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Billet de blog 17 octobre 2020

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Hors la loi de Pauline Bureau: la parole est à la victime qui relève la tête

Jouée à guichets fermés, Hors la loi donne la parole à Marie-Claire Chevalier, jugée en 1972 pour avoir bravé l’interdiction d’avorter. À 60 ans, elle se souvient du viol et de son hébètement, de la sonde et de l’hémorragie qui faillit lui coûter la vie, du procès de Bobigny, qui la rendit célèbre du jour au lendemain, et de sa tendance, ensuite, à rater tout ce qu’elle entreprenait.

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Illustration 1
Autour de Marie-Claire et Michèle Chevalier, au centre, la collègue et amie, Mme Duboucheix (à gauche, jouée par l'extraordinaire Danièle Lebrun, Simone de Beauvoir également), et Mme Bambuck, la faiseuse d'anges, magistralement interprétée par Martine Chevallier (aussi Marie-Claire à 60 ans). À Droite, Gisèle Halimi (l'énergique Françoise Gillard). © © Brigitte Enguérand, 2019

Deuxième partie. Pour lire la première, cliquer sur ce lien.

"Je me souviens de tout..."

Écrite et mise en scène par Pauline Bureau et jouée en ce moment par la Comédie-Française au théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, Hors la loi donne la parole à Marie-Claire Chevalier, parvenue, non sans difficultés, à se reconstruire. "Forcée" par un camarade, qui l'a menacée en brandissant une paire de ciseaux, elle tombe enceinte. Elle décide d’avorter clandestinement. Elle a 16 ans. Mme Bambuck, secrétaire de son état, introduit une gaine de fil électrique dans son utérus.

« J’ai gardé ça trois semaines dans mon ventre, se souvient Marie-Claire. J’avais très mal […]. J’allais tout de même au collège, mais c’était très dur avec ce bout de gaine qui pendait entre mes cuisses. Je donne tous ces détails pour que les filles d’aujourd’hui sachent comment les choses se passaient et ce qu’elles doivent à celles qui, comme Gisèle Halimi ou Simone Veil, se sont battues pour qu’elles aient le droit et la possibilité de choisir d’avoir ou non des enfants. [1] »

La loi de 1920, qui fit de l’avortement un crime, sévit encore en 1971 [2]. Dénoncée par son violeur pris en flagrant délit de vol de voiture, Marie-Claire est inculpée, celles qui l’ont aidée aussi.

« J’étais à peine remise de ce que je venais de vivre, mon viol, mon curetage, la peur, la honte, le mal que j’avais fait à ma mère, et maintenant on allait nous mettre en prison comme des criminelles. [3]»

Employée à la RATP, Michèle Chevalier, sa mère, élève seule ses trois filles. Elle « n’était pas disposée à se laisser faire [4] ». C’est elle qui pense à faire appel à Gisèle Halimi. Michèle Chevalier avait lu le récit donné par l’avocate anticolonialiste de sa défense de Djamila Boupacha, indépendantiste algérienne violée et torturée par des militaires français [5]. (Le récit de Gisèle Halimi diffère sur ce point : ce serait Mme Bambuck qui l'aurait la première contactée, La cause des femmes, Gallimard, Folio, 1992, p. 99.)

Marie-Claire rappelle ce que Gisèle Halimi répondit à sa mère :

« Je vous défendrai. Mais ça va être difficile. Vous pouvez demander pardon et vous serez quand même condamnée. Mais pas trop. Ou vous pouvez attaquer, dire que la loi est injuste, que les femmes sont des victimes… Et si vous choisissez cette voie, il vous faudra du courage, jusqu’au bout, quoi qu’il arrive...[6] »

Relaxée... sans être libérée

Marie-Claire, Michèle et ses « complices » – Lucette Duboucheix, Renée Sausset et Micheline Bambuck – eurent le cran d’accepter que l’avocate féministe fasse de leurs procès successifs celui d’une société qui refusait encore aux femmes le droit de disposer de leur corps. Aux côtés de Gisèle Halimi, Danièle Ganancia, qui s'occupa avec elle de Marie-Claire et de Michèle Chevalier ; Monique Antoine, qui défendit Mme Sausset et deux autres avocats.
La relaxe de l’adolescente, en octobre 1972, puis les condamnations dérisoires des autres, en novembre de la même année, représentèrent une victoire décisive pour toutes les féministes, celles de Choisir la cause des femmes, fondé par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, comme pour celles du Mlf. Mais cette victoire ne devint pleinement celle de Marie-Claire que bien plus tard, lorsqu’elle parvint enfin à se libérer du sentiment de culpabilité et de la honte qui l’ont longtemps entravée. C’est cette histoire-là aussi, douloureuse et moins glorieuse, grevée d’errements et d’échecs, que Pauline Bureau raconte dans Hors la loi, un destin personnel à la fois conjoint et disjoint de l’histoire collective de la conquête des droits sexuels et reproductifs.

 Une dramaturge engagée

S’appuyant sur la postface rédigée en 2005 par Marie Claire lors de la réédition des débats et des plaidoiries du procès de Bobigny, mais aussi sur ses échanges avec Marie-Claire Chevalier, dont elle a retrouvé la trace, Pauline Bureau se fonde également sur les écrits de Gisèle Halimi et d’autres féministes qui furent également partie prenante de cette avancée capitale des droits des Françaises. Et elle parvient à nous faire saisir au vif de notre chair l’aliénation qui demeure le lot de toutes celles qui dans le monde sont toujours privées du droit d’avorter [7].

Une aliénation qui peut faire retour. À l’entrée de la salle du Vieux-Colombier, superbement drapée de de velours rouge, une vidéo le rappelle opportunément : le droit à l’avortement est régulièrement remis en question, même en France. L’extension du délai légal de 12 à 14 semaines de gestation, la possibilité de recourir à des sages-femmes jusqu’à la dixième semaine et la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG pour les médecins, votées le 8 octobre dernier par l’Assemblée nationale, seront-elles entérinées par le Sénat ? Rien n’est moins sûr… Dès le 12 octobre, l’Académie de médecine s’est opposée au texte adopté, fournissant aux sénateurs, majoritairement de droite, des pseudo-alibis médicaux.

Rendre justice

Auteure et metteuse en scène engagée, Pauline Bureau est dotée d’un parfait sens de l’équilibre entre poignant et comique. Elle entrelace avec beaucoup de sensibilité et d’élégance le drame personnel traversé par Marie-Claire, et la dimension politique du procès de son avortement, le célèbre procès aux prestigieux témoins.

« Il y a, dans mon travail d’écriture, explique-t-elle, l’idée de rendre justice. On a beaucoup caricaturé les féministes des années 1970. Il est temps de faire émerger de nouveaux récits sur ces milliers de femmes qui se sont battues dans un monde qui leur était extrêmement défavorable. »

À suivre

[1] Marie-Claire Chevalier, Postface (2005) à Choisir la cause des femmes, Le Procès de Bobigny, Gallimard, 2006, p. 246.

[2] Voir Gisèle Halimi, La cause des femmes, Gallimard, Folio, 1992, p. 125 et suiv.

[3] M.-C ; Chevalier, Postface, op. cit., p. 247.

[4] Ibid.

[5] Publié par Gallimard en 1962.

[6] M.-C. Chevalier, Postface, op. cit., p. 248.

[7] En 2017, 42 % des femmes dans le monde ne disposaient pas de ce droit.

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