Outre-Atlantique, la vague libertarienne illibérale, portée par un président Trump lié à son soutien financier et médiatique Elon Musk, balaie les structures étatiques. Bien sûr, on peut tenter de se rassurer en se disant que l’offensive anti-État de Trump et Musk se brisera face aux institutions démocratiques ou à la lenteur de celles-ci. Mais force est de constater que les actions entreprises par Musk sont aussi – et surtout – couplée à un discours qui prend racine.
Aux États-Unis, la réticence vis-à-vis de l’État est presque une culture populaire. Pas étonnant, donc, que le discours de Musk y prospère. Le sud-africain peut facilement y déployer sa rhétorique de haine de l’État. Mais quel est ce discours ?
Tuer son chien
Au fond, il s’agit de mettre tous les maux de la société sur le dos de la puissance publique avec un argument fallacieux : la puissance publique existe, coûte de l’argent, et pourtant les problèmes de la société subsistent. On doit tirer de ce rapide exposé la conclusion que l’État est donc inefficace et, ultimement, trop coûteux. Il ne serait qu’une charge. Sans aborder l’hypothèse que c’est peut-être la faiblesse du périmètre de l’État qui explique la subsistance des problèmes.
Par exemple, au-delà de Musk, les républicains américains ont, de longue date, fait campagne pour supprimer les programmes Medicare et Medicaid qui offrent à des dizaines de millions d’Américains un semblant d’assurance sociale. L’argument du Grand Old Party (GOP) est que ce système est trop coûteux, qu’il plombe les finances publiques et qu’il est ainsi une forme de vol des contribuables. Le parti avance que le système ne permet pas, par ailleurs, de couvrir efficacement les besoins de santé dont les Américains bénéficient.
Mais leur propos, qui argumente en faveur de sa suppression ignore grossièrement que l’imperfection du système tient justement à sa couverture trop parcellaire et restrictive.
Au fond, c’est le sujet plus global de l’offensive anti-État qu’il convient d’aborder. Les néo-libéraux, succédés par les libertariens illibéraux, affaiblissent les structures étatiques en leur appliquant des logiques managériales et de rentabilité qui ne devraient pas trouver à s’y appliquer. Par la suite, ils constatent la déliquescence de ces services publics, conséquence qu’ils ont, eux-mêmes, organisée. Ils en concluent enfin que ces services publics, dénués de rentabilité et d’efficacité, doivent être privatisés.
On a coutume de dire que « pour tuer son chien, il faut dire qu’il a la rage ». Mais en réalité, pour tuer son chien, il faut lui inoculer la rage.
Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, en janvier 2025, l’État, qui est bien plus restreint aux États-Unis qu’en France, est donc visé par un démantèlement fondé sur sa prétendue inefficacité. De ce démantèlement, naît une plus grande précarité pour les plus pauvres. En effet, tous les secteurs que l’État déserte seront réinvestis par le privé. Or, le privé porte en lui l’inégalité car il réserve le meilleur aux plus aisés, suivant une logique uniquement économique, là où le public a la faculté – et même l’obligation – de s’en départir.
L’entreprise de Musk et Trump n’est pas seulement un carburant à inégalités, elle est un plan de dépossession du peuple. C’est une sortie du champ de la décision démocratique de pans entiers de l’action publique.
Il y a une raison pour laquelle la santé, l’éducation ou même la protection de l’environnement sont régulièrement prises en charge par l’État, donc par la collectivité. Ces secteurs sont au cœur de la détermination des conditions matérielles d’existence des citoyens.
Or, l’objet de la démocratie est précisément de confier la détermination des conditions d’existence à la souveraineté populaire. Le peuple décide pour lui-même.
Dans le projet Trump-Musk, le citoyen est dessaisi et devient un consommateur. Son pouvoir est amoindri et, surtout, il se passe du débat public, la logique de prix emporte tout et, puisque la concurrence pure et parfaite n’existe pas dans le monde réel, des monopoles – ou du moins des oligopoles – naissent et enferment le consommateur non seulement dans un environnement économiquement défavorable mais également dans un filtre idéologique.
