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Billet de blog 28 mars 2021

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L'instit des «grandes gueules» - Souvenirs d'un prof dans les médias - Texte intégral

Invité pendant 12 ans à des débats radio/TV, je livre une analyse des mécanismes de fabrication du buzz et pointe la dérive de ces médias. Une conviction : la zemmourisation médiatique encourage la trumpisation politique. Il ne s'agit pas de «cracher dans la soupe», mais de comprendre pourquoi elle a désormais si mauvais goût. Ce récit a fait l'objet de l’émission Arrêt sur images du 26/03/2021.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On peut retrouver ci-dessous le lien vers l'émission du 26/03/2021  d'ARRÊT SUR IMAGES de Daniel SCHNEIDERMANN entièrement consacrée à cette série d'articles. Cette interview d'une heure a immédiatement suscité de très nombreuses réactions sur Twitter, notamment des deux journalistes/présentateurs/animateurs, mais aussi de leurs nombreux followers, preuve qu'on peut parler d'une émission sans même avoir pris le temps de la regarder. Mais il n'est pas trop tard ! Surtout si l'on veut sortir des caricatures.

Emission d'ARRÊT SUR IMAGES => Grandes Gueules : "On achète notre liberté de parole pour créer le clash".

https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/grandes-gueules-on-achete-notre-liberte-de-parole-pour-creer-le-clash

PARTIE 1

 Invité douze années à une émission de radio pionnière dans les débats médiatiques, j’analyse ici cette expérience inédite, d’autant plus importante qu’elle annonçait l’avènement du « buzz » et de la zemmourisation des grands médias privés. Occasion aussi de réfléchir aux moyens d’en finir avec cette lente dégradation qualitative et démocratique de notre système d’information. 

Avant d’entrer dans les détails de mon expérience, je veux exposer ici ce qui motive mon écriture. L'univers médiatique est relativement hermétique, peu accessible si on n'y travaille pas. Certes, il arrive que les uns et les autres y fassent quelques incursions le temps d'un reportage, d'une interview, d'une invitation. Mais il est rare qu'une personne totalement étrangère à ce domaine y vienne si souvent, aussi longtemps, qui plus est dans un groupe TV/radio/presse en pleine expansion.

Mon précédent billet, dans l'urgence d'une réponse à la nouvelle offense qui était faite à mon métier, ne faisait que dévoiler ce que j'avais pu découvrir. Je souhaite ici prendre le temps d'une plus longue description et d'une analyse plus profonde. On ne peut imaginer uniquement des médias publics, même si - à titre personnel - j’en fais grande consommation. A moins de vouloir tout nationaliser, il faut d'urgence réfléchir à ce que peuvent être les modèles - notamment économiques - de médias privés, indépendants à la fois des grandes fortunes qui font main basse sur le secteur, et des logiques financières qui poussent leurs acteurs à rechercher le clash afin d’assurer leur rentabilité au travers d’audiences ainsi dopées. Mais d’abord, pour cette première partie, j’explique d’où je pars et donc d’où je parle.

On parle de quoi ?

Pendant douze ans, j’ai participé plus de 300 fois aux « Grandes Gueules » (ou « GG »), une émission quotidienne de deux à trois heures de débats, novatrice à son lancement (août 2004), diffusée initialement sur la radio RMC puis en simultané à la télévision sur RMC STORY (ex NUMÉRO 23, « chaîne de la diversité ») depuis septembre 2016. Elle est animée, conjointement ou alternativement, par les journalistes Alain MARSCHALL et Olivier TRUCHOT qui officient également sur BFM/TV, chaîne de télévision appartenant au même groupe média NEXTRADIO TV.

Cette émission, qui boucle sa 17e saison, est essentielle dans la stratégie du groupe puisqu'elle est mise à l’antenne, en direct ou en rediffusion, près de 30 heures par semaine (1). Chaque jour, s’y retrouvent trois intervenants parmi les 15 recrutés. Chacun est avant tout présenté selon sa profession : l'avocat (il y en a trois), le fromager (qui est plutôt devenu chef d’entreprise), la prof d'histoire-géo (qui ne l’est plus), l’instit (qui l’était vraiment), l'éducateur (qui est encore bien plus que cela), l'étudiant (qui publie déjà un livre), l’agriculteur (ancien responsable syndical), la fonctionnaire (qui fut porte-parole de Manuel VALLS), l’éditrice (qui est la compagne d’un important homme politique) l’ancienne SDF (qui heureusement ne l’est plus), le directeur marketing (qui fut aussi mannequin)... 

Chacun exprime librement son opinion mais sur les sujets retenus préalablement par l’équipe de l’émission. Les thèmes abordés sont présentés sous la forme d'une question assez binaire du type "pour ou contre". Ce concept est ainsi présenté : « Chez nous, c’est comme dans un repas de famille, on se retrouve pour discuter de l’actualité, on s’engueule, parfois des propos dépassent notre pensée. Ce n’est pas grave, on s’excuse et la conversation continue » (Olivier TRUCHOT, lefigaro.fr, 25/09/2018). Bref, des débats à la bonne franquette pour les uns, bien franchouillards pour d’autres, encadrés par deux journalistes expérimentés mais dont le rôle ici sort largement du cadre habituel d'une mission d’information pour glisser vers un show d'opinions (c’est même un slogan de la station, « RMC, votre radio d’opinions »).

Ces deux journalistes sont également très exposés : en plus de l’émission de débat, Olivier TRUCHOT occupe la tranche 17H-19H de BFMTV (émission « BFM STORY ») et Alain MARSCHALL lui succède sur le créneau 19H-21H (dans « 120 % NEWS ») du lundi au jeudi. Au total, chacun cumule donc dans la semaine 5 fois 3 heures de radio et 4 fois 2 heures de télévision, pour un total exceptionnel en direct de 23 heures chacun.

Comment un instit a pu se retrouver à l’antenne ? 

Maître d'école dans la campagne normande au Nord de Rouen depuis 1995, j'ai été sollicité par RMC en septembre 2007 après la parution de mon tout premier livre : « ÉCOLE : DROIT DE RÉPONSES » (HACHETTE), préfacé par Philippe MEIRIEU et récompensé par le Prix Louis CROS de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, puis par le Prix de l'Instruction Publique René DEVIC des Amis de la Mémoire Pédagogique. Le fait que l'émission vienne chercher un parfait inconnu est plutôt rare pour être salué. Par la suite, les stratégies varieront entre organiser des castings de recrutement ou prendre des personnes déjà connues par ailleurs.

Autre point étonnant : au moment où on me contacte, j’ignore tout de cette radio et de son émission phare. En effet, RMC n'était pas encore diffusée en Haute-Normandie et j'ignorais donc le projet entièrement inspiré de ce qui se faisait déjà outre-Atlantique (lire sur l'origine du renouveau de la station, le livre très instructif de l'ancien directeur de RMC, Frank LANOUX : « La deuxième vie de RMC » paru aux Editions du Rocher en 2013).

Pour ma part, je suis dès le départ assez méfiant. Auditeur de « LA-BAS SI J’Y SUIS » de Daniel MERMET sur FRANCE INTER, lecteur du CANARD ENCHAÎNÉ et de CHARLIE HEBDO, mais aussi longtemps spectateur studieux de l'émission de décryptage « ARRÊT SUR IMAGES » de Daniel SCHNEIDERMANN sur FRANCE 5, ma vision des grands médias - dont nombre ont perdu toute déontologie lors du référendum de 2005 puis de la présidentielle de 2007 - est largement dégradée.

De plus, mon tout premier livre est fortement motivé par le mauvais traitement médiatique réservé aux questions scolaires. Ainsi, deux ans plus tôt, j’interpelle par écrit le médiateur de FRANCE 2 après la diffusion d’un reportage piteux consacré à la lecture puis rédige une tribune qui donne tout de suite le ton : « Télé prise qui croyait prendre » (2).  Je reçois en retour une invitation dans « L’HEBDO DU MÉDIATEUR » diffusé alors en direct le samedi juste après le journal de 13h sur FRANCE 2. Après la diffusion de l'émission en décembre 2005, un collègue m’incite à remettre mes arguments par écrit, ce qui donne un nouveau texte mis en ligne sur le site de l’universitaire et pédagogue Philippe MEIRIEU (3), lequel m’encourage à me lancer dans l’écriture d’un ouvrage complet. Je choisis alors la forme épistolaire, inventant 26 messages d'interlocuteurs auxquels je réponds par ordre alphabétique des thèmes abordés. C’est donc ce livre, véritable « droit de réponses » - né de la critique des médias ! - qui sera à la base de mon recrutement par les responsables de l’émission.

 Mais pourquoi accepter ?

Quelques mois plus tôt, Nicolas SARKOZY a été élu Président de la République, ce qui n'augure rien de bon pour l'Éducation. Suppression de postes, fermeture de classes et d'écoles, tentative de suppression de la carte scolaire, attaque contre les dispositifs d'aides spécialisées aux élèves en grande difficulté, suppression de la classe du samedi matin, nouveaux programmes rétrogrades, salaires prétendument au mérite, diminution du temps d'enseignement (192 matinées en moins sur les huit années d’école primaire), retour aux « fondamentaux », volonté de mise en concurrence des établissements, évaluations nationales pour certains niveaux scolaires, non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, casse de la formation initiale. Cela se manifestera aussi au travers du mépris contre les professeurs des écoles comme en attesteront les propos du ministre Xavier DARCOS qui croit que les enseignant(e)s de maternelle, recruté(e)s à bac + 5 et sur concours, sont payé(e)s à surveiller les dortoirs et changer les couches (03/08/2008). On pourrait aussi rappeler la comparaison volontairement méprisante de Nicolas SARKOZY pour qui « l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé » (20/12/2007).

Opposé à cette politique agressive et rétrograde contre l'école, RMC m’offre une opportunité inespérée de faire entendre une autre voix. De plus, je découvre que s'agissant d'École, l'émission avait jusqu'ici sollicité des personnes totalement à l’opposé de mes idées : la journaliste Natacha POLONY ou encore l’enseignant essayiste, ex-plume de Patrick BALKANY et désormais chez Nicolas DUPONT-AIGNAN, Jean-Paul BRIGHELLI.

Bref, si je n'y vais pas, un autre ira, et pas forcément pour défendre le même point de vue. Mon inquiétude sera confirmée après mon départ avec le recrutement de celle réputée proche de F. FILLON, Barbara LEFEBVRE (4), toujours présentée comme professeure quatre ans après avoir quitté l’enseignement comme elle le racontait dans le livre qu’elle était pourtant venue présenter dans l’émission (18/04/2019). Pour ma part, l'opportunité de toucher un public populaire, avec des représentations de l'école caricaturales (mais elles le sont dans tous les milieux sociaux), semble donc vraiment trop rare pour que je refuse.

Recruté parmi les chroniqueurs, je suis alors payé 140 € par émission. Pour un maître d'école, ce n'est pas négligeable (le salaire l’année après le concours est autour de 1400 € net, de peu au-dessus du SMIC). En venant deux fois par mois, j'atteins, d’un seul coup, une augmentation qu'il me faudrait peut-être dix ans à obtenir normalement. C'est mon « travailler plus pour gagner plus » car il n'y a pas d'heures supplémentaires à l'école primaire, plutôt du bénévolat si on veut que ça fonctionne correctement (sorties, voyages, concerts, kermesse).

Pour autant, cette somme peut aussi sembler dérisoire dans ce milieu médiatique au regard de la tâche à accomplir : surveiller chaque jour l'actualité, lire les livres des invités, partir de chez moi pendant une bonne dizaine d'heures le mercredi pour un trajet où se succèdent voiture jusqu'à la gare de Rouen, train jusqu'à Saint-Lazare, et enfin métro jusqu'à la Porte de Versailles avant quelques minutes à pied. Cinq à six heures d’un aller-retour éreintant (que certains font pourtant quotidiennement). Et puis, pour moi dont le parcours scolaire a d’abord été chaotique (CAP, BEP, 1ère d’adaptation, Bac G), il y a sans doute là une forme de revanche à prendre. Mais l’exposition médiatique, flatteuse de prime abord, va devenir un vrai poison avec l’évolution des réseaux sociaux. Quand je débute, il n’y a ni Twitter, ni Facebook, ni Instagram ou autre Snapchat. Le téléphone portable est alors un outil de luxe. C’est donc dans le plus grand anonymat que je participe à une émission de diffusion nationale avant d’être davantage exposé par la suite, pour le meilleur et pour le pire (menaces et insultes pas très variées mais répétées).

Comment fait-on pour commencer au micro ?

Je débute directement dans l'émission en septembre 2007. Je ne connais rien ni personne contrairement à ce que laisse penser le tutoiement obligatoire entre nous à l'antenne. On m’invite à une première émission et me voilà aussitôt attablé, assis devant un micro pour deux heures de direct.  A l’époque, déjà enseignant depuis 12 ans, les responsables se doutent bien que j’ai conscience du poids de la parole publique. D’ailleurs, tout se passe bien puisque je suis invité à revenir, mais avec un bémol surprenant et révélateur : la station de radio refusera de payer mes deux premières émissions prétextant que j'étais à l'essai. Décidément, le bénévolat me poursuit.

Une fois recruté avec le statut de pigiste (on me rémunère donc uniquement selon mon nombre d’émissions), je suis reçu par le directeur de l'époque, Frank LANOUX. Il me cite en modèle de « Grande Gueule » une nouvelle recrue, la commerçante Claire O'PETIT, future députée LREM. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle et moi n'aurons pas grand-chose en commun, jusqu'à notre rapport avec le FRONT NATIONAL. Car elle pourra raconter ce qu'elle veut, nous sommes quelques-uns à nous souvenir de ce qu'elle envisageait pour les régionales de 2015. Comme dirait son grand ami - et ancien des GG – le député FN Gilbert COLLARD, « Je ne peux pas dire que Nicolas BAY ment » quand il affirme qu'elle voulait être sur une liste du parti de Marine LE PEN (5). Mais pour la Macronie, cette « Grande Gueule » est une bonne prise et son parcours jusqu’à l’Assemblée nationale sera salué (on sera fiers plus tard de savoir que « Brigitte » est une fidèle auditrice).

Pour autant, une fois au micro, je trouve l’exercice réellement excitant, même intellectuellement. Je prépare scrupuleusement mes sujets (souvent pour rien), reste très attentif à l'actualité, lis intégralement les livres des invités (parfois pour ne pouvoir poser qu'une seule question), m'éloigne des questions éducatives pour m'intéresser davantage à l'économie, à la fiscalité, aux métiers du commerce et de l'artisanat, aux questions de justice, d’emploi, de sécurité, de santé. Surtout, j'éprouve du plaisir à participer aux débats, à trouver le bon argumentaire, la réponse qui convient, la répartie amusante ou efficace. Je m’enrichis de tous ces échanges, des interventions des auditeurs, des discussions avec les invités. Je me demande toujours quelles questions ou quels propos j'aurais aimé entendre si j'avais été auditeur de l'émission. Je travaille alors dans une petite école rurale à une seule classe et j'aime l'équilibre et l’émulation que m'apportent ces allers-retours secrets dans la capitale (plus de 100.000 km parcourus en tout !).

Mais, bien entendu, quand on est maître d’école, sympathisant du mouvement Freinet, réputé de gauche et écolo, vivant à la campagne, débarquer dans un média libéral et national de la capitale où se concentreront bientôt chaînes de radios (RMC, BFM Business) et de télévisions (BFMTV, RMC Story, RMC Sport, RMC Découverte) entraîne de nombreuses observations en interne qu’il peut être bon de livrer sous forme de leçons à en tirer. Nous verrons donc la prochaine fois tout ce que cela m’a appris pour en arriver à quelques conclusions qui seront autant de propositions.

Sylvain GRANDSERRE
Maître d'école en Normandie
Auteur de "Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !" (Édtions ESF / La Classe, mars 2020)

1/ diffusion de 03H00-04H30 le lundi (rediffusion), de 09H00 à 12H00 du lundi au vendredi (direct), de 02H00-04H30 du mardi au vendredi et enfin de  02H00 à 05H00 le samedi.

2/ A lire sur le site du professeur et formateur Daniel CALIN qui a eu la gentillesse de diffuser mes premières tribunes http://dcalin.fr/publications/grandserre.html

3/ Sur le site de Philippe MEIRIEU : :https://www.meirieu.com/FORUM/grandserre.pdf

4 - Article des INROCKS : https://www.lesinrocks.com/2017/04/news/apres-lavoir-nie-en-direct-barbara-lefebvre-avoue-quelle-soutient-effectivement-francois-fillon/

5 - Article du POINT : https://www.lepoint.fr/politique/la-deputee-lrem-claire-o-petit-a-t-elle-cherche-a-integrer-le-fn-23-01-2018-2189070_20.php

PARTIE 2

 En septembre 2007, maître d’école en zone rurale et auteur d’un premier ouvrage sur l’éducation, me voici donc recruté par la radio RMC pour participer régulièrement à des débats sur l’actualité. J’entre alors dans un groupe médiatique en plein essor qui va bientôt concentrer, sous la tutelle de l’homme d’affaires Patrick DRAHI, téléphonie, télévision, radio et presse. Mais pas seulement.

