L'année 2025 a débuté sous le signe d'une reconfiguration médiatique importante : le retrait du canal de la TNT pour la chaîne C8 du groupe Bolloré par l'Arcom pour des motifs liés au non-respect répété des obligations conventionnelles. Cette décision a provoqué beaucoup de tensions au sein des médias durant toute l'année 2025, avec comme point d'orgue la commission d'enquête sur l'audiovisuel public démarrée fin novembre 2025.
Plusieurs médias ont régulièrement été accusés d'être soumis à des idéologies : France Inter serait trop à gauche, CNEWS trop à l'extrême droite, France Info se transformerait en CNEWS. Cela n'est pas nouveau. Ce qui change durant la période, c'est l'utilisation d'analyses quantitatives censées asseoir les arguments et conclure le débat. Les décisions de l'Arcom sont jugées non fiables, et plusieurs acteurs viennent ajouter leurs conclusions avec leurs propres outils. Reporters sans Frontière analyse les bandeaux des quatre chaînes d'information en continu durant un mois. Thomas More utilise une IA générative pour déterminer le positionnement idéologique de toutes les émissions du service public.
Est-ce que toutes ces études se valent ? Que peut-on en conclure ? Est-il possible d'ajouter une pierre à l'édifice ? C'est ce que je souhaite traiter dans ce billet. Je vais essayer de résumer les débats sur le sujet durant cette année 2025, puis présenter une étude originale qui aborde la question sous un autre angle.
Résumé des épisodes précédents
Enquête de Reporters Sans Frontière
En novembre 2025, RSF a publié une enquête concernant le pluralisme des quatre chaînes d'information en continu. L'ONG a extrait le texte de 700.000 bandeaux diffusés par BFMTV, CNEWS, LCI et France Info durant le mois de mars 2025. Cette technique de webscraping puis de reconnaissance optique d'image leur a permis de corréler le sujet abordé avec l'heure exacte de passage à l'antenne. L'enquête conclut à une pratique de "triche" qualifiée de "grand contournement". Selon les données collectées, CNEWS respecterait les quotas globaux de temps de parole imposés par le régulateur, mais en reléguant les voix d'opposition, principalement la gauche, à des tranches horaires de très faible audience (la nuit), tout en saturant les heures de grande écoute par des thématiques et des personnalités proches de l'extrême droite.
Pascal Praud a contesté cette enquête en arguant que la période d'un mois retenue par RSF n'était pas représentative, le temps de parole se mesurant légalement sur des cycles de trois mois. Depuis, Check News, Arrêt sur Images puis tout récemment Médiapart ont refait les calculs avec des méthodologies proches. Ces trois médias viennent confirmer les arguments de RSF et détaillent d'autres aspects de contournement des règles.
L'Arcom a explicitement désavoué en novembre 2025 les conclusions de RSF, affirmant n'avoir constaté aucun contournement des règles du pluralisme politique sur la période visée. Cette affirmation a eu des répercussions directes sur l'audiovisuel public. Le 27 novembre 2025, l'émission Complément d'enquête sur France 2, consacrée à la "méthode CNEWS", a dû supprimer en urgence une séquence entière de son reportage qui s'appuyait sur les données de RSF. France Télévisions a justifié ce retrait par l'impossibilité technique d'intégrer le démenti contradictoire de l'Arcom, reçu quelques heures seulement avant la diffusion. Cette réaction de l'Arcom est d'autant plus surprenante que plusieurs analyses expliquent que le désaccord est en grande partie un effet de cadrage et de méthodes.
Étude de Thomas More
Parallèlement aux critiques visant CNEWS, l'audiovisuel public a fait l'objet d'attaques symétriques, portant sur son prétendu biais progressiste ou à gauche. L'innovation majeure de la fin d'année 2025 réside dans l'utilisation de l'intelligence artificielle générative pour auditer les contenus de Radio France. L'Institut Thomas More a publié en novembre 2025 une étude analysant les matinales de France Inter, France Culture et France Info durant le mois d'octobre 2025. Contrairement aux méthodes manuelles, le think tank a utilisé une IA (ChatGPT) pour traiter des centaines d'heures d'antenne et classifier 1.280 chroniques selon leur tonalité éditoriale.
