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Billet de blog 5 octobre 2023

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Des limites de la gauche et du naufrage journalistique...

Pourquoi je quitte Médiapart...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On peut lire encore aujourd'hui d'intéressants articles sur Médiapart, en particulier sur les questions féministes mais aussi sur la dénonciation de diverses malversations de la justice, de la politique et diverses magouilles de l'oligarchie en place. Néanmoins, ces « bons côtés » ne compensent pas, de mon point de vue, l'absolue honte que fut la censure du club durant le covid, l’abyssale incompétence des articles qui essayèrent de traiter l’aspect scientifique de la syndémie, et aujourd’hui, sur la guerre en Ukraine, on se trouve forcé de constater que même un journal comme le New York Times est plus objectif que Médiapart. C’est dire ! Ces deux cas emblématiques du naufrage éthique et professionnel du journalisme en Occident, malheureusement, jettent des doutes sur le sérieux et l’objectivité du traitement des autres sujets du média. Plus généralement, il me semble percevoir, après cinq ans de lecture du journal, deux éléments majeurs qui motivent ma décision présente d’aller subventionner plutôt d’autres médias que Médiapart : les « limites de la gauche » et le « naufrage du journalisme ».

Les limites de la gauche

D’une manière très générale, si l’on catégorise « à gauche » l’ensemble des forces sociales d’émancipation se dressant comme les « injustices » diverses de nos sociétés, on comprend que de manière évidente, la gauche s’ancre dans un jugement normatif du réel. Être de gauche implique en quelque sorte que le regard porté sur le réel ne soit pas neutre (cynique, froidement rationnel, etc.) mais qu’il juge (soit donc « engagé »). Les valeurs qui fondent ces jugements sont les valeurs disons de l’émancipation : justice, liberté, égalité…

Ce positionnement est je le crois fondamentalement bon pour l’être humain. Il permet une prise de position face à l’histoire et au sein de la politique active : une volonté de changer le monde, orientée par une finalité idéale lui donnant un cap. Toutefois, cette attitude peut se transformer, l’histoire l’a montré avec le marxisme soviétique, en son exact contraire, c’est-à-dire une force semant la violence, la négation de l’autre et ultimement, la barbarie. Pourquoi ? Il me semble que deux dangers guettent l’homme ou la femme de gauche : l’oubli du respect de l’altérité et la totalisation. Ces deux dimensions mènent à l’expression d’un moralisme manichéen que l’on voit proliférer aujourd’hui dans nos sociétés, bien au-delà de la gauche politique d’ailleurs.

