Les LR locaux et l'Etat valident le spectacle
L'association Murmures de la cité, qui a été créée l'an passé et ne dispose d'aucune référence, s'est vue attribuer un total de 168 000 euros d'argent public, dont 91 000 euros de subventions directes : 60 000 euros du groupe d'action locale Terroirs bourbonnais, 20 000 euros du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes (lire l'article paru le 22 mai dernier dans Mediapart), 6 000 euros de Moulins Communauté, 2 500 euros de la Ville de Moulins et 2 500 euros du conseil départemental de l'Allier. A ces aides en numéraire s'ajoute la mise à disposition de matériel et de personnel, qui a été valorisée 77 000 euros : 40 000 euros pour la Ville et 37 000 euros pour l'Agglomération.
Ces chiffres ont été donnés lors du conseil communautaire du 26 juin dernier. Le débat sur la convention avec l'association Murmures de la cité, qui a duré une heure, démarre à 3h46 du replay. L'intervention du conseiller municipal d'Yzeure, François Larrière-Seys, a été particulièrement riche en informations (entre 3h57 et 4h07). A l'issue du débat, les conseillers communautaires ont approuvé par 42 voix contre 26 la convention tripartite liant l'Agglomération à l'association et à la Ville. Ils ont ainsi confirmé leur vote du 20 février, mais cette fois en pleine connaissance de cause : suite aux révélations de ce printemps, il ne leur est en effet plus possible de prétendre ignorer le projet et l'orientation idéologique de l'équipe dirigeante de Murmures de la cité. Quelques jours plus tôt, les conseillers municipaux et départementaux avaient fait le même choix que les conseillers communautaires, comme l'a rapporté La Montagne.

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Rappelons ici que la région Auvergne-Rhône-Alpes est aujourd'hui présidée par un proche de Laurent Wauquiez (Les Républicains) ; qu'au Département, Claude Riboulet (UDI) est à la tête d'une majorité Union Républicaine pour le Bourbonnais (droite) et que la vice-présidente à la Culture est aussi la 1ère adjointe au maire de Moulins ; que Pierre-André Périssol (LR) est non seulement maire de la ville préfecture (depuis trente ans !), mais aussi président de Moulins Communauté (et condamné en première instance pour prise illégale d'intérêts) [1] ; et que le GAL Terroirs bourbonnais était présidé par un adjoint de M. Périssol lorsque la subvention de 60 000 euros a été décidée (cf. l'entretien accordé par Philippe Boismenu à Radio Bocage le 26 juin).
Rappelons encore que l'association Murmures de la cité a annoncé début 2025 à Moulins Communauté un budget de 76 000 euros (cf. le replay mentionné plus haut) et qu'en mai, elle estimait celui-ci à 170 000 euros (cf. l'article de Mediapart mentionné plus haut). 170 000 euros, c'est finalement le montant des aides publiques dont va bénéficier l'association, qui encaissera en outre les recettes de la billetterie, puisque le spectacle est payant (les places coûtent entre 10 et 40 euros, les trois représentations du week-end sont annoncées complètes).
Rappelons enfin que le spectacle va aussi bénéficier de l'écrin du parvis du Centre national du costume de scène, sur la rive gauche de l'Allier, à proximité du pont Régemortes, et ce visiblement à titre gracieux (une convention, qui n'a pas été rendue publique à ce jour, a été signée entre le CNCS et Murmures de la cité). Lors du débat du 26 juin, M. Périssol, qui est l'un des membres du conseil d'administration de l'établissement public, a affirmé (autour de 4h44) que l'Etat et la DRAC n'ont vu aucun inconvénient à ce qu'un tel spectacle se tienne en ce lieu. Rappelons que depuis janvier 2024, Rachida Dati (LR), qui se présente comme une « amie » de M. Wauquiez, est ministre de la Culture.
Roman national et contre-révolution
Le spectacle concocté par Murmures de la cité est à l'évidence un spectacle d'extrême droite. Tout l'indique, à commencer par son menu, qui promeut monarchie, christianisme et hommes providentiels (Vercingétorix, Clovis, Napoléon...), comme le faisaient en leur temps les historiens de l'Action française Jacques Bainville et Pierre Gaxotte. Pour évoquer l'Allier ont été convoqué·es les abbés de Cluny Mayeul (vers 910-994) et Odilon (vers 962-1048) inhumés à Souvigny, Anne de Beaujeu (1461-1522), Jeanne de Chantal (1572-1641) et Marie-Félicie des Ursins (1600-1666), ainsi que le maréchal de Villars (1653-1734) : ces choix traduisent une vision pour le moins partielle – pour ne pas dire falsifiée – de l'histoire, comme l'ont souligné les archéologues auvergnat·es en lutte, qui passe notamment sous silence les opposants au coup d'Etat du 2 décembre 1851 (particulièrement nombreux dans les cantons de Lapalisse et du Donjon), l'élection en 1882 du premier maire socialiste Christophe Thivrier (à Commentry), la naissance des premiers syndicats agricoles au début du XXe siècle et les combats de la pionnière Hubertine Auclert (1848-1914) ou de l'institutrice révolutionnaire Jeanne Labourbe (1877-1919) – je recommande la lecture du communiqué « Les Murmures assourdissants de la domination masculine » publié par quatre organisations féministes de l'Allier.