Le rapport met en évidence un déséquilibre marqué au profit des idées de gauche. Sur France Inter et France Culture, la majorité des interventions sont classées comme orientées à gauche, tandis que les personnalités de droite et du centre concentreraient l'essentiel des critiques, particulièrement lors de séquences liées à l'actualité judiciaire de Nicolas Sarkozy ou à l'instabilité gouvernementale. L'étude souligne que "les extrêmes" (LFI et RN) subissent le traitement le plus défavorable, récoltant des mentions quasi exclusivement négatives, tandis que la gauche modérée (par exemple Raphaël Glucksmann) bénéficierait d'un traitement plus favorable.
Lors des auditions de la commission d'enquête parlementaire sur le pluralisme en décembre 2025, la validité de l'étude de l'institut Thomas More a été remise en question par la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, qui a pointé des biais d'interprétation absurdes liés à l'usage de l'IA. En effet, les bulletins météo de France Inter ont été classés comme étant "à gauche", car l'IA aurait interprété toute mention factuelle du réchauffement climatique ou des crises environnementales comme une prise de position idéologique partisane. Cette erreur démontre que l'outil ne distingue pas le consensus scientifique de l'opinion politique.
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De plus, l'IA s'est révélée incapable de saisir l'ironie et le second degré, pourtant centraux dans les chroniques humoristiques de France Inter. Leur notice méthodologique donne une illustration de ceci avec des citations satiriques de Charline Vanhoenacker ou Daniel Morin. Celles-ci ont été prises au premier degré par l'algorithme, faussant les scores de bienveillance ou d'hostilité envers les personnalités politiques.
France Info : glissement éditorial et polémiques récentes
Si l'institut Thomas More juge la chaîne France Info comme la plus neutre du service public, celle-ci a été l'objet d'une série de polémiques récentes suggérant un glissement vers les codes de CNEWS. Sophie Tregan les recense dans un billet de blog, mis à jour à chaque polémique.
L'un des incidents les plus marquants de 2025 fut la diffusion d'une séquence dans l'émission L'heure américaine évoquant le projet de transformer Gaza en une "Riviera" touristique. Le débat a suscité une vague d'indignation et France Info a fini par regretter la séquence et l'a supprimée de ses plateformes. Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a d'ailleurs jugé la saisine à ce sujet "partiellement fondée".
À la rentrée de septembre 2025, France Info a lancé un nouveau rendez-vous, "Le Pour et le Contre", animé par Nathan Devers et Paul Melun, deux éditorialistes issus de CNEWS. Cette émission a immédiatement été pointée du doigt pour sa ressemblance frappante avec les émissions de CNEWS. Une critique de Check News souligne l'utilisation récurrente de thématiques proches de la droite conservatrice.
Outre ces choix éditoriaux, France Info a été épinglée pour des manquements à la véracité des informations. Récemment, un sondage faussé a été diffusé plusieurs fois avant correction. Plus globalement, le climat interne s'est dégradé : en décembre 2025, la CGT de France Télévisions a exigé de la direction qu'elle cesse de "dégrader l'image des chaînes" en envoyant en plateau des responsables jugés "incompétents".
Pour revenir aux études quantitatives menées durant la période, leurs méthodes ainsi que leurs objectifs diffèrent, mais certains éléments permettent d'en faire une critique. L'enquête de RSF a été reproduite par Check News puis par Arrêt sur Image et Médiapart, avec des résultats très proches. L'analyse quantitative des bandeaux pourrait être trompée par une différence entre le texte affiché à l'écran et le contenu de la vidéo, mais les vérifications manuelles semblent confirmer le sérieux de l'enquête. Concernant celle de Thomas More, la méthodologie est bien détaillée dans la notice, mais celle-ci souffre de plusieurs erreurs qui mériteraient d'être corrigées (gestion de l'ironie, différenciation entre faits et opinions). Ce type d'outil peut être utile pour explorer rapidement de grands corpus, à condition d'un protocole méthodologique propre, et il me semble que ce n'est pas le cas ici. De plus, alors que RSF a étudié les quatre chaînes d'information en continu, Thomas More n'a fait l'exercice que sur le service public, provoquant ainsi un biais dans leur étude.