Le rejet de l’altérité

Cette dimension a été largement explorée par les pensées décoloniales et notamment le féminisme décolonial. Hélas, si aujourd’hui cette attention à ce problème a fait son chemin à gauche, il reste encore aujourd’hui trop souvent oublié. Un exemple paradigmatique fut les controverses au sein du féminisme autour du voile et de l’islam : partant d’un jugement ancré dans nos valeurs sur la liberté des femmes, les femmes islamiques furent jugées, de l’extérieur, comme opprimées, avant que l’on prenne conscience que la question n’était pas si simple et que cette attitude qui jugeait avant même en réalité de connaître les personnes en question était elle-même une attitude dominatrice envers ces femmes auxquelles on voulait imposer nos valeurs sans même leur demander leur avis. Le mécanisme est simple : le jugement que l’on porte sur l’autre conduit à adopter envers lui une attitude de domination, si bien que l’on se retrouve en contradiction avec ses propres valeurs. Le problème est que l’on juge avant de connaître, et sans aucune ouverture à l’altérité de l’autre. Bien que sur certaines problématiques précises, la majorité à gauche à pris conscience de cette contradiction, en réalité, cette attitude reste l’attitude majoritaire et en quelque sorte « par défaut » des occidentaux en général. Qui, aujourd’hui, s’intéresse par exemple à la nouvelle puissance mondiale montante, la Chine ? À la culture chinoise, à l’histoire de la Chine mais aussi et surtout aux personnes vivant en Chine aujourd’hui ? Personne. Dans la sphère médiatique, les seules évocations de la Chine sont des critiques 1) du caractère totalitaire de son régime, 2) du génocide ouïghours, 3) de ses supposés problèmes économiques/démographiques qui annonceraient son effondrement prochain. Médiapart ne fait pas exception à la règle, il suffit de lire le fil d’articles « Quatre visages d’une Chine en mutation ». Le titre « quatre visages » laisserait penser qu’une pluralité de vues seraient confrontées, or il n’en est rien. Les quatre points de vue sont en réalité identiques. L’épisode 1 ouvre le bal en nous présentant la nature totalitaire du système politique chinois et l’omniprésence du PC. L’épisode 2 nous présente le portrait d’une dissidente. L’épisode 3 nous apitoie sur le triste sort d’un couple de milliardaire chinois ayant été durement douché par le PC ; oui parce que les milliardaires, chez nous, sont de très méchants capitalistes, mais pas en Chine (ce qui ne justifie pas nécessairement qu'on les emprisonne arbitrairement, mais tout de même, on pourrait faire preuve d'analyses plus profondes, par exemple ce que cela nous dit du rapport entre le politique et l'économique...). L’épisode 4 nous présente la propagande de la télévision chinoise et la « guerre culturelle » que la Chine mène contre nous par l’intermédiaire de l’intellectuel Zhang Weiwei, dont pourtant les idées sont intéressantes et mériteraient qu’on y réfléchisse avec intérêt, et au passage, pour se rassurer sans doute, derrière la façade nous dit-on la Chine fait face à de multiples crises qui sont camouflées par la propagande. Enfin l’épisode 5 nous décrit un Xi Jinping « dans les pas de Mao », instaurant un « capitalisme de la terreur », qui semble réussir dans ses projets, mais (heureusement), « les défis avenir son vertigineux » (sous entendu, il va bientôt échouer). Dans l’ensemble, le tableau que brosse cette série d’articles n’est sans doute pas faux : le caractère « totalitaire » du PC chinois, les méthodes autoritaires de l’État, le fait que Xi Jinping est en quelque sorte un empereur comme Mao, tout cela est vrai. Mais ce qu’il manque entièrement à cette série de jugements normatifs sur la Chine, c’est une tentative de comprendre, de l’intérieur, ce qu’est la culture chinoise : on parle en anthropologie du point de vue « émique », c’est-à-dire comprendre une culture par ses propres catégories de pensées, sans la juger de l’extérieur en comparaison à nos catégories. Les grands absents de la série de Médiapart, ce sont les chinois et les chinoises du petit peuple, dans leur diversité de vécu et d’opinion (leur point de vue est disqualifié d’emblée car ce ne sont que des aliénés, car système totalitaire…), mais c’est aussi donc la pensée chinoise, son histoire, sa logique interne, sa culture, ses valeurs, etc. Bref, l’ignorance de l’autre, de l’altérité, est totale, on ne cherche même pas à dialoguer avec l’autre et comprendre sa logique interne ou sa sensibilité, on se contente de regarder la Chine par les yeux des critiques de ses dissidents et uniquement dans un jugement par comparaison à nos propres valeurs.

