Sudfa (avatar)

Sudfa

Média participatif franco-soudanais

Abonné·e de Mediapart

111 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 septembre 2025

Sudfa (avatar)

Sudfa

Média participatif franco-soudanais

Abonné·e de Mediapart

Survivants de la guerre et de la mer, 16 jeunes risquent la perpétuité en Grèce

Aujourd'hui, le 1er septembre, débute le procès de nombreux adolescents à Chania sur l’île de Crète (Grèce), dont la plupart sont Soudanais. Tous sont faussement accusés d’être des « passeurs » pour avoir conduit les bateaux de fortune dans lesquels ils ont franchi la Méditerranée. Le réseau De.Criminalize appelle à se mobiliser partout en Europe pour demander leur libération.

Sudfa (avatar)

Sudfa

Média participatif franco-soudanais

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aujourd’hui, des dizaines d’adolescents soudanais comparaissent devant le tribunal de Chania (Grèce), accusés d’avoir facilité la migration d’immigrant.es vers l’Europe. Ce motif est passible de la prison à vie dans la loi grecque. Le groupe de travail De.Criminalize, qui lutte en Europe pour la liberté de circulation et l’abolition de la loi répressive sur les passeurs, a été contactée par 16 d’entre eux : Garan David, 16 ans, Suleiman, 18 ans, Mohamed Babaker, 19 ans, Mohamed Mubarak, 17 ans, Dawud, 19 ans, Hani Zakaria, 18 ans, Bada Ruman, 19 ans, Ageen, 36 ans, Osain, 25 ans, Altonmarjan, 23 ans. L’association se mobilise pour créer une campagne de soutien et leur fournir de l’aide juridique. Une cagnotte citoyenne a permis de payer les frais d’avocats afin qu’ils puissent être défendus durant leur procès qui commence aujourd’hui.

Illustration 1
Source : De.Criminalize

Les parcours de ces jeunes garçons sont similaires : tous ont fui la guerre qui a éclaté au Soudan en avril 2023, et la plupart d’entre eux sont passés par l’Egypte,  où se sont réfugiés des centaines de milliers d'exilé.es soudanais.es depuis le début de la guerre. Mais face aux conditions de vie particulièrement dures et violentes rencontrées par les soudanais.es en Égypte (voir nos articles précédents à ce sujet), ils ont décidé de poursuivre leur route et de chercher refuge en Europe en passant par la Libye. Ces jeunes garçons dont le procès débute aujourd’hui témoignent : certains d’entre eux ont été forcés par les trafiquants libyens de conduire le bateau dans lequel ils ont embarqué ou de tenir le GPS, d’autres n’ont jamais touché le gouvernail.

Illustration 2
Garan, Mubarak, Nasor, Bada, Hani Zakaria, Suleiman, seront jugés aujourd'hui. Photos: De.Criminalize ; Montage : Sudfa Media

Parmi eux, Hani Zakaria avait seulement 15 ans lorsqu’il a fui la guerre au Soudan. « Ma famille et moi avons été forcés de quitter le Soudan à cause de la guerre », témoigne-t-il auprès de De.Criminalize. « La vie en Égypte était extrêmement dure : pas de travail pour gagner de l’argent pour acheter de quoi se nourrir ou payer le loyer. C’est pour ça que j’ai décidé d’aller en Libye. J’ai travaillé pendant un an en nettoyant les rues pour mettre de l’argent de côté et rejoindre l’Europe. Mais au lieu de trouver la liberté, j’ai été enfermé dans un placard pendant deux mois, avec très peu d’eau et de nourriture. Une nuit, ils nous ont emmené vers la mer, et le bateau est parti vers l’Europe. J’étais terrifié à l’idée de mourir en mer et je ne savais pas si nous allions survivre. J’étais le plus jeune sur le bateau. Quand on est arrivés en Grèce, la police m’a arrêté comme si j’étais le conducteur, et m’a mis en prison avec les adultes, alors que je n’ai que 17 ans. »

Illustration 3
Hani Zakaria. Visuel : De. Criminalize

La répression qu’il a subie dès son arrivée en Europe a mis fin à ses rêves : « Quand ma mère a appris que j’étais en prison et que je risquais de passer 7 à 10 ans de prison, elle a fait une crise cardiaque et en est morte. Je suis venu en Europe pour l’empêcher de souffrir de la faim, mais au lieu de ça, je l’ai perdue. C’était mon rêve de la rendre fière, et maintenant j’ai perdu contact avec tout le reste de ma famille. Je m’effondre et je perds espoir chaque jour. »

Son histoire fait écho à celle de Bada, 19 ans, dont le procès débute aussi aujourd’hui et qui risque également la prison à vie. Bada a perdu ses parents dans la guerre et a fui avec ses jeunes sœurs vers l’Égypte, où ils ont vécu à la rue.

