Contrairement à ce que Yaya professe : enseigner en maternelle, enseigner dans l’école du socle, enseigner en lycée général et technologie, enseigner en lycée professionnel, enseigner en université ne sont pas le même métier, car les finalités de l’enseignement ne sont pas les mêmes et l’accompagnement des jeunes qui ont des besoins particuliers n’obéit pas aux mêmes principes.
En effet, l’erreur de Yaya repose sur trois dénis :
- Les dénis des étapes de maturité du jeune de l’espèce humaine,
- Le déni des contraintes de gestion de l’hétérogénéité,
- Le déni de la nécessité d’une diversité des parcours après 15 ans.
Les parcours scolaires et universitaires dans le monde
Pour déconstruire le dernier point, il convient de se référer au travail fait par l’UNESCO. L’étude des systèmes éducatif dans le monde a conduit cette organisation à publier une norme : Classification Internationale Type de l’Éducation, CITE 2011 (En anglais, International Standard Classification of Education (ISCED) 2011). Ce document décrit, entre autres, le système éducatif formel le plus courant dans le monde. Celui indique que la spécialisation se produit au plus tard à l’entrée du deuxième cycle du secondaire (le lycée), c’est-à-dire en général à 15 ans. Les limites des périodes de ce modèle éducatif diffèrent de plus ou moins un an en fonction du pays.
L’enseignement obligatoire commence à 6 ans avec l’enseignement primaire (niveau 1 - primary education). Cette période se termine à 12 ans. L’école primaire est caractérisée par un enseignement systématique de connaissances, d’aptitudes et compétences élémentaires. Le programme garantit l’apprentissage des compétences fondamentales en lecture, en écriture et en mathématiques quel que soit l’âge des participants.
Ensuite, survient le premier cycle d’enseignement de secondaire (niveau 2 - Lower secondary education) qui se termine à 15 ans. Il est davantage orienté vers les matières. L’objectif est d’établir la base pour l’apprentissage tout au long de la vie et le développement personnel. La fin de ce cycle coïncide avec la fin de l’enseignement obligatoire. Certains systèmes éducatifs proposent dès ce niveau une possibilité de choisir l’enseignement professionnel (vocational education).
L’élève peut alors se spécialiser dans le deuxième cycle du secondaire (niveau 3 – upper secondary education) pendant 3 ans. Le programme offre alors « un éventail élargi d’options et de filières » conçus « pour compléter l’enseignement secondaire et préparer à l’enseignement supérieur et/ou pour enseigner des compétences pertinentes pour exercer un emploi ». Les programmes de ce niveau ont une orientation générale (general en anglais) ou professionnelle (vocational en anglais).
Après le niveau 3, l’étudiant peut continuer vers l’enseignement post-secondaire non-supérieur (niveau 4), l’enseignement supérieur de cycle court (niveau 5), ou la licence ou niveau équivalent (niveau 6). L’enseignement post-secondaire non-supérieur(niveau 3) vise l’acquisition de connaissances, aptitudes et compétences dont le niveau de complexité est inférieur à celui de l’enseignement supérieure. Là aussi, nous voyons un tri des élèves existant au niveau mondial lié à la possession de pré-requis pour affronter le « niveau de complexité » des études supérieures.
Le fait que, dans la majorité des pays, une diversité de parcours est installée au plus tard à la fin du premier cycle du secondaire (collège) n’est évidemment pas un hasard. Le monde des adultes et celui de l'éducation ont des contraintes. L’adaptation aux contraintes des systèmes éducatifs a abouti à des organisations proches.
Contrairement à ce que disent les amis de Yaya, le « tri » scolaire après 15 ans (ou 16 ans) n’est pas propre à la France, il existe dans tous les pays du monde.
Les étapes de maturité
Les amis de Yaya ont tendance à penser que les élèves de maternelles, d’école élémentaire, de collège ou de lycées ont des fonctionnements cognitifs identiques.