La totalisation

L’injonction à toujours devoir juger et se positionner dans le champ moral conduit tout naturellement à éliminer la complexité et les nuances qui viendrait rendre impossible ce jugement moral. Que faire par exemple dans le cas où un homme s’est montré violent envers sa conjointe par exemple, laquelle lui a fait subir par ailleurs des violences psychologiques ? C’est un exemple caricatural, mais néanmoins pertinent car, en effet, dans nos sociétés patriarcales, ce cas idéal-typique existe plus ou moins. Comme l’on se représente la vie comme un permanent positionnement dans le champ moral, il devient impossible de faire place à la complexité de la situation : il faut prendre parti et distinguer clairement une « victime » et un « agresseur ». Le fait par exemple de reconnaître dans un tel cas qu’il y a chaque personne est à la fois victime et agresseur est considéré comme diminuant la culpabilité de l’agresseur principal, ici l’homme, comme un moyen de « l’excuser ». Là encore parce que toute affirmation est considérée dans son positionnement au sein du champ moral : exprimer une nuance revient à se déplacer dans ce champ vers une position « excusant » l’acte, diminuant sa gravité. Pourquoi donc la gradation est-elle si difficile à se représenter ? En quoi est-il impossible d’affirmer ici qu’il y a deux agressions, mais qu’en revanche, l’une est plus grave que l’autre, car une atteinte physique est plus grave qu’une atteinte purement psychologique, dans le traumatisme psychique qu’elle engendre (fait démontré par la psychologie) ? Une analyse féministe bien comprise, en réalité, fait place à cette complexité, en expliquant les attitudes tant que l’homme que de la femme par leur socialisation et la construction de leur masculinité et féminité (je renvoie par exemple à Réver l’obscur de Starhawk pour un exemple d’une excellente analyse des constructions maladives tant de la masculinité dominatrice que de la féminité incorporant sa faiblesse dans les sociétés patriarcales). Lorsqu’on lit la pensée féministe, on est surpris du décalage entre l’ouverture à la complexité et aux nuances de celle-ci en comparaison à la même pensée traduite et exprimée dans les médias comme dans les milieux militants. Certes, le combat militant à besoin de punchlines qui claquent, pourtant, sur le long terme, réduire la complexité au profit d’une efficacité militante est je crois une erreur : elle accumule au sein de la population une réputation d’injustice, à force de caricaturer ceux qu’elle condamne comme des « monstres » et d’oublier que l’autre côté n’est pas non plus exempt de tares (non de « fautes » ! ce n’est pas une histoire de culpabilité, de responsabilité dans la faute, de victime et d’agresseur, c’est une question de comportements et d’habitus sociaux ayant des conséquences délétères sur les relations humaines ou tout simplement sur nous-même).

Le moralisme manichéen

Cette fermeture à l’altérité doublée de cette tendance à la totalisation par le jugement moral conduit tout naturellement à un moralisme manichéen manifesté en toutes circonstances. Il y a forcément, en toute chose, des gentils et des méchants, des gentils entièrement gentils et des méchants entièrement méchants. La politique en découlant serait « façon Disney » si la violence des jugements n’était pas celle qu’elle est. Hélas, on ne trouve rien de « mignon » dans les polarisations des jugements contemporains autour des controverses stupides lors de l’épisode de covid (anti-vax vs… raoultiens vs anti-…), ou encore de la guerre en Ukraine, mais tout autant les chasseurs vs… ou les partisans du loup vs… ou la FNSEA vs… La guerre, en réalité, est partout : tout n’est que combat à mort entre nous et nos ennemis, rejetés dans l’innommable et avec lesquels, bien sûr, tout dialogue est impossible. Ainsi, avec la droite conservatrice toute entière étiquetée « d’extrême-droite fasciste », toute discussion est proscrite, tout essaie de compréhension même de la logique interne de ses thèses est tabou, et la seule interaction possible avec les pauvres électeurs de Le Pen, pourtant d’ailleurs anciens communistes, est celle du missionnaire chrétien amenant le diabolique sauvage à sa conversion. Ils doivent renier leurs idées afin de retrouver la dignité humaine nécessaire à ce qu’on les écoute et que l’on discute avec eux. L’autre doit être comme moi avant toute discussion : si ce n’est pas là une fermeture à l’altérité, les mots n’ont plus de sens…

La perte de tout respect pour la discussion rationnelle

C’est là un des aspects qui m’attriste le plus, en tant que philosophe. Cela m’inquiète aussi, et tout autant me « frustre » : pourquoi continuer à chercher la discussion, puisqu’en face, il n’y a que fermeture et mauvaise foi ? On l’a bien vu durant le covid : les nombreux appels à la discussion rationnelle sur le club de Médiapart, notamment une édition à laquelle j’ai participé, ont été totalement ignorés par la rédaction, qui se mit plutôt, en toute réponse, à censurer les articles les mieux argumentés (donc les plus dangereux).