L'association revendique une filiation avec le parc du Puy du Fou contrôlé par Philippe de Villiers et sa famille (voir l’émission que Complément d’enquête lui a consacrée en septembre 2023), dont la vision nationaliste a été décortiquée dans un ouvrage collectif paru en 2022 : Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire. Ses auteurs appellent aujourd'hui à la vigilance à propos du spectacle moulinois, qui vise à « créer une dynamique locale de reconquête culturelle », autour notamment d'une académie et d'une école privée hors contrat.

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Murmures de la cité est incarnée par son président, Guillaume Senet, qui préside aussi, sous le nom de Guillaume Poliste, l’association Sophia Polis : une simple consultation du site internet de cette dernière confirme, s'il en était besoin, ses convictions catholiques intégristes (messe traditionnelle, référence à Saint Pie X) et sa proximité avec des figures de l'extrême droite (cf. les invités des universités d'été). On n'a donc pas été surpris de le voir faire ce printemps la tournée des médias de la Bollo-fachosphère, du JDD nouvelle formule au Figaro radicalisé, en passant par Frontières, Radio Courtoisie ou Tocsin.
On ne connaît pas, à ce jour, le montant de l’aide qu’a versée le Fonds du bien commun à Murmures de la cité. Depuis l’été 2024 et les révélations de L’Humanité, qui ont été notamment prolongées par Mediapart et Cash investigation, on en sait par contre beaucoup plus sur les intentions de Pierre-Edouard Stérin et sur son plan Périclès, qui prévoit le déploiement de 150 millions d’euros sur dix ans pour faire gagner la droite et l’extrême droite sur une ligne libertarienne, autoritaire et identitaire. On sait aussi que le milliardaire exilé en Belgique a déjeuné avec Bruno Retailleau le 16 janvier dernier place Beauvau, qu'avec Bolloré il a joué un rôle important dans le ralliement d'Eric Ciotti à l'extrême droite en juin 2024, et que son bras droit est un proche conseiller de Marine Le Pen et Jordan Bardella. On retrouve dans l'Allier une porosité comparable : Stérin finance Murmures de la cité, les cadres locaux de LR accordent des subventions au spectacle, et toute l'extrême droite locale (RN, Reconquête! et UDR) s'empresse de le défendre – un cadre ciottiste en cours de parachutage le fait d'ailleurs dans un journal soutenu par Stérin.
Le destin de Guillaume Senet et ses amis était de continuer à jouer à la guerre dans la propriété familiale de Cressanges, mais la droite locale, qui dérive à vive allure, a fait le choix de « les installer dans le paysage local [et de] leur donner une visibilité et une importance qu’ils n’avaient pas », ainsi que l'a récemment constaté l'expert ès Stérin Thomas Lemahieu. Cela rappelle les années 1970-1980, quand le député-maire UDR-RPR de Moulins Hector Rolland parlait de « génocide » devant Simone Veil pendant le débat sur l'IVG et militait pour une alliance avec le Front national de Jean-Marie Le Pen. A Moulins toujours, il a fallu attendre la seconde moitié de la décennie 1980, pour que les femmes puissent accoucher dans des conditions sereines à la maternité de l'hôpital.
Murmures de la cité : mais d’où sortent ces croix gammées ? Notre envoyé spécial a assisté à la représentation de ce mini Puy du Fou à Moulins (03), et c'était encore pire que prévu…
— L'Humanité (@humanite_fr) July 18, 2025
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[1] Extrait de l'article de Clément Guillou (« Dans l’Allier, des catholiques identitaires mettent en scène leur vision de l’histoire avec le soutien de la droite ») paru le 19 août dans le journal Le Monde : « Pierre-André Périssol, qui a assisté à la représentation, l’a trouvée "de qualité" et n’a "pas d’a priori, ni favorable ni défavorable", à poursuivre la collaboration avec Murmures de la cité. »