Venant de Normandie le mercredi, j’arrive le plus souvent à RMC une à deux heures avant l’émission des "Grands Gueules" et reste souvent après, ce qui me laisse le temps de discuter, circuler, échanger, observer, écouter, questionner. Je capte l’ambiance, les tensions, surprend des discussions. Je vois à l’œuvre tout un fonctionnement interne, toute une organisation professionnelle, qui échappent la plupart du temps aux auditeurs et téléspectateurs qui en resteraient à une simple consommation de l’information ou plutôt de ce que l’on en fait.

Car ici, il s’agit moins d’informer que d’utiliser le matériau de l’information pour créer des débats, susciter des interventions d’auditeurs, laisser s’exprimer des points de vue. Moins par souci démocratique que par stratégie commerciale.

Dans l’émission où j’interviens, on découvre souvent le matin même les sujets retenus - piochés dans l’actualité - peu de temps avant la prise d’antenne. En plus de la difficulté d’avoir des informations fiables et vérifiables (on nous donne souvent un seul article par thème), il y a l’impératif du dispositif de débat : avoir un avis tranché, se positionner forcément « pour ou contre », bref, être clivant. Si un consensus s’installe en studio, Olivier TRUCHOT, l'un des deux journalistes-animateurs, sera là pour contrebalancer, jouer le poil à gratter, quitte à dire le contraire de ce qu’il affirmait la veille. C'est un jeu où on reste sérieux.

Cette mécanique est essentielle pour capter l’auditeur, le bousculer, le happer, l'hameçonner, l’amener à réagir, et finalement créer les conditions du clash. Peu importe que le buzz soit ensuite bon ou mauvais, l’important est de faire comprendre que « c’est ici que ça se passe ». Au risque d’une hystérisation de l’information. Car les modérés, les nuancés, les hésitants, les "gens qui doutent" chers à Anne Sylvestre peuvent passer leur chemin. Dans le hard news, si l' doute t’habite c’est qu' t’as pas d' couilles.

Mais c’est tout de même une vraie marque de fabrique de RMC dans son processus de résurrection : ouvrir largement l’antenne aux auditeurs et aux intervenants pendant que les invités se succèdent dans le studio ou en plateau. Car dans le même temps, BFMTV connaît une ascension fulgurante jusqu’à atteindre la première place des chaînes d’info en continu. Ça fait beaucoup de tuyaux qu’il faut sans cesse alimenter, 24h/24, sept jours sur sept. Non sans générer quelques biais. La dénonciation de l’omniprésence des « mâles blancs de plus de 50 ans » (dont je fais désormais partie) a déjà été faite mais existent peut-être d’autres critères moins perceptibles dans les profils mis en avant.

1 - Jacobinisme médiatique

A rebrousse-poil de la tendance générale de l’époque, c'est une spécificité remarquable de cette émission des « Grandes Gueules » que de mettre à l’antenne des chroniqueurs qui ne soient pas tous parisiens. Visiblement, on a flairé le coup et remarqué que quelque chose clochait. Ça manque d'accents, de mots qu'on frappe et de langues qui claquent. Car trop souvent, même si personne ne semble s'en étonner, les intervenants et chroniqueurs sollicités dans les médias habitent tous dans un rayon de quinze kilomètres autour de la Tour Eiffel. Un petit village d’initiés explique à la France entière ce qui s'y passe et ce qu'elle doit penser d'elle-même. Sans verser dans l’antiparisianisme primaire ni jouer la Province contre la Capitale, force est de constater qu’une telle hyper concentration n’est ni saine ni normale, surtout quand elle se double d’une consanguinité sociologique.

Forcément, pour tous les « provinciaux » de l’émission à laquelle j’ai participé, voici une occasion inespérée de pouvoir s'exprimer sur un média national. Le fromager vient des Deux-Sèvres, l’agriculteur de Saône-et-Loire. Le président du club de rugby arrive de Toulon, le prêtre de Poitiers, l’élu de Marseille, le sociologue de Grenoble, l’éducateur de banlieue, l’étudiant d’Angers et moi, de Normandie. Certes, il faut tout de même se rendre à Paris, mais au moins la station s’organise-t-elle pour cela (mes frais de train sont remboursés puis, plus tard mes frais de route).

A l’inverse, depuis ma campagne, maître d’école à plein temps, je ferai quelques fois la douloureuse expérience, après la publication de plusieurs ouvrages, de devoir refuser des sollicitations médiatiques liées à l’actualité scolaire. Souvent on me répond « Ah vous n’êtes pas sur Paris ?" "Non ? Vous êtes toujours en classe ?" "Mais vous ne pouvez pas vous libérer ?». La logique du « hard news » repose sur la réactivité. Il faut vite pouvoir se rendre en studio ou en plateau, sans l’avoir prévu à l’avance. A l'instar de la nature, les tuyaux (médiatiques) ont horreur du vide.

Dans ce groupe, comme chez ses concurrents, les médias - TV et radios - sont conçus pour « réagir » au plus vite. Il faut une disponibilité immédiate qui repose notamment sur une concentration géographique des intervenants, des professionnels et des invités. Mais au moins, reconnaissons à cette émission des Grandes Gueules le mérite d’être sorti d’un recrutement intra-périphérique même s’il reste peu de vrais provinciaux aujourd’hui dans l’émission.

Je note également que le standard téléphonique est largement ouvert à une expression bien plus populaire, bien plus diverse qu’à l’accoutumée. Par contre, pour passer à l’antenne, la sélection - en dehors de l’orientation du propos et de la qualité de la ligne - repose en grande partie sur l’expression d’un énervement, d’une colère, d’un ras-le-bol. « Allez, réagissez au 32.16 », « J’attends vos réactions au standard », « Appelez-nous pour réagir ». L’auditeur qui vient pousser un coup de gueule valide d’un coup le choix du thème du débat mais aussi le rôle que prétend jouer la station : rendre la parole aux Français (énervés) car « Les Français veulent savoir » !

 2 - Où sont les femmes ?

Pour se soumettre à l’impératif d’urgence du « tout info », il n’y a pas que l’obstacle géographique à surmonter. Le fait d’être capable à tout moment de bousculer son agenda au pied levé favorise tous ceux « délestés » des contraintes parentales ou bien prêts à s’en débarrasser (prédominance des hommes alors).

Travaillant dans un univers scolaire où 85 % de mes collègues sont des femmes (et même 90 % des enseignants du primaire dans le privé), je sais combien la question est sensible, les équilibres entre vie privée et vie professionnelle difficiles à trouver et fragiles à maintenir. Hors temps de classe, nous avons différents types de réunions : conseil de cycle, conseil de maîtres, conseil d’école, animations pédagogiques, équipes éducatives, conseil école-collège, réunion d'harmonisation, réunion de direction, rendez-vous pour une ESS, un PPRE, un PAI, un PAP, un GEVASCO (pas besoin de traduire puisque dans notre société tout le monde semble vraiment bien connaître notre métier). C’est souvent un casse-tête quand, au sein même des couples, le partage n’est pas équilibré, par tradition ou impossibilité. Les professeures ne sont pas toujours bien mariées.

Les récentes études du CSA et de l’INA (1) après le premier confinement montrent à nouveau que la parité est respectée dans les médias quand il s’agit de trouver des témoignages. Mais plus du tout ensuite : seulement 24 % de femmes parmi les représentants politiques , 20 % parmi les experts, 14 % parmi les représentants de l’Etat. Par exemple, quand la médecine est exercée à 46 % par des femmes, ceux auxquels on tend le micro sont à 73 % des hommes.

L’émission à laquelle je participe doit ainsi trouver, le matin même, au pied levé, des intervenants aussitôt prêts à s’exprimer en direct, disponibles, informés, ayant déjà eu le temps d’analyser le dernier scoop tombé dans la nuit. La logique s’impose aux acteurs. Pas besoin d’être soi-même machiste pour développer une logique de domination masculine. Ça se fait tout seul.

Mais sans doute, en dehors de cette explication, les chaînes sont-elles déjà largement gangrenées par les stéréotypes les poussant de toute façon à privilégier une parole masculine, surtout si on l’espère virulente, brutale, peu nuancée, disruptive pour reprendre un terme à la mode. Du coup, ces modalités peuvent aussi se retourner contre des hommes qui souhaiteraient s’exprimer autrement. Certains chroniqueurs des Grandes Gueules ont été remerciés car, paraît-il, on ne les trouvait pas assez « clivants ». Ainsi, ont été congédiés le professeur de l’ESCP Philippe GABILLIET et l’ex-vice-président du MEDEF Thibault LANXADE. Mais attention, « clivant », il ne faudrait pas l’être trop non plus. C’est la prétendue insatisfaction des auditeurs qui servira de motif pour justifier mon éviction puis celle du syndicaliste cheminot Anasse KAZIB. Bref, on n’est pas là pour plaire à tout le monde mais il ne faut pas déplaire à certains. 

3 - OK boomer !

Pour des raisons similaires de disponibilités professionnelles et familiales, les seniors bien installés dans la vie et la société sont surreprésentés puisqu’ils sont énormément avantagés au moment de se libérer. Quand il faut au plus vite quelqu’un de disponible pour témoigner ou réagir, il y a plus de chances de voir un expert de 60 ans parisien qu’une spécialiste de 30 ans, jeune maman, vivant en zone rurale dans le sud de la France.

Pour en revenir à ma propre expérience, j'essaie d’abord de venir tous les mois, puis toutes les deux semaines tout en devant composer avec mes propres responsabilités (il y a parfois des animations de formation le mercredi matin et j'ai déjà deux jeunes enfants). Je suis surpris à l'époque d’être - parmi la quinzaine de chroniqueurs - celui qui a souvent le plus de mal à donner des dates immédiates de disponibilité.

Pourtant, on se moque à l’antenne de mes « nombreuses vacances » (pour moi, ce sont mes RTT, mes récupérations, je ne suis pas aux 35 heures). On plaisante souvent - une véritable obsession dans ce milieu où tout le monde court - sur l’incroyable temps libre dont je suis censé disposer. Moi je trouve ça normal d’avoir du temps pour être avec mes enfants, me cultiver, lire, me reposer, découvrir, réfléchir. Pour l'amour, la musique et l'amitié. Pourquoi tout niveler par le bas en termes d'exigences humaines et sociales ? Or, force est de constater que d’autres intervenants font un peu comme ils veulent et se libèrent facilement, parfois le matin même, en un claquement de doigts. Pourtant, à eux, rarement les auditeurs demanderont des comptes même quand ils écument les plateaux aux limites du don d’ubiquité. Ne jamais oublier que ceux qui crachent sur les profs sont les mêmes qui s'extasient devant le recrutement de NEYMAR pour 220 millions d'euros. 

4 - Médias, restons concentrés

Comme j’ai pu le constater lors des préparatifs de l’émission, quand il faut d’urgence trouver un expert pour commenter tel ou tel point de l’actualité brûlante, on consulte à toute vitesse son carnet d’adresses (en réalité le répertoire des numéros de téléphone). On évite alors de prendre trop de risques - ce n’est pas le moment - préférant se souvenir que tel ou tel intervenant vu ici ou là, avait été très bon la veille chez X ou Y, voire même dans l’émission télévisée de l’un des deux présentateurs. Aucun problème pour solliciter à nouveau le même intervenant, sur le même thème, pour lui poser exactement les mêmes questions.

C’est alors le règne des « bons clients », disponibles, experts, concis, aimables, souriants, toujours prêts, toujours plus près. Ils sont si souvent à l’antenne que nombre d’auditeurs et spectateurs les croient journalistes. Dans l’openspace, entre salariés du groupe, on se refile leurs coordonnées comme celles d’un bon dentiste ou d’un bon garagiste. On remarquera quand même qu’il est parfois difficile de mesurer leur légitimité. Pour un élu, on peut encore avoir une idée. Mais certains experts semblent jouir d’un favoritisme qui vire franchement au copinage et à la complaisance.

On peine ainsi à comprendre précisément ce qu’est le mouvement patronal ETHIC, un lobby que préside Sophie DE MENTHON. Voilà qui l’a pourtant menée à siéger huit ans au Conseil Économique, Social et Environnemental. On la retrouve encore parfois dans les « Informés » de FRANCE INFO où on semble lui avoir pardonné les propos épouvantables tenus en 2013 contre Nafissatou Diallo dans l’affaire DSK (un viol assimilé à un "conte de fée"), ceux sur le travail des enfants ou encore le harcèlement de rue (se faire siffler est "plutôt sympa").

Je m’interroge aussi sur la présence d’un autre lobby très présent : l’IFRAP*. Certes, à l’antenne, ça claque aux oreilles de l’auditeur et en met plein les yeux du téléspectateur : « Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques ». L'auditeur mal réveillé pense peut-être que ça a à voir avec le Prix Nobel. Cette organisation ultra-libérale, est représentée dans les médias par Agnès VERDIER- MOLINIÉ. Une obsession chez elle : la dépense publique. Sauf quand cette supposée largesse budgétaire concerne les milliards accordés aux grands groupes, les avantages fiscaux, les aides publiques, les facilités d’exonération et d’évasion fiscales. Mais l’auditeur ne saura rien de tout ça. On lui présente une « experte » venue d’une « fondation pour la recherche ». C’est d’ailleurs dans la stratégie de ces « think tanks » de jouer sur cette ambiguïté des dénominations. Quant aux médias qui les invitent, ils n'ont aucun intérêt à décrédibiliser ceux qu'ils mettent à l'antenne. Dommage, car il y aurait fort à dire sur la prétendue scientificité du travail de l'IFRAP si l'on en croit l'ACRIMED qui rappelle que d'après un chercheur du CNRS « aucun des "chercheurs" de l’IFRAP examinés [...] n’a jamais publié le moindre article dans une revue internationale d’économie. Aucun n’a même effectué une formation à la recherche attestée par un doctorat".(2).

Pourtant, une fois entrés dans la tuyauterie médiatique, ces divers cow-boys du règlement de compte public vont pouvoir librement circuler dans l'espace "chaîne-gun" sans avoir à prouver une quelconque légitimité ni clairement exprimer « d’où » ils parlent ( (j’ai pris l’exemple de ces deux femmes pour m’être retrouvé en studio avec elles mais beaucoup d’hommes sont concernés évidemment). 

A nouveau, cette hyper concentration est un formidable accélérateur de fluidité. Les numéros de portable circulent facilement, tout le monde peut joindre tout le monde avec un minimum d’obstacles à franchir ("dis-lui que tu l’appelles de ma part »). Les conversations hors-micro sont le plus souvent cordiales, presque amicales, loin des joutes verbales offertes en spectacle. On fait du catch radiophonique en faisant croire au public à de la boxe ou du MMA. Bref, c’est un univers professionnel, comme il en existe tant, empli de petits services, de coups de pouce, de renvois d’ascenseur, de recommandations, de cooptation.

Voici un exemple récent dont je parle d’autant plus librement qu’on ne pourra pas m’accuser de vengeance puisqu'il touche directement à ma propre sensibilité politique. L’ancienne journaliste - désormais éditrice chez FAYARD - Isabelle SAPORTA a été recrutée à la rentrée 2020 dans l’émission des GRANDES GUEULES d'Olivier TRUCHOT et Alain MARSCHALL. Elle est davantage connue du grand public pour être la compagne de Yannick JADOT (EELV) qu’elle a justement rencontré sur le plateau de BFMTV, dans l’émission... d’Olivier TRUCHOT (authentique !). Dans les couloirs de RMC/BFM elle peut croiser Bruno JEUDY, rédacteur en chef du service politique de PARIS MATCH, magazine qui a assuré la diffusion des photos de son couple avec leur accord (3).

Elle croise forcément l’éditorialiste « maison » Christophe BARBIER invité aux GRANDES GUEULES en même temps qu’elle lors de l’émission du 23/09/2020. Dans cette même émission, elle côtoie l’étudiant et chroniqueur Maxime LLEDO. Or, on apprend que FAYARD, où travaille comme directrice littéraire Isabelle SAPORTA, édite le tout premier ouvrage de Maxime LLEDO des GG sur RMC et  le tout nouveau livre de Christophe BARBIER de BFMTV, publication que l'éditorialiste a pu venir présenter dans... les GRANDES GUEULES le 25 janvier ! La boucle est bouclée sans qu'on semble mesurer combien ce cercle est plus vicieux que vertueux pour qui l’observe à distance. Le comble c'est que tout ça est parait-il motivé par la volonté de "sortir de l'entre-soi" (4). Bah, c'est raté visiblement.