Il semble n’y avoir plus aucun « respect » pour la discussion rationnelle, ce respect normalement au cœur de l’ethos tant des scientifiques que des philosophes, qui veut que lorsque ma thèse est réfutée ou disons mise en défaut par une solide argumentation rationnelle, je m’intéresse aux thèses de l’adversaire et soit je parviens à les contrer par des contre-arguments, soit donc je m’y rallie, en abandonnant ma première position. Dans le cas du covid, non seulement cette condition minimale de la science et de l’intelligence a été superbement absente des positionnements de Médiapart, mais, pire, des affirmations absurdes, contrevenant à la logique la plus élémentaire, ont été soutenues mordicus. C’est là qu’on peut parler, sans exagération, d’adhésion aveugle à ce qui ne peut être que « propagande », puisque le consensus de la science moderne veut que rien ne peut être vrai qui contrevienne aux règles de la logique, en premier lieu au principe de non-contradiction. On ne peut pas dire en même temps « les vaccins protègent efficacement ET les vaccinés sont menacés par les non-vaccinnés », c’est une contradiction manifeste incontestable (car on ne peut pas contester les règles de la logique, eh oui…). On est obligé si l’on veut maintenir la seconde proposition d’admettre que la protection vaccinale n’est pas parfaite, et de là, d’accepter de comparer celle-ci avec l’immunité acquise naturellement via la maladie, et donc d’évaluer en fonction de la réalité empirique le coût/bénéfice de la vaccination selon les profils de santé des personnes. Ou bien de changer de discours est de fonder le « danger » des non-vaccinés sur le fait, par exemple, qu’ils empêchent l’éradication du virus. Voilà un raisonnement rationnel : 1) le vaccin empêche la reproduction virale 2) si 100 % de la population est vaccinée, le virus ne peut plus se reproduire et donc est éradiqué 3) donc résister à la vaccination empêche d’éradiquer le virus. Voilà un raisonnement acceptable qui se tient logiquement, il est empiriquement totalement erroné car les vaccins ne fonctionnent pas de manière à empêcher toute propagation virale et par ailleurs les virus évoluent de manière à contourner l’immunité vaccinale, mais c’est là une autre question, qui se résout empiriquement (et non par le raisonnement). Bref, ce n’est qu’un exemple un peu grossier, mais néanmoins valable dans ses grandes lignes.

Il ne faut pas disqualifier, au nom de la rationalité, les autres dimensions de l’être humain, comme les émotions ou les ressentis subjectif, il n’en reste pas moins que lorsqu’il s’agit de déterminer la nature du réel (domaine, en gros, des sciences), la rationalité est un outil indispensable qui a amplement prouvé sa justesse depuis des siècles. La rationalité constitue la condition minimale, disons, de la validité d’une opinion. Il ne suffit pas pour un raisonnement d’être rationnel pour être vrai, puisqu’il faut ensuite vérifier empiriquement le réel, mais un raisonnement contrevenant aux règles de la logique est presque toujours faux (il y a des subtilités, comme le choix des concepts qui peut amener à maintenir avec raison des « pseudo-contradictions » apparentes mais fécondes par leurs effets, mais c’est là une question complexe que je ne peux traiter ici).

Au-delà par ailleurs de cette question de validité des opinions, l’éthique intellectuelle doit nous obliger à écouter attentivement toute objection à nos affirmations du moment qu’elle repose sur une argumentation rationnelle. C’est là un devoir envers l’autre : respecter son altérité, donc la « dignité » de son opinion, d’autant plus que la personne en face fait l’effort d’argumenter et donc de s’intéresser, elle, à notre point de vue. Refuser la discussion est donc fondamentalement une négation de l’autre, de l’altérité et par extension de la personne humaine qui nous fait face. C’est une violence et c’est une attitude de domination. On retrouve là toute la contradiction interne d’une gauche qui, se proclamant contre toutes les dominations, n’est même pas capable de la plus minimale ouverture à l’altérité, celle du dialogue, de l’écoute et la prise en compte de la différence qu’exprime l’autre.