Le cas de l’éducation privée est éloquent. Une privatisation de l’éducation, telle que visée par Trump et Linda MacMahon, aurait des conséquences majeures. Premièrement, la logique de prix réserverait les meilleures conditions d’éducation – classes à taille réduite, technologies de pointe, suivi personnalisé, activités culturelles – aux plus aisés, tandis que les plus pauvres ne pourraient placer leurs enfants que dans des écoles de seconde zone, offrant un horizon bien moins désirable. Soit dit en passant, ce scénario est déjà proche de la réalité américaine. Deuxièmement, la privatisation impliquerait une détermination des contenus de l’apprentissage par des acteurs privés à qui il serait donc loisible de tordre les connaissances et ainsi de faire perpétuer des contre-vérités. Quelques ultra-riches, hors de tout contrôle démocratique, pourraient inculquer au futur de la nation leur vision de la société et tous les défauts qu’elle porte. Les enfants en deviendraient rapidement les agents.
Voilà donc le monde que prépare cette offensive trumpo-muskienne sur l’État. Voilà la monde devant lequel quelques leaders d’opinion frémissent.
La traversée de l'Atlantique
En France, le représentant de cette vague ne s’appellerait-il pas Cyril Hanouna ?
La fermeture de la chaîne C8 lui a donné l’occasion de faire exploser la haine de l’État qu’il portait déjà en lui. Pour l’animateur, qui se rêve en Trump français – malgré ses dénégations –, la décision de l’ARCOM, qui a retiré le droit d’émettre sur la TNT à la chaîne du groupe Bolloré, est un coup de force anti-démocratique. Cyril Hanouna affirme ainsi que ce sont des « commissaires non-élus »qui l’auraient condamné au silence. Il s’en prend également au Conseil d’État, gardien de la légalité administrative, qu’il accuse d’être une institution composée à 80% de « juges gauchistes ». Prenons le temps d’une digression sur cet argumentaire.
L’ARCOM est une autorité administrative indépendante (AAI). Les AAI n’existent pas par hasard. Elles ont pour but de réguler certains secteurs stratégiques en dehors de la pression du politique. L’idée est simple : sur l’audiovisuel, l’ARCOM a pour objet de faire respecter les prescriptions législatives, expressions de la volonté de la souveraineté populaire, visant à garantir le pluralisme et la diversité des contenus, qui doivent, en outre, revêtir un certain niveau de qualité. Leur indépendance est cruciale. Car quand bien même on est un amoureux de la souveraineté du peuple comme l’est l’auteur de ces lignes, il faut admettre que des secteurs d’intérêt démocratique doivent échapper à la tentation politicienne. C’est le cas de l’audiovisuel, qui est une composante de l’espace public et donc de la démocratie. Sa régulation doit donc être apartisane, neutre, ce qui implique l’indépendance et la non-élection de son agence.
Mais indépendance ne rime pas avec pouvoir illimité. Le respect de la légalité s’impose aux AAI, dont l’ARCOM. C’est le sens de la justice administrative, dont le Conseil d’État est la cour suprême. Il a un but : garantir que l’administration, sous toutes ses formes, agit dans le respect de la légalité. C’est donc un contre-pouvoir élémentaire, plus important encore, au regard de la démocratie, que ne l’est la Cour de cassation. Il prévient les excès de pouvoir. Et il le fait en pleine indépendance, ainsi que l’a reconnu la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
La contestation de la décision de l’ARCOM visant C8 et la confirmation de cette dernière par le Conseil d’État est donc une insatisfaction avec les principes de l’État de droit.
Car Cyril Hanouna est bien conscient que C8, à de nombreuses reprises, a violé le contrat qui la liait à l’État et à l’ARCOM en ne respectant pas les obligations de tenue mais aussi de diversité de l’antenne. Il sait aussi que les canaux de la TNT ne sont que concédés et que l’ARCOM est loisible de les concéder à d’autres, qui leur assurent de meilleures garanties.
Au fond, Cyril Hanouna et ses soutiens regrettent que le Conseil d’État ait jugé en légalité plutôt qu’en opportunité. Ils auraient préféré que les juges du Palais Royal se contorsionnent pour faire primer une prétendue défense de la liberté d’expression sur les principes légaux de la mise en concurrence. Ce souhait est d’ailleurs similaire à celui de Marine Le Pen qui aurait voulu que sa bonne tenue dans les sondages présidentiels lui accorde une immunité judiciaire, au nom d’une prétendue défense du pluralisme, fondée sur un raisonnement probabiliste.
Pour en revenir au cas de C8, on notera avec ironie que les tenants du discours ultra-libéral, pro-entreprises, que sont Cyril Hanouna et ses compères, sont en pointe pour regretter leur mise en concurrence, principe hautement libéral, et l’impossibilité de se voir accorder un monopole perpétuel de canal.