Pour contribuer au débat, j'ai eu l'envie de produire également une étude. Avec mes moyens limités, c'est-à-dire un seul ordinateur, quelques heures de travail possibles le soir et le week-end. Mais le sujet regroupe deux techniques très proches de moi : le webscraping (technique pour extraire des données d'Internet) que j'enseigne et la lexicométrie (analyse quantitative de textes) que j'affectionne. Et concernant une thématique qui m'est chère depuis longtemps : la critique des médias. Dès lors, je vais essayer de mettre en évidence les sujets traités par chaque chaîne d'information en continu, pour tester l'hypothèse selon laquelle France Info se dirigerait vers CNEWS. Cet objectif global sera l'occasion de faire un peu de vulgarisation méthodologique autour du webscraping et de la lexicométrie. Pour anticiper les critiques éventuelles que je formule envers Thomas More, l'ensemble du code permettant de reproduire mes résultats et d'en discuter les choix est disponible ici.
Création du corpus de vidéos et biais
Les 4 chaînes d'information en continu diffusent quotidiennement une partie de leur contenu sur YouTube en rediffusion. Ces vidéos concernent régulièrement des débats, des interviews ou des éditoriaux, elles sont donc un matériau parfait pour estimer les thématiques d'une chaîne. Ces vidéos sont sous-titrées automatiquement par le service de YouTube, il est donc possible d'en extraire le contenu et de disposer, pour chaque vidéo, de l'ensemble du texte prononcé à l'écran.
LCI, France Info et BFMTV diffusent des vidéos YouTube quotidiennement et ont des playlists exploitables, ce qui n'est pas le cas de CNEWS. En effet, la chaîne YouTube CNEWS n'a que très peu de vidéos disponibles, et toutes font moins de quelques minutes. Il s'agit de capsules vidéos de certains extraits de leurs émissions, mais jamais les émissions complètes. Par contre, la chaîne YouTube d'Europe 1, désormais régulièrement en duplex avec la chaîne CNEWS, contient de nombreuses émissions qui concernent CNEWS. J'inclus donc les vidéos issues d'Europe 1 comme étant des vidéos de CNEWS. Au final, je me limite aux vidéos publiées en 2024 et 2025 durant plus de plus de 2 minutes, afin d'éviter les capsules prévues spécifiquement pour les réseaux sociaux.
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J'ai extrait les textes de 4450 vidéos, pour constituer un corpus de 15 millions de mots et une durée totale de visionnage de 8,5 semaines, avec une forte diversité selon les chaînes d'information : 6 jours pour BFMTV, 3 semaines pour CNEWS, 2 semaines pour France Info et 1,5 semaine pour LCI. BFMTV a peu de contenu car la chaîne ne propose de remonter que jusqu'à août 2024. En se limitant à 2025, on retrouve des chiffres comparables à LCI et France Info. CNEWS diffuse très largement ses contenus, même en me limitant à quatre playlists (Grand Rendez-vous, Grande Interview, Pascal Praud et Punchline avec Laurence Ferrari).
Les vidéos durent en moyenne 18 minutes (médiane de 16 minutes), avec un minimum fixé à 2 minutes et un maximum de plus de 4 heures concernant l'édition spéciale de LCI le 1er juillet 2024 pour les élections législatives.
L'objectif est de couvrir les émissions d'actualité, de débats, d'interviews et les éditoriaux. Sur une période de deux ans, il s'agit d'un échantillon assez vaste de ce type de contenu pour chaque chaîne, mais il faut noter dès à présent que celui-ci est biaisé. En effet, nous sommes tributaires ici des choix des chaînes concernant leur rediffusion. Par exemple, l'émission "le pour et le contre", diffusée sur France Info depuis septembre 2025, n'a aucune rediffusion sur YouTube. Il en va de même pour l'émission "L'heure américaine" qui avait fait polémique concernant Gaza et qui a depuis été retirée de la plateforme. L'étude sera donc réalisée sur ce qui est mis en avant par les chaînes elles-mêmes, et la question de l'équilibre des temps de parole sur les différentes chaînes ne sera pas traitée ici.
Premier regard sur les mots utilisés
En observant les mots les plus utilisés par chaque chaîne d'information, on remarque que les mêmes mots reviennent toujours : Français, politique, pays, fois, gouvernement. Ces mots sont communs et ils ne servent pas à comprendre les sujets de chaque chaîne. Par contre, en calculant les mots les plus discriminants de chaque chaîne (c'est-à-dire présent relativement plus sur une chaîne que sur les autres), on voit apparaître quelques premiers sujets.