5 - Bienvenue aux fonctionnaires de l’info

Les médias spécialisés dans l’info en continue - comme LCI, CNEWS, BFMTV - ont trouvé la parade au caractère aléatoire des disponibilités des experts. Ils ont recruté leurs propres spécialistes prétendument tout terrain. Oxymore puisque l’on ne peut être spécialiste de tout. Pourtant, avec du maquillage, un costard et une cravate, ça fonctionne, l’illusion est parfaite. La formule "brushing-tailleur-doigt-sur-le-menton-entre-deux-interventions" est pas mal non plus. Avoir ses intervenants "maison" évite de devoir courir dans tous les sens pour trouver le bon interlocuteur à la moindre annonce à traiter. Là, on est en circuit court, du producteur au consommateur. Y a plus qu'à avaler tant que c'est chaud.

A ma modeste échelle, j’ai vécu cette expérience de chroniqueur qui a un avis sur tout, et surtout un avis. Pouvaient ainsi s’enchaîner dans nos débats des sujets comme les nouveaux dispositifs de contrôle des chômeurs (pas des patrons), le début des soldes (deux fois par an), la fin des soldes (bah, deux fois par an), la rentrée scolaire (en septembre), les résultats du bac (début juillet), le nombre de jours fériés (le 1er ou le 8 mai), les résultats de l’équipe de France de football ("Oh", "Ah" !), la dernière petite phrase du Président (auquel on reprochera de faire des petites phrases)…Au milieu du tourbillon, vite, dire ce que l’on pense à défaut d’avoir le temps de bien penser ce que l’on dit.

Voici un élément chiffré révélateur de cette accélération. Quand j’ai commencé en 2007, nous prenions l’antenne à 11h pour deux heures de débat. Dix ans plus tard, on démarrait simultanément en radio et à la télévision dès 9h du matin pour trois heures continues d’interventions. Deux heures de moins pour préparer une heure de plus d’émission. Qui peut croire que ça puisse générer de la qualité ? Mais ce n’est vraiment pas le souci de tous ceux qui choisissent d'investir dans ce domaine, comme nous le verrons la prochaine fois.

Sylvain GRANDSERRE
Maître d'école, ex-chroniqueur TV/radio
Auteur de "Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !" (Éditions ESF / La Classe)

 * Cette infiltration de l'IFRAP dans les médias est à rapprocher de celle constatée dans les sphères du pouvoir. Ainsi l'ancien directeur de cabinet de Jean-Michel BLANQUER, Christophe KERRERO, était lui-même membre de l'IFRAP dont l'un des objectifs est la réduction du nombre de fonctionnaires, à commencer par les enseignants ! Il est désormais Recteur de la région académique d'Île-de-France, recteur de l'académie de Paris et chancelier des universités de Paris et d'Île-de-France.

=> http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/11052020Article637247793272742622.aspx

1 - https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2020/06/24/coronavirus-la-crise-a-conforte-la-place-desequilibree-des-femmes-dans-les-medias_6044058_3236.html

2 - https://www.acrimed.org/L-Ifrap-think-tank-ultra-liberal-a-l-aise-sur-France-2-et-ailleurs

3 - https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Isabelle-Saporta-la-compagne-de-Yannick-Jadot-quitte-RTL-et-s-engage-en-politique-1627330

4 - https://www.livreshebdo.fr/article/isabelle-saporta-je-veux-sortir-fayard-de-lentre-soi

PARTIE 3

Étendant leur mainmise sur l’information, de puissants médias privés rivalisent d’idées pour provoquer clashs et buzz et ainsi développer la lutte des déclassés, stratégie économique révélatrice de leur idéologie politique. Et tant pis si le produit final est au journalisme ce que la malbouffe est à la restauration. Dans les deux cas, le public gavé en redemande. A s’en étouffer. A moins que…

Tout en m'appuyant sur quelques anecdotes personnelles glanées tout au long de ces douze années d'interventions régulières sur RMC, j'analyse ici la façon dont sont traitées les informations dans des débats qui, sous une apparente neutralité des médias, sont déjà fortement orientés dans le sens voulu par leurs propriétaires.

1 – Un raz-de-marée artificiel

En France, non seulement de plus en plus de grandes fortunes détiennent ou acquièrent des médias, mais cette concentration sans précédent est à rapprocher d’autres phénomènes extrêmement inquiétants au sein même de l’Union Européenne. « En Hongrie, 80% des médias aux mains de proches du pouvoir » (1), « Ecran noir pour la presse en Pologne » (2). Pas besoin de traverser l’Atlantique pour mesurer à quel point les conséquences d’un tel dérèglement sont désastreuses pour la démocratie. Qu’on se souvienne aussi de ce qu’était le paysage audiovisuel en Italie du temps de BERLUSCONI (3) quand les médias publics étaient sous la coupe de celui qui détenait tant de médias privés.

Mais chez nous alors ? La discrète tectonique des plaques médiatiques se poursuit sans que le citoyen lambda semble vraiment imaginer le tsunami qui se prépare en profondeur, surtout à l’approche des élections présidentielles de 2022. Une vague où certains politiques espèrent surfer, laissant aux autres la violence du rouleau compresseur.

Pourtant, difficile au quotidien de s’informer sans tomber sur l’un des médias détenus par BOLLORÉ (CANAL +, CNEWS, C8), BOUYGUES (TF1, LCI, TMC…), LAGARDERE (EUROPE 1, PARIS MATCH, JDD, TÉLÉ 7 JOURS…), DASSAULT (LE FIGARO…), NIEL (LE MONDE…), ARNAULT (LE PARISIEN, LES ÉCHOS…), PINAULT (LE POINT…), ou AMAURY (L’Équipe…) pour ne citer que les plus connus.

Désormais, dix grandes fortunes détiennent 90 % des journaux vendus, plus de 55 % des parts d’audience télévisée et plus de 40 % des parts d’audience radio (4). Certains se diront peut-être que ça laisse encore de la marge. Il faut alors lire l’analyse signée Antoine LEUCHA (5) « Comment les classes dominantes ont détourné le suffrage universel » (Médiapart, 27/02/2021). On y trouve notamment cette citation qui résume bien les risques : « Les médias peuvent ne pas parvenir tout le temps à dicter aux gens ce qu’il faut penser, mais ils sont d’une redoutable efficacité pour leur dire ce à quoi il faut penser » (B.C. Cohen, The press and Foreign Policy, 1963).

Voyons concrètement comment ça marche avec, par exemple, la prétendue infiltration de l’islamo-gauchisme dans les universités comme l’affirment en chœur Jean-Michel BLANQUER et Frédérique VIDAL. De si graves accusations - sans fournir la moindre preuve ou définition - auraient dû les décrédibiliser. D’ailleurs, 600 chercheurs et universitaires ont aussitôt réclamé la démission de leur ministre (6). Ça fait du monde, et du beau monde.  

Au lieu de cela, on a vu surgir peu après un sondage fumeux et tout fumant (FRANCE INFO, LE FIGARO (7) : « Près de 7 Français sur 10 estiment qu’il existe un problème "d’islamo-gauchisme" en France ». Formidable tout de même. Les Français, qui dans leur immense majorité n’avaient jamais entendu parler de ce concept - et qui dans leur quasi-totalité seraient bien incapables de le définir précisément - savent tout de même que pareil complot existe. Balèzes !

Ce qui est intéressant, c’est d’observer que les accusations portées par la ministre de l’Enseignement supérieur trouvent un écho favorable chez 78 % des plus de 65 ans qui – a priori – en ont fini avec la fac, mais seulement 46 % chez les 18-24 ans qui pourraient éventuellement être concernés si on suit la logique de l’accusation. Comme quoi le prisme médiatique fait des ravages sur ceux qui voient le monde au travers de la lucarne télévisée.

Pour l’émission des GRANDES GUEULES (RMC RMC STORY), et tant d’autres avec elle, c’est du pain béni (si j’ose dire), non pour ausculter la stratégie BLANQUER/VIDAL mais pour lancer le débat : « Nos facs sont-elles gangrenées par l'islamo-gauchisme ? » (émission du 17/02/2021). Et c’est parti. Pour l’une (Zohra BITAN, ancienne porte-parole de Manuel VALLS), « "L'islamo-gauchisme, c'est le déni et la complaisance ! ». Pour l’autre (Barbara LEFEBVRE, soutien de François FILLON), "L'islamo-gauchisme existe ! Il prend de l'ampleur depuis 20 ans ! Il faut arrêter de le nier !". Un régal. Malheureusement, l’auditeur/téléspectateur n’aura pas droit au débat espéré : « Nos ministres sont-ils gangrenés par l’idéologie d’extrême-droite ? ».

De la même manière, on a vu l’incroyable emballement médiatique et politique autour des repas provisoires sans viande dans les cantines lyonnaises. La nouvelle équipe municipale a pourtant donné des motifs crédibles d’impératifs logistiques et sanitaires, rappelé que Gérard COLLOMB, l’ancien maire et ancien ministre de l’Intérieur d’Emmanuel MACRON, en avait fait de même quelques mois plus tôt, souligné que les repas sans viande ne seraient pas forcément végétariens (poisson, œufs), indiqué que les pauvres mangent plus de viande que les riches. Mais rien n’a arrêté la frénésie médiatique de tous ceux qui préfèrent un mauvais procès à une bonne investigation.

Plutôt qu’aller enquêter (qui connaît les conséquences du nouveau protocole sanitaire obligatoire dans les cantines ?), les chaînes de grand bavardage se ruent sur un sujet qui permet immédiatement, et sans trop se fatiguer, de mettre face à face les « pour » et les « contre ». D’autant plus aisément que Gérald DARMANIN ramène sa fraise, y voyant une « idéologie scandaleuse », domaine où le ministre vitaminé ne saurait être accusé de mollesse. Julien DENORMANDIE, ministre de l’Agriculture, pousse ce cri déchirant : « Arrêtons de mettre de l’idéologie dans l’assiette de nos enfants ! ». De la publicité pour la malbouffe et les sodas suffit. Aurait-il oublié qu’il est aussi le ministre des éleveurs de poules, de la pêche et de la pisciculture, des producteurs de légumineux, et en principe engagé à lutter contre le réchauffement climatique auquel participe fortement la consommation de viande ?

Loin de démonter la stratégie gouvernementale qui vise à décrédibiliser systématiquement ses opposants, à mille lieues de s’interroger sur la véracité des propos de DARMANIN et DENORMANDIE et de les confronter à leurs choix passés (depuis quand la droite s’intéresse-t-elle à la qualité des repas à la cantine elle qui veut plutôt exclure les enfants des mauvais payeurs ?), une émission comme les GRANDES GUEULES saute sur l’occasion pour lancer le débat : « Un menu sans viande dans les cantines à Lyon "pour accélérer le service" : mesure idéologique ? ».

Bien sûr, on ne vous sert pas directement la réponse (« ce qu’il faut penser ») mais on vous laisse la question en tête (« ce à quoi il faut penser »). Et puis, pour vous aider à mieux comprendre, on invite en plateau Samuel VANDAELE, le président des Jeunes Agriculteurs, syndicat si souvent en accord avec la FNSEA qui défend l’agriculture intensive et donc la viande à tous les repas. Des élus Verts pourront toujours intervenir par téléphone, il n’empêche, ce sera dans une posture d’accusés, sur la défensive, dans un rôle de présumés coupables.

Pourtant, un autre débat aurait pu être organisé : « DARMANIN, tweet idéologique pour faire oublier ses propres turpitudes ? » ou « DENORMANDIE, accusation démagogique pour ramener les paysans vers Macron ?». Mais non, parmi les annonceurs, il ne faudrait pas fâcher un producteur de viande bovine. Les lasagnes au cheval, ça va un moment. 

On préfère une approche bien plus insidieuse, celle qui sème le doute. C’est de loin la plus redoutable (8). J’entends déjà l’argumentaire : « Eh le petit instit, on ne dit pas que la mairie de Lyon est dans l’idéologie, on pose juste la question. On a quand même le droit, non ? ». Comme si la formulation de ce questionnement faussement innocent ne portait pas en elle une part de la réponse accusatrice souhaitée. Imaginons : « Journalistes à BFMTV, nouveaux chiens de garde ? ». Je pose juste la question, hein ! On a quand même le droit, non ?

Alors forcément, quand tombe le lundi 1er mars la condamnation de Nicolas SARKOZY à trois ans de « prison » dont un ferme (à domicile avec bracelet électronique à la place de la Rolex), les GRANDES GUEULES s’interrogent, non pas sur la fin d’un système clanique au somment de l’état (9), mais sur un « jugement politique ». L’air de rien, en douce, entre deux publicités, l’émission reprend la position la plus radicale, celle de l’extrême-droite (CHENU, LE PEN et BARDELLA) ou de la droite pas molle de Christian ESTROSI pour qui : « Il n’est jamais bon que les politiques se mêlent de justice, ni que les magistrats fassent de la politique ». La droite dure (pour les autres) opte pour la victimisation des siens en voyant des juges rouges partout. BERLUSCONI, sort de ce corps !

2 – Des médias qui montent, qui montent (les uns contre les autres)

Quand j’ai découvert RMC en 2007, la petite station moribonde, rachetée en 2000 par Alain WEILL, connaissait une forte dynamique dans un esprit assez novateur autour du concept « info-talk-sport ». Il est rare de voir émerger ainsi un nouveau média et un vent de liberté et de conquête soufflait sur cette radio dont l’ambiance interne semblait pouvoir s’apparenter à une (très grosse) radio libre. Sans partager cette excitation, il y avait tout de même quelque chose de grisant à intervenir dans un média émergeant. La liberté de parole était encouragée, non par souci démocratique mais par possibilité d'en tirer profit (clash = buzz = audiences = publicités = argent).

Désormais, tout le monde a intégré le puissant groupe de Patrick DRAHI qui a rassemblé en octobre 2018, en un seul et même lieu ses différentes activités : l’opérateur SFR,  des chaînes de télévision (BFMTV, RMC Sport, RMC Story, RMC Découverte), des journaux (LIBÉRATION, L’EXPRESS) et des radios (RMC, BFM BUSINESS). Au sud-ouest de la capitale, en face du « Pentagone français » du ministère de la Défense, les nouveaux locaux accueillent les 7.000 salariés du groupe dans 86.000 m² d’immeubles spacieux, vitrés, coupés de l’extérieur, étonnement froids. Pourtant, ça bout à l’intérieur.

Au rez-de-chaussée, se trouve une « rue des studios » pour les programmes de RMC, BFM TV, RMC Story, RMC découverte, BFM Paris et BFM Business. En quelques mètres, « cinq matinales d'info simultanées en direct et 130 émissions filmées chaque semaine » annonçait Alain WEILL (10). Une fois les studios de télévision et de radio alignés, il n’y a plus qu’à y faire venir les invités et assurer la déambulation des chroniqueurs maison qui zigzaguent d’un studio à l’autre tels des étudiants un jeudi soir rue de la Soif. Par exemple, Eric BRUNET intervenait d’abord dans la matinale de J-J. BOURDIN puis venait présenter le menu de son émission dans les « Grandes Gueules » avant de prendre effectivement l’antenne pendant deux heures. Ensuite, il pouvait lui arriver de filer en plateau sur BFMTV pour commenter l’actualité parfois jusqu’en soirée. Ces experts - sur un média d’opinions qui prétend les combattre en donnant la parole aux « vrais gens » - peuvent parler de tout, tout le temps, tous les jours et même la nuit. En arrivant de Normandie à 7h du matin, j’en croisais certains qui étaient encore à l’écran le soir.

Non seulement les bureaucrates du « tout info » sont énormément mis à l’antenne, mais comme je l’ai déjà expliqué, ils ne mettent jamais les pieds pour un reportage en banlieue, dans une exploitation agricole, dans un hôpital ou dans un collège. Ils ignorent le quotidien concret d’un commissariat, d’une école, d’un commerce, d’un tribunal, d’un théâtre. Pas besoin d’aller voir puisque tout vient à eux au travers des invités, des témoignages d’auditeurs, des articles lus, des infos entendues.

Du coup, les éditorialistes développent une capacité étonnante à masquer leurs inévitables répétitions. On s’éloigne alors d’une présentation classique de l’information pour entrer de plein pied dans une représentation théâtrale, activité que pratique d’ailleurs Christophe BARBIER, l’homme à l’écharpe rouge, omniprésent à l’antenne du groupe Next RadioTV (11), qui vient de publier son dernier livre chez FAYARD, dont la directrice littéraire est membre des GRANDES GUEULES, émission où il a pu venir présenter son ouvrage.