Le naufrage de l’objectivité journalistique

Ce naufrage est sans doute très ancien, peut-être a-t-il toujours été. Je connais trop mal l’histoire du journalisme pour le savoir, j’ai l’impression pour ma part que le principe même du journalisme moderne est un mauvais principe : il tend au spectacle, à l’immersion dans « l’actualité » et donc la perte du fil de l’histoire et l’impossibilité de prise de recul, et donc à la prise de décision et de positionnement politiques basés sur ce caractère de spectacle et l’émotivité allant avec. Une certaine éthique journalistique de l’objectivité a sans doute toujours tempéré cette tendance à la stupidité des analyses médiatiques, et aujourd’hui, il me semble, cette éthique se déplace, quitte les rédactions des grands médias, pour les réseaux sociaux et le journalisme free-lance sur Telegram, Twitter ou YouTube. Médiapart, par exemple, a envoyé des journalistes en Ukraine, mais seulement du côté ukrainien, sans prendre aucunement contact avec des reporters du côté russe, qui existe pourtant, par exemple Patrick Lancaster, au hasard, mais il est sans doute possible d’y aller aussi soi-même, Régis Le Sommier le prouve. C’est pourtant la base de l’objectivité : interroger la réalité par tous ses aspects, l’objectivité étant justement formée de la synthèse de tous les points de vue possible en un point de vue universel.

Cette question de l’objectivité journalistique va au-delà de la fermeture à l’altérité que je pointais précédemment. Que l’on ne s’intéresse pas aux partisans du régime des Mollahs en Iran et aux raisons qui expliquent leur soutien au régime est une chose, mais sur les controverses autour du covid ou aujourd’hui sur la guerre en Ukraine, il ne s’agit même plus de s’intéresser à l’adversaire mais tout simplement de se mettre d’accord sur les faits, sur la réalité, unique, du terrain. Le cas de la guerre en Ukraine est celui qui manifeste le plus nettement ce naufrage du professionnalisme des journalistes de Médiapart et leur absence totale de souci de l’objectivité.

Le spectacle du traitement médiatique de cette guerre par Médiapart et un certain nombre d’autre médias devient risible, après un an de conflit. Le mantra est toujours le même : les russes sont des barbares incompétents cherchant à éradiquer la nation ukrainienne de la surface de la terre, les ukrainiens sont supérieurs aux russes en tous points et au bord de la victoire, même si c’est plus long que prévu (il faut bien le reconnaître tout de même!). Le problème, est que la bulle narrative apparaît aujourd’hui comme ce qu’elle est : un îlot d’absurde au milieu d’un champ d’évidences contraires. Non seulement, une masse de milliers de vidéos du terrain, notamment de vidéos de drones, sur les réseaux sociaux, démentent totalement ce narratif, mais les rapports officiels de l’armée américaine, surtout des think tanks disons liés à l’armée, ainsi que les grands médias américains présentent aujourd’hui une toute autre vision du conflit, après il est vrai avoir été les fers de lance de la propagande occidentale. En gros, depuis le départ, les évidences du terrain que fournissaient les réseaux sociaux (récits de soldats, vidéos, récits de civils, etc.) démentaient le narratif politico-médiatique occidental, et depuis quelques mois, les américains opèrent un revirement dans leur narratif vers une jonction avec le réel, revirement qui n’est pas suivi encore par beaucoup de médias, dont Médiapart, pour des raisons d’aveuglement idéologiques (on ne veut pas reconnaître que les « méchants » gagnent et pire, qu’on a sa part de responsabilité dans un véritable drame humain du côté des ukrainiens).

