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Badiou sur l’art contemporain : évolution et permanence
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Nous faisons reparaître un article à l’occasion de la publication de deux nouveaux livres d’Alain Badiou, à caractère en partie autobiographique, mais dont l’un est la reparution d’un livre sur le noir, alors que son Eloge de la philosophie, livre nouveau, ne possède aucune référence explicite à la peinture. Le Noir éclats d’une non-couleur fait écho sans doute à telle déclaration de Soulages : « Le noir dans la peinture…D’abord il n’y a pas de couleur, il n’y a pas de couleur tel que le noir. Je veux dire que, dans la peinture, il n’y a que des relations. Et lorsque je dis le noir pour la lumière, c’est parce que c’est la couleur la plus violente. C’est la couleur la plus puissante qui fait naître la lumière, qui crée dans la toile elle-même une lumière née des relations de couleurs ... » (1979). Nous aurions tendance à préciser pour notre part : la couleur n’est pas en soi un concept pictural. La notion spécifiquement picturale sur la couleur c’est précisément l’accord entre les tons colorés, « relations de couleurs », à des fins de justesse sonore, de profondeur, de luminosité et d’intensité. C’est une fonction plastique en soi. En rapport avec la fonction plastique de la lumière, elle-même distincte de la luminosité des couleurs, il s’agit ici de la souplesse des valeurs d’ombre et des passages entre les valeurs. (Cf. « Badiou Soulages »). Et ce premier de la classe qu’est Badiou a souffert du crayon noir (mal nommé, précise-t-il) lors de ses cours de dessin, éprouvant les plus grandes difficultés à rendre le volume par les gris (Le Noir…, p. 30.) Et en comparaison avec les mathématiques qui ne se fondent pas elles-mêmes, mathématiquement, comme la philosophie le fait avec ses propres moyens, philosophiquement : « “Qu’est-ce que la peinture ? ” n’est pas une question que l’on traite avec un pinceau. » (Eloge… p.33.). Ailleurs, à la radio, il dira la philosophie est comme la couleur, la couleur philosophique est le concept. La maîtrise des couleurs est une forme de modestie, il faut un tel travail. Comme pour faire un portrait chez un romancier, une lente modestie.
Voici la reprise de notre texte qui couvre les positions artistiques de Badiou sur plusieurs décennies.
Badiou sur l’art contemporain : évolution et permanence
Lorsque Badiou s'en prend à l'art contemporain, geste autrement plus difficile à notre sens que de s'en prendre uniquement au capitalisme, ou à l'amour organisé, Badiou nous a habitué à un pas de deux à la fois radical et encore timide. Ses quinze thèses sur l'art contemporain sont assez explicites, la dénonciation de « l'art impérial » inclut largement l'anti-peinture duchampienne ou ce que nous appelons le dadaocapitalisme. Son « Duchamp » plus ambigu place l'auteur du readymade sous le patronage de Mallarmé au grand dam des organisateurs de sa conférence. Plus récemment, en sachant que dans Logiques des mondes et de façon générale avec la procédure générique de la peinture, il n'y a aucune place pour les avant-gardes anti-picturales de type dadaïste, Badiou donne désormais en exemple l'entreprise critique duchampienne pour faire comprendre la situation actuelle du théâtre. « En un certain sens, il s'agit de soumettre le théâtre à la même discipline critique que les arts plastiques depuis le début du XXe siècle. On sait que Duchamp déjà, avant la guerre de 14, énonçait les principes d'une fin active de l'art de peindre et proposait que la simple exhibition volontaire d'un objet quelconque soit tenue pour un geste artistique. » (Eloge du théâtre, 2013, p.22, nous soulignons) Là, Badiou ne se gêne plus pour désigner l'homme Duchamp, le nom Duchamp, la figure Duchamp comme ce(lui) qui amena la critique et la suspicion sur l'art pictural comme tel. Mais surtout il qualifie ce même geste duchampien de discipline critique à l'égard de la peinture (entendu comme art de peindre) visant à l'extinction de celle-ci. Duchamp énonce donc pour Badiou « les principes d'une fin active de l'art de peindre »1. On a envie d'ajouter que Duchamp le fait en connaissance de cause, il sait de quoi il parle : « Dada était la pointe extrême de la protestation contre l'aspect physique de la peinture. C'est une sorte de nihilisme pour lequel j'éprouve encore une grande sympathie. ». Et puis il savait que le cubisme était toujours plastique alors que le surréalisme n'a pas grand chose à voir avec la peinture : « Le cubisme... un mouvement de peinture, exclusivement... pour ainsi dire... C'était plastique, en tout cas... » « C'était plastique en tout cas. Toujours. Tandis que le surréalisme englobe toutes sortes d'activités n'ayant presque rien à voir avec la peinture, ou les arts plastiques. » Dixit Duchamp (Entretien avec Georges Charbonnier). Il désavouera d'ailleurs tous les courants artistiques des années soixante qui se sont pourtant réclamés de lui 2
Quand nous nous en prenons à l'art contemporain, nous visons le surréalisme généralisé, anti-pictural, un art d'image, d'idée et de mot, exclusivement, et se muant ainsi en néodadaïsme américain : Pop art, art minimal, art conceptuel, etc, jusqu'à la Bad Painting des années 80, et mes « contemporains » hélas, lancés par Warhol : Basquiat et Haring. Dans l'entretien Eloge du théâtre, Badiou semble reculer face à Truong qui lui rappelle le rôle de l'expérimentation chez Alfred Jarry et Pina Bausch (du reste nous ne voyons pas vraiment le rapport entre les deux, ni même le geste de Jarry purement théâtral et celui de Duchamp purement anti-pictural. « Je ne vais pas rejoindre ceux qui déplorent le non-art au XXe siècle, ou sont consternés par certains spectacles à Avignon. » On ne voit toujours pas le rapport, sinon peut-être la duchampianisation des mises en scène - dont Romeo Castellucci est très représentatif lorsqu'il dresse en fond de scène une Sainte face géante, empruntée à Memling, pour jouer sur des effets scatologiques, des projections, ce qui est devenu banal (du reste la maculation d'un visage est aussi notre propos), mais montrer un vieil homme incontinent sur scène qui se trouve inévitablement associé et lié à cette toile de fond elle-même occupée par le visage du Christ reproduit à une échelle monumentale et d'où suintent des traces et coulures scatologiques à la toute fin de la représentation, cela n'est possible que par l'anti-peinture, sa veine iconoclaste. Le paradigme de l'art contemporain domine la politique du « In » avec le danseur plasticien de 2011 et « L'atelier » de 2013. C'est cela que le cher Alain Badiou n'a pas cherché à dénoncer. S'il aime les spectacles de Jan Fabre, libre à lui : les installations du même Fabre comme art plastique doivent rester au théâtre comme les livres de Sophie Calle dans les librairies.
