Alors que le roman "Soumission" de Houellebecq sur l'élection fictive d'un président musulman a fait l'objet de polémiques nourries, le dernier livre de Boualem Sansal ne semble pas soulever de débat. Il faut lire sa récente interview dans Marianne par Robert Redeker * qui pose des diagnostics à long terme. Boualem Sansal pense, sans doute à raison, que l'Etat islamique ( Daesch) n'a aucune pérénnité car "la violence seule même magnifiée ne suffit pas, il faut bien d'autres choses pour construire ce califat planétaire dont Daech rêve comme un chien rêve d'un os". Pour lui, c'est un autre islam qui va se mettre en place et tenter de dominer le monde dans les prochaines décennies: "Je pense plutôt à l'Iran, à la Turquie, des pays puissants, organisés, qui ont une histoire depuis longtemps et de manière continue entièrement déterminée par l'islam. S'unir dans la construction d'un califat mondial capable de résister au temps et à ses ennemis potentiels." . En France, il souligne que le pacte républicain est mis à mal et que l''intégration a échoué. Soit, mais il fait fausse route quand il en appelle à la technique pour nous sortir de l'ornière des idées: "Mon idée est faite : à moins d'une révolution puissante des idées et des techniques qui viendrait changer positivement le cours calamiteux des choses". Le fait technique est un problème de plus, sous-estimé qui ne doit pas être accepté sans débats. Ses implications doivent être pensées car la technologie travaille nos sociétés de manière profonde et sans retour possible. Lire ce billet , sur les dangereuses dérives des transhumanistes, sous l'impulsion de Raymond Kurzweill, un des responsables de la recherche & développement de Google. Le message de Boualem Sansal ne doit pas être confondu avec les positions identitaires et racistes en filigrance des identitaires et du FN. Sur l'accueil des réfugiés, sa position est claire "il s'agit de venir en aide aux réfugiés, ce sont des sinistrés, il faut le faire sans hésitation, ni calcul, et dans toute la mesure de ses moyens.". Cependant , au moment où les populistes de tous bords centrent le débat vers l'exclusion de l'autre, sa déclaration dans le dernier numéro du magazine Usbek & Rika, peut parfaitement être récupérée par le populisme identitaire : "Bientôt, nous serons tous musulmans, alors révisez votre coran" . Ce sont exactement les termes que profèrent à satiété les élus et militants du FN, les catholiques et juifs fanatiques, pour plonger la population dans la peur. En bref, toute la frange d'electeurs qui n'acceptera jamais la présence en France d'immigrés en dépit de l'absurdité écononomique, démographique de cette position et contre les valeurs humanistes. Attention à manipuler une langue, des symboles, qui portent aujourd'hui une charge délétère et à risques pour les populations d'origine étrangère.
Les même arguments sont interprétés différement et réutilisés à des fins de propagation d'idées dangereuses. Il est nécessaire de ne pas agiter de chiffon rouge sur l'Islam, au nom de projections personnelles à long terme comme le fait Sansal. Pas d'angélisme cependant sur la neutralité démocratique de l'Islam, religion sans unité hiérarchique à laquelle il faut rappeler sans relâche la loi de 1905 de séparation des l'églises et de l'état. La démocratie doit être revivifieé. Cela n'empêche aucunement le débat sur ce que sont devenues nos valeurs. S'agit-il de la consommation effrenée et absurde de nos societés ? S'agit-il d'une croissance porteuse de dérèglements climatiques ? De la spéculation financière ? S'agit-il d'une nouvelle croyance dans les promesses technologiques ? Faute d'une réponse appropriée à ces questions, le risque de propagation puissante et durable d'idées fanatiques qui fédéraient les extremistes religieux comme l'écrit Boualem Sansal n'est pas exclure.
En l'absence de certitudes, pas de discours équivoques. La difficile ligne de crête se situe entre une lucidité sur les dangers et un nécessaire espoir mobilisateur.
* Robert Redeker est un ex-professeur de philosophie et auteur d'une tribune polémique: "Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?" publiée dans Le Figaro en 2006 (reprise ici par 20 Minutes).Il y déclarait, notamment "Quand le judaïsme et le christianisme sont des religions dont les rites conjurent la violence, la délégitiment, l’islam est une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine." oubliant les exactions faites au nom du christianisme et le conflit permanent entre Israel et ses voisins palestiniens.