Après avoir eu durant la première phase tout un narratif nous disant « les russes sont bientôt à court de munitions, nous allons soutenir l’Ukraine jusqu’à la victoire » (une liste de dizaines d’articles de 2021-2022 sur ce thème ici), on passe à « les stocks de munitions de l’OTAN arrive à épuisement ( un article ici de la BBC, plus d'articles ici) et l’appareil industriel russe se renforce et produit déjà dix fois plus de munitions que nous ». Ce dernier point par exemple est évalué par une étude menée par JP Morgan (difficile d’en faire une officine de propagande russe…) comparant la croissance de la production industrielle selon les pays et plaçant la Russie non moins qu’en première place au mois de septembre 2023. Les stats sont données par S&P Global, une entreprise d’intelligence économique de référence mondiale, et la croissance de la production industrielle russe ne date pas d’hier, mais d’au moins un an. En fait, fait intéressant, dès novembre 2022, le taux de croissance était presque comparable au taux du mois de septembre 2023, mais curieusement, c’est aujourd’hui que les grands médias relatent ce fait comme une « breaking news », ce qui indique bien qu’il s’agit d’un changement dans le narratif et non d’une prise en compte des données réelles, qui existent depuis bien plus longtemps. Ce n’est qu’un exemple, mais on peut montrer la même chose sur l’évaluation des pertes ukrainiennes et russes, par exemple dans ce dernier papier du Army War College de l’US Army, A Call to Action: Lessons from Ukraine for the Future Force, dont on peut lire (en anglais) un compte-rendu dans cet excellent blog, ou encore ici, mais aussi sur la nature des tactiques de combats de l’armée russe et ukrainienne (après avoir dit que les russes attaquaient à coup de « vagues humaines » et les ukrainiens étaient une armée de « pros » économisant ses hommes, on constate l’inverse notamment autour de Robotyne, où les ukrainiens utilisent une tactique consistant à déposer toutes les 24h des troupes d’infanteries dans les tranchées de la ligne de front au moyen de véhicules légers et rapides, troupes qui ensuite tentent un assaut sans support ni de blindé, ni d’aviation, tout au plus un peu d’artillerie, sur les positions russes, si bien sûr les soldats ne meurent pas avant, intensivement bombardés dans leurs trous par l’artillerie, l’aviation et les blindés russes). Par exemple cet article « Ukraine’s fall offensive will be predominantly infantry-based, Budanov says » sur YahooNews (si, si, sur Yahoo on trouve des infos plus intéressantes et objectives que sur Médiapart !).

Bref, le mensonge du narratif jusque-là dominant apparaît aujourd’hui clairement et l’écart considérable qui distance les analyses, entre autres, de Médiapart, de la réalité du terrain est manifeste. Pourquoi avoir menti ? A quoi cela aura-t-il servi ? Un mensonge nécessaire à la mobilisation de l’Occident en faveur du peuple ukrainien ? Je ne pense même pas que c’était utile : la solidarité envers le peuple ukrainien aurait été d’autant plus forte que la conscience de leurs inextricables difficultés face à l’armée russe. En quoi reconnaître que les russes savent ce qu’ils font et ont une puissance qui rend impossible, à moins d’engager l’ensemble des forces militaires et industrielles occidentales (et donc d’enclencher une troisième guerre mondiale), la victoire ukrainienne sur le champ de bataille était un danger pour le peuple ukrainien ou pour nous-mêmes ? Comment croire que nous pouvions gagner une guerre en se basant sur une analyse fausse de la situation réelle du terrain ? Une meilleure lucidité sur ses propres forces et sur les forces de l’adversaire n’est-il pas le meilleur moyen de prendre de bonnes décisions et d’engager une stratégie efficace qui puisse atteindre des objectifs réalistes ? On aurait peut-être, justement, armé l’Ukraine plus vite et plus rapidement pour mettre les russes en difficulté au début du conflit, avant qu’ils ne se renforcent, tout en ayant conscience qu’une victoire totale était impossible et que la meilleure tactique était de placer l’armée ukrainienne en défensive, d’intimider les russes et ensuite de se mettre à la table des négociations avec cette force d’intimidation en place (dire aux russes : vous voulez attaquez ? Allez-y, mais vous aurez de grosses pertes, au lieu de cela, peut-être peut-on négocier?). Je ne présente là que des vues très spéculatives bien sûr, mon ignorance de la situation, notamment des visées diplomatiques et géostratégiques des uns et des autres étant bien trop grande pour pourvoir affirmer quoique ce soit, il n’en reste pas moins que sur le plan conceptuel, je n’arrive à trouver aucune utilité au mensonge délibéré de la propagande occidentale autour de ce conflit. Pourquoi se voiler la face ? Pourquoi se complaire dans une description fantasmée de la réalité ? Le journalisme n’a-t-il pas pour devoir, justement, d’aller voir « derrière le rideau », la réalité du terrain pour nous permettre, à nous citoyennes et citoyennes de se positionner politiquement de manière éclairée et aux dirigeants de pouvoir prendre des décisions rationnelles efficaces et raisonnables ? Les anglo-saxons appellent cela du « wishfull thinking », c’est en effet, avant d’être un mensonge, un aveuglement.

