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Billet de blog 14 mai 2022

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Lettre ouverte au dissident Mallot

Dans cette lettre, j’invite l’ancien député socialiste Jean Mallot, 69 ans, à retirer sa candidature dans la 1ère circonscription de l’Allier (Moulins), et à s’éviter ainsi une pathétique fin de vie politique.

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Monsieur Mallot,

Vous venez de faire à La Semaine de l’Allier la déclaration suivante : « Tout observateur de la vie politique de l’Allier depuis quelques années sait que c’est sur ma candidature que peut se faire le rassemblement des électeurs de gauche et écologistes. » Je pense pouvoir légitimement me compter parmi les « observateurs de la vie politique locale » (cf. l’historique de ce blog et mon compte twitter), et j’ose à ce titre affirmer que votre propos est dénué de tout fondement :

  • Votre candidate à l’élection présidentielle n’ayant réuni le 10 avril dernier que 1,7% des voix (contre 6,4% en 2017), vous êtes cette année moins légitime encore qu’il y a cinq ans à opérer le rassemblement à gauche lors des élections législatives, scrutin dont j’imagine que la dimension nationale ne vous a pas échappé ;
  • En 2017, vous n’aviez recueilli que 4,5% des voix dans la 1ère circonscription de l’Allier : Jean-Paul Dufrègne (PCF) vous avait non seulement largement devancé au 1er tour (22,7% des voix), mais il l’avait en outre emporté au second face à la candidate LREM, dans un contexte autrement plus défavorable à la gauche qu’aujourd’hui ;
  • En 2022, puisque le député sortant est communiste, la circonscription a été logiquement réservée au PCF dans le cadre de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) validée par le Conseil national de votre parti, de la même façon que vos camarades socialistes sortants ont été « protégés » ;
  • Aujourd’hui, Yannick Monnet est d’autant plus légitime à incarner le rassemblement de la gauche et la Nupes, qu’il fait équipe avec Jean-Paul Dufrègne, et que les scores additionnés de Jean-Luc Mélenchon et de Fabien Roussel ont atteint 21,5% des voix dans la circonscription (rappelons à cet égard que communistes et insoumis ont fait campagnes communes entre 2009 et 2017, et qu’il n’y a guère plus qu’une feuille de papier à cigarette entre leurs deux programmes).
Jean Mallot, candidat éphémère à la primaire socialiste de 2011. © LCP

Ces derniers jours, vous et vos rares soutiens invoquez (ici, et ) « le poids des élus [socialistes] sur le terrain » ou « des réalités politiques locales » qui seraient de nature à justifier le maintien de votre candidature. Je me permets d’abord de vous rappeler que le PS est loin d’avoir le monopole de l’implantation locale dans la 1ère circonscription, ainsi qu’en témoigne notamment la carte des résultats du 1er tour (les villages du bocage qui ont placé Mélenchon en tête sont généralement administrés par un maire de sensibilité communiste) et que, n’en déplaise à Jean-Michel Bourgeot et à feu Salvador Dali, la section PS d’Yzeure n’est, pas plus que la gare de Perpignan, le centre de l’univers. 

Je remarque ensuite que vous invoquiez déjà il y a cinq ans votre propre « implantation ». Elle est aujourd’hui aussi discutable qu’hier, puisque vous ne vivez visiblement toujours pas à Saint-Pourçain-sur-Sioule, ni même dans la « circo », et que vous avez entre-temps essuyé trois nettes défaites : aux municipales en 2020, puis aux départementales de l’an passé, enfin au sein de votre fédération. Je me souviens d’ailleurs que c’est sur le quai de la gare de Vichy, et non de Moulins, qu’il m’arrivait de vous croiser, quand vous partiez rejoindre les cénacles solfériniens et les ministères parisiens où vous avez fait carrière.

Ces derniers jours, vous n'avez pas non plus hésité à déclarer que l’accord de la Nupes ne concernerait pas le militant socialiste que vous êtes car « le PS a signé un accord électoral avec LFI... pas avec le PCF [!] », et que « la meilleure stratégie [serait toujours] le désistement républicain au second tour » – l’union de la gauche dès le premier tour vous gênait moins l’an passé, quand elle était censée vous profiter… J’ai réagi « à chaud » à vos déclarations via les réseaux sociaux (ici, et ), et j’en arrive désormais à la conclusion que non seulement vous n’en faites qu’à votre tête, mais que vous vous payez aussi la nôtre : particulièrement celle de l’écrasante majorité des sympathisants de gauche (93%) qui disent souhaiter des candidatures unitaires à ces élections législatives (lire ici et ).

