La première semaine de confinement n’a pas eu d’effets morbides sur mon psychisme. Je suis habitué depuis que je vis ici à l’isolement relatif. C’est un choix que j’ai fait. Je dis relatif, car en dehors des longues phases de dépression, je recherche en permanence le contact social, trop lors des phases maniaques.
C’est en partie dans le but de réguler cette hyperbole sociale, impossible à gérer à un moment donné, que j’ai décidé de rester dans cette campagne où je suis arrivé il y a trois ans.
Depuis mon adolescence, j’avais pris l’habitude de travailler dans les bistrots qui sont devenus une seconde maison par la suite. Lorsque j’avais encore les capacités d’assurer mon activité professionnelle en indépendant, mon bureau était disséminé dans plusieurs cafés que j’avais choisis en fonction de leur situation et ambiance qui devaient facilement correspondre à mes variations psychiques, et ce afin qu’ils ne deviennent pas un obstacle à ma concentration. C’était une gestion quotidienne très dépensière en énergie. Il fallait éviter les crises. Parfois, je devais me résoudre à travailler chez moi, tant l’extérieur devenait hostile par toutes sortes de manifestations, ce qui était le signe d’un symptôme précurseur de crise. Mais rester chez moi, c’était intérioriser et retourner contre moi cette hostilité avec le risque de me désolidariser de mes besoins vitaux.
Je commence à ressentir de l’anxiété depuis deux jours. Bien que je régule mon accès à l’information afin de ne pas encourager cette dernière, mes récepteurs sensibles commencent à s’intensifier et à partir dans tous les sens. Ce qui paraît inoffensif à la majorité, peut devenir pour moi un nœud d’intensifications incontrôlables. Un mot, le ton d’une phrase, un regard, etc., peut engendrer un série d’émotions et un flux de pensées négatives et morbides difficilement maîtrisables, voir pas du tout. On pense que la « folie » en général est un enfermement. C’est tout le contraire. C’est un rapport au monde sans filtres symboliques et imaginaires qui donne un accès direct au réel, dans sa plus grande crudité. Les « fous » semblent parfois lire dans l’inconscient des autres. Ne pas s’en offusquer. Plutôt s’en réjouir. L’enferment est du côté de ceux et celles qui décident qu’il faut isoler et invisibiliser les singularités psychiques.
J’ai appris à être attentif aux signes, aux symptômes. Cela ne veut pas dire maîtriser la situation. Cela demande une énergie chronophage. Parfois, il me faut deux à trois jours, voir une semaine pour stabiliser au mieux mon esprit. Quand j’y arrive. Au mieux. Mais on n’efface pas ce que le corps vit. Et chaque manifestation morbide est une expérience supplémentaire qui affaiblit au long cours les capacités du corps à trouver l’énergie nécessaire afin de se protéger. Cela veut dire apprendre à faire des choix dans le but de préserver un équilibre psychique qui reste précaire et ne pas aboutir au seuil d’une crise ou d’une décompensation. Le seuil est ce moment où tout peut basculer d’une seconde à l’autre. C’est le seuil qu’il faut apprendre à habiter et à maîtriser, pas le moment de la crise ou de la décompensation ; ce stade atteint, c’est une autre dimension beaucoup plus complexe et difficile à gérer seul, quasi impossible selon l’intensité.
Je le disais, l’environnement dans lequel je vis aujourd’hui m’aide à maintenir une forme de stabilité. Depuis la semaine dernière, avec le temps favorable qui s’y prête, marcher ou m’activer dans le jardin est vital pour moi. D’autant que dans le désert médical de la Charente, je n’ai pas trouvé la qualité du suivi psychiatrique que j’avais à Paris. Un suivi qui ose tordre les classifications pathologiques qui cloisonnent, un suivi qui ne pathologise pas à tout bout de champs, mais singularise un fonctionnement psychique et qui m’a appris à ouvrir mon rapport au réel vers des représentations alternatives. C’est en la personne d’une psychologue que je maintiens un minimum ce suivi régulier ici. La psychiatre n’est disponible que tous les deux à quatre mois, et ne s'attarde que sur l'aspect biochimique. C'est mon dealer légal.
Depuis ce matin, nous voilà donc encore plus restreint.e.s dans nos mouvements.
Non, je ne dérogerai pas à ma marche quotidienne en solitaire de plus d’un kilomètre. À mon parcours intensif qui ne répond à aucune règles de traçage et ne comptabilise pas les pas et les mètres parcourus. C’est mon seul remède actuel contre la décompensation. Je ne la troquerai pas contre quelques drogues légales qui m’abrutissent et me coupent de l’extérieur. Si j’appréhende la pluie prévue dans quelques jours car elle me réfrénera dans mes ardeurs, je saurais la dépasser, et c’est avec moins d’anxiété que face à cette police sanitaire inadaptée aux situations singulières et aveugle à l’équilibre psychique de l’être.
Du reste, cette question de la santé psychique en ces temps de coronavirus est peu discutée dans les médias. À part quelque conseils improbables de certains psychiatres préconisant la méditation à l’ensemble de la population que les plus médiocres gourous du développement personnel seraient capables d’administrer, je n’ai à ce jour trouvé aucune analyse approfondie de la question. Avis à celles et ceux qui en auraient.
Je signale juste une mention sur le site de France3 occitanie et surtout le blog de yohann r. Infirmier hôpital publique - Psychiatrie adulte, sur Médapart.
Je remercie le centre médical où je suis suivi pour son soutien et qui a répondu sans faute afin de prolonger sans consultation ma prescription. La permanence téléphonique est en place et fonctionne.
À suivre…
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