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CNEWS parle ainsi des "gens", d'ailleurs, elle les "écoute" et leur donne la "parole". Très vite, les mots utilisés évoquent de la "violence", "Israël", la "police" ou encore "l'immigration". BFMTV s'intéresse beaucoup au "budget", des "français[·es]" et ensuite de "justice" et de "prison". LCI nous parle beaucoup des "partis" politiques et du "rassemblement national", de la "gauche", de la "droite", du "front populaire". Enfin, France Info, évoque régulièrement le "gouvernement", les questions "européennes", "l'Ukraine" et "Gaza".
Ces premiers constats sont cohérents avec l’image que l’on se fait de ces quatre chaînes. Mais une simple liste de mots ne suffit pas à décrire un champ lexical. Les mêmes termes peuvent apparaître dans des contextes très différents, et une émission peut aborder plusieurs sujets successifs.
Pour dépasser cette limite, il est nécessaire de replacer les mots dans leur contexte d’usage. J’ai donc découpé les vidéos en segments d’une minute, ce qui permet de regrouper les mots en blocs relativement homogènes d’environ 200 mots. L’ensemble du corpus est ainsi constitué de 80.248 segments.
En analysant ces segments plutôt que des mots isolés, il devient possible de faire émerger des catégories de discours, puis de regrouper ces catégories en thématiques, correspondant aux principaux sujets traités par les chaînes d’information.
Catégories et Thématiques des segments de vidéos
Pour effectuer ce classement, j’ai utilisé le logiciel libre IRaMuTeQ, conçu pour l’analyse lexicométrique de grands corpus de textes. Après un travail de préparation des données (lemmatisation des mots, correction des principales fautes d’orthographe et suppression des mots vides), le logiciel examine les cooccurrences de mots à l’intérieur de chaque segment, c’est-à-dire les mots qui apparaissent fréquemment ensemble dans les mêmes passages. À partir de ces régularités, il regroupe les 80.248 segments en 15 catégories lexicalement homogènes, elles-mêmes rassemblées en 5 grandes thématiques.
IRaMuTeQ n’attribue aucun sens politique ou éditorial à ces catégories. Les intitulés que j’utilise ici sont donc des interprétations a posteriori, construites à partir des mots les plus discriminants de chaque groupe de segments. Je présente maintenant ces catégories en analysant leur distribution par chaîne d’information, les contenus qu’elles recouvrent et leur importance relative dans le corpus.
Thématique Politique
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La thématique Politique représente 24% des segments du corpus et se divise en 5 catégories :
La catégorie Assemblée regroupe les segments centrés sur le fonctionnement parlementaire. Les mots les plus fréquents renvoient au gouvernement, à l’Assemblée nationale, aux accords, aux motions de censure et aux réformes, en particulier celles liées au budget et aux retraites. François Bayrou y est fréquemment cité ainsi que Sébastien Lecornu. BFMTV consacre beaucoup de temps a ce sujet avec 8% des segments de la chaîne, contre 3% chez CNEWS, 5.5% chez LCI et 6% chez France Info.
La catégorie Droite regroupe les segments où la droite politique est explicitement évoquée. Les mots les plus caractéristiques renvoient aux partis et figures associées (droite, Rassemblement national, Le Pen, Marine, Bardella, Jordan). On retrouve plus de mots liés à l'extrême droite qu'à la droite plus traditionnelle, sans doute du fait de la présence médiatique moins forte de ces derniers du fait des calculs des temps de parole.
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La catégorie Gauche rassemble les segments portant sur la gauche politique. Le vocabulaire met en avant les termes gauche, parti, Front populaire, ainsi que des figures politiques identifiées à gauche (Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin). On y retrouve également des références aux élections, aux programmes et aux rapports de force avec la droite et la majorité présidentielle. C'est sur LCI que l'on retrouve le plus de segments de cette catégorie, ce qui permet de rappeler que le fait de parler de la gauche ne signifie pas nécessairement en dire du bien. Dans l'exemple ci-contre, on remarque d'ailleurs que le classement gauche/droite dépend en réalité de quelques mots, et que le segment aborde en fait les deux catégories.
La catégorie Loi concerne les segments centrés sur les textes législatifs et leur élaboration. Les mots fréquents renvoient à la loi, au droit, aux textes, aux débats, à l’immigration, ainsi qu’aux instances institutionnelles (Assemblée, Conseil constitutionnel). Les discussions portent sur le contenu des lois, leur adoption, leur conformité juridique et les débats qu’elles suscitent.
