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Dans ce billet, nous discutions de la fragilité de l'appel au barrage lors du second tour de l’élection présidentielle.
Nous y évoquions aussi la probabilité d’un appel au barrage à Mélenchon en cas de percée de son camp dans les intentions de vote aux législatives.
La percée actuelle de la NUPES nous donne donc l’occasion de nous pencher à nouveau sur l'argument du barrage.
Abordons-le cette fois non seulement dans un cadre différent : les élections législatives, mais aussi dans sa totalité : au-delà de son versant médiatique.
Et montrons en quoi, au sortir de l’élection présidentielle, il est complètement illégitime de justifier un vote pour le camp Macron par un barrage à une opposition, quelle qu’elle soit.
Tout vote pour Macron, à cette élection, proviendra d’une et une seule source : l’adhésion. L’adhésion à sa politique passée, à son idéologie et à son programme.
Le castor législatif est nul et non avenu.
Une idée peut-être évidente pour beaucoup, mais que j’estime devoir peser par écrit. Selon moi, elle découle aussi bien de la nature générale des élections législatives que du contexte particulier dans lequel advient celle-ci.
Menaces imaginaires
Sur le plan général, attardons-nous sur quelques aspects de la députation.
D’abord, l’influence des députés sur l’administration des territoires est infime. Il est donc illégitime de prétendre voter Macron afin de protéger son foyer de l’action locale d’un parti ou d’une figure d’opposition.
À l’échelle nationale, ensuite, l’influence des députés provient de la rédaction des lois et de la mise en débat des décisions du gouvernement. Leur propre pouvoir ne s’étend pas à la gestion concrète de l’État, qui relève du pouvoir exécutif. De ce fait, l’argument de voter Macron afin de lutter contre l’autoritarisme ou le quelconque extrémisme de régime attribué à telle députée ou tel autre, ne fonctionne pas.
Et le gouvernement alors ? Sa composition découle de celle de l’Assemblée nationale et il détient une partie des pouvoirs qui forment la clef de voûte de l’État. Pour autant, la capacité d’un gouvernement à peser sur le pays est drastiquement réduite dès lors que ce gouvernement s’inscrit dans une cohabitation entre le Président et ses adversaires.
En effet :
— le Président de la République peut bloquer tout décret gouvernemental, et donc limiter le pouvoir du gouvernement en dehors du débat parlementaire.
— Un gouvernement de cohabitation ne peut jamais se mettre à dos l’opinion publique. Une trop grande dépréciation donne au Président l’occasion de dissoudre l’Assemblée nationale pour faire émerger un gouvernement issu de son bord politique. Dans les faits, un gouvernement de cohabitation est donc ce qui s’approche le plus, en Cinquième République, d'une entité politique soumise au vote révocatoire. Mécontenter le peuple, pour un tel gouvernement, c’est se suicider en direct.
— Le Président domine aussi la scène internationale, ce qui empêche le gouvernement de cohabitation d’infléchir le pays dans une direction trop éloignée de la politique extérieure dictée par la présidence.
— On notera aussi qu’au-delà de ces exemples de gouvernance, le Président, seul, est chef des armées et détenteur de la force suprême du pays. Il est donc, en dernière instance, l’unique responsable de laisser un gouvernement se livrer à la brutalité politique.
Par conséquent, à l’argument de voter Macron dans le but de prévenir la radicalité d’un gouvernement de cohabitation, on peut rétorquer de deux manières.
D’une part, la structure fondamentale de la République garantit une nette modération du gouvernement relativement à la tolérance présidentielle.
D’autre part, la brutalité politique d’un gouvernement de la République Française ne peut pleinement advenir que lorsque ce gouvernement est de mèche politique avec le Président.
Voyons maintenant comment les circonstances présentes achèvent de démolir les fausses excuses pour voter Macron.
Un contexte indument favorable à Macron
Nous disposons maintenant, par le ministère de l’Intérieur, des parts de votes pour les candidats à la présidentielle. Ces chiffres sont révélateurs.
Arrivé en tête au premier tour de la présidentielle avec 20,07 % des voix des inscrits, contre 16,69 % des voix des inscrits pour Le Pen, Macron a bénéficié d’un report de 18,43 % des voix des inscrits au second tour, tandis que Le Pen a bénéficié d’un report de 10,27 % des voix des inscrits.
On voit donc qu’au deuxième tour, les voix tendent à se reporter vers le centre, même lorsqu’il est déjà majoritaire.
Bien sûr, pour ce vote précis, le caractère repoussoir d’une présidence Le Pen pour nombre d’électrices et d’électeurs a surement amplifié le report.
