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Billet de blog 4 mai 2017

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Prendre un risque presque nul aujourd'hui pour réduire un risque important en 2022

« N’étant ni un leader politique ni un leader d’opinion, je n’ai pas à me joindre aux donneurs de consigne. Je peux distinguer, cela dit, entre un danger immédiat et un danger à moyen terme et je me contenterai donc d’aller dans l’isoloir, en citoyen content d’habiter une République où le vote est secret, et la vie privée, privée. » Régis Debray

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Le danger que représente Le Pen et le FN n'est pas pour demain, mais pour après demain, c'est à dire pour 2022. Limiter le risque d'une victoire du FN à cet horizon suppose que soient remises en cause les politiques qui créent en permanence davantage de votes FN. Le seul moyen de faire entendre cela à Macron est que celui-ci ne soit pas élu avec une majorité plus que confortable, mais au contraire avec une majorité étroite. Alors Macron et les classes sociales qu'il représente -c'est à dire la bourgeoisie- comprendront peut être qu'à persister, ils risquent de perdre très gros dans cinq ans.

On a vu quelle conclusion, ou plutôt quelle absence de conclusion, Chirac a tiré de son score de 82% en 2002 : "on n'a plus de raisons de s'emmerder !". Si dimanche, Macron était élu avec nettement plus de voix que les 60% que lui accordent, en moyenne, les sondages (1), il en tirerait probablement la même conclusion. D'ailleurs lui même n'estime pas le danger bien grand puisqu'il a largement expliqué que c'est "projet contre projet", qu'il n'a nullement l'intention d'en changer, et avec pour commencer, une réforme par ordonnances du code du travail, réforme promise de longue date à Bruxelles et Berlin par Hollande en échange de leur mansuétude vis à vis du dérapage budgétaire français.

Quand j'écris que l'arrivée au pouvoir de Le Pen n'est pas pour demain, c'est à dire pour dimanche, c'est qu'on n'a jamais vu quelqu'un perdre une élection où une série abondante de sondages lui donne 20 points d'avance. Jamais. En réalité, ceci peut arriver, mais la probabilité en est particulièrement faible.

Aujourd'hui, le modèle de simulation électorale qui accorde à Le Pen la probabilité de victoire la plus élevée estime que cette probabilité est de 3,95%. Celui figurant sur un blog de The Economist lui donne une probabilité inférieure à 1% :

http://www.thecrosstab.com/france-2017/ 

Pour une analyse détaillée de ces probabilités, on peut lire ce que j'ai écrit il y a quelques jours à ce sujet :

https://blogs.mediapart.fr/sycophante/blog/270417/quelles-sont-les-chances-reelles-de-le-pen-et-de-macron

La victoire de Le Pen est donc particulièrement improbable. Mais de plus, si, contre toute attente, Le Pen gagnait à la surprise générale, en raison d'une abstention aussi massive qu'imprévue, que feraient les Français aux législatives ? Accorder une majorité à Le Pen à l'Assemblée Nationale afin qu'elle dispose des pleins pouvoirs ? Ou corriger le tir en la privant de cette majorité alors que deux Français sur trois ne souhaitent pas qu'elle soit élue ?  A l'évidence, la deuxième option est de très loin la plus probable...

De sorte que la probabilité que Le Pen soit élue et qu'elle dispose d'une majorité à l'Assemblée Nationale afin d'être en mesure d'exercer réellement le pouvoir atteint tout au plus quelques dizièmes de points de pourcentage... 

Prendre dimanche un risque de quelques millièmes pour tenter de limiter un risque qui pourrait atteindre quelques dizaines de pour cents en 2022 m'apparait être un choix rationnel et sensé. C'est pourquoi je compte voter blanc dimanche prochain afin de contribuer par mon bulletin de vote à ce que la majorité présidentielle de Macron soit plutôt inférieure à 60%, que supérieure à ce chiffre.