Plus encore, Cyril Hanouna et son mécène, Vincent Bolloré, regrettent en fait que la liberté d’expression ne soit pas indéfiniment étendue. Ils partagent l’avis que tout est bon à dire et que jamais la sanction ne doit exister. Ils rejoignent, en cela le vice-président américain, JD Vance, dans sa croisade idéologique pour une liberté d’expression sans limite, qui est surtout la voie vers le chaos informationnel, une forme de l’espace public complètement embuée par le bruit et dans laquelle la vérité est noyée au milieu des opinions les plus folles.
Mais le système français et européen de liberté d’expression est le plus adéquat. C’est un système qualifié de « répressif » ou d’« état gendarme », dans lequel on peut tout dire mais en s’exposant à des sanctions lorsque les propos heurtent des intérêts supérieurs, l’ordre public ou une forme de morale commune, délibérée par le peuple politique. Pas d’autorisation préalable pour la parole donc, mais une condamnation des propos que le législateur – représentant de la société démocratique – a jugé répréhensible. C’est donc la société elle-même qui s’autolimite, preuve de sa maturité citoyenne. Et il convient de dire que cette autolimitation est particulièrement contenue et ne concerne guère que le négationnisme, le racisme et les discriminations les plus évidentes et odieuses, dont on pourra s’accorder qu’elles n’ont pas leur place dans les sociétés les plus avancées.
Mais cette croisade de Cyril Hanouna est une croisade contre l’État de droit. Il partage ainsi l’avis du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et de toute cette droite extrême qui prospère.
Pour ces militants de l’abolition du droit, l’État de droit serait une aberration démocratique car il s’opposerait aux volontés populaires. Pourtant, ce système est une construction infiniment démocratique. On renverra au commentaire des propositions de Laurent Wauquiez dans lequel l’auteur de ces lignes revenait sur l’apport manifestement essentiel d’un État de droit fort, compréhensif, au sens de complet et effectif. On dira seulement que l’État de droit est la preuve de la capacité des peuples à accepter leur propre imperfection, de leur maturité démocratique.
En refusant l’État de droit, Hanouna, Retailleau, Wauquiez ou Le Pen refusent les droits et libertés fondamentaux. Ils veulent construire une société qui rend possible l’oppression. Ils avancent le cauchemar de la tyrannie de la majorité, face à l’idéal de la société démocratique construite par le dialogue et le débat public.
Or, un système de tyrannie de la majorité, de démocratie illibérale, s’autoentretient puisqu’il donne le pouvoir – sans limites – à des autocrates qui ont ensuite la faculté de manipuler la vérité pour asseoir leurs positions. C’est là toute la force des régimes totalitaires et fascistes qui ont conquis le pouvoir par l’élection et l’ont conservé par la colonisation des esprits que rendait possible l’utilisation des ressources de l’État.
Pour Cyril Hanouna, l’espace audiovisuel n’est pas qu’une plateforme pour déverser son intolérance. Il a bien compris, comme Vincent Bolloré, que l’espace public devait être colonisé, dans une sorte de stratégie gramscienne.
L’espace public est une notion très importante car elle vise les lieux, physiques ou non, dans lesquels se rencontrent les Hommes, leurs idées, les politiques… L’espace public est donc le lieu de la délibération, dans lequel les habitants deviennent citoyens en s’appropriant le fait politique. Il n’est plus réservé à quelques élites dirigeantes mais devient une matière commune, pensée en commun.
Mais si l’espace public tel que défini par son penseur, Jürgen Habermas, est d’abord né dans des espaces physiques, à l’instar des clubs révolutionnaires, et que la rue en est une des composantes centrales, force est de constater qu’il est aujourd’hui complété par une multitude d’espaces virtuels, immatériels et surtout privatisés. Ainsi doit-on évoquer les réseaux sociaux qui sont l’une des premières occurrences d’espaces publics entièrement mis aux mains d’acteurs dérégulés. Mais la télévision et la radio, que chevauche Cyril Hanouna, sont aussi des espaces publics puissants dans leur force de frappe.
Et si la régulation y est assurément plus forte, elle se heurte naturellement à la liberté d’expression et d’opinion, déjà évoquée, qui permet évidemment à Cyril Hanouna et Vincent Bolloré de penser ce qu’ils veulent.