Le mot « expérimentation » justifie le changement d'art: expérimenter le cubisme et l'abstraction ce n'est pas expérimenter la performance et le readymade. (Bien sûr il y eut des points de contacts entre constructivistes et dadaïstes, il fallait bien que les dadaïstes manient des formes : ils prirent ceux du cubisme). Le mot installation ou celui d'environnement fait disparaître la différence entre le Proun de El Lissitski entièrement plastique, ou la Chapelle de Vence de Matisse, et une exposition d'objets trouvés, de citation d'objets, ou encore un jeu sur les éléments, les matériaux naturels et les machines. Badiou dans Le Siècle avait simplement assimilé sous le nom d'avant-garde, modernité et modernisme, peinture moderne et anti-art, tout cela apparaissant comme étant un art aux prises avec le réel, une passion du réel. Pas de réel plastique encore, mais une réalité dadao-capitaliste, un capitalisme littéraire qui confond art et anti-art. Les thèses sur l'art contemporain étaient plus précises sur ce point. Les deux premiers volumes de L'Etre et l'événement, situaient, pour le premier, quelque nom de peintre tel Braque et Picasso, et un seul mouvement, le cubisme, au centre de sa présentation de la procédure générique de l'art pour les arts plastiques ; et pour le second, Logique des mondes, une longue suite de séquences picturales de la préhistoire à Picasso, en ignorant Duchamp et Dada.
Les positions de Badiou sur l'art contemporain. La multiplicité des positions relativement hostiles de Badiou à l'égard de l'art contemporain: 15 Thèses sur l'art contemporain, Conférence sur Soulages, Conférence à Beaubourg en 2011, Discussion à la Bnf en 2012. L'opposition à l'art contemporain (entendu comme anti-art prenant la place), c’est une multiplicité (opposée à l'anti-peinture), c’est une force active, affirmationniste.
Pour les premières prises de position nous reprenons ici notre commentaire de 2007. (Revue Philosophie, philosophie n°9, Université de Paris 8) Il n'est pas impossible d'ailleurs que toutes les premières déclarations publiques de Badiou sur ce point en 2002, soient une suite, une réaction à nos propres déclarations militantes lors du débat sur la mondialisation avec Derrida en 2001. Prenant déjà au sérieux notre lien artistique avec Derrida. Cf. Philosophie et mondialisation Dialogue avec Derrida, en ligne. « Lors du débat suscité dans la presse à cette époque sur le « Loft » et sur Catherine M., à aucun moment on a voulu mettre sur un même pied d’égalité esthético-politique ces deux phénomènes culturels. A cet égard, les articles du journal Le Monde criminalisent « Loft Story » (article du 15 mai 2001) ou au contraire saluent l’évolution démocratique (article de Jean-Claude Kaufmann du 11 mai 2001) : « Dénoncer « Loft Story », c’est aussi refuser que les gens ordinaires aient l’audace d’imiter l’avant-garde. » Mais on ne parvient pas à dégager le phénomène social unifié d’un comportement imposé dans le cas d’une injonction visuelle à la promotion marchande de soi et qui serait par ailleurs la vérité de l’art dit contemporain ou dadaoduchampisme. Alain Badiou tire à boulet rouge contre l’art qu’il appelle les « plastiques » ou les « vidélastiques », les arts identitaires selon le sexe, la religion, la culture, tous représentants de l’art néo-impérial au même titre que le cinéma hollywoodien (« Esquisse pour un premier manifeste de l’affirmationnisme», daté du mois de mai 2001 et publié en guise d’introduction dans Utopia 3, La question de l’art au 3ème millénaire, actes du colloque international Université Paris VIII Université de Venise, Germs, 2002).
Badiou ne veut pas s’en prendre à l’art contemporain mais tous ses arguments (défense de la forme, de la création formelle à l’intérieur des genres artistiques conservés par la modernité et représentés par certains artistes : Beckett, Faulkner, Celan et Mandelstam, Schoenberg, Mondrian, Picasso, Kupka, Rothko, etc., et il ne mentionne pas Duchamp qu’il ignore, ainsi que plus généralement le dadaïsme et l’art néo-dadaïste des quarante dernières années), ses arguments concourent pourtant à la dénonciation de ce même art contemporain incriminé comme purement marchand et impérial. Pour notre part on posera comme principe les affirmations suivantes : 1. Duchamp, même à son corps défendant, est l’inventeur de l’art spécifiquement « bourgeois », une sorte de « capitalisme littéraire » (anti-plastique et anti-formel) fait de récit marketing, de publicité et de marchandisation du comportement social d’un individu ; 2. Duchamp, même malgré lui, est à l’art moderne ce que la mutation stalinienne est à la gauche (la quatrième de couverture de Utopia 3 affirme que « Marcel Duchamp pose le concept [d’un art nihiliste], mais pas la qualité d’un art ! ». On ne peut pas dénoncer uniquement, l’art anti-formel et néo-impérial sans viser le comportement social de promotion de soi qui est une sorte d’art socio-duchampiste généralisé. Badiou dénonce la « déconstruction » infinie de la forme en ce qu’elle empêche la création d’un art extraordinaire, mais ce faisant il préfère employer banalement le terme déconstruction dans le même sens que les zélateurs et les contempteurs de l’art contemporain, à savoir comme l’équivalent de ce même dadao-duchampisme essentiellement anti-pictural et anti-sculptural (cf. notre livre, La Philosophie de la plastique pure, «“le style déconstructionniste” : une notion mondialisée » et en particulier tout ce que nous disons autour de la « kitsch déconstruction » ).
Autres principes pour un art formaliste et affirmationniste de plastique pure : 1. Duchamp représente à sa façon une nouvelle forme « d’académisme absolu », si l’art académique réunit l’admiration pour les morceaux de bravoures techniques et le pouvoir d’évocation sémantique ou symbolique en excluant l’invention formelle, ou encore si l’art académique est la perfection seulement technique d’une forme visuelle jointe à son pouvoir d’évocation littéraire, jointe au poème, sans aucun souci plastique (on se souvient de l’admiration manifestée par Duchamp à la vue d’ une hélice dont il jugeait la perfection technique indépassable pour un artiste). Créateur de l’art académique absolu, il favorisa : 2. l’empiétement de certains arts sur d’autres, art littéraire ou théâtral en lieu et place des arts picturaux et sculpturaux selon des effets de type « totalittéraire »:
Que diriez-vous si on ne voyait plus dans les salles de cinéma que des expositions de peinture, ou une grande toile peinte à la place de l’écran (ou de la vidéo), et que ce serait ça le cinéma ? Que diriez-vous si l’on mettait des peintures dans tous les théâtres à la place des comédiens ou des danseurs, et que ce serait ça le théâtre et la danse (les performances et le happening comme art théâtral également remplacés par des expositions sauvages) ? Que diriez-vous si les livres se couvraient d’images peintes à la place de toutes écritures alphabétiques ou idéogrammatiques, également jugées trop traditionnelles, et que ce serait ça l’écriture du roman, de la poésie, de la philosophie ?