« La vie en Égypte était invivable – pas de travail, pas de nourriture, et je dormais souvent dans la rue. Désespéré, je suis allé en Libye, où j’espérais pouvoir atteindre l’Europe grâce à des passeurs. En Libye, j’ai travaillé comme homme de ménage mais quand j’ai demandé à partir, ils ont refusé de me payer et de me laisser partir. J’ai dû m’échapper, conscient que s’ils m’attrapaient, ils me tueraient. Un passeur à accepter de m’emmener en Europe pour la moitié du prix, à une seule condition : je devais tenir le téléphone avec le GPS durant la traversée. J’ai accepté, parce que risquer la mort en mer me paraissait préférable à mourir ici en Libye. Avant le départ, un autre garçon et moi avons été forcé de conduire le bateau, ils nous ont braqué une arme sur la tempe. Ils nous ont dit que si nous refusions, ils nous tueraient en face de tout le monde. Quand nous avons enfin atteint les rives de la Grèce, je pensais que toute cette souffrance serait terminée. Mais le rêve n’a même pas duré une heure : j’ai été arrêté par la police et envoyé en prison.  Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour survivre – pas parce que je suis un criminel. Tout ce que je voulais c’était un endroit où vivre en sécurité et dormir en paix. »

Illustration 4
Bada. Visuel : De.Criminalize

Comme le rappelle De.Criminalize, la loi internationale interdit la criminalisation des individus pour avoir eu recours à des passeurs, particulièrement de ceux qui fuient la guerre et la persécution. Dans le cas de Bada, il pourrait être considéré comme une victime de trafic d’êtres humains puisqu’il a été forcé de conduire le bateau. Mais ces réalités sont systématiquement ignorées dans les poursuites « anti-passeurs » engagées par la justice grecque.

Lors des traversées migratoires en Méditerranée, les passeurs ne conduisent jamais eux-mêmes les bateaux, mais confient cette tâche à l’un.e des passager.es, parfois en réduisant le prix de la traversée. Ainsi, à l’arrivée en Europe, c’est ce.tte passager.e qui sera poursuivi.e pour « aide à la migration clandestine » et de « trafic d’êtres humains ». Alors que ces stratégies des trafiquants sont documentées par de nombreux.ses chercheur.euses et ONG, et bien connues des autorités européennes, la loi continue d’être aussi répressive. De nombreuses enquêtes ont montré que les lois contre les passeurs et le trafic d’êtres humains ne permettent pas de lutter réellement contre ces trafics, mais servent à criminaliser les personnes en migration, alors qu’elles prétendent les protéger. Avec la multiplication de ces lois, les personnes accusées d’être des “passeurs” constituent aujourd’hui le deuxième plus grand groupe de détenu.es en Grèce, après les personnes emprisonnées pour des délits liés à la drogue[1].

Illustration 5
Avlona prison à Athene, centre de détention pour mineurs. Source : The Guardian - Auteur : Thanassis Stavrakis

Comme le dénonce l’ONG De.Criminalize, ces pratiques répressives servent deux objectifs politiques : le premier est de décourager d’autres migrant.es de tenter la traversée. Pourtant, toutes les recherches sur la migration ont montré que le durcissement des conditions de traversée ne décourage pas les personnes de migrer, surtout celles qui fuient la guerre au péril de leur vie, mais crée simplement des conditions de traversée plus dangereuses, entrainant une multiplication des mort.es aux frontières européennes.

Le deuxième objectif de cette législation absurde est d’augmenter les statistiques d’arrestations et de procès de « passeurs », dans une logique populiste, pour satisfaire un électorat de droite et d’extrême droite. Cette manipulation consiste en un jeu cynique avec une absence complète de respect pour les droits humains.

