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Billet de blog 31 mars 2025

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VAGABOND D'ÂME II

Vivre sans temps mort et jouir sans entrave

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Illustration 1
© Vent d'Autan

L’ENTRAVE

Quelques semaines plus tard…

Plus par pure conviction que par simple choix, en marge des grands axes balisés d’asphalte, arpentant clandestinement chemins buissonniers et autres sentiers éclipsés, franchissant tour à tour lignes de crête et dévalant enchevêtrements de défilés, inlassablement Nils poursuit sa route en quête d’univers grandioses  harponnés par la magie des pôles. Là bas sous le miroir bleu de la banquise au point le plus extrême du globe, ce paradis blanc où essaiment ces effusions de lueurs sauvages sous l’aura des champs magnétiques. De quoi nourrir les rêves les plus grandioses et les plus mystiques qui soient.

Chacun des paysages traversés l’éloignant un peu plus de son havre douillet, à chaque étape du soir il consigne quelques lignes dans son carnet de voyage. D’un esprit bien trempé, à raison de huit heures de marche soutenue, il s’astreint à parcourir une bonne trentaine de kilomètres journaliers, mis à part le dimanche où volontiers il s’accorde une pause salutaire. Compte tenu de la clémence de la saison pour l’instant le challenge reste à portée de brindilles de soleil.

Confronté à la réalité d’exigences toutes aussi plus prégnantes qu’ubuesques, son libre arbitre allait bientôt se confronter aux turpitudes de l’espace de Schengen. Malgré toutes les précautions prises avant de filer sous les auspices de l’aventure il n’avait guère envisagé que sa route puisse être ainsi entravée par quelques absurdités administratives distillées en filigranes par une poignée d’esprits retors.

Appréhendé contre son propre gré, mis à l’étroit manu militari entre ces murs sourds qui  brusquement le sépare des vents filant avec fougue vers le grand Nord, aussi épique soit-elle  sa vision du monde se restreint à peau de chagrin, étriquée par ce corporatisme de dogmes, borné et tatillon, d’une inflexibilité à toutes épreuves. Où que se pose son regard tout n’est plus que contrainte et enfermement, absurdités administratives à cette liberté de voyager à sa guise. Ainsi le piège infernal se referme inexorablement sur ceux qui osent encore rêver et espérèrent vagabonder ça et là au gré des étincelles. Naufragés de l’exil en rupture de ban, assignés à résidence.

Illustration 2

CRA. Sulfureux acronyme érigé sous le poids de douleurs anonymes. Clôtures électriques et fils de fer barbelés, miradors et projecteurs, sirènes d’alarme et caméras de surveillance, uniformes sombres et chiens policiers, vision cauchemardesque qui n’est pas sans raviver en lui de douloureux souvenirs de sa famille déracinée jetée sur les routes de l’exode. Sous couvert d’oripeaux le monde n’a guère changé, ici ou bien ailleurs la nuée de corbeaux aux entours des mornes étendues ne prête guère à la réjouissance. À peine si leur croassement ne blanchit les campagnes.

Entre les griffes d’instances énigmatiques, rien ne l’avait préparé à devoir explorer les thèmes de la culpabilité, de la justice et de l’aliénation de l’univers Kafkaïen. Bousculé à hue et à dia par l’évolution des temps contemporains les normes restrictives entravent toute option de laisser-aller, la liberté devenant luxe qui se paye cash. Face à telles déconvenues il en arrivait presque à regretter ce départ précipité et la douceur de vivre de son hameau blotti à la lisière des forêts.

En ce huis clos de libertés égratignées, les silences sont assourdissants et les matins livides. Après plusieurs jours de consignes absurdes et d’injonctions paradoxales dictant l’emploi du temps sans notion arbitraire, sous couvert de l’hypocrisie d’un discours moralisateur  prononcé avec aplomb et morgue, un des vibrions de service lui remet cette note manuscrite sans aucune explication.

Dernière élucubration en date : « Tout citoyen en ordre de marche devra s’acquitter en bonne et due forme d’un certificat de conformité, à durée de validité annuelle, attestant l’intégrité écologique des éléments constituants l’ensemble de tous accessoires aptes au processus de cheminement et de déambulation : chaussures, sandales, souliers, escarpins, espadrilles, bottes, bottines, brodequins, la liste ne saurait être exhaustive. Selon l’article L 458-324-9 § 7 du Code Européen, dans le cadre de la préservation du vivant, toute provenance d’origine animale ou végétale est fortement prohibé. Tout contrevenant encourant des peines… blablabla »

À ce train d’enfer, sous la cohorte de chenilles processionnaires qui défilent en continu sur les écrans de fumées, le vieux monde qui est le sien semble bel et bien en voie de disparition. À contrario de la start-up nation 2. 0, il est aucun sans doute un des seuls à s’en inquiéter. Ainsi va le monde à la dérive des flots.

Illustration 3
© Vent d'Autan

Tel un loin en cage fulminant en son for intérieur, entre de vifs désappointements il rumine quelques maugréements rebroussant à tue-tête le fil de ces fâcheuses contrariétés. À travers le cadre des barreaux encadrant les lignes restreintes de son nouvel horizon il examine scrupuleusement moultes parades pour s’extirper de cette impasse. Après tout à chaque problème une solution, pas question que l’aventure s’arrête en si bon chemin.