Pour lui et ses acolytes, il faut chaque fois reprendre le ton de la conviction, faire comme si on énonçait en primeur l’analyse déjà répétée dix fois dans la journée. On joue l’étonnement, on surjoue les désaccords, on rejoue les échanges, on déjoue les arguments adverses (eux aussi déjà opposés à l’identique dix fois depuis le matin). Bref, l’actualité est érigée en « société du spectacle », ce qui est même l’argument commercial de l’émission des « GRANDES GUEULES » officiellement présentée comme « Le show qui vous parle et qui parle de vous ! ». Le show et l’effroi quand on lit ou entend certaines réactions d’auditeurs, chauffés à blanc, qui ne prennent pas cela pour un simple jeu divertissant. Donnez-leur un Capitole, ils vous montreront comment y entrer.

3 – Beaucoup de blabla, pas de résultats

Clairement, dans ces médias, et BFMTV est vraiment loin d’être le pire, on est rarement dans une logique d’information. On laisse l’investigation aux autres comme le ferait une hyène aux lionnes. Mais après des heures/heurts d'écoute, que sait-on quand on (ne) sait (que) ça ? Ça nous dit quoi ? Qu’apprend-t-on réellement par ce procédé ? Comment peut-on rester si ignorants en étant prétendument tellement informés ? Ici, on ne se donne jamais le temps d’approfondir les sujets, de creuser, d’enquêter, de confronter, de dénouer. On est dans un zapping qui tourne en boucle.

Le problème, c’est que cette pratique, en se répandant un peu partout, ferait presque oublier à beaucoup qu’on peut aborder l’information tout autrement. Je parlerai bientôt du format d’interview de la chaîne internet THINKERVIEW. Mais voyons par exemple l’approche de « 28 minutes », le magazine d’info d’ARTE. Au lendemain de l’invasion du Capitole par les partisans de TRUMP, pourquoi ne pas en avoir débattu dans l’émission comme partout ailleurs ? Réponse de la journaliste Elisabeth QUIN : « Nous n’avions pas le recul suffisant […] L’idée est de ne pas répondre à l’injonction de l’émotion et du commentaire immédiat » (TELERAMA, 17/02/2021).

Quant aux « bons clients », experts récurrents qui écument studios et plateaux, là encore l’approche est différente comme l’explique la programmatrice de l’émission Pascale ASSOR : « Si des invités ont déjà été trop vus, nous évitons de les appeler, car nous savons déjà ce qu’ils vont dire ».  Etonnant car ailleurs, c’est justement parce que " nous savons déjà ce qu’ils vont dire » que ces bureaucrates de l’information sont appelés. Auditeurs et téléspectateurs, on va vous parler de ce qui semble déjà vous attirer. Pire qu’un algorithme. Ici, pas de Panama Papers ou d’OpenLux. Ce serait trop compliqué à vous expliquer, vous risqueriez de ne pas comprendre. Et puis, pourquoi se fâcher ou se prendre la tête ? Lors des préparatifs de l’émission, j’ai souvent entendu qu’il fallait rester sur les « fondamentaux », choisir des thèmes dont les gens pouvaient déjà parler à la « machine à café ». Ne pas élever le débat mais l'abaisser à la hauteur des stéréotypes de chacun.

Pas simple pour autant, surtout pour une émission quotidienne, de trouver chaque jour des sujets, non pas d’information mais de débats pour opposer deux camps. Pire encore quand cette actualité reste bloquée sur un même thème comme l’épidémie de Covid. Mais avec un peu d’expérience, c’est faisable. Le gouvernement veut nous confiner ? « Ras-le-bol ! On nous infantilise ! ». Finalement le gouvernement ne veut pas reconfiner ? « Quel manque d’autorité ! Que des bras cassés !». Toujours pas de retour du couvre-feu ? « On laisse l’épidémie se propager, c’est criminel ! ». Retour du couvre-feu ? « Une vraie dictature ! ». Les Français font la fête ? « Des irresponsables égoïstes ! ». On interdit les fêtes ? « Mais arrêtez d’emmerder les Français ! ». Et ça marche pour tous les sujets, tous les jours, toute l’année. On pourrait même en faire une boîte de jeu pour l’apéro.

De la même façon, on encourage la libération de la parole « sans filtre ». Pourtant, un filtre - sur une cigarette ou un pot d'échappement - limite la toxicité ou la pollution. Mais voilà, un bon auditeur ou un bon chroniqueur doit être énervé, à bout, en colère, commencer son intervention par « Y en a marre ! », « On n’en peut plus ! », « C’est du grand n’importe quoi ! », "J'en ai ras-le-bol !". Si quelque chose ne fonctionne pas dans le pays, aussitôt affirmer que « la France est devenue un pays sous-développé ». Si l’Etat prend de nouvelles prérogatives, évoquer l’URSS, le soviétisme. Un élu veut se représenter, criez « Mais c’est Cuba ! » L’avocat, et ancien de chez RUQUIER, Charles CONSIGNY a trouvé cette combine pour angler toutes ses attaques et faire se pâmer l’équipe de l’émission. L’impunité dont on jouit à dire ainsi n’importe quoi ne semble déranger personne. Demain, les auditeurs auront déjà oublié !

On prétend également qu’on va dire tout haut ce que les Français pensent tout bas (tout en travaillant dans un immeuble totalement coupé du monde). Ici plus de tabou (c’est pourtant une base de toute civilisation). On recherche des propos « clivants », « disruptifs », « sans langue de bois ». A condition que ça n’atteigne pas la logique éditoriale et surtout économique de l’ensemble. Là, on ne rigole plus. 

4 - Business is business

Car cette stratégie de positionnement commercial en rejoint une autre, économique celle-ci. Le flux d’informations est comme une rivière le long de laquelle on va pouvoir installer des moulins à eau. Le but est de les faire tourner au maximum, vite et longtemps, tout le temps.

Ainsi, je le rappelle, on peut retrouver la même séquence d'une émission en direct à la radio, en direct à la télévision, en rediffusion à la radio, en podcast radio, en replay TV, sur le compte Twitter, sur la page Facebook de l’émission, sans compter les reprises vidéos du type « L’immanquable Grande Gueule ». Or, pour une même intervention, en multipliant les possibilités de (re)diffusion, on augmente également les recettes publicitaires.

L’autre modèle économique frappant – et c’est bien sûr vrai ailleurs - c’est l’écart considérable qui semble exister entre les « petites mains » invisibles et les personnalités mises à l’antenne. Sur RMC, souvent l’émission porte le nom ou le prénom de son présentateur vedette : BOURDIN Direct, APOLLINE Matin, Carrément BRUNET, LUIS Attaque, le MOSCATO Show, LAHAIE et vous, M comme MAÏTENA, NEUMANN/LECHYPRE…Ici, celui qui parle au micro ou se montre à l’antenne est symboliquement la star (ce qui ne l’empêche pas parfois d’être cordial et abordable). Ce présentateur vedette, plutôt un homme, est souvent le seul de plus de 50 ans dans l’équipe quand les autres ont l’âge d’être ses enfants. Sans doute consciente du problème, la direction a choisi de remplacer depuis la rentrée 2020 J-J. BOURDIN à la matinale de RMC par Apolline de MALHERBE, 40 ans, qui, au-delà de l'évidente satisfaction professionnelle de son employeur, lui permet de rajeunir et féminiser l’antenne.

Dans cet univers, les salaires des vedettes sont à cinq chiffres. Mais derrière les paillettes, ce n’est pas toujours aussi rose. J’ai pu constater, parmi les employés, l’extrême mobilité dont chacun doit faire preuve pour changer quand il le fallait d’émission, d’horaires, de poste. Celui-ci, souvent croisé à la réception des appels des auditeurs au standard pouvait se retrouver pour quelques jours avec la fonction de producteur remplaçant de l’émission avant de filer ailleurs dans les médias du groupe, tôt le matin, tard le soir ou le week-end. De la même façon, un poste clef était en permanence occupé par des stagiaires qui s’y succédaient.

Pourquoi tout le monde accepte ça ? parce que le monde médiatique est encore un des rares où peuvent se faire des ascensions fulgurantes. Polyvalence, flexibilité et disponibilité valent bien des diplômes. Une porte peut s’ouvrir d’un coup qui va bouleverser l’existence. Par exemple, pour les besoins de l’émission, j’avais lu le livre autobiographique de l’animateur Sébastien CAUET. Rien ne m'attire dans ce qu'il fait, mais comment ne pas s’étonner du parcours incroyable de ce modeste gamin de l’Aisne qui, après avoir perdu sa mère à dix ans puis son père à vingt ans, parvient à percer dans un univers qu’on lui imaginait fermé ?

Je repense aussi à une des "Grandes Gueules", le médecin Jimmy MOHAMMED, recruté lors d’un casting des GG et qui après RMC a poursuivi ailleurs en radio (EUROPE 1) et télévision (C8). L'économiste Pascal PERRI a quitté les "Grandes Gueules" pour animer sa propre émission quotidienne sur LCI. Un des "historiques" de l'émission, Karim ZERIBI, fait désormais les beaux jours de l'émission de Cyril HANOUNA (C8). De la même façon, un jeune journaliste peut, en se montrant disponible, souple, flexible, être au bon moment au bon endroit pour donner des preuves de son talent. Ainsi, Matthieu BELLIARD, qui a connu sur RMC les pré-matinales dès 4h30 avant d’intervenir dans l’émission de JJ. BOURDIN a finalement hérité de la matinale d’EUROPE 1 en 2019. 

Toutefois, vivre dans le monde du « hard news » et de l’info en continu n’est pas de tout repos. On l’a vu pour les vedettes de l’antenne. Mais c’est vrai aussi en coulisse. Forcément, en douze années, j’ai vu passer pas mal de programmateurs/producteurs de l’émission (ils sont par deux), une dizaine peut-être. Leurs points communs : être (très) jeunes, sans enfants, plutôt célibataires (en tout cas pas mariés), locataires, totalement disponibles, addicts de l’info, constamment connectés, capables de supporter à la fois la charge et l’intensité de travail, motivés, sérieux, impliqués, polyvalents et très réactifs. S’il y a bien des personnes dont je savais pouvoir obtenir une réponse dans la minute, même tard le soir, même le week-end, c’était bien eux, tous ceux qui travaillaient dans l’ombre : Sylvain, Karine, Florian, Alexandre, Gilles, Anthony, Edouard, Paul, Anne-Laure, Djena, Anaïs... Un engagement professionnel mis à rude épreuve et qui semble difficile à tenir à long terme, nerveusement ou physiquement.

Enfin, impossible d’évoquer la question financière sans parler des soupçons qui pèsent quant aux pratiques d’évasion fiscale du groupe. TÉLÉRAMA pose la question : « BFM a-t-elle été financée par de la fraude fiscale ? »(09/07/2019) en s’appuyant sur une enquête de Denis ROBERT pour LE MÉDIA. Comme le constate le site d’ARRÊT SUR IMAGES, cette investigation, menée avec l’aide de Maxime RENAHY, un ex-administrateur de fonds à Jersey, n’a guère été reprise par les autres médias. Des accusations qui semblent se confirmer au moment de l’enquête OPENLUX à laquelle participe LE MONDE avec seize autres journaux européens pour dénoncer les pratiques fiscales du Luxembourg.

Ainsi, le porte-parole d’ATTAC, Raphaël PRADEAU s’étonne qu’une semaine après le scandale, on n’en trouve aucune trace sur les antennes de BFM. Et de s’interroger : « J’imagine que cela n’a aucun rapport avec le fait qu’OpenLux révèle que le propriétaire de BFM Patrick Drahi possède 20 holdings au Luxembourg pour échapper à l’impôt ? » (Twitter, 14/02/2021). Il fait le même constat à propos du FIGARO qui ne semble guère intéressé par cette investigation « qui révèle que son propriétaire Dassault détient des sociétés au Luxembourg » (Twitter 20/02/2021).

Pour ma part, j’ai souvent défendu à l’antenne le fait que nos caisses sont vides, moins par gaspillage de l’argent public (même si ça existe) que par refus idéologique de les remplir en prenant l’argent dû. Mais en matière d’évasion fiscale, on se targue de répondre que tout cela est parfaitement légal. Encore faudrait-il le prouver. Si tel est le cas, le scandale reste de voir les plus grandes fortunes obtenir les réglementations fiscales qui leur permettent ainsi d’éviter de contribuer à l’impôt comme elles le devraient. Mais voilà typiquement le genre de sujet qu’on trouvera bien moins intéressant que de s’interroger sur la prétendue fraude des chômeurs. A croire que ces médias, ou tout du moins leurs propriétaires, sont au service du pouvoir en place. Ou bien l’inverse. Ou alors les deux ? Loin d'une collision, cette collusion des pouvoirs politiques et médiatiques - avérée ou supposée - sera prochainement évoquée, occasion de chercher le point commun entre  BENALLA et les GILETS JAUNES.

 Sylvain GRANDSERRE
Maître d'école, ex-chroniqueur radio/tv
Auteur de "Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !" (Editions ESF / La Classe)

1 - https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-hongrie-80-des-medias-aux-mains-de-proches-du-pouvoir_3431749.html

2 - https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-11-fevrier-2021

3 – https://www.liberation.fr/ecrans/2007/11/23/rai-berlusconi-au-taupe-niveau_106985/

4 - https://local.attac.org/nimes/?Le-pouvoir-d-influence-delirant

5 - https://blogs.mediapart.fr/leucha/blog/260221/comment-les-classes-dominantes-ont-detourne-le-suffrage-universel

6 - https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/20/islamo-gauchisme-nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal_6070663_3232.html

7 - https://www.francetvinfo.fr/politique/jean-castex/gouvernement-de-jean-castex/pres-de-7-francais-sur-10-estiment-quil-y-existe-un-probleme-dislamo-gauchisme-en-france-selon-notre-sondage_4309587.html

8 – Voir l’indispensable documentaire de Pascal Vasselin et Franck Cuveillier diffusé sur ARTE, « La fabrique de l’ignorance » (23/02/2021)

9 - Voir l’impressionnant récapitulatif dans l’article de Fabrice ARFI : https://www.mediapart.fr/journal/france/281220/le-temps-des-tempetes-judiciaires-pour-nicolas-sarkozy

10 - https://www.lepoint.fr/medias/visite-guidee-des-nouveaux-studios-de-bfm-tv-et-rmc-03-10-2018-2260120_260.php#

11 - https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-d-elodie/christophe-barbier-le-theatre-est-une-part-indispensable-de-ma-vie-cest-mon-oxygene_3603437.html

PARTIE 4

Mais pour qui roulent ces médias de l’info flash, du propos cash et du tout clash ? La droite ou l’audimat ? Le pouvoir ou rien à voir ? Invité longtemps (12 ans) et souvent (plus de 300 fois) à des débats radio/tv, je crains que la « zemmourisation » des plateaux favorise la « trumpisation »de la société. Car une chose est sûre : tout ça va très mal finir sans un grain de sable dans les rouages.

1 – Des « poids lourds » qui roulent à droite ?

J’ai souvent entendu dire, et plus encore depuis l’élection d’Emmanuel MACRON, que tous ces médias du « hard news » sont à la botte du pouvoir. S’arrêter à ce seul constat serait un brin simpliste.

Certes, il y a d’abord une évidence sociologique. Quand on est - comme journaliste vedette, expert ou chroniqueur - cadre, parisien, diplômé, libéral - à la fois sur les principes économiques et les questions sociétales - on peut facilement se sentir en phase avec E. MACRON. Et puis, comble d’audace et de transgression, le livre publié en 2016 par le candidat ne s’appelait-il pas « Révolution » ? Un vent de renouveau allait donc souffler sur la France permettant de rompre les amarres et de mettre les voiles loin de l’ancien monde.

Pendant ce temps, la (vraie) gauche est opposée au libéralisme économique - pourtant vanté unanimement sur toutes ces chaînes - tandis que la droite traditionnelle reste conservatrice sur les questions de société. Personne n’a oublié l’organisation sulfureuse (1) du rassemblement de la place du Trocadéro le 5 mars 2017 en faveur du candidat FILLON, peu avant que ce dernier se prenne une veste aux élections. Toutefois, comme on l’observe à longueur d’antenne sur CNEWS, le camp de la ringardise peut être un intéressant cœur de cible pour qui sait l’exciter et lui donner de quoi mordre ou aboyer. Comme le reconnaît le Directeur Général de la chaîne Serge NEDJAR (JDD 02/01/2021) : « Je ne m'attendais pas à une telle progression. C'en est presque effrayant ». Pour une fois, on est d’accord.