Face à la vision de la société qu’ils portent, il ne reste que le débat contradictoire – mais qui n’existe en fait qu’en dehors des murs de leurs canaux. Il s’agit d’analyser et de déconstruire leur discours, ainsi que l’on s’y attèle présentement, pour en exciper le caractère rance et nauséabond.
Car il s’agit bien d’un choc entre deux visions de la société. Celle qu’arbore Cyril Hanouna est bien celle de l’offensive contre l’État de Donald Trump, Elon Musk, Javier Milei…
Alors qu’ont bruissé, malgré ses dénégations, les rumeurs sur sa candidature à l’élection présidentielle de 2027 et que sa cour d’affidés continue d’affirmer sans sourciller qu’il est le seul à pouvoir sauver la France, l’animateur-producteur a évoqué son projet de société à plusieurs reprises. Mimant Milei et savourant les travaux du duo Trump-Musk, Hanouna a dit vouloir sabrer dans les aides au développement, par exemple, dans une magnifique démonstration de son égoïsme mais aussi de son ignorance majeure des dynamiques fondamentales de l’économie du développement.
Mais, plus généralement, la rhétorique d’Hanouna est celle de la réduction de la place de l’État. Pour lui, l’État n’est pas autre chose qu’un syndicat de bureaucrates, de fonctionnaires non-élus qui tiendraient la France face au peuple – dont il a une vision fantasmée et erronée. Cyril Hanouna se pose donc en défenseur de la volonté populaire face à la machine étatique.
Pourtant, l’État n’est pas le monstre bureaucratique qu’il dépeint. On peut, bien sûr, regretter les lourdeurs administratives ou la tendance à l’implantation de techniques de gestion privée dans les services publics. Mais il faut bien rappeler que ces politiques sont le fruit de projets politiques portés par des élus adeptes du consensus néo-libéral. On en revient donc à l’inoculation de la rage au chien que l’on veut tuer.
Il faut, par la suite, dire que l’État n’est pas, en réalité, une machine technique. L’État est l’expression de la collectivité. C’est le véhicule institutionnel de la démocratie. L’État n’est rien que la structure de mise en œuvre de la volonté populaire exprimée par le vote. Et son périmètre est donc le fruit de conquêtes démocratiques. Si l’État est si présent en France, c’est parce que la société française a décidé, depuis 1789 et l’irruption des masses dans le jeu politique, de créer une superstructure de communauté pour peser face aux puissants, aux possédants et divers barons qui rêvent de décider de tout pour tous.
L’État est la mise en commun de la puissance de chaque citoyen qui, seul, n’est rien, mais en commun est capable de réguler les puissants. C’est la garantie de l’accès à l’éducation, à la santé, à la sécurité et à l’assistance sociale pour tous. C’est donc la lutte contre les phénomènes de reproduction sociales, d’inégalités et d’asservissement.
Le propos de Cyril Hanouna est un propos dangereux. Il est d’autant plus dangereux qu’il parodie la politique. La stratégie de l’animateur-producteur est de se présenter comme un porte-parole du bon sens, apportant une proposition simple. Pour lui, tous ceux qui ont fait de la politique ont échoué. C’est donc que la politique est un échec. Il faut ainsi supprimer la politique en supprimant son support, l’État. L’État est d’ailleurs celui qui taxe, qui empêche de faire tout ce qui nous plaît. L’école et l’hôpital publics sont en faillite, ce qui implique que le contribuable paye pour de mauvais services publics que le privé assurerait bien mieux.
La simplicité de ce propos est terrifiante. Elle emporte les masses. Car ce raisonnement péremptoire se fonde sur un certain nombre de réalités.
Premièrement, l’échec des gouvernements successifs est en réalité l’échec unique d’un consensus politique néo-libéral tel qu’on l’a évoqué. Et l’échec de cette politique appelle à envisager des alternatives. Mais dire que le problème est l’État et que son périmètre doit être réduit à portion congrue n’est pas une rupture, c’est un approfondissement du néo-libéralisme qui ne vise qu’une chose : substituer le marché à l’État. Une alternative réelle réside plutôt dans l’amélioration de l’action de l’État et même dans son extension, en cessant de se pencher sa rentabilité – illusoire – et en préférant le refinancement des services publics.
Deuxièmement, l’amalgame de tous les politiques est une facilité rendue possible par les échecs d’une partie de la gauche de gouvernement qui, une fois au pouvoir, s’est pliée au consensus néo-libéral. Le quinquennat de François Hollande, particulièrement à partir de l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, a ainsi été une terrible disqualification de la gauche qui avait fait campagne sur la rupture mais a préféré l’accompagnement des politiques habituelles.