Alain Badiou a raison d’être impitoyable à l’égard de l’art néo-impérial marchand, l’art identitaire ou communautariste, l’art Duchamp (que Badiou ne vise pas directement) et la « déconstruction » lorsqu’elle ne s’en distingue pas, mais il devrait prendre garde de ne pas faire de l’anti art contemporain sans anti art contemporain, et voir plutôt dans la modernité dévoyée le débordement totalittéraire dont nous avons parlé. Les musées et les foires d’art contemporain sont donc des lieux qui maintiennent avec leur relais pédagogique et critique, l’oubli de la plastique pure et l’oubli de l’invention des formes. C’est le bon sens sémantico-littéraire anti-plastique qui assure la domination marchande de la substitution anti-picturale et, par exemple, en son symptôme de photographie plasticienne. L’académisation de toute invention plastique par son recouvrement littéraire – c’est le sens à donner à l’académisation – , la chute du plastique dans le littéraire, la substitution du littème au plastème, assure une domination anti-artistique bourgeoise ou financière absolue sur l’art. (Le ton polémique choisi ici est à la mesure de l’exclusion dont fait l’objet la peinture aujourd’hui, et la menace très forte de destruction qui pèse sur elle désormais). Quant à la pensée artistique de Badiou (Petit manuel d’inesthétique, Seuil, 1998), nous retenons sa division entre schème didactique (l’art dominé par la philosophie eu égard à la vérité), schème classique (l’art indépendant de la vérité), schème romantique (l’art comme vérité dominant la philosophie), et les avant-gardes dadaïstes comme relevant d’un schème manqué de type didactico-romantique et anti-classique. Simplement le quatrième schème à rechercher aujourd’hui et qui tiendrait de la procédure de vérité de l’art séparée des autres procédures génériques qui rendent possible la philosophie (la science, l’amour et la politique), nous semble devoir relever d’une division à l’intérieur de la procédure de l’art : notamment l’indépendance du plastème par rapport au littème, contre le primat de celui-ci dans le concept trop générique de l’art, car le primat du littème est à l’origine du schème romantique et de l’impossibilité du schème didactico-romantique ou de son ratage. Selon Badiou l’avant-gardisme (dadaïste ?) ne serait que l’expression de ce ratage. La philosophie doit élaborer la catégorie de vérité de la plastique pure. (Mai-juin2003) Parfois notre auteur semble se ranger du côté des défenseurs inconditionnels de l’art contemporain, position contre laquelle sa théorie du schème inexistant ou inachevé de l’art du XXe siècle aurait pu le prémunir : « Bien entendu, les affirmationnistes défendront la totalité de la production artistique contemporaine contre les actuelles attaques réactionnaires », disait-il déjà dans l’esquisse du premier manifeste d’art affirmationniste. Tranchant sur la dénonciation antérieure, cette troisième mouture, il s’en explique dans un petit préambule, vient rectifier quelque débordement rhétorique, et pourtant il fait plus que cela en acceptant sans discernement ce qu’il appelle la production artistique contemporaine, tout en condamnant le pompiérisme industriel, on suppose qu’il s’agit du cinéma de masse aux effets spéciaux, « sous l’effet machinal des productions imagées », « on s’appelle plasticien plutôt que peintre ou sculpteur », il n’y en a plus que pour les « vidélastiques », ou alors quoi ? et Matrix sur lequel il ne tarit pas d’éloge lui et ses collaborateurs adeptes du mode d’appréciation littéraire de l’art, oubliant par ailleurs de mentionner l’un des modèles littéraires du film, L’invention de Morel de Bioys Casares : « La désolation multiforme de l’art contemporain [de pans entiers de l’art contemporain (2ème version)] lui vient de ce qu’il est, en complète symétrie avec l’art pompier du commerce imagé massif, un formalisme romantique. » Dans sa défense ( ?) – changement de ligne –, de l’art contemporain, Badiou réitère : « Nous méprisons tous ceux qui tentent d’utiliser les faiblesses théoriques provisoires pour imposer la restauration de l’héritage pompier, ou pire encore.» (Circonstances 2, 2004, p. 88-89). Comme nous ne nous comptons pas dans le nombre des réactionnaires et autres restaurateurs de la tradition pompier mais que nous défendons un schème moderno-classique anti-romantique et anti-dadaïste, nous avouons franchement notre déception. Rentrer dans le rang de façon aussi tonitruante devient décidément un trait d’époque. Mais heureusement là encore, chez Badiou, nous avons sans doute à faire à du semblant.
Il montrera son goût réel pour la peinture et la création de formes pures. Badiou restaure la prééminence de la peinture dans sa troisième mouture. Les peintres Malévitch, Mondrian, Kupka, Kandinsky, Rothko et Pollock sont évoqués comme unique référence, avec Picasso pour l’ensemble du siècle, en omettant de citer le dadaïsme, en ignorant le pop art et le minimalisme. Duchamp a même disparu. Picasso et Braque comme inventeurs du cubisme étaient les seuls artistes mentionnés dans L’Etre et l’Evénement. Nous apprécions son allergie pour les particularismes « moïque » et ethnique de l’art contemporain. Et sa dénonciation du formalisme romantique mis en parallèle avec l’éloge pompier de la puissance de l’Empire, un romantisme ou art pompier qui est « le sublime obtenu de force par les moyens du grotesque ». L’art à venir qu’il appelle de ses vœux est « aussi allergique à l’hypnose obscurantiste qu’à la bêtise pornographique des performances festives », à l’art du retrait nihiliste, corporéistes et vitalistes, surréalistes et situationnistes, tous néo-romantiques (et anti-picturaux, ajouterons nous). De même la sculpture ne se confond pas avec les ready-mades totalement absents ici, à la bonne heure. Badiou aime Zadkine, Richier, Moore et Brancusi : très bien. Précisons que ce troisième texte sur l’art contemporain est une conférence présentée au Drawing Center de New York et destinée à la revue Lacanian Ink. N°22, qui devait comprendre la traduction anglaise d’Un désastre obscur. Work in progress précise Badiou à propos de ces trois versions du manifeste affirmationniste. En espérant que cette esthétique ou inesthétique ne participera jamais du soutien inconditionnel apporté par la pensée d’extrême-gauche aux investissements des plus grandes fortunes du marché de l’art contemporain, qu’il ne s’agisse pas d’un énième désastre obscur de la pensée à l’égard de l’art contemporain. Une « faiblesse théorique provisoire ». Mais lorsque l’on est capable d’écrire cela il y a de l’espoir : « Nous affirmons que le motif multimédiatique d’un art multisensoriel est un motif sans véritable destin. Il ne fait que projeter dans l’art l’obscène unicité du commerce, l’équivalence monétaire de tous les produits. » (Circonstances 2, p. 99).Mais on frémit quand même en lisant certaines pages du Siècle qui font la part belle au Carré blanc sur fond blanc mis sur le même plan que le ready-made, alors que Malévitch ne faisait pas grand cas de cette toile par rapport au reste de son œuvre, on s’inquiète de voir Badiou souligner la théâtralisation de l’art avec les installations et les happening et ne pas s’en étonner outre mesure, c’est-à-dire ne pas déplorer le débordement multisensoriel d’un art, ici, le théâtre, sur la peinture et la sculpture. On trouve également regrettable l’insistance sur cette libération à l’égard de la figuration en peinture, comme si la modernité ne consistait que dans l’abstraction qui serait plus à même de participer à l’Idée. On ne comprend pas davantage pourquoi Duchamp rompt avec le romantisme alors qu’il semblait être l’exemple même du formalisme romantique, (un seul geste « formel » serait « considéré comme supportant la différence d’avec la série commerciale », et romantisme de l’expression inouïe, de la mise en scène, et de l’énergie corporelle « supposée salvatrice au regard de la désincarnation conceptuelle » Circonstances 2). Avons-nous à faire à un nouveau symptôme d’alignement ? – nous ne le pensons toujours pas – avec la participation de Badiou à l’exposition Big bang (juin 2005-février 2006) au musée de Beaubourg, en réalité un redéploiement de la collection permanente du Musée national d’art moderne du Centre Georges Pompidou par le conservateur du musée Catherine Grenier, celle-ci s’entretenant avec Badiou dans le catalogue de l’exposition. Placée sous le signe de la « destruction » telle que la conçoit Badiou dans son dernier opus Le Siècle, cette exposition présente l’art moderne et l’art contemporain dans une indifférenciation marquée, ce qui est sans doute le but de l’opération. Sous le concept de destruction, l’exposition décline les thèmes