée ni celle d’autres territoires ukrainiens. Mais, elle se refuse à demander le retrait de l’armée russe de ces territoires.

            La non-reconnaissance des annexions est cohérente avec le premier point du « Plan de paix chinois en douze points » sur le « règlement politique de la crise ukrainienne », qui dit que « La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties ». Mais comment ne pas douter de la fermeté de cette position officielle sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, si, dans le même temps, les Chinois ne se prononcent pas sur le retrait de l’armée russe des territoires occupés ?

            La sortie de route de l’ambassadeur de Chine en France, dans un entretien à la chaîne LCI, vendredi 21 avril, ne peut qu’accentuer ce doute. En premier lieu, Lu Shaye a semblé vouloir discuter la souveraineté même de l’Ukraine. Evoquant les « pays de l’Union soviétique », il a dit qu’ils « n’ont pas de statut effectif dans le droit international parce qu’il n’y a pas d’accord international pour concrétiser leur statut de pays souverain ». Que voulait-il dire, alors que l’Ukraine n’est plus un « pays de l’Union soviétique » et que c’est, dans ses frontières de 1991, qu’elle a été reconnue par l’ONU et par la Chine ?

            Il est ensuite revenu sur la question de l’annexion de la Crimée : « Ça dépend comment on perçoit ce problème. Il y a l’histoire. La Crimée était tout d’abord à la Russie. C’est Khrouchtchev qui a offert la Crimée à l’Ukraine, à l’époque de l’Union soviétique (…)  Il ne faut pas chicaner sur ce genre de problème. Le plus important est (…) de réaliser le cessez-le-feu ».

            Sur la question de la souveraineté des pays issus de l'URSS, le dérapage est évident. Il a suscité de vives réactions, particulièrement dans les pays baltes et en Ukraine. Mais le feu a été rapidement éteint, ce lundi 24 avril, par une déclaration du ministère des affaires étrangères chinois :

           « La Chine respecte la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays et soutient les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies. Après l’effondrement de l’Union soviétique, la Chine a été l’un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec les pays concernés [issus de l'URSS] (...) Certains médias ont mal interprété la position de la Chine sur la question ukrainienne et sèment la discorde dans les relations entre la Chine et les pays concernés. »

            On l'aura compris : M. l'ambassadeur s'est mal exprimé, ou plutôt « certains médias » ont mal interprété...

            C'est, en fait, sur la question de la Crimée que la sortie de route de l'ambassadeur est la plus significative. On admettra qu’il y a matière à discuter sur l’histoire, et que, peut-être, il ne faut pas « chicaner ». Mais, dire que « le plus important », aujourd’hui, c’est de « réaliser le cessez-le-feu », c’est aller contre l'intérêt de l'Ukraine et le respect de son intégrité territoriale. C'est apporter son soutien à l'agresseur.

            Après les reculs dans la région de Kharkiv, après le retrait de Kherson et de la rive droite du Dniepr, après l'échec de l'offensive d'hiver sur le front de Bakhmout, pour les Russes, l'intérêt d'un cessez-le feu est évident. Il leur permettrait de sanctuariser les territoires qu’ils occupent. Et, sur cette base, ils pourraient envisager la négociation d'une nouvelle frontière avec l'Ukraine.

            En fait, l'idée que des négociations pourraient aboutir à l’établissement d’une nouvelle frontière et à la paix, est aujourd’hui totalement irréaliste.

            A la veille de leur contre-offensive, qui a toutes les chances d’être décisive, les Ukrainiens ne sauraient accepter l’idée de cessez-le-feu. Le « plus important », si l’on voulait réellement œuvrer pour la paix et épargner des vies humaines, ce serait d’exiger le retrait de l’armée russe des territoires qu’elle occupe encore dans le Donbass, la rive gauche du Dniepr et la Crimée. Et ce serait parfaitement cohérent avec... le premier des "douze points" du plan de paix chinois sur le respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.