Quant à la vieille extrême-droite, elle tente de se repositionner sur les deux tableaux -économiques et sociétaux - dans un exercice poussif de dédiabolisation et de ripolinage démarré dès 1972 (création du FN) auquel contribuent certains reportages. Qu’on repense à l’incroyable couverture médiatique dont a bénéficié Marion MARECHAL LE PEN lors de l’ouverture de son « école » qui, pourtant, n’accueillait en réalité qu’une douzaine d’étudiants (2). On en entend beaucoup mois parler depuis que l’un de ses professeurs, l’historien russe Oleg SOKOLOV, a tué et découpé sa jeune compagne (3). Depuis, cet institut aussi a perdu un de ses membres mais c’était moins cruel.

Bref, pour en revenir à notre sujet, il y a de toute évidence une sociologie des journalistes/éditorialistes, à ne pas confondre avec celle des nombreux journalistes/pigistes précaires. Mais elle reste le plus souvent ignorée ou rejetée par les intéressés… qui ne veulent surtout pas qu’on s’y intéresse.

Par ailleurs, on ne peut nier qu’à l’intérieur d’un média détenu par une des grandes fortunes (BOUYGUES, ARNAULT, LAGARDERE, DASSAULT, DRAHI, BOLLORÉ), la liberté d’écrire et d’enquêter est loin d’être garantie. Avoir de tels propriétaires au-dessus de soi pousse à l’autocensure, notamment pour les affaires, scandales ou fiascos les impliquant. Ainsi, sommes-nous certains que les lecteurs du FIGARO ont bien été informés pendant les 27 années que ça a duré, de l’échec des ventes à l’étranger de l’avion Rafale du groupe DASSAULT *, par ailleurs propriétaire de leur journal préféré (4) ? Heureusement, le carnet de chèques de l'État était là… mais, dans ce cas, on ne parlera pas d’assistanat !

Quelques journalistes ou présentateurs concernés par cette délicate situation vous jureront la main sur le cœur que personne ne vient leur dicter quoi que ce soit. Pourtant, certaines omissions dans les affaires mêlant leurs patrons prouvent le contraire comme je l’ai déjà évoqué précédemment (cf. OpenLux, partie 3). Il faut aussi imaginer que la compatibilité des employés se fait par la sélection en amont. Un média de ce type ne va pas recruter un journaliste dont les enquêtes réputées pourraient le mettre en porte-à-faux.

A l’inverse, le professionnel soucieux d’indépendance n’a pas envie d’avoir un personnage sulfureux et interventionniste en haut de sa pyramide professionnelle (même si, on l’a vu, le choix est très restreint) ni de collaborer à un journal de propagande. J'imagine qu'un authentique journaliste s’abstiendra d’envoyer son CV à VALEURS ACTUELLES pour ne pas se retrouver dans un magazine qui représente la députée Danièle OBONO en esclave (août 2020).

Heureusement, les riches propriétaires peuvent parfois compter sur le zèle de certains de leurs salariés pour les défendre envers et contre tous. Olivier TRUCHOT figure au « palmarès 2020 des éditocrates » diffusé par l’ACRIMED (5) pour ses propos peu surprenants selon lesquels « En France, on travaille moins qu’ailleurs […] les patrons du CAC40 bossent plus que la plupart d’entre nous ». Ça reste à prouver (une enquête journalistique peut-être ?) avec une notable omission de la pénibilité au travail. Et même si ces patrons travaillaient double, est-ce une raison pour gagner cent fois plus que leurs salariés ?

Dans un autre style, mais avec la même logique, il faut citer l’inoxydable Jean-Pierre ELKABBACH qui s’en prend violemment au maire de Grenoble, Éric PIOLLE, quand celui-ci ose sur CNEWS, rappeler les pratiques d’évasion fiscale du patron de la chaîne Vincent BOLLORE (6). Une brutalité commune si on se souvient comment les choses se passèrent quand le milliardaire devint propriétaire d’I-TELE, qu’il rebaptisa CNEWS. La longue et forte grève qui s’en suivit pendant un mois en 2016 n’y changea rien et déboucha sur le départ de la quasi-totalité des 120 journalistes (7).

Alors forcément, on pourrait rétorquer aux plus inquiets que tout cela c’est du passé et reste globalement anecdotique. Nous ne sommes pas en dictature, il y a la séparation des pouvoirs, les élections sont démocratiques. Certes, mais ça n’a pas empêché dernièrement l’éviction brutale par le groupe BOLLORÉ de l’animateur Sébastien THOEN - 17 ans d’ancienneté s’il vous plaît - pour son excellent sketch parodiant (ah bon ?) l’émission de Pascal PRAUD.  Puis le licenciement sec du journaliste sportif de Canal+ Stéphane GUY - 23 ans d’ancienneté tout de même - pour un simple mot amical à l’antenne en direction de son collègue.

On a appris par la suite que, pour avoir signé une pétition de soutien à ces deux journalistes, trois pigistes du groupe avaient eux aussi été brutalement remerciés. On pourrait s’en étonner si avant ça il n’y avait déjà eu la mise à mort des « Guignols de l’info ». Je serais curieux de savoir combien d’émissions de débats ont choisi ces licenciements scandaleux comme sujets de controverses… On imagine que le coup de faucheuse de BOLLORÉ a dû faire réfléchir bien au-delà de ses propres médias. Il faut dire que le terrain est préparé depuis longtemps.

Un jour, sortant des locaux de RMC/BFMTV, j’assiste à une distribution de tracts syndicaux en bas de l’immeuble. Un fiasco. Je discute avec l’un des syndicalistes. Il m’avoue qu’il n’a jamais vu une telle défiance, chacun filant sans prendre le tract ni engager une conversation compromettante… Mais ça n’est guère mieux ailleurs.

Quand Nicolas SARKOZY est condamné à trois ans de prison (dont deux avec sursis) le 1er mars 2021, LE FIGARO lui ouvre ses colonnes en grand dès le lendemain. Merci Patron ! le journal appartient au groupe DASSAULT * et fut sous la férule de Serge (décédé en 2018), cet « ami » de N. SARKOZY. Le même jour, le directeur des rédactions du PARISIEN, Jean-Michel SALVATOR, signe un éditorial pour regretter des jugements marqués par « une sévérité accrue ou d’une intransigeance implacable » révélateurs d’un « dégagisme judiciaire ». Merci Patron ! Le journal appartient à Bernard ARNAULT, témoin de mariage de N. SARKOZY en 1996.

Et le soir, le groupe BOUYGUES est sur tous les fronts (judiciaires). Pendant que LCI reçoit Carlos GHOSN pour parler de ses sushis et PPDA sur TMC après la plainte pour viols le visant, l’ancien président de la République débarque sur TF1 en vedette du journal de 20H. Merci Patron ! Celui de TF1, Martin BOUYGUES, était l’autre témoin de mariage de N. SARKOZY en 1996 mais aussi le parrain de l’un de ses enfants, « Louis-bonne-chance-mon-papa ».

On savait que N. SARKOZY allait faire appel en justice, mais avant cela, il fait donc « appel …à ses copains » ! (8 - voir le dessin de Fred SOCHARD auquel j’emprunte ce bon mot). On ne compte plus les flagrants délits de proximité et de promiscuité politico-journalistiques. En 2007, quand N. SARKOZY part en « retraite » quelques jours sur un yacht, n’était-ce pas déjà sur le bateau d’un certain… Vincent BOLLORÉ ? Mais que voulez-vous, on a bien le droit d’avoir des amis, non ?

La cartographie des parrains, marraines, maris, femmes, amants, maîtresses et témoins de mariage donnerait une excellente idée de la véritable topographie du pouvoir.  

Malgré tous ces éléments, bien des journalistes de ces groupes essaient d'agir autant que possible en toute indépendance des pouvoirs politiques. Voici deux exemples concrets qu’il m’a été donné de voir de près. Le 18 juillet 2018, quand éclate l’affaire BENALLA après un article du MONDE, une chaîne d’info continue comme BFMTV ne cesse d’en parler ad nauseam au point d’éclipser pratiquement la victoire des footballeurs français en coupe du monde trois jours plus tôt. Matin, midi et soir, et même la nuit, on ne parle plus que des violences commises le 1er mai par l’ancien responsable sécurité de l’Elysée déguisé en policier.

Si la chaîne l’avait voulu, elle aurait pu rester focalisée sur l’exploit sportif autrement plus populaire et traiter le sujet BENALLA avec beaucoup moins d’insistance, sans en faire une affaire d’état, pas même une affaire d’été. Rappelons que le Président, excédé par toutes les critiques, lancera même, devant les députés et sous les applaudissements : « S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher » (24/07/2018). Il osera même affirmer : "Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité". Mais qui la trouve !

Soudain, la logique économique et l’objectif de suprématie médiatique ont pris le dessus sur toute complaisance idéologique. Stratégie gagnante quand le sondage commandé par BFMTV annonce 80 % des Français choqués par cette affaire (9). Car sous le choc, le téléspectateur reste scotché.

De la même façon, au début du mouvement des Gilets jaunes, les éditorialistes que je croisais étaient plutôt ravis de voir surgir un mouvement populaire qui leur semblait opposé aux réglementations écologiques (coût du carburant) et à la fiscalité française (poids des taxes). Éric BRUNET, le très droitier animateur de la tranche 12h/14h sur RMC à l’époque, se présentait d’abord comme « gilet jaune » (10). Il encourageait même dans une vidéo auditeurs et spectateurs à rejoindre les cortèges car « La France est le pays le plus taxé du monde », « une honte », « Mesdames, Messieurs, on ne peut plus laisser faire ». Il y voyait une « occasion unique » à saisir lors de cette « manifestation contre la fiscalité ». Il changera d’avis peu après quand l'apparition des drapeaux syndicaux lui fera le même effet que celle des gousses d'ail pour un vampire.

Dans la foulée, BFMTV a donné une place considérable à ce mouvement, couvrant toutes les manifestations, invitant un nombre conséquent de porte-paroles dont la légitimité fut contestée même dans le mouvement. C’est d’ailleurs depuis le plateau de BFMTV (05/12/2018) qu’Éric DROUET répond que si la manifestation du samedi suivant arrive jusqu’à l’Elysée : « On rentre dedans ». Une fois encore, la chaîne n’avait aucune obligation d’organiser une émission spéciale ni d’inviter en permanence plusieurs représentants du mouvement. Mais par opportunisme, elle est allée bien au-delà d’une simple couverture médiatique. Comme quoi, même dressé, à la seule vue du sang, un pitbull de l’info peut échapper à la vigilance de son maître.

Dans l’émission des GRANDES GUEULES aussi, on vit un spectaculaire revirement. Zohra BITAN, l’ancienne porte-parole de Manuel VALLS, annonçait son soutien au mouvement dans une tribune particulièrement virulente vis-à-vis des macronistes (11). On la retrouvera un an et demi plus tard de l’autre côté des barrières et barricades pour organiser une manifestation en soutien aux forces de l’ordre (27/06/2020). Les Gilets jaunes blessés, gazés, matraqués, molestés, insultés, frappés, éborgnés apprécieront le retournement. Quant au rassemblement qu’elle organisa, les journalistes présents pour couvrir « l’événement » étaient presque aussi nombreux que les manifestants (12). « Plusieurs dizaines de personnes » rassemblées d’après l’équipe de BFMTV qui s’est tout de même déplacée. A comparer avec la couverture médiatique d’autres combats comme les marches pour le climat ou les manifestations contre les violences faites aux femmes. D’après une étude de l’INA, de 2007 à 2017, la part des invités des matinales venus parler d’environnement à la radio a été de 0,9 %. C’est peu pour d'horribles « khmers verts » tout puissants.

Pendant ce temps, les GRANDES GUEULES élisaient « Grande gueule de l’année » 2018 le mouvement des Gilets jaunes (13), trophée remis à Jacline MOURAUD qui avait interpellé le président de la République sur Facebook. Des attentions qui n’empêcheront pas de nombreux manifestants de critiquer la couverture de leur mouvement, allant jusqu’à se rassembler et manifester devant les studios du quartier Ballard (29/12/2018) et même s’introduire dans les locaux du groupe (12/09/2020).

Au-delà de cas personnels, on voit donc que les choses ne sont pas monolithiques et forcément préétablies dans les médias. Il peut y avoir des surprises, des mutations, des évolutions notamment quand la course à l’audience impose de se délester de quelques entraves idéologiques. Ainsi, à mes débuts, je fus un jour félicité hors-micro par l’ancien directeur de RMC pour une violente charge contre SARKOZY que j’accusais d’être un véritable assisté. Ma tirade radiophonique, fut même utilisée à l’antenne dans les annonces promotionnelles de l’émission. Pour autant, je n’ai guère de doute sur la sympathie qu'inspirait le président de la République de l’époque dans la station.

Et puis, certains, même en interne, prennent conscience du risque d’une dérive du tout clash. Il faut signaler ce propos significatif de Jean-Jacques BOURDIN, l’ex-star sur le déclin du groupe de P. DRAHI, qui sonne comme un réquisitoire (JDD, 06/03/2021) : « "BFMTV doit rester fidèle à ce qu’elle est depuis sa création, c’est-à-dire privilégier les faits d’abord, les explications ensuite et les commentaires enfin". Étrangement, on a l’impression depuis longtemps que les commentaires ont largement pris le pas sur les explications, et plus encore sur les faits devenus anecdotiques.

Il ajoute enfin : "« Je remarque simplement que RMC a toujours été une radio populaire, proche de l'auditeur, loin de l'entre-soi parisien. Et je ne souhaite pas qu'elle s'égare. Cet éloignement explique sans doute les chiffres actuels ». Si c'est lui qui le dit... *

2 - L’amour vache (à lait)

Ce que j’ai pu observer de très près, c’est à quel point, entre médias et politiques, chacun a grand besoin de l’autre. Aucun responsable politique ne peut espérer faire carrière sans une excellente couverture médiatique. Nombre de ministres l’ont compris - dont le mien - qui y consacrent un temps considérable à « parler aux Français ». Chargé de direction d’école pendant 20 ans, j’ai constaté amèrement combien il était plus facile d’avoir des indications de Monsieur BLANQUER en le suivant dans les médias plutôt qu’en attendant ces instructions officielles. C’est dire la place que prennent les micros dans la vie politique. Mais à l’inverse, aucun radio ou chaîne de télévision ne peut paraître crédible sans accueillir dans ses locaux les ténors les plus médiatiques. Dès lors démarre un vrai jeu de séduction.

Quand on appelle un responsable politique pour l’inviter, on lui explique combien « on aimerait vraiment l’avoir en plateau », on lui redit à quel point « ça paraît important de pouvoir l’écouter ». On lui assure que « les téléspectateurs veulent l’entendre s’exprimer ». Pendant quelques secondes on lui vend l’illusion que rien ne compte plus que l’avoir à l’antenne. A l’inverse, l’invité évite généralement de s’en prendre au média, sauf si ça lui rapporte davantage que l’invitation elle-même (stratégie de N. DUPONT-AIGNAN à « C à vous » le 06/03/2019 par exemple). Après les honneurs du tapis rouge, l’invité repart dans l’idée de revenir prochainement. Une évidence. Des deux côtés.

Mais il y a plus puissant encore que ces phénomènes de séduction et de connivence : la loi numéro 1 du privé… l’audimat ! Ce fut un vrai choc à mon arrivée sur RMC en 2007. Certes, je savais combien il était important, surtout pour un média privé, d’avoir son lot de lecteurs, d’abonnés, d’auditeurs ou de téléspectateurs. Il faut générer des recettes publicitaires, convaincre les annonceurs, présenter des chiffres de vente ou d’audiences fiables et appréciables pour justifier les tarifs des espaces publicitaires et faire fonctionner la boutique.

J’avais en tête la formule terriblement cynique de Patrick LE LAY, alors PDG de TF1, qui expliquait en 2004 que « le métier de TF1 », c’est de vendre « du temps de cerveau humain disponible » à Coca-Cola. Mais je n’imaginais pas que l’objectif de performance pouvait à ce point perforer les esprits.

A RMC, du temps où les locaux étaient encore en bordure du périphérique rue d’Oradour-sur-Glane, il y avait, de temps à autre, des affichettes sur les parois de l’ascenseur pour annoncer les bons chiffres d’audimat, des tee-shirts distribués en cas d’audience à la hausse, jusqu’à la bouteille de champagne offerte spécialement pour ça. On a même vu un buffet organisé dans le hall du groupe après le dépassement de l’un de ses concurrents.

