Je suis un quadra francilien, de petite couronne, bac +5, cadre sup dans une entreprise quelconque : un cadre du privé parmi tant d’autres.
Autant dire qu’autour de moi, parmi ma famille, mes voisins, mes collègues, mes amis rencontrés pendant mes études, il n’y a pas beaucoup de gens de gauche. Ou disons, pas de gauche au sens où moi je l’entends. Car oui, il y a pas mal d’électeurs des Écologistes (ex-EELV) ou du PS. Mais des personnes qui votent La France Insoumise ou NPA, ça devient plus difficile à trouver. Et des personnes qui votent la France Insoumise autrement que dans le cadre d’un vote utile à gauche, en se bouchant le nez, comme ça a été le cas au 1er tour de l’élection présidentielle 2022, là c’est carrément le désert.
Bien sûr, en dehors de mon milieu, nous ne sommes pas non plus une majorité : hors vote utile, la part du socle de l’électorat de LFI se situe autour de 15 % si on est optimiste, et 10 % si on l’est moins.
Si jamais vous vous retrouvez dans une discussion politique avec les petits-bourgeois d’Île-de-France, il vaut mieux être au courant de quelques trucs. Au cours de mes discussions politiques avec mon entourage, j’ai pu tirer quelques enseignements que je vous partage ici.
Le cadre du privé est un libre penseur
Si vous discutez avec Benoît, responsable marketing de Transacteo, je vous conseille de faire attention au point suivant. Certes, il répète les dernières banalités entendues sur LCI, et ânonne les poncifs éculés du néo-libéralisme des années 90. Non, il ne lit pas de livres pour alimenter sa réflexion. Mais attention. Si vous ne voulez pas vous fâcher avec lui, évitez de laisser entendre que certains intellectuels ont pris le temps de développer des argumentaires pour pointer les incohérences de son discours.
Cela sous-entendrait que Benoît s’inscrit dans un débat idéologique entre factions, ce qui aurait permis à quelqu’un d’anticiper ce qu’il allait dire.
Benoît serait offusqué que vous le rangiez dans une case. Il se conçoit comme un libre penseur, au-dessus de la mêlée, qui voit des choses intéressantes de ci et de là, et picore à sa guise les meilleures idées pour construire son propre système de pensée. Et vous voilà, vous, qui laissez entendre que ses opinions politiques seraient un peu prévisibles ! Bien au contraire, il est totalement détaché des contingences de son expérience sociale et a ainsi pu développer une pensée qui n’appartient qu’à lui.
Mélenchon est très méchant
S’il y a bien quelque chose qui fâche Benoît, c’est lorsqu’il voit quelqu’un dire un mot plus haut que l’autre. Il habite un monde de douceur et de tranquillité, et souhaite que personne ne vienne troubler cette harmonie. Quand on a quelque chose à dire, il faut s’exprimer gentiment, prendre le temps d’expliquer, et ainsi, si on est raisonnable,on aura gain de cause, pas vrai ?
Alors, les mouvements sociaux, la construction d’un rapport de force, les grèves… tout cela ne lui dit rien qui vaille. Parmi les personnalités politiques, une en particulier cristallise son agacement : c’est Jean-Luc Mélenchon.
Quand il apparaît à la télévision, avant même qu’il ait ouvert la bouche, Benoît ressent un malaise. C’est physique, comme un truc qui le gratte dans le dos, une étiquette qu’on aurait oublié d’enlever sur un vêtement neuf. Mélenchon ne sourit pas beaucoup, il prend à partie ces pauvres journalistes qui pourtant font honnêtement leur travail, il s’énerve. Cette attitude suffit amplement à le discréditer aux yeux de Benoît. Quelque part, les choses sont bien faites, car s’il prenait le temps de lire le programme de la France Insoumise, il y serait tout autant opposé.
En attendant, il prodigue ses bons conseils aux gauchistes : c’est sûr, Mélenchon est un boulet pour la gauche radicale, et Ruffin serait bien plus adapté pour la représenter. Est-ce à dire qu’il voterait pour Ruffin s’il se présentait ? Euh non, pas tellement, enfin il ne sait pas trop, mais bon voilà, Mélenchon est très méchant et Benoît serait bien content qu’il n’existe plus dans le paysage médiatique.
Mais pourquoi on ne se met pas tous d’accord ?
Pour Benoît, plus largement, le poison de nos sociétés modernes, c’est cette hostilité permanente, ces camps qui s’opposent, ces personnes qui s’invectivent.
Il n’est pas de problème qui ne puisse être résolu par une bonne discussion, c’est certain. Les gens manquent tellement de connaissances, c’est pour ça qu’ils prennent de mauvaises décisions. Ils se trompent, voilà tout. Alors ces grandes idées, la gauche, la droite, les pro-ceci, les anti-cela, franchement il ne voit pas l’intérêt.
Quand il a entendu Macron se dire « ni de droite, ni de gauche » en 2017, il s’est dit : « enfin une réflexion de bon sens ! C’est la bonne direction ». Car à la fin, si on discute, on sera tous d'accord.