Toutefois, l’absence de cette amplification aux législatives (où Le Pen n’est pas la challenger principale) sera sans doute compensée par le phénomène reconnu du fait majoritaire : la tendance des électrices et des électeurs à voter et à se reporter vers le camp du Président fraîchement élu lors des législatives.
Somme toute, compte tenu de ces chiffres, il est irrationnel de prétendre voter pour le camp Macron aux législatives afin de compenser un hypothétique report de voix important vers le parti d’en face.
On vote toujours Macron pour renforcer la supériorité du report vers Macron, jamais pour contrebalancer le report vers le parti adverse
Cet argument acquiert une dimension supplémentaire grâce aux sondages des intentions de vote et surtout grâce aux estimations de la future répartition des sièges à l’Assemblée.
Ces projections évaluent le nombre de sièges pour Macron à une moyenne proche de la majorité absolue de 289 sièges, tandis que l’adversaire principal : la NUPES, est crédité d’un peu moins de 200 sièges en moyenne.
Au vu de cette différence, même dans l’hypothèse peu crédible d’un report des voix très en faveur de la NUPES, il est absurde d’affirmer qu’un camp d’opposition est en mesure d’obtenir une majorité forte à l’assemblée.
Ceci est d’autant plus vrai que ces sondages montrent qu’en raison du mode d’élection par circonscriptions, cette différence en nombre de sièges adviendrait malgré une égalité en voix entre les deux camps, voire malgré une domination électorale de la NUPES.
De ces faits, on peut tirer l’affirmation suivante : il est farfelu de prétendre se décider, finalement, à voter pour le camp Macron afin de contrer la domination imminente d’une certaine opposition à l’Assemblée nationale.
— Le report de voix vers Macron était plus important que celui vers l’opposante à la présidentielle
— Ce report sera sans doute amplifié comparé à la présidentielle en vertu du fait majoritaire (modéré par la disparition du facteur « rejet de Le Pen »).
— Une voix de report rapportera en moyenne plus de sièges à Macron qu'à l'opposition.
— Donc, le seul cas où le report des indécis vers Macron est nécessaire pour passer d’une domination de l’opposition à une majorité absolue pour Macron est le cas où le nombre de voix acquises à la NUPES écrase de loin celui des voix acquises au camp Macron. Le premier tour donnera une bonne estimation de cet écart.
— Et donc, dès le moment où le premier tour prouvera que le nombre de voix pour le camp Macron n’est pas largement en dessous du nombre de voix pour le camp NUPES (cas de loin le plus probable), cet argument pour voter pour le camp Macron aura perdu le peu de crédit qu’il n'avait déjà pas vraiment.
Le fantasme du vote raisonnable
En définitive, une fois écartés :
— L’argument de la nocivité locale du député d’un camp honni
— L’argument de sa capacité de nuisance sur la démocratie
— L’argument de la dangerosité d’un gouvernement d’opposition
— L’argument de la pertinence de modérer le report des voix vers une opposition
— L’argument de résistance à un écrasement de l’assemblée par une opposition,
Il commence à rester peu d’arguments rationnels au vote législatif Macron ayant le moindre rapport avec le barrage à l’opposition.
Peut-être va-t-il falloir admettre qu’on vote au nom de la préférence pour un programme, sans qu’il soit possible de se réfugier derrière la dangerosité d'un autre programme ou d'une quelconque candidature d'opposition.
Peut-être va-t-il falloir admettre qu’on est partisan de Macron.
Daignera-t-on évoquer la posture cocasse qui consistera à faire étalage d'un rejet de la politique (« tous pourris ») voir de Macron (c’est à la mode, avouons-le), de ne pas participer au premier tour (« j’ai assez donné aux dernières élections », « j’ai piscine ») pour ensuite au second tour, dès qu’une opposition est en mesure de l’emporter face à Macron, appeler et se soumettre au barrage législatif ?
Aux futurs acteurs de cette comédie, adressons ce simple mot : attention.
Ça va commencer à légèrement se voir que le spasme de bichette qui vous précipite aux urnes n’apparaît que lorsque votre champion est menacé.
On l’a vu. Le vote législatif pour Macron, au premier tour, au second tour, n’est jamais un vote de probité politique, de sagesse d’équilibriste, ou d’autre fantaisie raisonnabiliste. C’est un rejet viscéral de chacune des oppositions et de la perspective même d’une opposition à Macron. C’est un vote qui n’est soluble dans aucune opinion de rejet du monde politique actuel. Car c’est un vote qui témoigne, qui jouit, de sa pleine et entière satisfaction, assumée ou non, à l’endroit du projet politique de Macron.
Bon troisième tour à toutes et tous.