Pourtant, les étapes de maturité sont connues depuis les travaux de Jean Piaget (1896-1980). Ce dernier a été étudié le développement de la pensée logique de l’enfant entre 1920 et 1960. Il a défini 4 étapes de développement :
- le stade sensori-moteur (0 à 2ans),
- la période pré-opératoire (2 à 6/7 ans),
- le stade des opération concrètes (6/7 ans à 11/12 ans),
- le stade des opérations formelles (à partir de 11/12 ans).
Jean Piaget a notamment observé que c’est à partir de 7 ans que l’enfant est capable de voir qu’un nombre de jetons est identique quand ceux-ci sont espacés différemment. Un enfant de 5 ans échoue normalement à ce test.
Les limites du stade des opérations concrètes coïncident exactement avec celles le plus fréquemment rencontrées pour niveau 1 de la norme de l’UNESCO (l’école primaire avec l’apprentissage des compétences de base en lecture, écriture et mathématiques). Il ne peut s’agir d’un hasard. C’est une adaptation du système éducatif de chaque pays pour une meilleure « utilisation » de cette étape de maturité pour apprendre.
Vers 11/12 ans l’enfant devient adolescent. C’est la transition entre l’enfance et l’âge adulte. L’enfant, se coupe de sa dépendance infantile à ses parents, passe dans le mode de réflexion d’un adulte sans avoir les repères qui permettent les décisions éclairées. Il ou elle doit faire face à des pulsions émotives. L’adolescence est la période où ils ou elles se construisent leur identité, en testant les attitudes et les certitudes en interagissant avec leur entourage. Durant cette période, ils sont très sensibles à leur image chez leurs pairs. D’après les psychologues cognitifs, cette construction se poursuit jusqu’à 20-25 ans. Pendant, le début de cette période (donc au collège), le comportement des adolescents est particulièrement provocateur.
Les retours de terrains sont sans ambiguïté. La gestion de classe avec des 6ème est très différentes que la gestion de classe de 4ème. La dynamique de classe n’obéit pas aux mêmes lois.
Les contraintes dues aux classes fortement hétérogènes.
Yaya pense que les classes hétérogènes scolairement sont « le bien ». C’est vrai que pour les écoles maternelles et élémentaires (sauf en cas de présence d’un grand perturbateur qui met en danger la classe). Ensuite, cela dépend du contexte.
La mise en place d’une dynamique de classes où chaque élève progresse, sont plus faciles avec des classes hétérogènes scolairement, mais pas trop. C’est-à-dire des classes avec des élèves qui réussissent plus ou moins bien les exercices, mais avec aucun élève qui est en situation de grandes difficultés car il n’a pas les bases pour réussir quoi que ce soit.
En effet, il existe un mécanisme cognitif qui s’appelle « impuissance acquise ». Quand un ou une élève échoue de manière répétée à effectuer des exercices, il finit par croire qu’il n’est pas capable et ne fait plus l’effort d’essayer. Aussi, l’enseignant doit s’adapter à chaque enfant qui est susceptible d’échouer aux exercices cadrés pour les élèves médians de la classe.
Dans l’école élémentaire, l’enseignant fait en général au mieux. L’enfant en difficulté scolaire ayant un seul enseignant, ce dernier ou cette dernière peut choisir quand le solliciter en insistant. Le niveau du défi pour l’enseignant dépend du contexte. Tout dépend de la formation et de l’expérience de l’enseignant, de la taille de la classe, du nombre d’enfants qui n’entrent pas naturellement dans les apprentissages, du nombre d’enfants rencontrant des difficultés spécifiques (dys, …), et de la présence de grands perturbateurs.
Au niveau du collège, c’est mission impossible. Les enseignants n’ont pas les moyens d’aider les 10 à 25% qui maîtrisent insuffisamment la lecture, l’expression, et la capacité de donner du sens à l’addition et à la multiplication. Trois éléments entrent en ligne de compte :
- L’élève a plusieurs professeurs et le professeur a plusieurs classes et donc plus d’élèves à connaître. Aussi, l’adaptation de l’effort demandé à chaque élève pour qu’il ou elle ne soit pas trop souvent en échec est impossible. (Cela demanderait en outre une coordination des enseignants).