Troisièmement, la suppression de l’État, ou la simple réduction de son périmètre, viendrait exposer la masse citoyenne aux nouvelles puissances dérégulées, celles de l’argent, qui se soucient peu de l’ascenseur social, de la redistribution ou de l’égalité.
Prenons un exemple. Bien souvent, les contempteurs de l’État affirment que la suppression totale des cotisations sociales aboutirait à la rémunération des salariés au superbrut. La réalité est moins reluisante. Un monde de dérégulation et de réduction du périmètre de l’État, couplé à la réduction de la législation du travail pour faciliter la mobilité professionnelle, serait un monde de déséquilibre. L’idée que, sans cotisation, le salarié verrait sa paye plus que doubler repose sur la fiction de l’égalité contractuelle, très en vogue au début de la Grande Révolution de 1789. Les Hommes libres seraient capables de contracter et de trouver, dans leurs négociations, la position conciliant au mieux leurs intérêts. Mais depuis le milieu du XIXe siècle, notamment depuis le rapport Villermé sur le travail des enfants et le mouvement d’assistance sociale qu’il a lancé, ce mythe a été reconnu pour ce qu’il est : une fable. En dérégulant, le salarié est affaibli car il perd l’assurance de la législation du travail et de l’État qui garantissait non seulement un niveau de salaire net minimum et des négociations entre partenaires sociaux sur l’échelle des rémunérations, mais aussi le salaire différé qui finançait le système de retraites, d’assurance maladie ou de prévention des accidents du travail. Sans les obligations fixées par l’État, l’entreprise fera pression sur les salaires, à la baisse naturellement, rognant sur les hypothétiques gains en salaires net que pourrait représenter la suppression des cotisations sociales. Le résultat sera donc un enrichissement de l’entreprise et du capital et un appauvrissement décuplé du salarié qui aura perdu la protection sociale et une bonne partie des services publics pour, au mieux, quelques centaines d’euros supplémentaires, bien insuffisants pour couvrir l’explosion des frais d’éducation et de santé dans un monde dérégulé. Et même si le salarié résistait, l’assouplissement de la législation du travail et le définancement – donc la mort – de l’assurance-chômage auront créé une nouvelle armée de réserve, un nouveau lumpenprolétariat, qui fera lui aussi pression à la baisse sur les salaires.
En résumé, la politique qu’esquisse Cyril Hanouna est un retour sur près de 200 ans de conquêtes sociales. Elle reviendrait sur un État providence qui a entrepris un véritable partage des gains extraordinaires de productivité de la révolution industrielle, ignorant dramatiquement que les mécaniques de l’État social sont des constructions démocratiques, nées de réalités sociales douloureuses et même mortelles.
Tuer la politique : à qui profite le crime ?
Et il faut bien le dire, le marteler : quand Cyril Hanouna dit qu’il ne propose que du bon sens, et qu’il veut tourner la page de la politique, il fait bien de la politique. Il ne fait que maquiller en « bon sens » un projet éminemment politique de destruction organisée des structures étatiques et démocratiques au profit du marché. Son projet est donc celui du transfert de la chose politique des mains du peuple à celles des riches, des possédants, des bien-nés. Ce projet est d’autant plus fourbe qu’il s’appuie sur un ressentiment bien populaire, un dégoût envers une politique et le dévoiement de l’État. Mais quand une politique a dominé durant des années, il est facile de se laisser aller à penser qu’il s’agit de la politique.
Une victoire électorale de ce projet de destruction de l’État serait en fait le dernier souffle politique d’un peuple qui, lassé des échecs passés, se suiciderait.
Les contempteurs de l’État auraient alors tout loisir à le dépecer et à le mettre au service de leurs intérêts, tout en créant une société dérégulée dans laquelle même l’espace public serait à vendre, si bien que le chaos informationnel se répandrait et anesthésierait le peuple, dont la rébellion contre son asservissement serait matée avant même de naître.
Face à cette alternative dystopique au néo-libéralisme macroniste, la gauche a la responsabilité de présenter un programme de rupture. Elle ne doit plus hésiter à affirmer avec fierté sa défense du service public, patrimoine commun des citoyens et de la démocratie. Et finalement battre ce projet qui ne vise qu’une chose : supprimer la politique pour le peuple, la réserver pour l’oligarchie.