Par ailleurs, présenter les législatives comme une séquence indépendante des présidentielles ne tient plus, a minima depuis 2002 et l'inversion du calendrier électoral. Les législatives sont, depuis 1981, et sans exception, une ratification du choix fait à la présidentielle. Ce n'est pas une fatalité (et ce ne serait très probablement pas le cas si Le Pen venait à être élue) , mais il est bien évident -ou devrait être évident- pour n'importe qui, que plus le score de Macron dimanche sera élevé, plus ses chances d'obtenir une majorité à l'Assemblée Nationale en juin seront fortes. Et la première projection qui vient d'être réalisée accorde d'ailleurs à En Marche ! une majorité absolue de dépuités, ou peu s'en faut :

http://opinionlab.opinion-way.com/blog_entry/81/legislatives-2017-en-marche-vers-une-majorite.html

C'est pourquoi le slogan "votons le 7 pour Macron et opposons  nous à lui dès le 8" revient en réalité à se tirer une balle dans le pied.

Enfin, Macron n'a pas besoin des voix de Mélenchon pour être élu : il est en tête -et non second- et est devant Le Pen dans tous les reports de voix, quel que soit le premier vote des électeurs (Hamon, JLM, Fillon) à l'exception de Dupont Aignan. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, selon la dernière vague d'enquête du CEVIPOF parue hier et reposant sur un échantillon de plus de 13 700 électeurs, dont presque 9 000 certains d'aller voter dimanche (2), 14% des électeurs de JLM pourraient voter Le Pen, contre 48% à Macron, 38% s'abstenant ou votant blanc ou nul ("non exprimés" dans le tableau). Il y a donc 3,5 fois plus d'électeurs de JLM qui s'apprêtent à voter Macron que Le Pen et davantage d'électeurs de JLM qui s'apprent à voter Macron plutôt qu'à s'abstenir ou à voter blanc ou nul.

Avant le premier tour, cette part d'électeurs de JLM déclarant vouloir voter Le Pen au cas ou elle serait opposée à Macron était de 12%, un niveau légèrement plus faible donc. Ce vote minoritaire en faveur de Le Pen de la part d'électeurs de Mélenchon du premier tour est le signe que ce dernier a probablement réussi à capter une partie assez significative du vote populaire qui votait FN et qui, JLM n'étant plus, retourne voter FN au second tour. Compte tenu de la taille de l'échantillon de l'enquête du CEVIPOF, cette enquête est la seule dont les taux de reports soit statistiquement significatifs. C'est aussi celle dont la marge d'erreur est la plus faible : +/- 1 point seulement s'agissant du résultat de dimanche prochain.

Illustration 1

Cette enquête montre enfin que le pourcentage d'électeurs encore indécis était faible lorsque l'enquête a été conduite le week end dernier et qu'ils sont plus présents au sein de l'électorat potentiel de Le Pen (12%) que de celui de Macron (9%).

La question n'est donc pas tant de savoir si Macron sera élu dimanche que de savoir s'il dépassera ou non 60% des suffrages exprimés et s'il convient d'y contribuer ou pas. 

A l'argument consitant à dire qu'inversement le fait que Le Pen dépasse ou non 40% est important pour l'avenir, je réponds que ce qui importe en réalité n'est pas le pourcentage qu'elle obtiendra (dès lors qu'il demeure inférieur à 50% bien sûr) mais le nombre total de voix qui se seront portées sur Le Pen car un électeur qui a déjà voté FN ou Le Pen est bien davantage susceptible de recommancer qu'un autre qui n'a jamais voté pour l'un ou l'autre. Si Le Pen était aujourd'hui à 53%, nul doute que ceci générerait aussitôt un surcroit de mobilisation envers Macron. 

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(1) Ce 4 mai à 18h, la moyenne des sondages calculée par le Huffington Post accorde 59,8% à Macron : http://elections.huffingtonpost.com/pollster/france-presidential-runoff-le-pen-vs-macron

Les deux sondages rolling parus aujourd'hui et prenant partiellement en compte l'impact du débat du 3 mai accordent 61% à Macron, en hausse d'un point sur la veille. 

Ceux qui doutent de la fiabilité de cette moyenne peuvent lire le billet que j'ai consacré à la comparaison de cette moyenne juste avant le premier tour avec les résultats de celui-ci. Le seul des quatre premiers candidats dont l'écart était supérieur à 0,2 point était Le Pen, surestimée de 0,9 point : 

 https://blogs.mediapart.fr/sycophante/blog/250417/remarquable-performance-des-sondeurs-crash-des-methodes-alternatives

(2) Les personnes interrogées l'ont été le 30 avril et 1er mai.

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