La catégorie Présidence regroupe les segments liés à la fonction présidentielle. Les termes dominants concernent le président Emmanuel Macron, la République, le pouvoir exécutif, le gouvernement, ainsi que des événements institutionnels comme la dissolution ou les changements de majorité.
Une catégorie Autre rassemble des segments politiques plus ponctuels ou transversaux, souvent liés à des formats d’interview ou de questions-réponses (questions, répondre, studio, 8h32). Il semblerait qu'il s'agisse de lancement d'émission, mais une analyse complémentaire serait nécessaire.
Thématique Économie
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La thématique Économie représente 21% des segments du corpus et se divise en 3 catégories :
La catégorie Budget regroupe les segments portant sur les finances publiques. On y retrouve principalement des références au budget de l’État, aux impôts, à la dette, au déficit et aux dépenses publiques, souvent exprimées en milliards d’euros. Il s’agit essentiellement de segments où l’économie est abordée sous l’angle comptable et fiscal.
La catégorie Industrie concerne les segments liés à la production industrielle et aux secteurs économiques associés. Elle inclut des références à l’industrie, à l’énergie, au nucléaire, aux prix, aux marchés et aux produits. Les discussions portent souvent sur la situation de l’industrie française ou européenne, la concurrence internationale avec la chine ou les états-unis.
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La catégorie Santé rassemble les segments traitant du système de santé et de son financement. Les mots les plus caractéristiques renvoient aux hôpitaux, aux soins, aux médecins, à l’accès aux services de santé et aux réformes du secteur. Ces segments abordent généralement les difficultés du système, les politiques publiques en matière de santé et les conséquences budgétaires ou organisationnelles des choix effectués. La référence à l'immigration peut paraître surprenante dans cette catégorie, mais malheureusement, elle s'explique facilement lorsqu'on regarde le texte des segments. Il s'avère que 16% des segments de CNEWS sur la santé évoque l'immigration, contre 10% pour LCI, 9% pour BFMTV et 4% pour France Info.
Un catégorie Autre regroupe des segments à caractère économique qui ne relèvent pas clairement des catégories précédentes. Cependant, les mots les plus cités concernent les impôts, les taxes, et la politique fiscale. Cette catégorie Autre ne représente que 4% des segments, mais sans doute aurait-elle été isolée si elle avait concerné davantage de segments.
Thématique Société
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La thématique Société représente 20% des segments du corpus et est très présente chez CNEWS avec 30% des segments (contre 9% pour France Info). Elle se divise en 3 catégories :
La catégorie Famille rassemble les segments portant sur la vie quotidienne et familiale. Les mots caractéristiques renvoient aux gens, aux enfants, à la vie, aux choses, aux cas particuliers ou aux expériences individuelles. Ces segments abordent des sujets de société à travers des situations apparemment concrètes, personnelles ou domestiques. Cette catégorie concerne 9% des segments de CNEWS, contre 3 à 5% pour les autres chaînes. Les émissions concernées sont celles de Pascal Praud (13% de ses segments) et de Laurence Ferrari (10%).
La catégorie Journalisme concerne les segments où les médias parlent d’eux-mêmes ou du traitement médiatique de l’actualité. Les mots les plus fréquents (journalisme, parle, parler, contre, jamais, cas) indiquent des discussions sur le rôle des journalistes, les lignes éditoriales, les polémiques médiatiques et les critiques adressées aux médias. On y parle de liberté d'expression, mais surtout de la polémique actuelle sur les médias et leur pluralisme.
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La catégorie Journalisme représente, à elle seule, 8% de tous les segments de CNEWS, contre 1% environ sur France Info. Plus spécifiquement, cette catégorie concerne 6% des segments de l'émission de Laurence Ferrari et 16% des segments de l'émission de Pascal Praud. Concernant ce dernier, on remarque une montée en puissance de la catégorie sur la fin d'année 2025. Tandis qu'on dénombre autour de 50 segments de vidéos par mois sur le journalisme jusqu'en août 2025, ce nombre a brusquement augmenté pour atteindre environ 150 segments par mois. Cela corrobore les propos de Thomas Legrand et Patrick Cohen, expliquant que CNEWS avait fait une fixation sur ce sujet durant les derniers mois. On trouve d'ailleurs 112 segments où le mot "Cohen" est prononcé dans les vidéos de CNEWS.
