Agrandissement : Illustration 1
Au cœur de ce territoire sauvage sourdant des hauteurs de l’échine granitique du mont Losera ( mont Lozère) — point culminant des Cévennes— en quête de sensations fortes les eaux vives se faufilent avec malice entre les blocs granitiques et les vastes étendues démesurées. Gonflé d’orgueil, le minuscule ru métamorphosé traverse ardemment l’immensité des plateaux calcaires des grands Causses, avant de poursuivre sa course folle à travers les sinuosités escarpées des gorges façonnées au fil des siècles par sa fougue légendaire.
En aval de Millau, avec force et vigueur il creuse inlassablement un long et tortueux défilé rocheux qui entaille profondément le plateau du Lévezou. Tout au long de majestueux paysages parsemés de schistes noirs couverts de genêts, de chênes verdoyants, entre d'abrupts versants Les Raspes enserrent les eaux vertes, jugulées par une ribambelle de barrages artificiels. Au gré d'un infatigable périple, entre les Monts d'Alban la rivière s'insinue au fin fond de son département éponyme.
Plus en contrebas, au détour d’un caprice des temps géologiques, contournant une aiguille schisteuse le Tarn décrit une longue boucle de trois kilomètres avant de revenir sur ses pas. Simple fantaisie, fort coup de tête ou folle saute d’humeur, pourquoi tant de persévérance au fil de ses errements ? Entre les deux rives voisines l'isthme le plus étroit d’Europe. À peine une trentaine de mètres séparent les berges souvent remaniées par l’abondance des flots.
Ceinturée par le gigantesque méandre apparaît la chimérique presqu’île d’Ambialet, lovée au sein d’un paysage inhabituel où nature et histoire s'entrelacent harmonieusement. Avec ses falaises abruptes typiques de ce territoire reclus, les concrétions schisteuses révèlent un panorama des plus spectaculaire.
« Aucun isthme de France n'est si beau ; c'est un monde profond qui doit tout à lui-même, rien à l'espace, c'est-à-dire à ce qui décroît et ce qui fuit » Onésime Reclus.
Vertueuse ligne symbolique, la Méridienne verte traverse la France de part en part, six régions, une vingtaine de départements, puis trois cent trente six communes parmi lesquelles celle d’Ambialet. Niché sur cette langue de terre, la « Petite cité de caractère », ancien castelas médiéval, fait partie des joyaux méconnus du département. Sa situation escarpée n’a cessé de façonner le raffinement de ce lieu si singulier.
Au fil des tournants de l’histoire le bourg s’est peu à peu scindé en deux portions distinctes: d’un côté Ambialet-le-bas — au bord de la rivière la vie qui chemine à pas lents le long des sentiers muletiers. De l’autre Ambialet-le-haut— sur les hauteurs du promontoire rocailleux dominant le tortueux méandre s’élèvent les hauteurs de la foi manifestée. Attenante au Prieuré, ancien monastère bénédictin, la chapelle romane Notre Dame de l’Auder aux vespérales oraisons tutoyant les vertiges du ciel.
Ancien fief de la famille des Trencavel, seigneurs et vicomtes d'Ambialet et d'Albi, du temps de la Croisade des Albigeois Ambialet fut la plus importante place-forte de l’Albigeois. Sur la colline face au Prieuré les ruines du redoutable château seigneurial « Le Castella » qui surplombe le site. Ici en 1210 Raimond VI, Comte de Toulouse a rencontré le chef des croisés catholiques Simon de Montfort, qui au cours de la Croisade s’est arrogé la propriété du château de Saint Raphäel. Certains jours de grand vent, à travers les ruines qui esquissent un semblant de limite au chaos, retentit la rumeur des cavalcades et des tocsins semblables aux battements de cœur par-dessus les nuages.
Passé l’entrée percée dans la roche à coups de pic, le bout de terre mène jusqu’à la presqu’île. Fidèle réplique d’un châtelet de dessin animé, l’imposante bâtisse ornée de façades rose, surmontée de toits pointus et entourée de donjons abrite la centrale hydroélectrique installée le long du Tarn. Afin de capter et réguler le débit des flots, le barrage constitue également une protection contre les risques d’inondations, dans une région où les débordements, appelées Tarnades, deviennent parfois brusquement violents.
Bousculée par les courants belliqueux de grandes crues hivernales, la presqu’île perd alors sa particule pour se métamorphoser en éblouissante île flottante. Éphémère curiosité de cet îlot de fraîcheur tapissé de luxuriante végétation méditerranéenne. Sur le mur de la centrale une plaque témoin du débordement des eaux lors de l’Aigat de 1930. À contrario de l’apparente quiétude de cet havre de paix, la vie par ici n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Ne jamais se fier au flegme apparent des eaux du Tarn, toujours prompt à révéler ses furies légendaires.
Sur la place centrale trône une imposante fontaine tout de pierre échafaudée. Au grand dam de tous, récemment bousculée par la furie de l’Autan elle s’est effondrée dans le plus grand étonnement. Au détour de petites ruelles abruptes, calades de galets polis par les temps et escaliers biscornus invitent à la curiosité des lieux. Semblable au méandre avoisinant, la glycine bientôt centenaire s’enroule tout autour du café de la presqu'île. Sous la candeur de la tonnelle on se laisse aller à siroter une boisson fraîche ou bien à savourer les délices d’une crème glacée.
Par ici le temps n’a pas la même emprise qu’ailleurs, à croire qu’il s’écoule au rythme des murmures de la rivière sans plus se soucier des tracas de la vie. Et l’on se surprend à tout simplement lâcher prise, happé par la sérénité de ces instants bucoliques propices à l’évasion. Parfois le bonheur dépend d’un simple miracle.