- L’élève est devenu un adolescent. Il est plus soucieux du regard de ses pairs et il accepte moins les remarques des autorités. La gestion de classe est plus difficile.
- La fin de Troisième est le premier pas d’orientation. Aussi, l’élève est souvent amené à essayer de combler son retard. Celles et ceux qui ont des lacunes trop fortes et n’ont pas de soutien en dehors de la classe, n’y arrivent pas. Ce qui conduit à une perte de confiance en soi.
Les particularités des niveaux d’enseignement
Contrairement à ce que prétend Yaya et ses amis, chaque niveau d’enseignement à ses spécificités. L’enseignement au Collège est plus proche de l’école primaire que celui du lycée général et technologique. La cause en est le choix de la France de pousser l’école du socle ou l’enseignement commun, jusqu’à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire. Il s’agit de l’organisation la plus efficace pour un système éducatif… quand les moyens nécessaires sont mis. Ce n’est pas le cas en France, où le collège structurellement détruit la confiance en soi des 20% les plus faibles scolairement. Travailler avec une classe où tous ont un comportement scolaire et savent apprendre, ou avec une classe où il faut faire progresser ceux qui ont acquis les automatismes du bon apprentissage et d’autres qui n’ont pas les bases, n’est pas le même métier.
A l’école maternelle (enseignement pré-scolaire – niveau 0), l’enfant est au stade pré-opératoire de Piaget, c’est-à-dire qu’il ou elle n’a pas la maturité d’un enfant de classe élémentaire. La tentative de « primarisation » de la maternelle de Blanquer est critiquée par des psychologues à cause du risque avéré pour les enfants des classes populaires d’intégrer la normalité de l’échec.
A l’école élémentaire (enseignement primaire – niveau 1), le défi est l’apprentissage de la lecture automatique avec construction de sens, et de la capacité de donner un sens aux opérations. Ils doivent prendre en charge des enfants à besoin particulier, dont des porteurs de handicap. En effet, le niveau acquis sur ces compétences en fin d’école élémentaire est fortement corrélé avec la réussite à l’université. Les enseignants et enseignantes doivent prendre en charge des enfants à besoin particulier, dont des porteurs de handicap. Aujourd’hui, la France est un des pays qui compensent le moins les difficultés d’apprentissage spécifiques des élèves de classes sociales défavorisées. Il s’agit du niveau qui a le plus d’enjeux. Les compétences de l’enseignant nécessaires concernent la pédagogie à appliquer à des élèves au stade des opérations concrètes de Piaget.
Au collège (premier cycle de l’enseignement secondaire), les enseignants sont spécialistes de leur matière. Ils doivent gérer des adolescents dans des classes. Certains élèves ont de telles lacunes qu’ils ou elles peuvent difficilement les aider. Pour être efficace, l’enseignant doit maîtriser la matière (niveau licence), et pour les classes de 5ème à 3ème, maîtriser la gestion d’une classe fortement hétérogène comportant des adolescents de 12 à 15 ans qui sont des humains avec des cerveaux d’un adulte sans les repères qui permettent d’agir comme un adulte.
Au lycée générale et technologique ne sont admis que les élèves qui ont une maîtrise des compétences de base. Aussi, les enseignants ont moins besoin de pédagogie pour les élèves à besoin particulier, puisque ces jeunes ont été éliminés. Un enseignant de philosophie en lycée général m’a affirmé que les formations à la pédagogie ne lui servaient à rien. Je le crois puisqu’il n’enseigne qu’à des élèves qui savent apprendre. L’enseignant doit avoir une bonne connaissance de sa matière (niveau master), et une formation à la pédagogie pour des classes à hétérogénéité modérée (sans élèves avec de forte lacunes). La pédagogie pour ce type de classe est spécifique et bien moins complexe que celle à l’école élémentaire et au collège.