La catégorie Religion regroupe les segments liés aux questions religieuses et laïques dans l’espace public. Les mots les plus discriminants renvoient à l’islam, aux musulmans, au voile, aux juifs, à l’antisémitisme, à l’école. Les discussions portent généralement sur les tensions entre pratiques religieuses, principes républicains et politiques publiques, souvent dans un cadre conflictuel ou polémique.
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La catégorie Religion est particulièrement présente sur la chaîne CNEWS. Sa présence ne se limite pas aux émissions de débats comme celles de Pascal Praud et de Laurence Ferrari. La grande Interview comme le Grand Rendez vous affichent environ 10% de leur segments dans cette catégorie. Par ailleurs, cette proportion est similaire dans l'émission Parti Pris de David Pujadas, avec des propos qu'on aurait sans doute du mal à distinguer de CNEWS.
Une catégorie Autre regroupe des segments de société peu spécialisés, où apparaissent des termes très généraux comme français, gens, pays, monde, histoire ou moment. On y retrouve aussi des références à Jean-Marie Le Pen, à la gauche ou à Mélenchon, sans qu'il soit possible d'en tirer une catégorie à part entière.
Thématique Justice/Police
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La thématique Justice/Police représente 16% des segments du corpus et est très présente sur BFMTV et CNEWS (environ 20% contre 10% pour les deux autres chaînes). Elle se divise en 2 catégories :
La catégorie Justice regroupe les segments liés aux affaires judiciaires et pénales. Les mots les plus fréquents renvoient aux procès, aux peines, aux décisions de justice, aux appels, ainsi qu’à des figures politiques associées à des affaires judiciaires récentes (Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen). 23% des segments de l'émission de Laurence Ferrari concernent cette catégorie, avec 18 émissions titrant sur Nicolas Sarkozy en 2025.
La catégorie Police rassemble les segments portant sur la justice comme institution et sur les questions de sécurité publique. Le vocabulaire est centré sur la police, les policiers, la sécurité, la violence, l’ordre public et le rôle de l’État. Les discussions concernent fréquemment la gestion de la sécurité, les réponses institutionnelles à la délinquance, ainsi que les débats politiques autour de ces enjeux.
Une catégorie Autre regroupe des segments liés à des faits divers et enjeux de sécurité. Les mots fréquents renvoient à la drogue, au trafic, à la prison, à la police, ainsi qu’à des références territoriales (Marseille, Algérie).
Thématique Guerre
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La thématique Guerre représente 13% des segments du corpus est se divise en 2 catégories :
La catégorie Gaza regroupe les segments portant sur le génocide en cours à Gaza et le contexte régional associé. Les mots les plus fréquents renvoient à Israël, Hamas, Gaza, à la guerre, aux otages et aux acteurs étatiques impliqués. Les discussions incluent également des références à l’Iran, aux tentatives d’accord ou de paix, ainsi qu’à des réactions internationales.
La catégorie Ukraine rassemble les segments consacrés à la guerre en Ukraine. Le vocabulaire dominant renvoie à l’Ukraine, à la Russie, à Vladimir Poutine, à Donald Trump, à la guerre, ainsi qu’aux acteurs internationaux impliqués, notamment les États-Unis et l’Europe. 10% des segments des interviews matinales de LCI aborde ce sujet.
Répartition des thématiques par chaîne d'information
Si les trois chaînes d'information en continu ont une répartition proche de leurs segments sur les 15 catégories, CNEWS affiche une disposition très différente. Les sujets de société comptent pour 30% des segments analysés, au détriment des sujets d'économie. Plus spécifiquement encore, la catégorie Journalisme est excessivement présente sur la chaîne, devenant la troisième catégorie la plus fréquente après... la famille et la religion.
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Le corpus est riche en information, aussi il sera sans doute possible de mener de nouvelles études pour comprendre les différences de traitement de l'information par les quatre chaînes d'information en continu, et comprendre s'il y a eu des évolutions au cours du temps. Il y a aussi tout un champ d'exploration des catégories pour voir comment elles sont traitées par chaque chaîne. Le code source est accessible librement et la méthodologie repose sur des choix simples et transparents, ce qui permet de répliquer l’analyse, sur ces chaînes ou sur d’autres objets médiatiques.