cocasses de la construction/déconstruction, la subversion, l’archaïsme, le désenchantement, le sexe, la mélancolie, la guerre. Bien que Badiou parle de forme pure dans son interview, de forme dont la pureté consiste à se montrer comme telle en énonçant ses propres règles, bien que la destruction dans son esprit soit liée à une formalisation, avec du côté des arts Malévitch et Mondrian et du côté des mathématiques, Hilbert et Bourbaki, bien qu’il ne parle à aucun moment de dadaïsme, d’installation, de vidéo et d’art conceptuel, mais au contraire d’une tendance géométrique de la destruction formalisation et d’une veine baroque avec Picasso, et qu’il omet toujours de considérer le duchampisme. Alors quoi ? Face à la question de Catherine Grenier qui mêle allégrement la Destruktion heideggerienne, la déconstruction derridienne, l’archéologie foucaldienne et l’anti-humanisme contemporain sous le même vocable de destruction, Badiou ne voit qu’une négation pas encore assez créative, et non une destruction c’est-à-dire une négation affirmative, une destruction créative : « comment faire pour que la destruction soit positive ? Un des moyens est de proposer une formalisation intégrale. Pourquoi ? parce que la forme pure, qui indique ses propres règles, semble lui abolir toute référence au contenu ». Mais comme Rancière et d’autres, le formalisme pictural moderne trouve son prédécesseur littéraire, ici Flaubert, alors que pour Rancière ce sont les frères Goncourt qui anticipent l’abstraction picturale, et ceci en art contre l’imitation et la représentation, privilège accordé une fois de plus à cette abstraction. Flaubert déjà cherche à « faire un roman sur n’importe quoi qui tient par la seule puissance auto-référentielle de l’écriture ». Et en politique, le projet de destruction moderne est incarné par le parti révolutionnaire de type communiste, d’un côté, et l’idéologie du désir de l’autre. Mais la question, rappelle le philosophe, est de ne pas s’épuiser dans « la notion de totalité et de définitif en son entier : de rejeter sans issu plus que la destruction » et dans l’impasse du refus de toute représentation. Car il « trouve encore vrai l’énoncé de Mao Zétoung : “Sans destruction, pas de création”. » Beaubourg fait sa révolution culturelle. Et l’art de l’Etat français en donnant la parole au seul philosophe Badiou, se place sous l’égide d’un maoïste : « “Communisme”, appelons “communisme” cette nouveauté existentielle qui dans les ordres les plus divers de l’expérience – que Rimbaud désirait et dont déjà il doutait, le communisme reste, comme aurait dit un de mes maîtres l’apôtre Paul, ma conviction, mon amour et mon espoir.». Notre amour et universalisme de plastique pure n’est pas vraiment paulinien, il est plutôt aristotélicien et grec, mais aussi platonicien. Il s’appuie sur le « aquisme » cher aux maoïstes : le personnage quart-mondiste imaginé par Luxun, Ah Q ou A Q, dont les échecs sonnent toujours à ses yeux comme des victoires spirituelles, le prolétaire nous le dit avec son nom , A H (OO) Q, le détournement de la Joconde par Duchamp va avoir chaud à son Ah Q. Contre le primat souvent littéraire de l’abstraction, pour une abstraction de la plastique pure qui n’est pas l’apanage des abstraits, contre la destruction-création de l’art sans doute plus proche de la destruction constructive de l’économiste libéral Shumpeter que d’une quelconque déconstruction derridienne, nous affirmons un aquisme de plastique pure, un ah ! ah ! définitif comme le ah ! ah ! du personnage laconique de Jarry, Bosses-de-nage, pour rester dans une philosophie du désir de plastique pure véritablement universelle qui ne fasse pas écho à la destruction libérale contemporaine et aux explosions guerrières, et qui réponde au programme de l’une des thèses sur l’art contemporain encore défendue par Badiou en 2003: l’art non impérial (aristocratisme prolétarien), un art qui pour l’Empire n’existe pas, « c’est ce qui commande dans tous les arts le principe formel : la capacité à rendre visible ce qui, pour l’Empire, [ la Communication (le médium ou le commerce) ] et donc aussi pour tous, mais d’un autre point de vue, n’existe pas. » (Thèse 13). Convaincu de tout contrôler, l’Empire ne censure plus. Nous devons être nos propres censeurs écrivait Badiou (Thèse 14). « Mieux vaut ne rien faire que de travailler formellement à la visibilité de ce qui pour l’Empire existe » (Thèse 15). Donc pour l’Empire et son art, Badiou existerait-il ? Simple semblant bien sûr. On avait cru comprendre autre chose. La vérité de l’art est vérité du sensible par sa transformation en événement (formel) de l’Idée (plastique) : « Contraindre à voir, comme si c’était presque impossible, ce qui d’ailleurs est évidemment visible, voilà, par exemple, la peinture. » (Thèse 3).
Mais Elie During a pu écrire en conclusion d’un article pour Art Press en ligne : « Si Badiou n’écrit pas son Duchamp, on le fera pour lui. » Il va l’écrire, il l’a écrit…Dans son « exposé », « sur commande », selon ses propres termes, en citant « la demande » d’Elie During, Badiou écrit son Duchamp. Toutefois Badiou s’est ingénié à penser Duchamp à travers Mallarmé, à tel point que l’autre organisateur de la séance, Patrice Maniglier, dans le débat qui suivit, a pu se plaindre que Badiou n’a pas écrit son Duchamp, que Duchamp ne fait pas événement, ne donne pas à penser pour le philosophe. Badiou ira jusqu’à avouer pour la première fois en public, qu’à ses yeux « la peinture est un art supérieur », elle organise « la touche de l’Idée sous les contraintes », il aimerait « se mettre sous la condition de la peinture », la peinture est une déficience de son programme, « peinture ou teinture » puisque Duchamp se voulait « teintre ». Badiou admirera plutôt le Duchamp artisan du Grand Verre et d’Etant donné, il croit au grand art, fait de Duchamp un rétinien à cause de ses installations capturant la possibilité du visible et son impossibilité aussi bien. On retiendra ici de cette riche intervention, « la touche de l’Idée à la surface » mais sans s’y incorporer, accomplie par le grand art, comme point critique en son enveloppe, sa trace. Affaire à suivre. »
Ce qui s'en est suivi est la collaboration artistique de Monique Stobienia et d'Alain Badiou, comme l'on sait, in Second manifeste pour la philosophie, cautionnant ainsi nos propos. Ouvrage déjà en préparation à l’époque. Depuis lors Art Press a interrogé Badiou in Les grands entretiens 2016. Et comble, notre philosophe reconnaît avoir déçu ceux qui le sommaient de prendre position en faveur de l’art contemporain, (p.70). Affaire à suivre Elle a été suivie depuis 2010 par tous les textes que nous avons écrits sur ses différentes interventions sur le sujet (nous renvoyons à toutes nos « Défenses de Badiou en art », nous y dénoncions les manigances des philosophes qui tentent d'arrimer Badiou au train de l'art contemporain, cherchant à effacer toute dissidence trop visible de sa part, mais d'autres intellectuels ne s'y trompent pas ou sont moins hypocrites et visent directement l'attitude assez hostile de notre philosophe à l'égard de l'art contemporain); et donc la difficulté à accuser sans reste Duchamp d'être responsable par son revirement des années soixante lorsqu'il fournira les musées du monde entier en copie de ready-mades et en cautionnant malgré lui le pop art, ce problème de ligne, ligne à défendre sur le front de la critique pensante de l'art seulement fidèle à la vérité de l'événement plastique – rappelons que Duchamp ne fait pas événement – selon la théorie de Badiou. Badiou s'en prenait à la théâtralisation de l'art, il s'agit aussi du débordement d'un art sur un autre, Mais Badiou ne vise pas la lutte des arts au sein de la procédure artistique des vérités. Aujourd'hui il se plaint de la duchampianisation excessive du théâtre alors que son interviewer l'oblige à faire un pas en arrière « je ne vais pas rejoindre la cohorte de ceux qui déplorent l'existence du non-art au XXe siècle » etc. Nous non plus. Mais nous ne rejoignons pas la cohorte de ceux qui soutiennent le maintien hégémonique du non-art au XXIe siècle. Car il ne s'agit pas tant de condamner en bloc ce qu'on appelle l'art contemporain. il s'agit de l'arracher à la fausse généalogie qui le placerait dans l'histoire des formes picturales et sculpturales : il faut le désigner comme un autre art. Un autre genre marqué par une sorte de loi du mélange des genres. Mais profondément anti-pictural dès sa naissance, c'est sa nature essentielle. Et comme image sémantique, non plastique, nous soutenons qu'il a en réalité toujours existé à travers l'histoire, le XXe siècle l'aura révélé au regard de l'autre révélation, celle de la peinture pure.