En lycée professionnel, la manière d’enseigner les matières générales et les matières professionnelles diffère. Les lycéens constituent d’une population différente en niveau d’acquis que le lycée général et technologique. Pour les filières peu demandées, une majorité d’élèves de la classe ont subi une orientation par défaut : ils ont plus de mal à se convaincre de la nécessité de l’effort scolaire. C’est une contrainte supplémentaire.
Je connais assez mal le lycée professionnel et les caractéristiques du lycée professionnel et de ses différentes filières. De mon point de vue, à discuter, les compétences nécessaires pour enseigner les matières professionnelles sont d’abord une bonne maîtrise de la matière, et une capacité de transmettre la fierté du métier et ses règles. Les compétences pour enseigner les matières générales portent sur la connaissance de la matière (au moins niveau licence) et les méthodes pédagogiques pour remotiver des classes dont 50% des élèves ont perdu leur confiance à réussir des travaux de types académiques, et pour obtenir de l’attention de la part de ces élèves.
L’enseignement à l’université est conçu pour des élèves qui ont des capacités de rédaction et des compétences pour repérer les connaissances à retenir et les retenir. Les étudiants et les étudiantes qui n’ont pas ces compétences sont éliminés lors du passage en L2.
Les trois paramètres qui expliquent les différences de compétences mises en œuvre pour enseigner à chacun des niveaux, sont :
- l’étape de maturité qui correspondent à un fonctionnement particulier du cerveau des apprenants : maternelle (période pré-opératoire de Piaget), élémentaires (stade des opérations concrètes de Piaget), collège (adolescent - début stade des opérations formelles de Piaget), lycées et université (pré-adulte et adulte – stade des opérations formelles de Piaget)
- le pourcentage d’élèves en situation de : refus d’apprendre (amotivation), indifférence aux apprentissage (motivation régulée), envie d’apprendre (motivation).
- le pourcentage d’élèves à besoins particuliers que l’enseignant ou l’enseignante doit prendre en charge (dont les élèves qui n’ont pas les acquis nécessaire pour tirer parti du cours).
Contrairement à ce qui proclame Yaya, les compétences nécessaires pour enseigner, en école maternelle, en école élémentaire, au collège, en lycée professionnel, en lycée général et technologique, en université ne sont pas les mêmes. Ce qui prend à l’enseignant le plus de charge mentale, et qui demande le plus d’habilité professionnelle est différent.
Que va faire Yaya devant ces contradictions de la réalité par rapport à ses croyances ? L’efficacité de l’école élémentaire est fondamentale pour l’équité scolaire, comme la capacité du système éducatif de prendre en compte les 20% les plus faibles au collège de manière qu’ils ou elles ne désespèrent pas.
Pour Yaya, la stratégie à adopter n’est pas facile à décider.
Est-ce raisonnable de toujours prétendre qu’un professeur de collège avec des adolescents dans des classes fortement hétérogènes scolairement a le même métier qu'un professeur de lycée général avec des pré-adultes dans des classes relativement homogènes ?
Si on prend comme critère d’efficacité l’avenir de la jeunesse, non ce n’est pas raisonnable.
Mais, Yaya est un gardien de la bonne parole. En bonne systémicienne, je sais que les gardiens de la bonne parole agissant dans des lieux de pouvoir, ont pu rester en place parce qu’ils ont toujours défendu, souvent avec sincérité, les dénis de réalité qui arrangeaient les « co-constructeurs de la bonne parole ». Ils et elles ont exercé le « système inhibiteur » de leur cerveau de manière à ne pas voir les effets négatifs de ce qui complait à leurs commanditaires.
Aussi, sans demande explicite de quelqu’un dont il tient son prestige, le plus probable est que Yaya continue avec les mêmes éléments de langage. Le grand public ne s’intéresse pas aux contenus des formations des enseignants, et les syndicats d’enseignants tiennent au statu quo. Autant faire plaisir à ces derniers et attendre que la « société civile responsable » qui impulse consciemment les changements actuels arrive faire évoluer la « bonne parole » sur ce point.
Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya".