Comme beaucoup, j’ai voté pour l’Union populaire dès le premier tour. En sachant qu’il allait quoi qu’il arrive falloir se battre. Un vote antifasciste pour tenter d’éviter ce qui est quand même arrivé.
Parce que la seule leçon qui vaille de ce scrutin c’est que les candidatures d’extrême droite ont rallié plus de 30 % des suffrages exprimés. On peut tourner ça dans tous les sens, le ramener au nombre réel d’inscrit·es, rappeler – et c’est nécessaire – que les jeunes et les travailleuses et travailleurs étranger·es sont exclu·es de « l’universalisme »… c’est une progression des fascistes dans les urnes.
Voir aujourd’hui des sondages où plus de 40 % des ouvrier·es et des employé·es seraient prêt·es à voter Le Pen au second tour dit à quel point les organisations syndicales doivent continuer de marteler que pas une seule voix ne doit aller à l’extrême droite (communiqué de la CGT, communiqué de Solidaires).
Elle est la pire ennemie des travailleuses et des travailleurs et l’association Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa) rappelle très bien pourquoi. Le Pen n’est pas de notre camp ni de notre classe. Concis, un camarade de syndicat a dit l’essentiel en la matière : « La palme de la mystification est décernée à ceux qui nous vendent la bourgeoise Le Pen comme candidate du peuple. Le Pen c’est la vie de château, 160 000 euros annuels de salaire et une professionnelle de la politique depuis 1998. »
Il ne s’agit pas d’opposer celles et ceux qui vont aller voter à celles et ceux qui ne le pourront viscéralement pas. Tout le quinquennat écoulé nous dit pourquoi.
Mais il faut quand même redire que Le Pen c’est la pire ennemie, tout court. Celle qui doit absolument être battue. Pour ma part c’est accepter de faire en sorte que son score soit le plus bas possible, parce que chaque point de pourcentage en plus c’est de la confiance supplémentaire pour les nervis fascistes qui multiplient déjà les violences et les agressions racistes et islamophobes comme contre les militant·es du mouvement social (le site Rapport de force les recense). En utilisant le seul moyen pratique à portée de main tout de suite, un bout de papier, pas plus que ça.
Le jour d’après il faudra tout reprendre pour résister, lutter et reconstruire « en bas à gauche ». Même dès maintenant en fait.
Face à Macron
Préparer la grève tout de suite. Mais pas pour perdre. Donner tout ce que nous pouvons donner pour allier ce qu’il y a eu de plus fort et de plus ancré au sein des classes populaires en terme de mobilisation : l’explosion de colère du mouvement des Gilets jaunes et les grèves de l’hiver 2019-2020.
Deux axes revendicatifs : la vie chère et le droit à la retraite. Deux axes stratégiques : le blocage de l’économie et l’auto-organisation.
L’auto-organisation ça n’est pas (que) spontané : ça veut dire être physiquement sur les lieux de travail et de vie, convaincre et fabriquer de l’action collective sur la base du quotidien.
Tout doit être pensé dans une perspective qui exclue l’agitation comme l’attentisme : pas de date de grève qui n’appelle pas de suites, pas de journée d’action sans calendrier de lutte coordonné entre secteurs professionnels. Il n’y a rien de pire que les manifestations réservées aux seul·es militant·es et délégué·es.
S’y ajoutera nécessairement la défense du service public, particulièrement hospitalier.
Dans certains secteurs l’articulation se fera avec les questions spécifiques : par exemple la défense du statut de fonctionnaire pour les enseignant·es. En 2003, la grève avait été massive dans ce secteur sur deux aspects, sans que l’un ne nuise à l’autre : contre la territorialisation des personnels et contre la réforme des retraites.
Réfléchir aussi à partir de ce qui s’est traduit par les démonstrations de rue massives, depuis plusieurs années contre les violences faites aux femmes, pour la justice climatique, à l’été 2020 contre le racisme et les violences policières. Travailler à la conjonction de tout ça, pas à l’effacement. Mener la bataille idéologique sans tergiverser, mais appuyée sur le militantisme et l’action réelle auprès du plus grand nombre pour faire reculer les politiques xénophobes et racistes de ce gouvernement qui n’ont fait que paver le chemin à Le Pen.
Face à Le Pen
Difficile de penser au-delà de l’immédiat. Une victoire des fascistes nous plongerait dans l’inconnu. Mais il faut se donner dès avant le second tour des mots d’ordre permettant de ne pas attendre le pire l’arme au pied. Appeler à se rassembler tous les jours (pour ne pas s’isoler déjà). S’organiser pour protéger les premières cibles désignées par les fascistes. Appeler à cesser le travail, dès le mardi 26 ou le jeudi 28 pour montrer que celles et ceux qui font tourner la société ne veulent pas de Le Pen. Manifester, tous les jours, avec un Premier mai antifasciste en ligne de mire.
On peut essayer d’imaginer quelque chose qui puisse ressembler à un « bloc de défense des libertés » avec l’ensemble des forces progressistes (associations et collectifs, syndicats, partis et organisations politiques), préparant et assurant d’une certaine manière l’auto-défense collective.
Concrètement, inviter aussi à ce que toutes les réunions syndicales (pour sa composante « de lutte ») se tiennent en commun et que les expressions, les affiches soient communes. Une sorte d’unification « technique » et d’urgence sans dilution de ce qui existe et fonctionne, respectant les collectifs militants.
Dissolution de l’assemblée nationale ou pas, et s’il reste encore un semblant de « légalité républicaine » il faudra peut-être se saisir du scrutin suivant dans une logique de résistance. Ne pas se limiter à dire « pas une voix pour Le Pen » mais bien appeler à battre les candidatures fascistes dans les urnes en votant dès le premier tour pour les candidatures de gauche les mieux placées (l’indépendance syndicale peut sans doute supporter cette entorse à ce moment précis).
Reconstruire en bas à gauche
Mais l’auto-défense, face à Macron comme face à Le Pen, si elle est nécessaire ne sera pas suffisante pour reconstruire de l’espoir. L’Union populaire veut aujourd’hui se présenter comme la principale force d’opposition et de reconstruction. Le « débouché politique » proposé semble un peu plus intelligent que lorsque Jean-Luc Mélenchon prétendait en 2017 qu’un bulletin de vote « économisait des kilomètres de manif ». En meeting à Toulouse pour sa campagne de premier tour, il prônait une autre articulation : « Quoi qu’il arrive, et surtout si nous gagnons, je vous le dis : luttez toujours, soyez revendicatifs, ne cédez jamais rien, même à votre gouvernement de l’Union populaire. »
Mais est-ce que ça peut suffire ? En réalité il faut non seulement des kilomètres de manif mais bien plus.
1) Avant tout débouché politique aux luttes… il faut des luttes.
Devant toute autre considération, la priorité absolue, permanente, est de renforcer le mouvement social et ses organisations et collectifs militants. On ne peut strictement rien bâtir de profondément ancré parmi les classes populaires sur les seuls calendriers électoraux et les interventions médiatiques, aussi brillantes soient-elles. De même qu’on ne change rien à croire en un nom et un seul.
Au-delà même, ce n’est pas avec la légalité des dominants qu’on fait une politique des dominé·es. Quoi qu’on pense du rapport aux consultations électorales en régime parlementaire, ce n’est pas dans les institutions actuelles que réside la possibilité de changer la société et d’affronter le pouvoir du capital.
Tous les exemples passés de gouvernements de gauche l’indiquent : soit ils ont été renversés, y compris militairement, après des compromis jugés insatisfaisants par la classe dominante : c’est le cas de l’Unité populaire au Chili en 1973 ; soit ils ont satisfait les compromis des classes dominantes, voire les ont devancé, et ont trahit celles et ceux « qui y ont cru » : c’est le cas des gouvernements de gauche en France depuis le tournant de la rigueur de 1982 jusqu’à la présidence Hollande.
2) Bâtir le pouvoir populaire c’est assurer l’autonomie populaire d’abord.
C’est le rapport même au pouvoir qui doit être remis en question. La place des classes populaires dans une stratégie de changement de société n’est pas de soutenir un gouvernement qui décidera pour elles. Elles n’y sont pas subordonnées. La place des classes populaires c’est d’intervenir directement dans l’exercice du pouvoir, d’être collectivement le gouvernement. C’est de garantir son autonomie sans la résumer à la seule indépendance ou au moyen de pression sur un gouvernement quel qu’il soit : faire en sorte que nos outils et actions collectives contestent le pouvoir actuel pour le remplacer.
Être notre propre pouvoir face à celui qui est conçu, calibré pour les classes dominantes. Des classes dominantes qui n’abandonneront jamais le leur sans résister elles aussi. Faut-il rappeler les tribunes de militaires promettant la guerre civile ou les manifestations de policiers factieux ? Garantir notre autonomie c’est aussi garantir notre auto-défense s’il le faut, même en cas de gouvernement de gauche.
C’est enfin inventer d’autres formes de démocratie, inspirées de celles que nous expérimentons dans nos mobilisations collectives et s’adressant à la majorité. La marche est énorme, bien plus que de glisser un bulletin de vote.
Mais elle est celle à franchir. À l’heure d’engager le pas dans cette direction, rappelons nous toujours que c’est notre classe sociale qui fait fonctionner et avancer la société, jour après jour. Bridée et soumise aujourd’hui, c’est elle qui doit décider demain.
Actualisation au 22 avril : la question de la grève antifasciste évoquée « face à Le Pen » mérite sans doute d’être plus mesurée et préparée au regard de nos forces réelles. Elle n’en resterait pas moins un enjeu collectif.
Trois contributions supplémentaires :
- Celle du Collectif Plus jamais ça (Amis de la Terre, Attac, CGT, Confédération paysanne, FSU, Greenpeace, Oxfam, Union syndicale Solidaires) : Ne laissons pas l’extrême droite arriver au pouvoir
- Celle de l’Association Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa) : L’extrême droite doit être battue et combattue
- Enfin, le texte collectif de camarades internationalistes du Rojava, important et nécessaire, qui nous invite à réfléchir le second tour Le Pen / Macron à partir de la situation en Turquie et au Kurdistan