Les collègues de Benoît ont besoin de lui pour réaliser un travail, mais Benoît en a décidé autrement. Pour les décourager, il les a plongés dans une piscine de détails ésotériques, une technique à laquelle nous avons donné le nom de "complexisme".
Nous avons vu que le complexisme reposait sur des allers-retours frénétiques entre détail et généralité. Parmi les généralités, les meilleures sont celles qui ouvrent des parenthèses susceptibles de ne jamais se refermer : des portes ouvertes sur de vastes univers.
Les réflexions sur l’organisation de l’entreprise en font partie. C’est un sujet dont on ne peut nier l’importance, et sur lequel chacun a un avis. Benoît ne manque pas une occasion d’en parler. Rarement en bien d’ailleurs.
En toute cohérence avec sa conception des périmètres, il pointe régulièrement le même défaut : l’organisation actuelle ne permet pas d’attribuer toutes les tâches. Et oui : plus les périmétristes sont présents dans l’entreprise, plus il y aura de tâches que personne ne souhaite réaliser. Benoît se plaît à fustiger les conséquences dont il chérit les causes.
Il rappelle avec insistance ses indignations passées : « Ca fait des années que je dis qu’il y a un problème d’organisation dans notre direction ! Et voilà, comme par hasard, maintenant il y a un souci. Je leur avais bien dit ! ». Il nous faut rendre à César ce qui appartient à César. Benoît avait effectivement évoqué ce souci. A vrai dire, il a évoqué tellement de soucis que ce serait bien le diable qu’il n’y en ait pas un qui se matérialise de temps à autre.
Vous seriez cependant en peine de retrouver un document, ou un email de Benoît à ce sujet. Il l’a dit, mais ça n’a pas fait l’objet d’un compte-rendu ou d’un autre écrit. Et quand il l’a dit, fidèle à son habitude, il n’a pas oublié de le noyer dans un torrent de détail abscons.
Et n’essayez pas de le prendre au mot : « D’accord Benoît, ton diagnostic est intéressant. Tu penses que tu pourrais faire une note rapide pour une organisation différente ? ». Benoit n’est pas né de la dernière pluie. Vous venez d’ouvrir la porte à un magnifique « C’est pas mon périmètre ! », dans lequel il s’engouffre aussitôt. Échec et mat.