Et puis il y a toutes ces annonces faites à l'antenne d’autosatisfaction des performances trimestrielles. En télévision, c’est encore pire avec des résultats quotidiens que l’on consulte en tremblant chaque matin. Mais ces résultats d’audience sont comme ceux des élections pour les partis : tout le monde a gagné ! Chacun trouve une bonne raison de se féliciter publiquement. Il suffit de prendre le bon critère, le bon créneau horaire, la bonne tranche d’âge, exhumer les bons chiffres pour trouver à chaque fois une occasion de réjouissance. Dommage qu’on n’accède pas aussi facilement aux tarifs des pages publicitaires. Là, on saurait vraiment de quel poids dispose une radio ou une télévision.

3 - A la folie

Mais cette quête éperdue de l’audience semble faire perdre la raison. Cyril HANOUNA recrute comme chroniqueuse Isabelle BALKANY pourtant récemment condamnée à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale. Le bracelet électronique risque de sonner au portail de détection à l’entrée de C8. CNEWS met le plus possible à l’antenne son repris de justice vedette, Éric ZEMMOUR. Les GRANDES GUEULES invitent – tout comme HANOUNA d’ailleurs - le braqueur Yunice ABBAS, sous contrôle judiciaire, en attente de son procès aux assises et en tournée pour la promotion de son livre racontant le vol des bijoux de Kim KARDASHIAN. Où est donc passée la déontologie dans ces médias où l’on aime tant faire la morale ?

Et que dire, quand une tribune médiatique de plusieurs minutes est littéralement offerte à Maître GOLDNADEL dans l’affaire de l’agression subie par le producteur de musique Michel ZECLER (émission du 02/03/2021) ? L’avocat de Patrick BUISSON, de Florian PHILLIPOT ou de GÉNÉRATION IDENTITAIRE devient celui des policiers violents et vient prétendre que les images ont été manipulées pour fausser le jugement de tous ceux qui les ont vues.  Forcément, les autres chroniqueurs présents sont dans l’incapacité de répondre réellement à celui qui connaît parfaitement ce dossier, même s’il en livre une version tronquée. Il faudrait des heures de vérification quand quelques minutes seulement sont accordées juste avant l’émission.

La réponse de David PERROTIN à cette version du chroniqueur des GRANDES GUEULES Gilles-William GOLDNADEL laisse pourtant peu de doutes (14). La vidéo a toujours été visible intégralement, les parties accélérées (car il ne se passait rien) étaient bien signalées, aucune trace d’une affaire de cannabis dans le rapport de police, des policiers qui avouent eux-mêmes des coups injustifiés et qui ont été arrêtés indépendamment de la diffusion de ces images. Dès lors, pourquoi accorder une telle faveur à un avocat aux positions hautement discutables et à l’argumentaire vite contredit ? Y aura-t-il un droit de réponse accordé ? N'y avait-il pas déjà eu exactement la même tentative de discréditer la victime lors de l'horrible affaire THÉO ?

4 - Et la liberté d’expression alors ?

Parmi les surprises de mes débuts dans les débats sur RMC, il y a celle de bénéficier d'une totale liberté d'expression. Non seulement je ne suis pas brimé ni briefé, mais au contraire encouragé à y aller, à me lâcher. Cette liberté restera la même pendant les douze années. Mais attention : elle ne peut se déployer que dans le cadre des sujets retenus par l'équipe de production et selon le dispositif de recherche de clash et de buzz déjà bien rodé.  C’est une force de ces médias : être capables de tout exploiter, même les réactions négatives qu’ils génèrent. Ainsi, du lundi au jeudi, on parle à longueur d'antenne des mesures sanitaires prises contre la pandémie. Puis, quand arrive le vendredi, on fait une émission pour se demander… si les médias n’en parlent pas trop ! La farce.

C'est la répétition de ces colères surjouées des uns et des autres qui va le plus me fatiguer sur la fin ainsi que l’impression de toujours « jouer à l’extérieur » et de devoir chaque fois tout recommencer, tout réexpliquer. J’ai, certes, le droit de m’exprimer librement, mais le plus souvent sur la défensive, en « contre-attaque » (normal à l’extérieur), dos au mur, constamment coupé, interrompu, contrairement à d’autres chroniqueurs qu’on écoute religieusement (mention spéciale pour les deux avocats GOLDNADEL et CONSIGNY). Ce dispositif devient si pesant que, le temps passant, je préférais carrément qu’on n’aborde plus les sujets d’éducation. De toute façon, c’est toujours la même rengaine sur les profs grévistes, le niveau qui baisse, la lenteur d’adaptation du mammouth, la grogne des enseignants, et tout qui fout le camp ma bonne dame. Mais jamais un mot critique sur la semaine de 4 jours qui arrange bien les cadres Parisiens partant en week-end ni sur la suppression des dispositifs d’aides spécialisées aux élèves en difficulté ou les classes surchargées. Dans ce milieu, on s’en fiche puisqu'on sait qu’on peut mettre facilement ses enfants dans le privé.

A l’inverse, un ministre comme Jean-Michel BLANQUER va jouir d’une totale clémence malgré ses innombrables errements. Dès qu’il est attaqué, « c’est parce que les profs sont de gauche » ou parce que « le ministre est pour le changement face à l’immobilisme et le conservatisme des profs rétrogrades ». Malaise tout de même de découvrir qu’il partage désormais sa vie avec la journaliste Anna CABANA qui officie régulièrement sur BFMTV, parfois avec les deux animateurs de l’émission. Peut-on critiquer la politique du conjoint d’une collègue ? Visiblement, non.

Autre sentiment de malaise quand je mesure combien certains auditeurs prennent nos débats à cœur parce qu'on parle bien de leur vie, de leur existence, parfois de leur souffrance et de leurs galères. Or, ici, les « sujets » ne sont que des « objets » utilisés pour permettre d’organiser les débats, oubliés sitôt le micro coupé (Gilles RAVEAUD, l'économiste de l'émission, explique sur Twitter (11/03/2021), dans une série de messages poignants, qu'il stoppe sa participation aux GG parce que "voir la situation réelle de mon pays m'était devenu insoutenable").**

D'ailleurs, même pendant les débats, il se passe pas mal de choses dans le studio de radio (ça s'est calmé avec la télévision). Pendant que l'un se lance dans une tirade, les autres - micros coupés - peuvent être en train d'échanger sur tout autre chose, ce qui vaut parfois de jolis ratés quand les dissipés reviennent participer au débat sans avoir écouté ! L’invasion douce des smartphones a considérablement nuit à l’ambiance générale. Ça consulte, ça surfe, ça lit, ça répond, ça tweete pendant que l’auditeur est persuadé qu’il a toute l’attention des personnes en studio. De vrais ados ! 

5 - Bon, alors, médias partisans ou pas ?

On sent bien que RMC fait la promotion de l'entreprise, dans l'esprit de BFM Business, avec l'idée qu'il faut se bouger, « entreprendre » donc (comme si c’était réservé au privé !), faire preuve de mobilité (avec quatre enfants ?), "libérer les énergies" (moins de règles) et prendre des risques (c’est ce que font chaque jour les ouvriers du bâtiment). Ici l'Etat est l'ennemi, l'administration un frein à l'initiative. On veut moins de limitations, moins de réglementations. On n'aime pas les taxes, les "charges" et les impôts vécus comme des captations injustifiées.

On aime bien évoquer la « pression fiscale » qui prive d'oxygène les entreprises, mais on ne parle jamais de la part du lion réservée aux actionnaires partis jouer au golf. Pourtant, "Les actionnaires se partagent plus des deux tiers des bénéfices du CAC 40" nous dit FRANCE INTER (14/05/2018). Justement, l'audiovisuel public est particulièrement détesté, jalousé, avec le sentiment de ne pas être à égalité du fait de la redevance en provenance des contribuables. Et que dire de l’écologie, forcément « punitive », « idéologique », avec de méchants écologistes « qui font toujours la gueule » (Olivier TRUCHOT, 05/03/2021). Eh oui, on ne le dit pas assez mais quand les particules fines seraient à l’origine de 800 000 morts prématurées par an en Europe et de 9 millions dans le monde, le principal  problème sur RMC c’est que ça ne fait pas marrer les écolos (15). 

L’idéologie à l’œuvre dans l’esprit des dirigeants et vedettes du groupe NextRadioTV est donnée par Éric BRUNET dans sa vidéo de soutien au mouvement initial des Gilets jaunes : « nous sommes tout de même un pays dont 45 % de la RICHESSE S'ÉVAPORE (sic) en impôts ». L’évaporation suggère que l’argent a été perdu, dilapidé. Or, on parle bien là des moyens nécessaires pour faire fonctionner nos écoles, collèges, lycées et universités, nos hôpitaux et tribunaux, assurer la sécurité, les transports, l’énergie. Il s’agit aussi des allocations familiales, des congés maladie et maternité, des aides pour les personnes handicapées, les accidents du travail, le chômage, la dépendance ou le logement, l'agriculture, l'Union européenne. Le chroniqueur fait semblant d’ignorer que parmi les bénéficiaires de ces largesses budgétaires se trouvent les grandes entreprises, les grands patrons que l’on arrose d’aides en tout genre et auxquels on accorde d’importantes exonérations et avantages tout en laissant filer l’évasion fiscale. Si notre pays était moins inégalitaire, sans doute serait-il moins nécessaire de recourir ainsi à l'impôt. Heureusement, il a été rendu par E. MACRON des milliards aux milliardaires pour que ces premiers de cordée puissent faire ruisseler ce "pognon de dingue" sur le peuple reconnaissant. 

Aux GRANDES GUEULES, on a trouvé l’astuce pour que l’opinion libérale ne se voie pas trop. On effectue un joli tour de passe-passe dans la présentation très allégée et opaque des invités. Longtemps, Sophie DE MENTHON, une « pionnière » de l’émission, fut reçue en tant que présidente du mouvement ETHIC. Parmi les invitées régulières, on retrouve Agnès VERDIER-MOLINIE de l’IFRAP, encore présente le 17/02/2021. Deux semaines plus tard, l’invitée du « Grand oral » est Cécile PHILIPPE de l’IEM (Institut Economique Molinari). Et dès le lendemain, c’est au tour de François TAQUET, un « avocat spécialiste des contrôles URSSAF » (sic) pour lequel l’organisme de collecte et de répartition des cotisations et contributions sociales est un « cancer ». Entre ETHIC, IFRAP et IEM, l’auditeur est délibérément maintenu dans un flou trompeur lui faisant croire que tout cela est neutre et scientifique quand il n'y a rien de plus partisan et idéologique.

Le comble, c’est que les premières victimes de cette propagande en faveur des puissants, les plus sensibles à ces arguments faussement basés sur la justice sociale, sont souvent les plus faibles. Ceux choisis pour passer à l’antenne sont plus dans la réaction instinctive que dans l’analyse. On les aime « bruts de décoffrage ». On les choisit comme on le fait pour les autres invités en plateau : avec une surreprésentation des propos les plus réactionnaires et virulents. Ils sont bourrés de certitudes, n’expriment jamais aucun doute (ceux-là resteront au standard). Ils font parfois des raccourcis délirants. On cherche à opposer les salariés du privé et les fonctionnaires dans une lutte des déclassés qui épargne les vrais profiteurs du système, ceux qui dès les trois premiers jours de janvier ont déjà gagné plus que la moyenne des Français sur l’année (16).

Laisser cette dérive médiatique se poursuivre c’est prendre le risque d’une fracture considérable comme on a pu l’observer outre-Atlantique. Face au véritable et imminent danger d’une « déchéance de rationalité » (17) dont parle le sociologue Gérald BRONNER, des solutions existent qu’il serait légitime de mettre au cœur de la campagne électorale à venir, même si, dans ce domaine, elle s’annonce plus problématique que jamais. Raison de plus pour évoquer quelques issues de secours au prochain billet.

Sylvain GRANDSERRE
Maître d’école, ex-chroniqueur radio/tv
Auteur de « Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! » (Editions ESF / La Classe)

Ce long texte, travaillé tout au long de la semaine, a été mis en ligne vers 16h30 le dimanche 7 mars 2021,
quelques heures avant qu'on apprenne le décès accidentel d'Olivier DASSAULT. Ajout le 07/03/2021 à 21h00.

* Ajout du 14/03/2021. Cette interview a suscité une réaction ulcérée de la remplaçante de J-J. BOURDIN, Apolline de MALHERBE. Elle trouve ces déclarations "misérables" et "pleines de ressentiments". Sacrée ambiance à la matinale de RMC !!!

** Ajout du 14/03/2021

1 - https://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/03/02/mais-qui-organise-le-rassemblement-pro-fillon-au-trocadero_1552766/

2 - https://charliehebdo.fr/2019/09/politique/en-visite-mystere-dans-les-locaux-deserts-de-la-fac-marion-marechal/

3 - https://www.lyonmag.com/article/112144/l-ancien-prof-de-l-issep-a-lyon-condamne-pour-avoir-demembre-une-etudiante-en-russie

4 - https://www.lemonde.fr/economie/article/2015/02/12/le-rafale-27-ans-d-attente_4575585_3234.html

5 - https://www.acrimed.org/Le-palmares-2020-des-editocrates-BD

6 - https://www.acrimed.org/Mettre-en-cause-Vincent-Bollore-Comment-osez-vous

7 - https://www.sudouest.fr/2017/10/27/un-an-apres-sa-greve-historique-itele-devenue-cnews-reste-dans-le-flou-3898838-4693.php

8 - https://blogs.mediapart.fr/fred-sochard/blog/040321/paf

9 - https://www.bfmtv.com/politique/elysee/8-francais-sur-10-choques-par-l-affaire-benalla-l-image-de-macron-entachee_AN-201807240082.html

10 – vidéo : https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/eric-brunet-demain-ce-gilet-jaune-qui-n-est-pas-tres-beau-je-le-porterai-1117852.html

11 - https://www.nouvelobs.com/politique/20181116.OBS5524/gilets-jaunes-marcheurs-taisez-vous-donc.html

12 - https://www.bfmtv.com/societe/une-manifestation-de-soutien-aux-forces-de-l-ordre-a-l-appel-des-femmes-de-policiers_AD-202006270033.html

13 - https://rmc.bfmtv.com/emission/le-mouvement-des-gilets-jaunes-elu-grande-gueule-de-l-annee-2018-par-les-francais-1590339.html

14 - https://www.mediapart.fr/journal/france/040321/affaire-zecler-face-aux-theories-complotistes-la-verite-des-faits

15 - https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/12/la-pollution-de-l-air-tue-deux-fois-plus-que-prevu_5435029_3244.html

16 -  https://www.latribune.fr/entreprises-finance/les-grands-patrons-ont-deja-gagne-plus-que-le-salarie-moyen-en-une-annee-628605.html

17 - https://www.telerama.fr/debats-reportages/le-sociologue-gerald-bronner-lecran-est-larme-du-crime-ideale-pour-cambrioler-notre-cerveau-6810975.php

PARTIE 5

Arrivé au dernier chapitre de ces souvenirs d’un prof dans les médias, le moment est venu d’en finir avec le fourre-tout-info. Après un ultime coup d’œil dans le rétroviseur, voyons le virage à prendre pour espérer limiter dérives et dérapages médiatiques. Forcément, la nouvelle direction ne va pas plaire à tout le monde. Mais il est temps d’apprendre à bien se conduire.

J'ai longuement expliqué ce qu'il m'avait été donné d'observer pendant toutes ces années au sein d'un groupe en pleine expansion concentrant maintenant radios, télévisions, presse et téléphonie. Désormais, au sein des trois grandes chaînes privées d'info continue, la même idéologie domine avec une expression à l'antenne plus ou moins décomplexée selon qu’on aille sur BFMTV, LCI ou CNEWS.

On y propage ainsi l’idée que ceux qui réussissent – à l’image de leurs patrons - sont bien les plus méritants, les audacieux qui prennent des risques, se battent et entreprennent. Mais quid alors de la France des héritiers ? Car c’est bien ça la réalité décrite par Thomas PIKETTY : 

une reproduction sociale brutale qui carbure
au Viagra des avantages fiscaux et patrimoniaux.

A cette réalité, on préfère le petit refrain de « l'égalité des chances » et de la « méritocratie » qui laisse penser que chacun est responsable de ses échecs comme de sa réussite. Vision mensongère d'une France peuplée de self-made-men ne devant qu'à eux-mêmes la perpétuation de leurs privilèges. Comme le disait ironiquement le slogan du shampoing l'ORÉAL du groupe BETTENCOURT, c'est sans doute « parce que je le vaux bien » !

