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Billet de blog 8 mai 2023

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LTY3 : 2009 - La fake news sur la diminution drastique de l’Histoire-Géo en filière S

Les tribulations de Yaya – épisode 3 – En 2009, lors de la réforme du lycée général de Chatel, les médias français ont accompagné une polémique sur la « suppression de l’histoire-géographie en terminale S ». Yaya a soutenu fermement le narratif voulu par la « bonne parole sur l’éducation ». Cependant ce narratif était trompeur et destiné à préparer le terrain pour la future réforme Blanquer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En 2009, le ministre de l’Education Nationale, Luc Chatel, annonce une réforme du lycée général, qui comprend, entre autres, le report des Heures d’Histoire-Géo de Terminale S en Première S. Ce point a déclenché une polémique, portée au départ par des économistes (François Bourguignon ou Jacques Sapir). Les arguments de ses derniers ont été repris à leur compte par une association d’enseignants d’Histoire-Géo avec les mêmes éléments de langage, puis par les gardiens de la « bonne parole sur l’éducation dite de gauche » comme Yaya.

Pour comprendre ce qui s’est passé nous allons examiner les faits, rappeler le contexte puis analyser les conséquences.

Les faits

En 2009, les élèves de la filière S, la filière généraliste dite scientifique, avait 2H30 d’Histoire-Géo, en Première et en Terminale, soit 5h00 en tout pour la filière. La réforme du lycée général de Luc Chatel ne prévoyait que 4h00 en Première et aucun cours d’Histoire-Géo en Terminale, soit une baisse de 20% de l’horaire de la filière S. L’épreuve d’HG du baccalauréat était anticipée, c’est-à-dire qu’elle se déroulait en fin de l’année de Première.

Le ministre de l’Education Luc Chatel devant les protestations a accepté de rajouter une option facultative de deux heures en Histoire-Géo en Terminale. L’épreuve anticipée en Première est restée.

Puis après l’alternance politique de 2012, le nouveau ministre Vincent Peillon a rétabli une répartition équilibrée de l’Histoire-Géo sur les deux années de la filière S, 2h30 en Première et 2h00 en Terminale. L’épreuve d’Histoire-Géo du baccalauréat a été rétablie en Terminale.

L’argumentaire

L’argumentaire des protestataires était basé sur la nécessité de donner des humanités à la filière S. En effet, d’après eux, les élèves de cette filière présentée habituellement comme anormalement élitiste, risquaient de basculer dans l’indifférence aux aspects humains si elles ou ils n’avaient pas de cours d’Histoire en Terminale. Les personnes qui appuyaient cette demande utilisait l’expression « suppression de l’histoire-géo en Terminale S » alors que l’expression « report de l’histoire-géo de Terminale S en Première » aurait mieux correspondu à la réalité.

L’impact réel du report de l’Histoire-Géographie de Terminale S en Première S

Le report des heures d’histoire-géo de Terminale S en Première S n’était pas viable pour d’autres raisons.

- La principale difficulté de ce report était liée au trop grand nombre d'heures de cours faisant appel à des compétences littéraires en Première S, dite scientifique : 4 heures d'Histoire-Géo et 5 heures Française, soit 9heures conduisant à 2 épreuves anticipées comptant pour le bac. Le bloc scientifique est de 10h (Mathématiques + Physique-Chimie + SVT).  C’est-à-dire que les élèves de la première scientifique devaient mettre la plus grosse part de leur charge mentale pour bachoter deux matières littéraires, forcément aux dépens des matières scientifiques. C’était aberrant car entravant la progression des élèves sur les matières scientifiques.

- Avec le lycée général de Chatel, ont été mis en place des groupes classes pour les matières du tronc commun où les élèves des séries L, ES, et S étaient regroupés, et des groupes places correspondant aux matières spécifiques de chacune des filières. Les groupes classes « tronc commun » avaient un plus grand nombre d’élèves par classe. Le mélange dans le même groupe classe des jeunes de 1ère S qui avaient un bac-corvée sur la matière à la fin de l'année, et des jeunes de 1ère L qui envisageaient des études littéraires et qui avaient le bac l'année suivante, posait de vrais problèmes aux enseignants.

Pour résoudre ceci, il fallait rééquilibrer l’enseignement de l’histoire entre la Première et la Terminale S, et remettre l’épreuve d’histoire-géo du Bac en Terminale. C’est ce qu’a fait Vincent Peillon dès 2013.

La justification de la réforme par la technostructure de l’éducation nationale

D’après le narratif de l’Education nationale, le tronc commun a été conçu de façon à permettre les réorientations des élèves sans recourir au redoublement.