Repoussant avec vigueur l‘escadrille de nuages noirs qui encombrent son esprit vagabond il envisage de ne pas en rester là à dépendre du bon vouloir des uns et des autres. En son for intérieur une étincelle d’espoir ravive sa flamme, avec ses compagnons d’infortune il échafaude quelques pistes de sortie pour se tirer de ce mauvais pas, solutions plus ou moins abracadabrantes les unes que les autres. Ainsi passent d’interminables heures de délibérations sous la lumière crue des néons. La nuit porte conseil à qui veut bien en découdre les fronces.

Aux premiers atours de l’aube, le cri strident d’une sirène aux abois. Encore assoupi, les yeux emplis de somnolence, le seul gardien émerge de sa torpeur. Sur le grand tableau de surveillance l’éclat lumineux d’un des voyants joue les troubles fête. Bâtiment IX, bloc Z, cellule 12. Le silence des pantoufles étant bien plus bien confortable que le bruit des bottes, entre vitesse et précipitation il choisit délibérément de ne pas chausser ses fidèles rangers en peau d’hévéa recyclé, en tous points conformes à la norme en vigueur. À l’instant même où il pousse la porte de la geôle, sans aucun ménagement les trois comparses le plaquent aussitôt au sol avant de le saucissonner aussi sec avec les lambeaux de draps déchirés, tout en prenant soin de le bâillonner ainsi réduit au silence. Ce matin là sa prestance en prit pour son grade.

Bien que la voie semble libre la méfiance est de rigueur, au sein de ce dédale nombreux sont les pièges à éviter. Le souffle court, chaque sens en éveil, ils arpentent sans encombre cohorte de considérables coursives et corridors déserts juste avant de dévaler le grand escalier de service en colimaçon pour se retrouver au cœur de la grande cour extérieure nimbée de projecteurs. La possibilité d’une autre présence hostile se répand dans l’opacité  des lieux, ébauchant les contours d’une dimension oppressante et ambiguë.

À pas de loup, tels un faisceau d’ombres furtives, dans un silence presque solennel  ils se glissent le long des murs de la casemate de béton et d’acier, contournant le local de sécurité d’où scintille la lueur bleutée des écrans de contrôle. Pas âme qui vive, hors de question de s’attarder par ici. Pris de peur panique les battements de leurs cœurs martèlent le trouble tandis qu’une bouffée d’adrénaline exalte leur instinct de survie.

Longeant le pourtour enceint de fâcheuses clôtures voilà qu’ils s’infiltrent furtivement entre les plis de la lune. À l’autre bout, soigneusement dissimulée sous un roncier sauvage une porte de sortie au mécanisme désuet. Subrepticement, aussi invraisemblable soit-il les voilà libres sous les étoiles filantes. Désormais fugitif à part entière il se redresse fièrement emporté par la fièvre de cette cavale. Dans la lumière qui file sans laisser une seule trace, le sillage des vents jusqu’aux confins des terres. Le regard tourné vers le large et ses vieux brodequins illicites comme un souvenir des temps heureux, tout à coup l’expression « Trouver chaussure à son pied » trouve là une nouvelle interprétation. Vite tailler la route !

Sitôt à l’extérieur,  tels des oiseaux effarouchés ses compagnons d’infortune se sont éparpillés sans demander leur reste, filant au hasard d’autres destinations plus propices. À peine s’ils se sont échangés quelques paroles de soutien ou d’encouragement, à peine s’ils ont partagés leurs peurs ainsi que leurs angoisses communes, à peine s’ils se souviennent des prénoms de leurs visages inconnus, à peine si cette déconvenue n’ait entaché le socle commun de cette péripétie. Interloqués et impassibles dans les tourments qui les égarent, comme si il n’y avait jamais rien eu, étrangers les uns aux autres, et pourtant. 

Revigoré par la fraîcheur matinale, dans un instant de grâce il savoure pleinement la ferveur de cette liberté si chérie, cette privation temporaire en ayant ravivé toute la quintessence. En son for intérieur germe une pensée émue pour chacun des citoyens du monde privés de cette essence vitale sans laquelle l’équilibre de l’univers  en proie aux guerres et au chaos des discordes demeure si précaire. Face à la réalité des évènements, un brin songeur il allonge le pas, foulant le sol avec zèle, s’éloignant au plus vite de ce lieu voué aux gémonies des remparts d’une Europe décadente.

À l’heure propice où les ombres s’étirent au rythme des soupirs, les premiers souffles du soir se glissent en catimini le long des berges de la nuit. Le regard tourné vers là bas il s’imagine déjà au pied des fjords majestueux, contemplant ces volutes d’émeraudes, flambeaux de la nuit. Sur ces terres lointaines, après des mois d’obscurité polaire les paysages n’existent que par le contraste des lueurs d’apparat arc-boutées aux déchirures du ciel.

Aux tâtonnements de l’aube, tandis que les premiers sillons de lueurs tentent de percer les écharpes de brume, avant de se mettre en route avec cette ferveur quotidienne il s’octroie une page de lecture afin de trouver la force nécessaire à se réinventer.  Et comme par enchantement il  trouve là une part de magie à voir s’éclipser les mots d’entre les lignes, sorte de fil conducteur qui le pousse à toujours aller de l’avant.

« Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route. » Jack Kérouac.

Vagabond d'âme

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