Cette logique des héritiers est difficile à dénoncer dans ces médias car elle est cousine de celle à l’œuvre à l’intérieur du microcosme. L’entre-soi développé correspond bien à un capital social et relationnel peu assumé. J’en prends la pleine mesure lors de la sortie du livre « Les secrets des Grandes Gueules » (Éditions de l'Archipel, septembre 2018) consacré à cette émission et à ceux qui la font. Pendant toute l’élaboration de cet ouvrage, mon seul et unique interlocuteur sera le journaliste Michel TAUBMAN. Or, ce livre et un outil promotionnel puissant pour l’émission d’Olivier TRUCHOT et d’Alain MARSCHALL, contrairement aux tentatives précédentes restées confidentielles (boîte de jeu en 2013 puis bande-dessinée en 2014).

Mais pour le livre, le carnet d’adresses fonctionne bien et permet aux deux animateurs d'aller dans l'émission de Laurent RUQUIER (22/09/2018) où ils se retrouvent en plateau face à Charles CONSIGNY, ancien des Grandes Gueules (revenu depuis dans l'émission). Quel hasard ! Quelques jours plus tard, c'est sur le plateau de Thierry ARDISSON (07/10/2018) que les deux journalistes tombent sur l’autre avocat de leur émission, Gilles-William GOLDNADEL. Leur monde est décidément bien petit.

Pas de chance pour les deux animateurs, également présente sur le plateau, l'avocate, femme politique et chroniqueuse Raquel GARRIDO n'a guère apprécié que des revenus fantaisistes soient attribués au couple qu'elle forme avec le député Alexis CORBIERE. Mais pas rancuniers, Alain MARSCHALL et Olivier TRUCHOT inviteront l'avocate à venir dans leur émission présenter son livre trois semaines après (elle en profitera pour remettre leur conflit sur la table) puis Thierry ARDISSON quelques mois plus tard (01/03/2019) qui lui aussi avait un livre à vendre.

On pourrait passer notre temps à dénoncer ces renvois d’ascenseur, toutes ces connivences et autres accointances enter mêmes personnes. En mars 2021, quand Michel ONFRAY, de la revue FRONT POPULAIRE, est invité à « débattre » aux Grandes Gueules avec des chroniqueurs, deux sur trois collaborent à sa revue (Maxime LLEDO et Barbara LEFEBVRE) ! Il s'en amuse même : « Ah bon ? Encore de la connivence ! ». Et comment ! Le même avait déjà été invité, avant son Grand oral du 09/03/2021, le 17/12/2020, le 03/06/2020, le 28/05/2019, le 11/01/2019, le 08/10/2018, etc. Entre deux, le 22/05/2020, l’émission de RMC avait consacré plus de 8 minutes au lancement de la nouvelle revue. Un vrai bâillonné on vous dit ! ONFRAY mieux de zapper, non ?

Amusant de voir le philosophe dénoncer la mainmise des grandes fortunes sur les médias, lui qui est un jour sur LCI de Martin BOUYGUES, un autre sur CNEWS de Vincent BOLLORÉ et enfin sur RMC / BFMTV de Patrick DRAHI. Loin de s'en offusquer, ces médias privés se réjouissent d'entendre Michel ONFRAY répéter à leur micro tout le mal qu'il pense de la radio publique, un coup contre FRANCE INTER, un autre contre FRANCE CULTURE (09/03). Quel numéro bien réglé. Chapeau les artistes ! Qui a dit qu’on avait supprimé les Guignols de l’info ?

Pendant ce temps, des milliers d'auteurs, d'artistes, d'universitaires, de représentants associatifs ou syndicaux peuvent crever la bouche ouverte sans qu'on ne leur tende jamais le moindre micro.

 Pour en finir avec les GG

Je ne peux conclure la rédaction de ces souvenirs sans évoquer les conditions singulières de ma propre éviction. La saison 2018/2019 est particulière pour moi puisque je suis alors le seul dans l’émission à être parent de très jeunes enfants. Pourtant, je parviens à me libérer régulièrement pour mes allers-retours à Paris. Vers la mi-juin, je reçois l'habituel texto de la production pour connaître mes disponibilités estivales, période toujours difficile à gérer pour l’émission (faible actualité, absence d'invités et de chroniqueurs). Je transmets donc mes dates mais reçois quelques jours après un appel d’Alain MARSCHALL.

« Sylvain, c’est Alain. On ne va pas continuer ensemble. Rappelle-moi, il faut que je t’explique. » dit le message. Quand je le recontacte, Alain MARSCHALL, qui semble sincèrement désolé, m’explique que l’émission patine un peu (vrai), qu’elle a besoin d’un nouveau souffle (vrai), que certains sont là depuis trop longtemps (vrai) et qu’une étude a été menée auprès d’un panel d’auditeurs (ah bon ?). Jamais entendu d’une chose pareille en douze années. La direction finance donc des sondages secrets de satisfaction. Mince, pour une fois qu’il y a une enquête dans ce média, dommage qu’elle ne soit pas diffusée à l’antenne ! Il en ressort qu'on m'a suffisamment entendu. En venant deux fois par mois quand d’autres sont là deux à trois fois par semaine ? Certes, Rose AMEZIANE (directrice d’une agence d’insertion) et Thibault LANXADE (entrepreneur, ex-vice-président du MEDEF) sont eux aussi remerciés mais ils avaient été recrutés depuis peu de temps.

Me concernant, il y a de quoi être surpris. Incité à venir plus souvent, je n’ai jamais eu la moindre remarque négative de l’équipe (au contraire) qui venait donc de réclamer mes disponibilités pour l’été. D'ailleurs, après mon éviction, les autres chroniqueurs disponibles vont tourner en boucle en juillet / août, parfois deux jours de suite, jusqu’à trois fois dans la même semaine. Bizarre… Pour autant, à ce moment-là, j'avoue qu'une fois passée la déception, j’ai senti une forme de soulagement personnel estimant qu’il était logique de céder la place. 

C’est donc le cœur léger que je fais ma dernière émission le mercredi 26 juin 2019 aux côtés de Jacques MAILLOT (le seul qui était déjà là à mon arrivée en 2007) et de ma collègue, professeure de français en banlieue, Fatima AÏT BOUNOUA. Je n’aurai que quelques secondes en fin d’émission pour dire au revoir. Pour marquer le coup et célébrer plus de 300 émissions et 12 saisons, on m’offrira en direct comme cadeau de départ... le tee-shirt de l’émission. Celui qu’on distribue à tour de bras à chaque auditeur qui appelle. Pour le reste, ne cherchez pas : aucune prime de départ, pas d’indemnité de licenciement, pas de chèque pour solde de tout compte. Pigiste mensuel reconduit 142 fois, je n'ai a priori droit à rien. Je fais donc une dernière photo et rentre sans plus attendre en Normandie, de plus en plus convaincu que quelque chose ne m’a pas été dit lors de mon éviction qui semble surprendre et décevoir des personnes très bien placées dans l’équipe.

Cette histoire de panel évaluant la satisfaction des auditeurs et d’autant plus étrange qu'elle est contraire à l'esprit de l'émission qui veut justement des personnalités clivantes, pas là pour plaire. J’apprendrais plus tard que le même argument sera servi au cheminot syndicaliste Anasse KAZIB pour justifier officiellement son éviction. Avec lui, clairement, l’équipe des Grandes Gueules est tombée sur plus fort qu’elle. En recrutant, après plusieurs semaines de tergiversation, le cheminot de Sud-rail, RMC fait entrer le loup révolutionnaire dans la bergerie capitaliste. Un carnage à l'antenne ! Que faire ?

Le 17 janvier 2020, l’émission exceptionnellement enregistrée en direct depuis Béziers, est interrompue par des manifestants. Anasse KAZIB, qui n'y participait pas, est interrogé peu après dans une autre émission de RMC, celle animée par Eric BRUNET. Même si, explique-t-il, il aurait préféré qu’il n’y ait pas de coupure de l’émission, il ne condamne pas clairement cette action militante, restant cohérent avec ses engagements. C’en est trop pour la station. Dès le 21 janvier, l’émission - qui ignore ce que signifie être juge et partie - organise un « débat » pour savoir si elle a pris la bonne décision d’interrompre la retransmission en direct quelques jours plus tôt. Malheur à celui qui répondra mal à la question.

La production décide alors de passer à l’antenne un auditeur, Éric, chauffeur routier des Bouches-du-Rhône qui, après avoir expliqué qu’il est allé voir Marine LE PEN en meeting, pour « se faire une idée », remet en cause la participation d’Anasse KAZIB, absent ce jour-là du plateau (1). Aussitôt, Alain MARSCHALL explique que « ça a été le débat dans les Grandes Gueules » (ah bon ? quand ? où ? avec qui ? comment ?). Pour lui « c’est motif d’exclusion » car « ça nous prend en otages de ses actions », mais pas de celles de GOLDNADEL quand il défend Génération Identitaire. L’honneur est sauf.  « C’est pas possible, c’est pas possible » conclut le présentateur sous les applaudissements du public présent qui ne veut pas que le taureau gagne dans l'arène.

Anasse KAZIB n’est pas en studio mais sa tête vient d’être servie en direct sur un plateau. Après un nouveau moment de flottement et le retour dans l’émission, RMC mettra bien fin à sa participation, prétextant s’appuyer à nouveau sur une prétendue enquête de satisfaction (décidément).. Anasse KAZIB expliquera un peu plus tard que c’est bien Alain WEILL, le PDG de NextRAdioTV, qui a eu sa peau (twitter, 13/04/2020). Comme quoi gagner des dizaines de millions dans une entreprise en crise n’empêche pas d’être susceptible.

Je repense alors à cette fois où le psychanalyste Gérard MILLER, dont on connaît l’engagement politique, avait fait remarquer que «  90 % de la presse est possédée par neuf milliardaires ».  Olivier TRUCHOT avait répondu « Et en quoi c’est gênant, ça ? » (2). Non, vraiment, je ne vois pas ! Exemple amusant et illustratif avec une enquête de terrain de BFMTV en 2018 (3). On y voit Salhia BRAKHLIA aller au rez-de-chaussée de l’immeuble du média pour nous faire découvrir le restaurant qui s’y trouve, établissement appartenant à Patrick DRAHI le patron de la chaîne (4) ! Voilà de l’info de proximité libre et indépendante. Mais franchement, « en quoi c’est gênant ça ? ».

Avec le recul, je constate qu'avec mon renvoi puis celui d'Anasse KAZIB, deux des chroniqueurs les plus à gauche ont été coup sur coup remerciés avec le même motif pour le moins suspect (mystérieux sondage d'insatisfaction diligenté par la direction). J'ajoute que la quasi totalité de l'équipe qui fabrique cette émission semblait sincèrement surprise et triste de mon départ. Anasse KAZIB et moi avons pour point commun d'avoir évoqué à l'antenne des questions sensibles d'évasion fiscale et de nous en être pris plusieurs fois à Bernard ARNAULT, plus grande fortune de France. Deux semaines après mon renvoi, citant une enquête du MÉDIA, TÉLÉRAMA posait la question : "BFMTV a-t-elle été financée par l'évasion fiscale ?". Le sujet de l'évasion fiscale était donc sensible, voire inflammable. **

J'en veux pour preuve une séquence du 18 avril 2019, soit deux mois avant qu'on me vire de l'émission. Ce jour-là, avec Daniel RIOLO, lui-même journaliste sportif de RMC mais récente recrue des GG, on  débat d'une prétendue aversion des Français vis-à-vis des riches. J'évoque alors le fait que Bernard ARNAULT vient d'acheter un yacht mais avec une société créée à Malte, en prenant pavillon des Îles Caïmans et en passant par un cabinet domicilié à Guernesey. L'attaque est claire. Qui va donc venir au secours de l'homme le plus riche de France de cette coupable attaque ? Olivier TRUCHOT ! Il m'accuse d'abord d'instruire à charge le procès de Bernard ARNAULT, précise qu'on n'est pas juste si on n'instruit pas à charge et à décharge. Puis, sans rien dire de ce que je viens d'affirmer, il lit ses notes pour rappeler le nombre d'emplois créés par le milliardaire et pour préciser avec insistance combien le pauvre homme est accablé d'impôts. Séance de prestidigitation : en quelques secondes, l'homme le plus riche de France est devenu "le premier contribuable français".** 

Personnellement, je sentais bien que l’émission correspondait de moins en moins à ce que je pouvais encore en attendre. Par rapport à ce que j’ai connu, il y a eu plusieurs bouleversements consécutifs ou simultanés :

1 - La double casquette des deux animateurs/journalistes. Ils sont désormais utilisés au maximum par le groupe, le matin à la radio (RMC) pour donner leur opinion, en fin de journée à la télévision (BFMTV) avec le costume de journalistes. Ils sont très occupés, anticipant dès le matin la prise d’antenne de l’après-midi ou de la soirée. C’est speed, il n’y a pas une minute pour parler d’autre chose en arrivant le matin. Pourtant, à l’antenne, on s’affiche et s’affirme comme une grande famille, avec le tutoiement, des semblants de connivence et des restes de sympathie. Mais le mélange des genres entre animateur d'opinion et journaliste d'information m'étonne.

2 - La diffusion de l’émission à la télévision. Elle a tout rigidifié et amené l’émission sur un terrain télévisé qui n’était pas le sien initialement. D’ailleurs, ça semblait mal parti, les deux journalistes expliquant même à Philippe LARROQUE pour le buzz TV que pareil projet serait impossible à cause des risques du direct face au CSA et aux associations. Et ils ajoutaient qu’il n’y a qu’en radio que les GG peuvent avoir une telle liberté et pareille spontanéité (6). Mais depuis, la stratégie a totalement changé avec le passage à la télévision. Faut-il comprendre que ce soit au détriment de cette liberté évoquée ?

Amusant aussi d’entendre dans une autre interview  qu’on ne veut surtout pas « des gueules qu’on voit ailleurs » (« C à VOUS» du 12/02/2016) quand de plus en plus de GG font la tournée des plateaux (surtout GW GOLDNADEL, B. LEFEBVRE et J. MARTY) où qu’on récupère ceux vus ailleurs comme C. CONSIGNY ou I. SAPORTA).

3 - L’invasion des smartphones, appareils omniprésents, « insu-portables », même en plateau et plus encore hors micro. On peut critiquer les ados et s'interroger sur leur droit à disposer d'un téléphone (émission du 12/03/2021) mais la lecture compulsive des dernières nouvelles chez ces adultes permet peu de temps de discussion, d’échanges, de ressenti. Finalement, pour se parler un peu, il faut être à l’antenne !

4 - L’émergence des réseaux sociaux. Corollaire de ces nouvelles technologies, elle a énormément contribué à la tension observée dans les débats proposés. La veille de chaque émission, à peine dévoilée sur twitter l’identité des trois chroniqueurs du lendemain, commence le flot d’insanités avec même des propos ouvertement racistes que personne ne semble surveiller. Pendant l’émission, les commentaires injurieux sont incessants. Tout devient soudain manichéen, tout noir ou tout blanc, les « pour » opposés aux « contre » dans la logique d’une émission mise à l’antenne en 2004, bien avant l’arrivée de Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat et autres.

5 - Le rachat de la station par un puissant homme d’affaires à la réputation sulfureuse. Soudain, RMC, qui revendiquait un esprit de radio libre, se retrouve dans un grand groupe médiatique, puissant et exposé. Le déménagement dans le quartier Ballard est le signe manifeste de cette démesure avec des immeubles froids et fiers, une entrée hyper sécurisée (forcément des événements dramatiques sont aussi passés par là).

N’ayant qu’un contrat de pigiste, c’est donc ainsi, aussi brutalement, que s’est arrêtée pour moi l’aventure médiatique. Peu importe que mes deux plus jeunes enfants aient alors 2 ans et demi pour l’un et huit mois pour l’autre. L’été qui suit, je garde un œil sur les tablées de l’émission. C’est la Bérézina. Il manque énormément de monde pendant les vacances et les mêmes intervenants reviennent de jour en jour, parfois deux émissions de suite. Mais mon téléphone ne sonnera pas et je n’aurai jamais pas à rendre le tee-shirt si généreusement offert.

Les nouvelles recrues, l’éditrice Isabelle SAPORTA (ancienne chroniqueuse de RTL), l’économiste Gilles RAVEAUD (Charlie Hebdo) et l’avocat Charles CONSIGNY (de retour donc après une saison chez Laurent RUQUIER), ne sont attendus que pour septembre. Les GG, des Français comme les autres ? Pas vraiment puisque ces trois-là sont déjà bien implantés dans les médias. Avant eux, pour renouveler les tablées, les personnes testées en vain n’avaient plus rien du spectateur ordinaire : le député Jérôme GUEDJ (03/06/2019) ou l’animatrice Enora MALAGRÉ (08/04/2019) par exemple. On veut désormais des « pros » à l’antenne, tout en restant sur un marketing présentant les GG comme « issus de la société civile ». C’est vrai, il n’y a pas de militaires (mais le général Pierre DE VILLIERS a été élu Grande Gueule de l’année 2017 puis invité le 21/11/2018 et le 22/10/2020).