Il s’agissait d’une fausse promesse, la réforme n’avait aucun impact sur ce point. Le seul intérêt de la réforme du lycée général Chatel était de diminuer le besoin d’heures-enseignants par lycéen général grâce à la diminution des horaires, aux groupes-classes avec plus d’élèves pour le tronc commun et des heures dédiées à un accompagnement personnalisé sans contenu qui finissent toujours par disparaître.

Avant et après la réforme Chatel, les possibilités de changement de filière entre la Première et la Terminale Générale sans redoublement étaient :

  • De S vers L : possible sans avoir à travailler pendant les vacances ( 1% concernés ),
  • de S vers ES : possible à condition de rattraper les fondamentaux de SES pendant les vacances (1 pour mille),
  • ES vers L possible (je n’ai pas les statistiques).
  • L et ES vers S (impossible).

La raison est simple. Les filières L, ES et S s’appuient sur les mêmes fondamentaux d’expression littéraire. Elles demandent les mêmes capacités de rédaction, celles nécessaires pour faire des études supérieures littéraires (La plus sélective des filières littéraires l’hypokhâgne avaient 25% de ces élèves venant de Terminale S). Les concepts en maths qu’il est indispensable d’avoir acquis pour suivre le cours, sont plus nombreux en S qu’en ES, en ES qu’en L. Les écarts entre les exigences de chacune des deux filières sont trop importants pour qu’il soit possible de les rattraper pendant les vacances ou pire, comme c’était imaginé sur le papier, en cours d’année. En résumé, dans le monde réel, il est possible de passer d’une filière vers une autre filière qui a moins d’exigence en maths et pas le contraire.

La réforme Chatel n’a, en effet, eu aucun impact sur ce point.

Je rappelle que le lycée général recevait à l’époque les 40% rescapés de l’élimination par le Français, ce qui explique l’homogénéité des niveaux de Français des lycéens généraux (plus forte à l’époque qu’aujourd’hui).

L’argumentaire fallacieux porté par Yaya et ses amis et les causes possibles 

Il y avait trois notions destinées à tromper (ou mensonges cognitifs) dans le narratif :

  • Le premier mensonge cognitif est l’utilisation du mot « suppression » au lieu de « report » plus approprié. On donnait l’impression que 50% de l’horaire était supprimé sur les deux années. En réalité la diminution était de 20%.
  • Le deuxième mensonge cognitif concernait le renforcement de la fausse croyance que la filière S était anormalement élitiste. Dans tous les pays du monde, il y a plusieurs parcours aux lycées ayant des exigences différentes « en langue maternelle » et en « mathématiques », qui ouvrent et ferment des portes pour la poursuite d’études supérieures. Il n’y a pas d’anormalité. En France, la capacité de s’exprimer en langue maternelle (le Français), est la compétence la plus discriminante pour les études. En effet, pour être rigoureuse, l’analyse aurait dû porter sur la totalité de la cohorte d’élèves pas seulement les 40% rescapés de l’élimination par le Français que sont les lycéens généraux.
  • Le troisième mensonge cognitif, consiste à faire croire qu’il y a des conséquences à faire perdre une heure d’histoire-géo à une cohorte d’élèves qui ont choisi d'approfondir les sciences. Sauf s’il a une curiosité vis-à-vis de l’Histoire, s’il fréquente des lieux historiques, lit des livres d’historiens ou regarde des documentaires, le lycéen aura oublié tout ce qu’il a appris en histoire dans les 5 ans qui suivent. Le lycéen scientifique a encore de la philosophie pour s’éveiller l’esprit.

Maintenant que le narratif destiné à tromper a été démonté nous allons essayer d'en comprendre la cause, puis analyser l’enchainement qui a conduit les gardiens de la bonne parole à se l’approprier. En effet, si on se reporte à la fiche 9.3 du rapport interne destiné à l’éphémère ministre de l’Education Benoît Hamon qui a fuité à Mediapart, la technostructure de l’Education nationale (l’encadrement supérieur de l’EN dont la DGESCO) n’étaient pas demandeur de ce narratif, car en opposition à leur théorie foireuse du tronc commun. 

Une hypothèse plausible désigne le lobbyisme des énarques. En effet, nombre d’entre eux sont passés par l’école de commerce HEC, voie royale pour accéder à l’ENA. Or, le concours d’HEC recrutait principalement des jeunes venant de la série S. Ce concours a une épreuve de culture générale qui demande des connaissances en Histoire. Concrètement, les classes préparatoires aux écoles de commerce étaient les seules études supérieures, gênées par le report de l’histoire-géo de Terminale S en Première S.