La bascule de France Info vers CNEWS ne se voit pas ici. Les sujets abordés par la chaîne ressemblent à ceux des autres chaînes, et sont très éloignés de ceux de CNEWS. De plus, on ne voit d'évolution entre 2024 et 2025. Néanmoins, comme expliqué précédemment, l'étude est limitée aux vidéos mises en ligne sur YouTube par la chaîne, c'est-à-dire les sujets du 20h, les interviews du 8h20, les sujets de politique, etc. Pour aller dans le sens de Antoine Chuzeville sur Arrêt sur Images, l'ensemble de la chaîne n'aurait pas dérivé vers CNEWS, mais quelques émissions poseraient problème et indiqueraient une telle dérive. Ces émissions n'étant pas mises en ligne sur YouTube, je ne peux tester cette hypothèse, mais l'analyse minutieuse de la chaîne rappelle les problèmes actuels.
Qu'en conclure ? En vérité, rien de très original pour l'instant. J'ai le sentiment d'ajouter des éléments sur un sujet déjà tranché concernant CNEWS, mais sans rien apporter de bien neuf sur les autres sujets, principalement car la méthode employée ici empêche d'avoir une vision exhaustive de la situation des chaînes d'information en continu. France Info ne semble pas basculer vers CNEWS, du moins pas d'après les vidéos disponibles. Par contre, CNEWS semble très différent des autres médias : lorsqu'iels parlent de santé, iels parlent d'immigration ; iels ont fait un focus très important sur le débat actuel sur le pluralisme. Mais personne n'est vraiment surpris.
Pour conclure sur cette critique des médias, de leur idéologie et de leur pluralisme, je souhaiterais évoquer une dérive que je pressens, non pas à travers mes données, à la lumière des auditions de la récente commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public.
La critique de l'existence d'une opinion
Là où la presse d'opinion n'a jamais été trop attaquée pour le fait d'avoir une opinion, la critique médiatique menée par le groupe Bolloré, sous couvert de pluralisme, porte actuellement sur le fait d'avoir une opinion. Non pas qu'elle soit discutable, fausse, vraie, factuelle, imaginaire. Non, la critique porte sur le fait d'aborder d'un sujet, cela serait déjà trop. Ce n'est pas le pluralisme qu'iels souhaitent, c'est l'abandon des thèses qui les dérangent, quel qu'en soit le traitement. On ne demande ainsi pas des journalistes compétents, on exige des journalistes alignés.
D'ailleurs, cela permet au rapporteur de la commission de demander, non pas le pluralisme dans les médias incriminés, mais à ce que les journalistes soient davantage de droite, donc traitent davantage des sujets qui l'intéresse lui et son camp politique. Les responsables des écoles de formation, les organes de presse ont beau lui rappeler que recruter sur base de l'idéologie est illégal en France, il souhaite s'assurer, qu'au delà des compétences, un nombre suffisant de personnes de droite soit intégrées dans chaque équipe de rédaction du service public.
Avoir une opinion serait alors discutable, voire condamnable selon le poste occupé. Cela conduit le rapporteur à offrir à Patrick Cohen "l'occasion de [s']excuser, de [s']expliquer", ou à demander à Thomas Legrand de faire son autocritique. Il insiste également tout au long des auditions pour que les individus prenne position sur les propos d'un autre. Voici par exemple l'une de ces questions à Patrick Cohen : "Je ne vous mets pas en cause vous. Je ne dis pas que c'est vous qui avez tenu ces propos. Je vous demande simplement ce que vous pensez des propos de votre confrère. Est-ce que vous pouvez me répondre simplement qu'est-ce que vous pensez de votre confrère Thomas Legrand". À ce sujet, l'écoute des réactions de Jean Massiet (notamment à la fin de l'audition de Thomas Legrand) est éclairante.
Mais pourquoi ne pas alors étendre la logique à l'enseignement, à la culture. Il faudrait dans les services publics engager des individus contre l'idée même des services publics. Comme en plaisante de manière cynique Thomas Legrand, il faudrait aussi inviter un nazi pour discuter du nazisme. Et si le marché ne les fait pas rentrer (car personne n'empêche ces individus de candidater dans les rédactions), il faudra que l'État (par la voix des partis nationalistes) les intègre par quota. À l'image d'un marché néo-libéral, les idées réactionnaires seraient tellement souhaitables qu'il faudrait les imposer lorsqu'elles ne sont pas capables de s'imposer par elles-mêmes. J’espère qu’on commentera moins les réponses à cette commission que cette étrange idée, déjà là, qu’une opinion serait une faute professionnelle.