Ne jamais rendre des comptes

De la même manière que nos politiques ne rendent jamais de compte devant le peuple qui les a élus après leur mandat, les journalistes ne rendent jamais de compte à personne pour leurs mensonges passés. En ce point réside largement l’efficacité du mensonge dans le champ politico-médiatique : les mensonges les plus grossiers sont proférés, leur effet, sur l’instant, est maximal, on va jusqu’à déclencher des guerres à la faveur de l’émotion qu’ils génèrent, puis quelques mois/années après, lorsque le caractère mensonger des faits est révélé, les médias ayant relayé et alimenter ce mensonge ne subissent aucune pénalité d’aucune sorte, tout au plus présente un petit communiqué d’excuse en bas de page. L’effet de la révélation du mensonge est presque insignifiant, lorsque l’efficacité de celui-ci est maximale, il est donc intéressant de continuer à mentir. Les effets politiques du mensonge sont considérables. Pendant plus d’un an, et encore largement aujourd’hui, les médias occidentaux mentent sur les pertes de la guerre en Ukraine. D’ici quelques années, bien sûr, on finira par reconnaître la vérité, on découvrira que les ukrainiens auront perdu des centaines de milliers de soldats, lorsque les russes auront subi cinq peut-être dix fois moins de pertes. Mais ce sera trop tard, l’effet du mensonge aura déjà eu lieu, il a déjà eu lieu : les opinions occidentales ont poussé à la guerre le peuple ukrainien et celui-ci s’est hardiment engagé dans la résistance, sans avoir conscience du sacrifice gigantesque qu’il allait payer pour cela. Il y a fort à parier que si les médias avaient choisi une propagande inverse, en instant chaque jour sur l’énormité des pertes ukrainiennes par exemple, les opinions occidentales se seraient mobilisés pour un appel à la paix et à l’arrêt de la boucherie. Tout est histoire de comment les médias présentent les choses… 

Les médias auront menti, Mediapart aura menti, et pourtant, nous le verrons, personne ne paiera pour ses mensonges. D’ici quelques années, lorsque la vérité aura été révélée, cela passera inaperçu, tout le monde aura déjà oublié et on recommencera comme si de rien était la prochaine fois. Pensons à la guerre en Yougoslavie, dont le traitement médiatique de la guerre en Ukraine suit l’exact même scénario, en peut-être une plus grande intensité encore.

Pourquoi je préfère aller subventionner une autre presse que Médiapart…

Si donc le journalisme de Médiapart n’a même plus l’intérêt de l’objectivité, je ne vois plus aucune raison suivre le journal, déjà gangrené par cette posture moraliste qui simplifie tout et caricature les opinions. C’est d’autant plus grave que Médiapart se revendique journal « d’investigation » : c’est précisément ce qu’il n’a pas fait : investiguer les magouilles des labos durant le covid, le caractère louche des controverses scientifiques mondiales autour des traitements du covid, investiguer la réalité du terrain en Ukraine durant cette guerre, etc. Quand on voit, en comparaison, la qualité des nouveaux médias du net comme Elucid sur YouTube, je me dis que je préfère aider financièrement cette presse. J’espère, pour ma part, sceptique sur la capacité des journalistes de Médiapart de se remettre en question, que le journal périclitera, lui et toute la presse mainstream qui trahit jour après jour plus en avant l’éthique et le professionnalisme journalistique. De nouveaux médias, plus soucieux du débat, de l’objectivité et de l’ouverture à l’altérité et son inévitable différence de point de vue, je l’espère, vont naître (et naissent déjà) sur les décombres des ruines des grands organes de presse.

Se remettre en question serait la meilleure chose à faire pour toute l'équipe journalistique de Mediapart, qui, au-delà de son aveuglement au réel, porte la responsabilité d'une véritable violence envers les nombreuses personnes méprisées avec condescendance pour leurs opinions divergentes ces quatre dernières années et heurtées profondément dans leurs valeurs et leurs ressentis.

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