Preuve ultime de l’entre-soi dans le recrutement, l’équipe des Grands Gueules de RMC ira même jusqu’à recruter comme chroniqueur un journaliste de… RMC ! Daniel RIOLO n’aura donc que l’ascenseur à prendre pour venir faire un passage remarqué face à Ian BROSSAT (21/05/2019), tête de liste du PCF aux élections européennes, en accusant les communistes d’avoir collaboré avec les nazis.*

Par la suite, toujours dans la nuance et la subtilité, il sera un temps interdit d’antenne par la direction après des propos misogynes tenus à l’antenne (09/06/2019) à l’égard de Najila TRINDADE, une femme accusant de viol NEYMAR la star brésilienne du PSG. Parlant de son physique, il explique alors « Je m'attendais à ce que ce soit un avion de chasse. C'est de la deuxième division ». Son collègue et ancien joueur, Jérôme ROTHEN ajoutera : « Il peut avoir tout ce qu'il veut, il a pris une Ligue 2 ». Voilà donc le niveau de recrutement de l’émission…*

Financièrement, ce n'est pas sans impact. Je suis toujours parti du principe que je devais continuer à organiser ma vie et mes projets en ne me basant que sur mes revenus de l’Education nationale. Or, sur la fin, avec le passage à la télévision, l’émission a fait passer la rémunération à 400 €. Professeur des écoles, pour toucher pareil supplément, il me faudrait attendre une quinzaine d’années. En venant deux fois par mois, je gagne plus qu'il ne me serait possible en toute fin de carrière.

Ces sommes n’ont rien d’anormal. On parle bien d’un grand média national, qui sait faire fructifier son produit. Pub à la radio, pub à la télé, pub sur le replay, pub pour le podcast, pub pour les vidéos, pub lors des rediffusions. Surtout, à titre personnel, cette émission me demande du travail et me prend mon temps de loisir tout comme pour les rares « provinciaux » qui doivent bloquer leur journée pour l'émission. Nous sommes dans un univers médiatique où ceux à l’antenne ont des salaires à cinq chiffres. J’ai donc le sentiment de ne rien devoir à personne et, au regard de ce qui se fait dans le milieu, de toucher la juste récompense de mon implication et de mon exposition. En venant juste une fois par semaine, un chroniqueur gagne alors autant que ma compagne en un mois, elle pourtant professeure des écoles, titulaire d’un Master et reçue au concours de recrutement en très bonne position. Je ne vais pas cracher sur cet argent mais voilà qu’à ma modeste échelle je ressens un arrière-goût d’indécence. Comme me l’a écrit dans un texto menaçant Olivier TRUCHOT, c’est terrible d’être un « petit instit ».

CONCLUSIONS & PROPOSITIONS

Extérieur à ce milieu, j'en ai vu les rouages et peux donc attester de graves dysfonctionnements qui ne vont aller qu'en augmentant. Pour autant, émettre des propositions crédibles et faisables est une autre affaire. Très modestement, voici de simples pistes qu'il me semble utile d'explorer.

1/ Le fact-checking interne

J’ai souvent été surpris par l’espèce d’amnésie régnant sur le plateau. Tout est speed, pressé, l’invité arrive pendant la coupure publicitaire, on démarre sans même se saluer véritablement. Et ainsi, l’intervenant, souvent politique, peut réciter son catéchisme sans souci de vérité, nous sortir n’importe quel chiffre, n’importe quelle citation sans craindre d’être trop contredit. Et le même responsable reviendra en toute impunité la fois d'après. Tournez manège !

Il faut donc instaurer une systématisation du retour sur propos. Un responsable politique, avant d’avoir à nouveau droit à la parole -surtout dans la même émission ! - devrait d’abord répondre de ses propos précédents, vérifiés par une équipe chargée de ce contrôle au sein du média. On pourrait aussi réfléchir à l'obligation d'un médiateur comme le fait RADIO FRANCE avec intervention hebdomadaire à l'antenne tenant compte des retours des auditeurs ou téléspectateurs. Car c’est une lourde responsabilité que d’avoir accepté ce laisser-faire avec autant de négligence. Comme diffuseur, le média engage tout de même sa responsabilité quant au choix de l’invité et des sujets traités, mais aussi sur la crédibilité de ce qui est énoncé. Or, ces émissions de débat sont préparées dans l'urgence sans que les animateurs/journalistes aient le temps (l'envie ?) d'approfondir pour anticiper d'éventuels propos erronés. Pour autant, la liberté d’expression doit rester la règle et le retour sur propos ne porter que sur du factuel, du vérifiable (dates, chiffres, citations, etc.).

2/ Le financement

La question du financement des médias publics est en partie réglée par la redevance (même s’il faudrait l’adapter aux nouveaux modes de consommation et d’accès). Pour le secteur privé, la dépendance aux rentrées publicitaires pousse chacun à rechercher l’audimat coûte que coûte, avec parfois la perte de toute déontologie.

On est passé du règne du scoop que l'on va chercher à l'extérieur
à celui du buzz que l'on crée à l'intérieur
.

On pourrait imaginer, dans une logique proche de ce que propose l'économiste Julia CAGÉ, un dispositif semblable au crédit d’impôt. Chaque citoyen se verrait libre d’attribuer aux médias privés de son choix une sorte de redevance (radios, télévisions, journaux, sites en ligne). Et pourquoi ne pas imaginer que nos abonnements soient en partie déductibles des impôts comme le sont certains dons ou cotisations ? Julia CAGÉ propose de remplacer les aides à la presse par un "Bon pour l'indépendance des médias", de 10 euros par an par adulte, à allouer au média de son choix.

L’idée est de sortir de l’emprise de l’audimat brutal, de la course au buzz absurde et dégradante. On remarque déjà certains revirements. Je le constate autour de moi avec tous ceux écœurés du sensationnalisme médiatique, toujours plus bruyant, obscène, racoleur. Dans cette nouvelle quête d'une autre façon de s'informer, on remarquera quelques réussites comme celle de la chaîne internet THINKERVIEW. Qu'y voit-on ? Tout le contraire de ce que l’on pensait devoir faire pour attirer les téléspectateurs. Ailleurs, les présentateurs sont des vedettes ? Ici l’intervieweur reste hors champ. Il faut des formats courts ? L’entretien peut facilement durer 2h30. Le montage doit être saccadé avec de la musique stridente pour retenir l’attention ? On ne voit que l’interviewé en plan fixe dans un décor sombre. On ne devrait traiter que ce qui parle déjà aux Français ? Les sujets de prédilection tournent autour de la géopolitique. Il faut des invités célèbres ? On y trouve souvent des personnes peu connues du grand public mais particulièrement pertinentes dans leur domaine. D’autres sites exigeants parviennent à tirer leur épingle du jeu (ARRÊT SUR IMAGE, ACRIMED, MÉDIAPART…). Des hirondelles avant un printemps des médias ?

3/ Sortir du parisianisme

La pandémie de la Covid aura au moins prouvé qu’on peut prendre en ligne ou mettre à l’antenne des personnes depuis chez elles ou leur lieu de travail. Certes, la qualité du son ou de l’image n’est pas toujours optimale. Mais il faut absolument sortir du périphérique parisien ! Les nouvelles technologies vont permettre de mettre à l'antenne ou à l'écran bien plus d'intervenants qui donneront une nouvelle vitalité au monde des « éditocrates ». On verra plus de provinciaux, de jeunes, de femmes, de banlieusards. En permettant à des intervenants de n'avoir à se libérer que le temps d'une émission, de nouveaux profils vont émerger, nous sortant du cénacle habituel de tous ceux trop vus, trop entendus, trop imbus.

4/ Surveiller toutes les parités

Il faudrait un cahier des charges bien plus stricts quant aux intervenants et invités, témoins ou experts. Au moins que la liste soit tenue à jour et, a minima, rendue publique ou communiquée au CSA. Les chaînes devraient également avoir l'obligation d'être plus transparente sur la véritable identité des invités et sur ce que cachent les acronymes des groupes qu'ils représentent. Cela permettrait d'ouvrir l'œil sur la véritable représentativité des intervenants. Bien sûr, on surveillera en premier lieu à la parité homme/femme. Une enquête de l’INA révèle que pendant dix ans, 80 % des invités des matinales étaient des hommes.

Mais il existe d’autres formes de diversité concernant la géographie (redonner de la place à la « Province », aux pays étrangers), la sociologie (on peut être pauvre, ouvrier, chômeur et avoir beaucoup à dire), les histoires personnelles (immigration, handicap, orientation sexuelle) et bien sûr les générations. En jouant sur toutes ces pluralités d’intervention que favorisent désormais les nouvelles technologies et les changements d’habitudes liés à la Covid, on pourrait enfin entendre d’autres voix, voir d’autres visages et pourquoi pas, « penser autrement » (titre de l’excellente rubrique de TÉLÉRAMA).

5/ Éduquer aux médias (vraiment)

Notre jeunesse est aujourd’hui ultra connectée, directement, sans subir de contrôle des parents. Chaque jeune accède seul, sans cadre ni filtre, à des millions de contenus parfois invérifiables et inadaptés. L’actuelle Éducation aux Médias et à l’Information doit sortir de son isolement. Dans l’éducation, les objectifs transversaux, ceux censés concernés tout le monde, finissent souvent par ne mobiliser personne. Là, c’est une urgence absolue. Même dans ma classe de CM1/CM2, les téléphones sont arrivés d’un coup. Logique. Il y a d’abord eu le forfait à 2€. Puis le renouvellement permanent des téléphones (nous sommes la première génération à jeter des appareils qui fonctionnent encore !). Enfin, bien des familles habitent loin de leur lieu de travail ce qui les incite à munir leurs enfants du précieux objet censé les relier. Je suis témoin d’usages totalement inadaptés : contenus, horaires, durée. Des enfants de moins de dix ans sont sur des jeux interdits aux moins de 18 ans. Et s'il n'y avait que les jeux... La pornographie la plus trash est désormais domestique. Une vraie bombe à retardement quant aux comportements sociaux et amoureux. Lutter conter ces phénomènes vaut tout autant que « lire-écrire-compter ». Non seulement, il faut de nouvelles règles d’utilisation (appareils initialement verrouillés) et d’utilisation (contrôle de l’âge pour certains sites) mais aussi faire pratiquer à ces jeunes des activités de photo et de vidéo pour comprendre combien « l’objectif est subjectif ».

Chaque jour on entend parler de harcèlement, de violences nées des réseaux, de contenus inadaptés (pornographie) ou illégaux (racisme). Les parents, eux-mêmes pris dans cet enfer font de mauvais gardiens. Il est temps de prendre le problème à bras le corps. Tout comme il y a des « cafés philo », pourquoi ne pas imaginer des « cafés arrêt sur image » ou « cafés arrêt sur l’info » pour apprendre ensemble à lire et décrypter toutes ces données livrées sans mode d’emploi ? Pour avoir eu la chance de suivre par deux fois des modules à l'université de formation à l’audiovisuel, je peux assurer qu’il faut peu de temps pour commencer à regarder autrement un journal télévisé.

6/ Interdire (vraiment) les trusts médiatiques

Impossible enfin de parler de l’inquiétante concentration des médias entre les mains de quelques grandes fortunes sans évoquer le Conseil National de la Résistance. Les ordonnances de 1944 devaient rendre à la presse sa liberté, tant intellectuelle (nombre de journaux avaient collaboré avec l’occupant) que financière. C’était si urgent que les premières ordonnances datent d’avant même le Débarquement. Il s’agissait alors de garantir l’indépendance, notamment à l’égard des « puissances d’argent ». Celles et ceux qui ont travaillé à l’élaboration du programme pour des « Jours heureux » doivent donc se retourner dans leur tombe en voyant la situation actuelle de répartition des médias.

Pour BOLLORÉ (ami de Sarkozy) CANAL +, CNEWS et C8. 
Pour BOUYGUES (témoin de mariage de Sarkozy) TF1, LCI, TMC.
Pour LAGARDERE (où siège Sarkozy) EUROPE 1, PARIS MATCH, JDD, TÉLÉ 7 JOURS.
Pour ARNAULT (autre témoin de mariage de Sarkozy), LE PARISIEN, LES ECHOS.
Pour DASSAULT (ami de Sarkozy) LE FIGARO.
Pour PINAULT (fait Grand Officier par Sarkozy)  LE POINT
Pour NIEL (qui emmène Sarkozy au foot dans son avion) LE MONDE
Et pour DRAHI : RMC, BFM Business, BFMTV, RMC Story, RMC Sport, RMC Découverte, L’EXPRESS…

Il est grand temps que chacun découvre ou relise certains articles des ordonnances de 1944 pour les mettre de toute urgence au cœur de la campagne présidentielle et y veiller encore bien après :

Art. 1. « La presse n’est pas un instrument de profit commercial, mais un instrument de culture ; sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain ».

Art. 3. « La presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs ». 

Les principes du CNR, valables pour la presse, ont été balayés par ces nouveaux médias du clash en continu. La presse est devenue un « instrument de profit commercial » et non plus un « instrument de culture ». Les bavardages incessants livrent nombre d’informations inexactes. Quant aux opinions défendues, elles ne servent guère « la cause du progrès humain » mais déshumanisent tout au contraire. La puissance politique n’est jamais très loin (on vient de le voir ci-dessus avec SARKOZY) mais surtout, les « puissances d’argent » sont omniprésentes pour avoir des médias à leur sauce et à leur botte. « Celui qui paye l'orchestre choisit la musique », non ? Quant à la « conscience des journalistes » elle est mise à rude épreuve, faisant de chaque compromis un pas de plus vers la compromission.

On ne peut plus se contenter de voir, comme aujourd’hui, chacun se réfugier dans sa propre chaloupe d’info. Il faut maintenir des principes et des exigences à l’égard des médias paquebots (pas que beaux, non) qui touchent – frappent ? – le plus grand nombre.

L’information nécessaire au citoyen pour faire vivre la démocratie réclame :

du calme et non des cris,
des idées et non de l’opinion,
du temps et non de l’immédiateté,
de l’indépendance et non de la soumission,
de l’audace et non du panurgisme,
de l’ouverture et non de l’entre-soi,
du renouvellement et non des bureaucrates de l’info,
des enquêtes et non du bavardage,
des scoops et pas du buzz,
des débats et non du catch,
des moyens stables et non la dépendance à l’audimat,
de la proximité et non de l’enfermement,
de la diversité plutôt que cette consanguinité,
de l’exigence et non de l’assouvissement instantané.

Ce n’est pas qu’une question abstraite d’éthique mais bien une urgence démocratique concrète si l’on veut échapper à une scission de la société en deux blocs opposés et ennemis qui s’enfermeront, aidés par les algorithmes et les réseaux sociaux, chacun dans sa propre vision homogène du monde. Il est peut-être déjà trop tard même si le pire n’est jamais sûr. C’est pendant les heures les plus sombres de notre Histoire que les principes lumineux de la Résistance ont surgi. Nos jeunes, dès l’école primaire, sont désormais connectés directement, seuls et sans filtre, à tout cet univers où le pire circule si vite. Pour eux comme pour nous, en paraphrasant PRÉVERT, je conclurai : « Il faudrait essayer d'être exigeants, ne serait-ce que pour donner l'exemple ». Chiche ?

Sylvain GRANDSERRE
Maître d’école en Normandie
Ex-chroniqueur radio/tv
Auteur de « Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! » (coédition ESF / La Classe)

 * ajout du 14/03/2021 - 10h00

** ajouts du 28/03/2021 avec ce lien vers la vidéo citée où Olivier TRUCHOT vole au secours de Bernard ARNAULT : https://www.facebook.com/GGRMC/videos/les-grandes-fortunes-donnent-pour-notredame-pourquoi-quand-bernard-arnault-ach%C3%A8t/2197776950265912/

1/ 22e minute : https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/la-tournee-des-gg-reportee-une-bonne-decision-2101-1216528.html
2/ https://rmc.bfmtv.com/emission/independance-des-medias-l-accrochage-entre-gerard-miller-et-olivier-truchot-1347943.html

3/ https://www.bfmtv.com/politique/l-oeil-de-salhia-eric-duquenne-ouvre-son-restaurant-aux-3-presidents_VN-201801220132.html

4/ https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-police-verbalise-les-clients-dun-restaurant-clandestin-propriete-de-patrick-drahi-1395804

5/ à partir de 6’45 : https://www.youtube.com/watch?v=j1lJKKCOXK8

6/ https://www.youtube.com/watch?v=UH0ke1KfN9c

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