Certains ont voulu tirer la « déconstruction » et Derrida du côté de Duchamp, oubliant que Derrida n'a jamais parlé de Duchamp sinon lors d'un hapax intéressé consistant à placer Artaud au côté de Duchamp pour en faire des plastiqueurs de tous les musées d'arts plastiques, ces deux-là feraient « exploser les musées d'arts plastiques » : je me souviens encore de la légère déception que fit sur moi Derrida lorsque, m'ayant rendu visite, il m'annonça sa conférence prochaine sur Artaud le Moma aux Etats-Unis, et il lui a fallu corser le pouvoir de subversion supposée de nos deux hommes, en hissant Artaud au « niveau » de Duchamp. Comme un consensus de New York.
A quelle église Badiou pense-t-il lorsqu'il évoque ces églises remplies de petits tableaux merveilleux? (Séminaire Malebranche, p.9). En général, les églises sont ornées de tableaux monumentaux y compris les églises de petites tailles, les retables sont toujours de grande dimension, sans même parler des fresques et des cycles de peinture que l'on y découvre fréquemment. L'image est donc assez étonnante, non seulement pour justifier l'intérêt de son séminaire sur Malebranche, c'est Malebranche lui-même qui ressemble à une de ces églises remplies de petits tableaux merveilleux, mais la comparaison est aussi singulière parce qu'il n'y a pas beaucoup de ces édifices religieux remplis de petits tableaux, des toiles de format réduit. On a l'impression qu'il nous parle d'un livre d'heures, d'un recueil d'enluminures. Étonnante lecture de Malebranche, d'ailleurs, puisque le penseur de la vision en Dieu devient chez Badiou un penseur de l'ontologie esthétique, un acte créateur qui justifie le monde par la beauté. Ce qui n'est nullement incompatible avec notre théorie de la plastique pure, platonicienne également, sans quitter le terrain aristotélicien toutefois. D’ailleurs à ses yeux, la peinture vous tombe dessus sans vous dire comment la regarder. La peinture se distingue en cela des autres arts qui sont dans la théâtralisation, dans la temporalisation, performance, installation, et le mixage des arts qui répand « une espèce d’impureté généralisée » et non l’art total wagnérien. « Alors que quand la peinture existait uniquement comme peinture, elle ne vous disait rien de ce que signifiait le fait de la regarder, elle recelait une énigme. Elle était immobile et autosuffisante . Elle était comme Dieu. Ce qui n’était le cas ni de la musique, ni du théâtre, ni de l’écrit qui procèdent dans le temps.» Les Grands entretiens d’Artpress, p.70 (nous soulignons).
Enfin nous voulons rompre avec la doxa oublieuse ou ignorante des textes platoniciens, figurant à jamais un Platon qui abaisse le peintre en le condamnant au rôle de reproducteur de l'ombre ou du simulacre. Car le peintre se révèle aussi un singulier paradigme tout à fait à l'opposé, ailleurs, dans un autre passage de la même République, au début du livre VI. Badiou montre malheureusement par lui-même à quel point il est illusoire de placer sous le même chef catégorique « art » les procédures souvent en conflit des arts entre eux. On le voit à sa traduction. Il reprend donc ce passage méconnu sur le peintre contemplateur du vrai absolu, dans la version très libre de sa République de Platon, en traduisant ainsi : "Qu'est-ce que le rêve, d'après toi, qu'on dorme ou qu'on ne dorme pas ? [on parlait de théâtre juste avant avec Shakespeare Calderon et Pirandello], demande Socrate au personnage féminin inventé par Badiou une certaine Amantha. "Amantha réfléchit et dit - C'est croire que ce qui ressemble à quelque chose n'est pas du semblant, mais la chose même. - Exactement. Est un anti-rêveur celui qui admet l'existence de l'être-beau comme tel. Celui qui est capable de contempler cette beauté essentielle qui fait que sont dites belles les choses qui en participent."P. 297. Et d'exposer rapidement la théorie de la participation du sensible, applicable au théâtre, et de citer Mallarmé et d'affirmer que ce poète rêveur qui voit l'être-beau serait philosophe. De peintre il n'y a aucune trace! Alors que Platon ici ne parle aucunement de théâtre, encore moins de poésie! Etrange détournement. Voilà ce que dit Platon: "Mais poursuivis-je, la question se pose-t-elle de savoir si c'est à un aveugle ou à un clairvoyant qu'il faut confier la garde d'un objet quelconque [il s'agissait de ceux qui allait garder les lois et les institutions de la cité]? Comment, répondit-il, se poserait-elle? Or, en quoi diffèrent-ils, selon toi des aveugles, ceux qui sont privés de la connaissance de l'être réel de chaque chose, qui n'ont dans leur âme aucun modèle lumineux, ni ne peuvent, à la manière des peintres, tourner leur regards vers le vrai absolu, et après l'avoir contemplé avec la plus grande attention, s'y rapporter pour établir ici bas les lois du beau, du juste et du bon, s'il est besoin de les établir, ou veiller à leur sauvegarde, si elles existent déjà."