Osain et Altonmarjan, arrivés en Crète le 17 mars 2025, font quant à eux face à une sentence de 210 ans de prison pour avoir conduit le bateau dans lequel ils se trouvaient. Ils sont accusés d’avoir « facilité l’entrée de 41 étranger.es en situation irrégulière » - en Grèce, la punition pour « facilitation de l’entrée irrégulière » est calculée par personne transportée, ce qui dans leur cas fait monter la peine potentielle à 210 ans. A cela s’ajoutent des circonstances aggravantes d’avoir mis en danger les personnes à bord, car les bateaux étaient en mauvais état. C’est à nouveau une manipulation perverse de la loi qui vise normalement à « protéger » les migrants : elle punit ainsi les mêmes personnes dont les vies étaient en danger et qui ont survécu.

Osain a 25 ans, il est marié et père de deux enfants. Déplacé par la guerre, il vivait dans un camp de réfugiés. Après que ses parents et son fils aient été tués, il a décidé de prendre la fuite pour garantir la sécurité de sa femme et de sa fille, qui sont restées derrière au Soudan. En Libye, il a enduré le travail forcé et la violence, avant de pouvoir payer pour son voyage en Europe, espérant y trouver un futur meilleur.

Altonmarjan, 23 ans, a perdu presque toute sa famille dans la guerre au Soudan. Ses parents, ses quatre frères et ses quatre sœurs ont été tué.es. Il affirme : « J’ai fui la guerre et la mort au Soudan, j’ai rencontré une situation pire en Libye (…) et j’ai décidé de venir en Europe, en espérant rencontrer de l’humanité et un futur meilleur ».

A leur arrivée, ils ont été arrêtés pour avoir conduit le bateau, alors qu’ils n’ont jamais touché le gouvernail. Leurs téléphones, qui contenaient des vidéos de leur voyage prouvant qu’ils n’ont pas conduit le bateau, ont été confisqués. Ils pensent que la police a choisi de les blâmer parce qu’ils étaient les deux seuls passagers soudanais.

Illustration 6
Embarcation des réfugié-es en Méditerranée. Source : Info Migrants

Tous ces jeunes, dont les vies ont été brisée par les lois anti-immigration de l’Europe, défendent leur droit à être protégés et à chercher refuge dans un pays sûr. Comme l’affirme Hani Zakaria : « Nous ne sommes pas des criminels. Nous sommes des enfants de la guerre et de la destruction, nous cherchons un endroit sûr où être protégés. »

La campagne De.Criminalize appelle à les soutenir dans le monde entier, en suivant de près et en visibilisant le procès, pour montrer qu’il y a une attention internationale portés à leur cas et que la société civile européenne se mobilise pour demander leur relaxe. Les hashtags #FreeTheBoys et #AlllEyesOnCrete, #AbolishFortressEurope ont été lancés pour permettre de visibiliser cette campagne sur les réseaux sociaux.

Illustration 7
Banderole affichée hier à Athène en soutien aux jeunes prévenus. Source : De.Criminalize

Cette demande de soutien et d’attention internationale est aussi celle des jeunes prévenus, comme Suleiman, 18 ans, qui affirme : « Je demande à tous ceux qui voient ce message de porter ma voix et d’aider les réfugiés Soudanais et les jeunes hommes emprisonnés dans les prisons grecques ».

Suivons le procès de près et manifestons notre soutien à ces jeunes, survivant.es de la guerre et de la mer, et aujourd’hui victimes des politiques migratoires mortifères. 

 -----------------------------------------------------

Article : Sudfa Media

Source des données : De.Criminalize  (voir leur site internet)

[1] https://www.theguardian.com/global-development/2025/apr/28/steer-boat-migrant-sudanese-war-refugees-smuggling-prison-greece#img-2

************

Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d'ami.e.s et militant.e.s soudanais.e.s et français.e.s. Nous nous donnons pour objectif de partager ou traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l'actualité et l'histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page facebook. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ». Vous pouvez aussi retrouver tous nos contenus, articles, chroniques et reportages, sur notre site : sudfa-media.com. Pour soutenir notre travail, vous pouvez un don sur notre cagnotte. Merci de votre soutien et à bientôt ! 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.