François Hollande, né en 1954, promotion Voltaire (1980) de l’ENA ; Jean Mallot, né en 1952, promotion Louise-Michel (1984) de l’ENA. © C à vous

Je poursuis ma lettre avec cette série de constats et de questions :

  • Dans l’Allier, vous êtes le seul, parmi les membres des partis engagés dans la Nupes, à ne pas jouer le jeu. Au sein du PS, votre camarade de la 2e circonscription s’est écartée, et, aussitôt après avoir été désignée candidate, votre camarade de la 3e a tendu la main aux autres forces de gauche (son suppléant est issu de La France Insoumise) et réalisé le rassemblement.
  • Faut-il voir dans votre entêtement un « effet de génération » ? Vous êtes un homme âgé de 69 ans, Chloé Darochas et Elsa Denferd ont respectivement 21 et 28 ans.
  • Vous vous prévalez de l’investiture du PS, alors que vous avez seulement été désigné « chef de file » de votre parti sur « votre » circonscription.
  • Vous vous engagez pour la seconde fois dans une candidature dissidente : vous serait-il possible de nous informer de la façon dont vous traitiez de tels manquements à la discipline collective pendant votre long règne à la tête de la fédération du PS bourbonnais (1994-2015) ?
  • Au fil des trois dernières décennies, vous avez gagné à une unique reprise (et d’un cheveu) sur votre nom, sur une circonscription législative taillée pour la gauche (et disparue avec vous) : les scrutins (de liste) régionaux vous ont été plus favorables.
  • Devant cette accumulation de revers électoraux, vous a-t-il un jour traversé l’esprit que les Bourbonnais∙es n’appréciaient peut-être pas beaucoup votre façon si distante et « techno » de faire de la politique ?
  • Partagez-vous l’analyse de vos amis yzeuriens qui croient toujours en l’existence d’un « espace » pourtant introuvable entre Macron et Mélenchon ? N’avez-vous « toujours » pas pris acte de la tripartition de la vie politique française, ni compris que la moitié des électeurs de Hollande au premier tour de 2012 (soit 13 à 14% de l'électorat) a rallié le bloc bourgeois macroniste en 2017, et ne l'a pas quitté depuis ?
Illustration 3
Un ancien député et le 1er adjoint sur le marché d'Yzeure. © Compte twitter @jmbourgeot (30.03.2022, photo recadrée)

Monsieur Mallot, si vous faites le choix de la maintenir jusqu’au bout, votre candidature vous apportera avec certitude le déshonneur d’une nouvelle défaite cuisante. Olivier Faure vous a prévenu dès le soir du 5 mai (à partir de 5’30) : « Je mets en garde celles et ceux qui sont tentés par la dissidence, car ils seront, malheureusement pour eux, balayés par les candidatures de la Nupes qui vont incarner une espérance aux yeux de tous. » Si vous ne la retirez pas d’ici vendredi soir, votre candidature pourrait aussi et surtout avoir pour effet de compliquer, voire d’empêcher la qualification de Yannick Monnet au second tour : elle ne ferait qu’affaiblir la gauche, dont vous vous dites pourtant le serviteur...

Permettez-moi d’achever mon propos sur une note plus personnelle. J’ai aujourd’hui 40 ans, j’en avais 20 le 21 avril 2002. Ma génération s’est fait voler la politique par un troupeau d'éléphants et d'éléphanteaux, et n’a connu rien d'autre qu’un interminable hiver démocratique, tandis que votre génération, incarnée par François Hollande, a probablement offert la plus consternante de toutes les générations de barons socialistes. Notre société se trouve aujourd'hui dans un vilain état et notre département a placé l’extrême droite en tête le 10 avril, mais cela ne vous empêche pas de revenir afficher votre sourire satisfait et vos costumes bien repassés. Comme si de rien n’était, comme si vous n’y étiez pour rien, comme si, partie du problème, vous pouviez apporter le début d’une solution. De l'effet que vous produisez, vous vous moquez probablement aussi : sachez toutefois que ce spectacle ne va pas sans choquer certain∙e∙s de vos concitoyen∙ne∙s.

Si j’ai pris le temps de m’intéresser à vos déclarations d’un autre temps, à votre parcours sans saveur et à vos manœuvres d’appareil téléphonées, c’est parce qu’elles me semblent symptomatiques d’un effondrement, d'un effondrement dont ma génération et celle qui arrive doivent instamment garder le souvenir pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, pour continuer à faire vivre l’espoir que vous autres avez bien failli tuer.

Je vous souhaite, Monsieur le député, une excellente retraite – et de profiter de celle-ci autant qu'il vous sera possible.

Simon Rötig, citoyen bourbonnais

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