Drawing d'Alain Badiou, (2011 Lacanian Ink) « Nous pouvons transférer immédiatement tout ce qui concerne l'expérience de dessin. Comme vous le savez, la guitare est quelque chose comme une peinture cubiste fétiche à son début. C'est une chose qui apparaît au centre d'une nouvelle forme de composition chez Picasso, Braque ou Juan Gris. Et, comme une chose - de - dessin, c'est une nouvelle façon d'exister pour l' être véritable de la chose. Il s'agit de la création d'une guitare sans séparation entre son être et son existence. Parce que dans le dessin, la guitare n'est rien d'autre que sa forme pure. Une guitare est une ligne, une courbe. [J'ajouterais un ensemble de rapports plastiques, de plastèmes]. Vous voyez que dire le dessin est une œuvre d'art a un sens précis. Il s'agit d'une description sans lieu qui crée une sorte de monde artificiel. Ce monde n'obéit pas à la loi commune de la séparation entre l'être réel et les apparences. Dans ce monde, ou au moins dans certains points de ce monde, il n'y a pas de différence entre «être» et «exister», ou entre «être» et « avoir l'air », « apparaître ». Tout cela nous permet d' aller dans le sens d'une relation entre le dessin et la politique. Classiquement, la politique, la politique révolutionnaire, est une description des lieux. Vous avez des lieux sociaux, les classes, les lieux raciaux et nationaux, les minorités, les étrangers et ainsi de suite, vous avez des endroits dominants, richesse, pouvoir ... Et un processus politique est une sorte de totalisation objectif d'endroits différents. Par exemple, vous organisez un parti politique comme l'expression de certains lieux sociaux, dans le but de s'emparer du pouvoir d'Etat. Mais aujourd'hui, peut-être, nous devons créer une nouvelle tendance de la politique, au-delà de la domination des lieux, au-delà, des lieux sociaux, raciaux, nationaux, au-delà de l'égalité et des religions. Une politique purement déplacées, avec une égalité absolue que son concept fondamental . Ce genre de politique sera une action sans lieu. Une création internationale et nomade, comme dans une œuvre d'art, un mélange de violence, d'abstraction et de paix final. Nous devons organiser une nouvelle tendance dans la politique au-delà de la loi des lieux et de la centralisation du pouvoir. Et en fait, nous devons trouver une forme d'action politique où l'existence de tout le monde n'est pas séparé de son être, à un point où nous existons dans une façon si intense que nous oublions notre division interne. Ce faisant, nous devenons un nouveau sujet. » La plastique pure sans lieu de l'œuvre peinte : une politique révolutionnaire ? « Il faut insister sur le fait qu'il y a deux modalités du fini : le fini comme déchet et le fini comme œuvre et qu'elles sont en corrélation dialectique. La production d'une œuvre c'est toujours ce qui se fonde sur un évitement de la production du fini comme déchet. Toute œuvre est un déchet évité (ou relevé, au sens dialectique). Si on fait une analyse des œuvres, et notamment des œuvres d'art, on voit que la strate du déchet y est toujours présente d'une certaine manière, ne serait-ce que dans la modalité de l'évitement du déchet dans la production de l'œuvre. Les œuvres d'art survivantes sont au milieu d'une pléthore de déchets, il faut bien le dire. Toutes les croûtes, qui forment un tas gigantesque, tous les mauvais livres, toutes les musiques stupides etc. sont l'élément dans lequel la tentative de réactualiser l'infinité interdite va se déployer. Vous savez qu'aujourd'hui, dans les musées, on aime beaucoup mettre les œuvres au même niveau que les croûtes, et ce pour expliquer que l’œuvre est le produit de son temps : au lieu d'une salle de Vermeer, on va vous mettre toutes les croûtes de l'époque qui ont le même sujet. C'est intéressant parce qu'on voit immédiatement la différence frappante entre les deux, et c'est vraiment éducatif : on a beau relativiser, le Vermeer ne ressemble pas du tout à ce qu'on a mis à côté, la même brodeuse, la même ville de Delft etc. L'Histoire a tranché, elle tranche toujours, pour des raisons intrinsèques. D'un certain point de vue, c'est effectivement la même chose, l'élément du déchet est co-présent à l'œuvre de Vermeer : d'innombrables brodeuses et d'innombrables joueuses de clavecin environnent comme un peuple néfaste, si je puis dire, la scintillation du Vermeer. Mais ce qui est resté comme déchet est resté interne au maniement dominant des infinis en jeu (de la représentation, de la lumière etc.) alors que l'invention s'est singularisée d'une espèce de distorsion de ce jeu des infinis, de sorte que l'infini interdit se fait jour à l'intérieur du déchet comme quelque chose d'irréductiblement symptomal d'autre chose du côté de l'infini. C'est fini, mais ça fait signe d'un maniement différent de l'infini que celui qui est canoniquement inscrit dans les œuvres qui l'entourent. » Séance du 9 octobre 2013.
L'impressionnisme comme une forme de résistance infinie aux opérations de division du capitalisme. Badiou au cours de la séance du 12 février 2014 présente les quatre types d'infini que la finitude mortifère, issu du capitalisme, détruit et atomise, où l'infini du capital s'oppose à l'infini de la politique. L'infini est d'abord celui de l'inaccessibilité (comme Dieu dépassant absolument tous les prédicats qui se rapportent à lui); il est ensuite celui de la résistance à la division, comme Dieu résiste, maintient sa substance unitaire dans la division du Père et du Fils (une seule substance pour deux personnes); l'infini par lui-même (excellence supérieure à l'égard des attributs, Dieu est toute bonté, toute beauté, vérité, etc.); puis l'infini au plus près de la disparition, du néant, de l'inversion, en proximité avec le rien (dimension mystique chez les chrétiens). Pour la résistance Badiou donne l'exemple d'une école artistique : l'impressionnisme. La finitude imposée par la financiarisation du monde, réduisant toute aspiration, élan à la finitude, divisant toute réalité ennemie, une école de peinture comme l'impressionnisme y aura résisté, en gardant son unité de substance. Extrait de la séance
« Ce point intéresse, entre autres, le bilan politique des États socialistes. Trois termes étaient mis en jeu : le mouvement de masse (mouvement des révoltes, de la lutte des classes, …), l'organisation (le parti) et le pouvoir (l'État). Le récit canonique c'est que l'organisation s'est appuyée sur le mouvement de masse pour s'emparer du pouvoir. L'idée spinoziste en la matière, ce serait de dire : le mouvement de masse, le parti et l'État sont trois attributs différents, mais il importe que quelque chose de leur structure soit la même pour que, d'une certaine façon, l'unité infinie du mouvement politique dans son ensemble soit concevable. Cette structure identique, il faut que ce soit, d'une manière ou d'une autre, une idée partagée. C'est l'idée que l'infinité du mouvement révolutionnaire global va se refléter dans les trois attributs constitutifs de toute situation politique : mouvement de masse, organisation, pouvoir d'État.
Essayez maintenant de l'appliquer au surgissement d'une école artistique. Soit l'intensité infinie du mouvement pictural nommé « impressionnisme », à savoir le surgissement d'une nouvelle manière de pratiquer la peinture. Cela va se donner dans ces expressions partielles que sont les œuvres effectives (les centaines, les milliers, de toiles impressionnistes). Mais l'infinité initiale se maintient parce que la structure de ces œuvres, si différentes que soient ces œuvres, fait qu'elles se rattachent, qu'elles expriment, quelque chose de commun que l'on nomme « impressionnisme ». »
« Vous le voyez, je cherchais à saisir une unité en profondeur de l’aventure esthétique du siècle - comme aventure gouvernée par l’abstraction formelle et ses conséquences, par la défiguration et ses conséquences - et de l’aventure politique, qui a été celle d’une simplification révolutionnaire radicale dans l’idée d’un commencement absolu. »
« Certes, le léninisme procédait sur toute une série de points à des simplifications très importantes. Mais ces simplifications doivent être comparées, non pas à un dogmatisme stupide, mais, en fin de compte, aux tableaux de Mondrian ou de Malevitch, dont on peut aussi dire, si on veut, que ce sont des simplifications radicales du projet de la peinture. » Entretien avec Peter Hallward et Bruno Bosteels , 2002.
