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Billet de blog 28 avril 2023

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La Chine « se projette déjà dans l'après-Poutine »

Tel est le thème de mon interview publiée dans Le Maine libre, le 27 avril. On en trouvera ici une actualisation, après l'échange téléphonique entre Xi Jinping et Zelensky.

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          Interview publiée dans Le Maine libre (groupe Ouest France), le 27 avril. Questions de Serge Danilo.

  Vous dites que Pékin veut tourner la page Poutine. Les Chinois envisagent déjà une mise à l’écart du Président russe ?

            De nombreux indices permettent de le penser. Il y a, en premier lieu, le refus des Chinois de fournir les armes létales que Poutine réclame pour lui permettre de poursuivre sa guerre en Ukraine. Ce refus a été exprimé par le président chinois, Xi Jinping, lors de sa visite à Moscou, le 21 mars dernier.

            Poutine était à ce point furieux et dépité, à l’issue de la visite, qu’il s’est livré, dans les jours suivants, à une provocation : l’annonce de l’installation d’armes nucléaires en Biélorussie. Cela, en contradiction avec la promesse qu’il avait faite au président chinois de ne pas installer d’armes nucléaires dans un pays étranger. C’est une traitrise qui a été relevée comme telle, dans les médias chinois.  

            En second lieu, il y a des indices qui viennent de Moscou, auxquels les Chinois sont particulièrement attentifs. Ils permettent de penser qu’il y a, aujourd’hui, une très grande tension au sein du pouvoir d’Etat, en Russie.  Les services spéciaux, autour de Patrouchev, auraient décidé la mise à l’écart de Poutine. Elle prendrait la forme d’une démission « pour raisons de santé ». Ce que, pour l’instant, Poutine refuse.

            Evidemment, tout cela se fait sur fond d’échec de Poutine dans la guerre en Ukraine. Il se voyait, comme Brejnev, envahissant la Tchécoslovaquie en 1968, capable de rétablir, par la seule entrée massive de ses chars et l’action de ses commandos, sa tutelle sur la direction récalcitrante d’un pays frère. Il n’avait pas compris que l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass, en 2014, avaient stimulé le sentiment national ukrainien et incité le pays à se doter d’une véritable armée. Il est maintenant en plein désarroi. Son armée n’était pas préparée à la guerre. Elle n’arrête pas de reculer et traîne les pieds dès lors qu’on lui demande de contre-attaquer. Il lui a fallu, avec les fonds mafieux de « Wagner », financer une chair à canon mercenaire qui s’est épuisée sur le front de Bakhmout. Il craint aujourd’hui la contre-offensive ukrainienne, qui pourrait être décisive, provoquant une nouvelle retraite, aux allures de défaite militaire. Une catastrophe pour la Russie

            Quel rôle joue la Chine dans cette guerre ?

            La Chine ne joue pratiquement aucun rôle dans cette guerre. Il n’y a pas d’alliance militaire entre la Chine et la Russie. La Chine n’est aucunement engagée par la guerre que mène la Russie en Ukraine.

            Il n’y a pas, non plus, d’alliance militaire entre l’Ukraine et les pays de l’OTAN. Ces derniers ne sont donc pas engagés comme ils le seraient automatiquement si l’agression russe portait sur l’un des pays membres. Mais, ils sont solidaires de l’Ukraine et lui apportent, aujourd’hui une aide considérable en armements de toutes sortes. Une aide précieuse pour la contre-offensive ukrainienne, attendue d’un jour à l’autre.

            Rien de tel du côté chinois avec la Russie. Le ministre de la Défense chinois, Li Shangfu en visite à Moscou, le 16 avril, a laissé entendre que la fourniture des armes que la Russie demande, ne pourrait être discutée que cet été. Soit … après le déclenchement de la contre-offensive ukrainienne. Une manière de confirmer à Poutine qu’il ne doit pas compter sur la Chine pour l’aider à poursuivre sa guerre en Ukraine.

            La Chine peut-elle demander un retrait de l’armée russe d’Ukraine ? En a-t-elle intérêt ?

            Les Chinois ont une position ambiguë sur la question de « l’intégrité territoriale » de l’Ukraine. Ils disent qu’elle doit être garantie. Mais, ils ne demandent pas le retrait de l’armée russe des territoires occupés, car ils considèrent que c’est l’affaire de négociations à venir entre Russes et Ukrainiens. Sous-entendu : les Russes pourraient avoir une certaine légitimité à occuper une partie du territoire ukrainien ; et, dans le cadre de négociations, les Ukrainiens pourraient l’admettre, en faisant des concessions territoriales. Lesquelles conduiraient à l’établissement d’une nouvelle frontière entre les deux Etats, et à la paix.

            En fait, cette idée, que des négociations pourraient aboutir à l’établissement d’une nouvelle frontière et à la paix, est aujourd’hui, totalement irréaliste.

            Non qu’il ne faille imaginer des négociations conduisant à un traité de paix entre la Russie et l’Ukraine. Mais ce serait, sur la base d’un retrait de l’armée russe de tous les territoires occupés, y compris la Crimée. Et les négociations porteraient, avant tout, sur les réparations de guerre que la Russie devrait payer pour les dommages humains et matériels qu’elle a causés à l’Ukraine. A la veille de leur contre-offensive, qui a toutes les chances d’être décisive, les Ukrainiens, ne peuvent envisager d’autres négociations que des négociations de ce type.

            Il est très peu probable que les dirigeants chinois appellent au retrait de l’armée russe des territoires occupés. Du moins, avant que le pouvoir russe, en pleine déroute militaire, peut-être alors débarrassé de Poutine, ne montre sa disposition à ce retrait.

            L’Europe et la France, en particulier, échangent-elles avec la Chine dans ce conflit ?

            Les échanges sont, comme on dit, « actifs ». Mais, à mon sens, ils ne produisent rien de significatif. Ils tournent autour de l’idée d’amener Russes et Ukrainiens à « négocier ».

            La déclaration d’Emmanuel Macron, face à Xi Jinping, lors de sa réception au Palais du peuple, à Pékin, le 6 avril, est significative :

             « Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table de négociations pour mettre fin au conflit ukrainien ».

            Comme si la question importante, aujourd’hui, ce serait d’amener Russes et Ukrainiens (« tout le monde ») à négocier un compromis territorial ! On croyait notre président enfin résolu à considérer que serait aux Ukrainiens et à eux seuls, de décider s’ils devaient ou non, et quand, entamer des négociations de paix avec les Russes. En tenant de tels propos, il semble revenu aux premiers temps de l’agression russe en Ukraine. Il voulait alors dialoguer avec Poutine et ne pas « humilier la Russie ».  Il croyait un compromis possible entre la Russie et l’Ukraine.

            Je pense que les Chinois, eux, savent que tout cela est dépassé. Il se projettent déjà dans l’après-Poutine. Et se posent la question de la défense des intérêts de leur allié russe dans la défaite. Un allié, qui n’aura bientôt d’autre choix que se retirer d’Ukraine et négocier un traité de paix en forme d’acte de capitulation.

            Je vois dans l’échange téléphonique entre Xi Jinping et Zelensky (le premier depuis le début de la guerre), le 26 avril, la confirmation de tout cela : les Chinois veulent préserver leurs intérêts dans une Ukraine qui aura bientôt recouvré son intégrité territoriale ; ils espèrent y conserver une certaine capacité d’influence ... en concurrence avec les Européens et les Américains.

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