Ouf : la révolution de 17 n'était pas un ready-made.
Encore une prise de position où l'art contemporain n'est pas l'enjeu, comme s'il n'avait jamais existé, il n'y en a que pour la peinture:
« Je voudrais donner un autre exemple dans l'ordre de l'art, où il a toujours été question d'œuvre, et où la question de savoir ce qu'est une œuvre d'art est une question primordiale. Au fond, la figure du déchet dans l'art c'est l'académisme. L'académisme c'est la forme finie de ce qui, à un moment donné, s'est présenté comme norme créatrice, c'est un dessèchement répétitif de ce qui a eu figure d'œuvre mais qui a perdu cette figure. Ainsi la peinture pompier du XIXe siècle se sent l'héritière de la grande peinture, ses modèles sont la Renaissance italienne etc. ; elle est, il faut bien le dire, d'une technicité remarquable, mais simplement c'est devenu le déchet d'une invention qui a perdu sa puissance. En réalité, on peut dire que c'est le moment où le sentiment subjectif que les formes créées avaient une relation à l'absolu, a été remplacé par un artisanat remarquable, mais dénué de toute valeur universelle authentique. C'est aussi le cas d'une grande partie du cinéma aujourd'hui. Une certaine combinaison de monstruosité et de virtuosité (les guerriers grecs, les blockbusters américains de science-fiction, la musique effrayante,écrasante …) rappelle beaucoup le destin de la peinture pompier au XIXe siècle - on croirait même quelquefois que cela s'en inspire, tellement ça y ressemble. « Alexandre Newski » de Eisenstein, pour prendre un exemple, ça n'y ressemble pas, de même que les grandes peintures historico-allégoriques des grands peintres italiens du XVIe siècle ce n'est pas comme la peinture pompier … Il est vrai qu'à côte de la virtuosité contemporaine, elles paraissent maladroites ; certes, mais il y a une absoluité en eux, quelque chose qui les éternise, alors que le destin des pompiers, comme celui de tout déchet, ce sera tôt ou tard la poubelle.
L'académisme définit non pas un type de finitude qui serait le négatif d'un infini particulier, mais quelque chose qui a été un infini en capacité d'œuvre mais qui ne l'est plus. Si dans ce contexte-là surgit une création artistique radicale, comme l'a été de toute évidence à la fin du XIXe siècle l'impressionnisme par rapport à la peinture pompier, ça finitise tout ce qui précède et ça met en évidence son état de déchet. Le relativisme a toujours été impuissant à expliquer pourquoi un tel surgissement va se déployer dans des œuvres qui vont conquérir de façon définitive leur possibilité à l'infini et il est obligé de réhabiliter toute une série de navets en disant, par exemple, que la peinture hollandaise s'explique par la Hollande de l'époque, que c'est un dispositif culturel etc. ; après on vous affiche toute une série de plats d'aubergines peints par des Hollandais de 13e ordre et on dégage un ou deux beaux tableaux dont tout le monde dit qu'ils ne sont pas comme les autres. Dire cela, ce n'est pas de l'aristocratisme, c'est simplement que la relation entre le fini comme œuvre et le fini comme déchet, ça se voit. Le relativisme se manifeste toujours par des tentatives de réhabilitation de tout parce qu'il a besoin de penser que ce n'est pas vrai qu'il y ait des choses qui soient mieux que d'autres, que d'une certaine façon il n'y a que des déchets plus ou moins glorieux et qu'en définitive tout vaut. La démocratie d'opinion c'est aussi une démocratie esthétique. Mais ce n'est pas vrai et même le public le moins averti le sent. Il y a des croûtes, il y a des navets, il y en a toujours eu et ils sont majoritaires. C'est embêtant à cause du culte de la majorité, mais l'art est un lieu aristocratique, au sens où ça met en évidence la visibilité des hiérarchies infinies, c'est-à-dire le fait que la dialectique des infinis et du fini fait qu'il est tout à fait normal que dans une époque donnée de l'histoire de l'art, il y ait des choses qui ont le statut d'un déchet, d'un infini dont la puissance a été finitisée par le surgissement d'autre chose. C'est une dialectique implacable parce qu'elle est ontologique. » Séance du séminaire du 30 avril 2014.
La question rebondit : l'académisme c'est quoi aujourd'hui, dans les arts plastiques ? Et en peinture ? Et par rapport à « l'art contemporain », notion dissoute par Badiou ? « Platon n'aurait pas aimé les installations » etc.
Mais que penser aussi du film les 11 fleurs de Wang Xiaoshuai (2011) où un jeune garçon, nous sommes à la fin de la révolution culturelle, reçoit de son père comédien, qui est aussi un peintre entravé par le régime, une formation picturale qui lui est donnée sur le modèle de l'impressionnisme ?
Les impressionnismes se nommèrent eux-mêmes d'abord les Intransigeants, ne l'oublions pas.
Non, décidément, aucun parallélisme générique entre la révolution de 17 et Duchamp, entre Lénine et le ready-made.
Mais le bonheur tient à sa contemplation : dans son dernier livre, Métaphysique du bonheur réel, Badiou prend un « exemple très simple » selon lui, celle de deux sujets qui sont placés devant un tableau et portent des jugements différents. Eh bien, si nos deux sujets sont encore capables d'incorporer des vérités, ici plastiques, en s'opposant, cela se fera grâce à un concept de négation particulier, emprunté à un mathématicien brésilien Da Costa. Exemple artistique qui annonce son troisième livre, L'Immanence des vérités, où il lui faudra désormais partir des vérités elles-mêmes. La vérité plastique qui par ce biais d'un exemple de contemplation artistique lui donne l'occasion de présenter un nouveau formalisme logique faisant fi du principe de contradiction, laissera aussi, bien loin, le « réel dada » qui décidément n'offre aucune vérité à subjectiver.
« Quelques considérations sur l'art contemporain » 2015, destiné aux Mélanges offerts à René Schérer (2015) Mais ce texte de Badiou complique un peu le débat, chez lui l'art contemporain est maintenant une notion qui concerne tous les arts, et si Badiou remarque la rupture à l'intérieur de la modernité de cet art contemporain, comme je l'ai écrit, c'est-à-dire dès les débuts de la modernité, il en fait une position par rapport au réel en général, un apport technique comme en science, et pour finir il réitère la thèse selon laquelle cet art ne doit absolument pas se compromettre avec le capitalisme, et l'ordre existant, l'art est dans la soustraction et l'inexistence, c'est-à-dire non reconnu, ce qui exclut ce qu'on appelle l'art contemporain... sauf des gens comme moi, je deviens un "moderne contemporain", puisque moderne contemporain il y a aussi chez Badiou.
Je n'ai pas retouché mon texte prévu pour Les Mélanges en fonction du sien, même si j'en fus tenté, j'en ferai un commentaire ailleurs, c'est-à-dire ici. Ce que je dis à partir d'autres philosophes étaye ma position.
Mais quand même: faire de "l'art contemporain" une catégorie de l'art tout court, musique et roman, et confisquer la notion pour qualifier autre chose en art, en général, une part positive, affirmative et non seulement (auto)critique, et soustractive, il faut le faire ; la performance et l'installation étant elles, situées du côté critique, à l'égard de l'art ; et « l'abstraction », toujours aussi valorisée, qu'il dit encore propre à cet art contemporain nouveau -le formalisme? -, cela reste encore imprécis; et que sont-ils, nommément ces artistes hors système, vrais contemporains? On ne le sait : Badiou ne cite aucun artiste d'aujourd'hui. Il est vrai que l'art contemporain qui le laisse insatisfait, trop soustractif, est surtout un art de la disparition de l'art, un art qui expérimente sa propre disparition – et c'est ce qu'il appelle aussi l'art contemporain, un des deux sens qu'il lui réserve.
C'est une nouvelle position de Badiou sur le sujet, mais un problème d'appellation. Qui changera pour revenir à un refus de l'art conceptuel par exemple, un art qui ne lui plaît pas (voir ci-dessous).
Alain Badiou & Judith Balso. Contemporary art: considered philosophically and poetologically. 2014 à la European Graduate School
La conférence fut d'abord énoncé en anglais à l'invitation d' une poétesse spécialiste de Pessoa. Le titre anglais correspond mieux au contenu du texte de la conférence. Mais son remplacement par "Quelques considérations sur l’art contemporain", cache ce que je pointe au début de mon article "le putsch littéraro-littéraire" dans la peinture, par Duchamp et Dada, ce dont les poètes ne veulent rien savoir en général. L'art contemporain c'est aussi cela. Soit encore: le débordement des autres arts sur la peinture, et une sorte de point d'intersection, empiétement colonisant les arts picturaux et sculpturaux. Je suis pour une désaffiliation de l'art conceptuel ou contemporain de la peinture. Art simplement différent, négatif et critique à l'égard non de tous les arts, mais uniquement de la peinture. Les autres arts peuvent intégrer l'auto-critique, c'est leur art, roman dans le roman, théâtre dans le théâtre, poésie de l'anti-poésie, etc. Et encore: pas de Duchamp dans le roman. Il garde sa forme, imprimée, paginée, non brûlée, etc. Idem pour le théâtre: la scène italienne, le texte, et les comédiens se maintiennent, malgré certaines expérimentations, dans la pratique du théâtre comme dans son enseignement. Y a-t-il un Duchamp de l'architecture ? Et non seulement la procédure générique de l'art est travaillée par une lutte entre les arts, car les arts n'ont pas le même intérêt, il y a un intérêt propre à chaque art, mais l'anti-art utilise tous les arts pour coloniser l'espace des beaux-arts.
Aussi quand le prochain séminaire de Badiou, et ce sera le dernier, il arrête son séminaire, portera sur « l'œuvre », maître-mot pour désigner dorénavant les procédures : œuvre scientifique, œuvre amoureuse, œuvre politique et donc œuvre artistique, c'est une complication supplémentaire qui surgira sous nos yeux relativement à la question de l'art. Le mot œuvre, « opératique » bien sûr, « art opératif », est néanmoins marqué du sceau de l'esthétique ou des beaux-arts. L'œuvre se situe du côté de l'infini, elle témoigne, fait fonction de témoignage de l'attribut de l'absolu, et ce qui s'oppose à l'œuvre est le "déchet", issu de la finitude marchande de notre société, en relation dialectique néanmoins. L'œuvre et le déchet, infini et fini. Aussi lorsque Badiou cite Lacan : « l'être c'est l'œuvre qui vient à y aborder dans la rencontre », il faut savoir que les beaux-arts et le poème ne se rencontrent pas vraiment. Sinon bien sûr au sein d'une conception des arts de spectacle, théâtre, opéra, danse, cinéma qui privilégie un art particulier et a besoin de la collaboration des autres arts au sein d'une œuvre d'art totale orientée vers cet art dominant. Il existe deux autres conceptions de l'œuvre d'art totale : celle qui repose sur une synthèse de la peinture, de la sculpture et de l'architecture ; et celle qui privilégie l'art d'attitude comme forme, les installations et les performances : soit l'art contemporain au sens strict. Toutefois, l'intitulé « Œuvre » ne figure plus dans ce dernier séminaire. Et le théâtre semble désormais prendre toute la place en art, pour le moment.
Article écrit en 2017
Le séminaire a repris en 2022.
[Par la suite, Badiou affine sa notion d’art contemporain et se prononce sur l’art conceptuel (cf. « Badiou et l’art contemporain nouvelle mouture » 2020, « Badiou n’aime pas l’art conceptuel, mais il le comprend » 2023, en ligne)] Nous rappelons ailleurs dans notre dialogue avec René Schérer ce que Duchamp a tenter de faire en désavouant tous les courants qui se sont réclamés de lui. https://ici-et-ailleurs.org/contributions/esthetique-et-critique/article/de-la-peinture-a-la-peinture https://blogs.mediapart.fr/thierrybriault/blog/231219/badiou-soulages Voir aussi son positionnement sur l’art conceptuel, déjà esquissé dans l’entretien d’Artpress. https://blogs.mediapart.fr/thierrybriault/blog/070123/badiou-n-aime-pas-l-art-conceptuel-mais-il-le-comprend
La nouvelle mouture de 2020 https://blogs.mediapart.fr/thierrybriault/blog/280720/badiou-et-lart-contemporain-nouvelle-mouture
1 On connaissait plutôt un Duchamp qui affirmait la mort de l’art ou en faisait le constat, selon l’interprétation qu’en aura donné Jean Clair, un Duchamp entérinant la mort supposée et proclamée de la peinture. Au reste, lors d’une réunion houleuse des membres de la Section d’or (le Groupe cubiste de Puteaux), les dadaïstes (Picabia, Tzara, Breton, Duchamp était absent), qui exposaient au sein de la Section d’or, voulurent mettre aux voies la suppression pure et simple de la peinture, sur proposition de Gleizes : pour ou contre la peinture. Mis en minorité, ils furent exclus. C’est une chose à faire savoir. In La Section d’or, 1912-1925, 2000, Éditions Cercle d’art, p.34.
2 Bien sûr, Duchamp s'est d'abord fait connaître avec une œuvre picturale de tendance cubo-futuriste et justement ses préoccupations pour rendre le mouvement en s'inspirant des photographies de Marey montre les limites de sa vocation picturale. Le rendu du mouvement en peinture tel qu'on le trouve chez Michel Ange, Rubens ou Degas concerne une accélération du rythme interne à la composition et non une décomposition mimétique du mouvement réel. Rendre méconnaissable le nu est aussi une chose banale dans le cubisme, mais n'est pas non plus une finalité pour Picasso ou Braque. Il faut ajouter que notre Marcel était le moins doué de la famille Duchamp, ses premières œuvres faites de profils entrelacés ne promettent pas grand chose. Toutefois il savait ce qu’était la peinture comme plastique pure, il désavouera tous les mouvements néo-dadaïstes des années soixante. Sur ce dernier point nous renvoyons à notre dialogue avec René Schérer https://ici-et-ailleurs.org/contributions/esthetique-et-critique/article/de-la-peinture-a-la-peinture.
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