La deuxième hypothèse était le plaisir de manipuler. En effet, depuis environ une dizaine d’années, les jeunes qui s’appuyaient sur les mathématiques pour réussir ainsi que les savoirs scientifiques, industriels et techniques étaient dénigrés de manière construite avec des arguments qui tenaient du mensonge cognitif. Le but de la technostructure était de pouvoir diminuer les heures de mathématiques et de sciences pour les collégiens et les lycéens. A cause du biais d’autocomplaisance, les journalistes et les intellectuels, généralement de formation littéraire, étaient des alliés naturels. Les scientifiques de le l’époque ne savaient pas communiquer vers le grand public. Les gardiens de la bonne parole ont suivi car la technique du bouc émissaire est puissante et ils fédéraient ainsi leurs sympathisants.

Voici un exemple de mensonge cognitif pour ce dénigrement : « les nuls en maths sont en souffrance en Seconde générale ». La phrase est exacte. Cependant, ils ne sont pas plus en souffrance que les nuls en Langue étrangère qui sont dans un cours où ils ou elles ne comprennent pas ce que dit le professeur. Ils sont moins en souffrance que les nuls en Français qui ont été orientés dans une section dévalorisée du lycée professionnel après que leur confiance en eux ait été brisée par le collège. Les nuls en maths ne pourront pas aller dans les études du supérieur où la maîtrise des outils mathématiques sont indispensables, mais il n’y a rien d’anormal à cela contrairement à ce que suggère la rumeur artificiellement construite. La question des 15% de jeunes qui sortent du système scolaire sans maîtriser la « lecture automatique avec construction de sens » est hautement plus problématique.

Il était très facile de surfer sur ce sentiment d’injustice artificiellement construit, en proposant un narratif sur ces privilégiés de la filière S, bouc-émissaires de la destruction de l’école, qu’on rendrait encore plus néfastes en les coupant de la réflexion humaniste. L’attachement particulier des Français pour l’histoire est entré en résonnance avec ce narratif, aussi les médias ont suivi.

Les deux hypothèses ne sont pas contradictoires.

La principale association des enseignants d’histoire géographie ont repris pour eux ces éléments de langage qui valorisaient leur matière.

Les co-constructeurs de la « bonne parole » pour la gauche ont suivi et ce malgré la non-adhésion des cadres supérieurs de l’Education nationale (technostructure) qui préférer vanter le miracle imaginaire du « tronc commun pour permettre la réorientation sans redoublement ». Ils ont vraisemblablement saisi l’opportunité de dénigrement des matières scientifiques, dénigrement indispensable pour faire passer leur projet novateur de prochain réforme du lycée général : celle que mettra en place Blanquer.

Yaya en bon serviteur a diffusé les éléments de langage qui portaient à la fois un rééquilibrage indispensable de l’histoire-géo entre les deux années de Première et de Terminale et à la fois un dénigrement des lycéens scientifiques et des matières scientifiques, industrielles et techniques contraire à l’éthique et à l’intérêt du pays.

Yaya pouvait-il refuser de diffuser les arguments foireux ?

Je vais vous étonner. La réponse est non. Il faut se replonger dans le contexte d’il y a 13 ans. Les co-constructeurs de la bonne parole avaient bien œuvré. Le peuple de gauche était persuadé que les dysfonctionnements de l’école étaient dus à l’élitisme des sciences, et que l’affichage du mépris pour celles et ceux qui étaient liés à cet élitisme particulier était un acte légitime nécessaire pour permettre l’amélioration de l’école. L’élitisme littéraire lui était bien vu. J’ai vu une personne ostracisée et interdite de participation aux commissions portant sur l’éducation de son groupe, parce qu’elle avait osé expliquer de manière parfaitement rigoureuse, les erreurs d’analyse sous-jacentes à cette « bonne » parole. Il y avait vraiment une police de la pensée, impitoyable, dans les organisations qui se situaient à gauche.

Mais aujourd’hui, que va faire Yaya ? La situation a changé. L’incitation à la haine de l’élitisme scientifique n’est plus d’actualité. Peut-être parce que les co-constructeurs de la bonne parole sont arrivés à leur fin, la diminution de l’enseignement des mathématiques au lycée général, peut-être parce que les médias appartiennent en leur majorité à des capitaines d’industrie et la faible rigueur logique des jeunes cadres commence à inquiéter les chefs d’entreprise. Le grand public a enfin pris conscience que le vrai sujet est la faiblesse d’attention en école primaire pour les jeunes rencontrant des difficultés d’apprentissage, leur abandon au collège et le faible nombre de parcours valorisants après la Troisième qu’ils ou elles peuvent réussir. (Les enseignants ne sont pas en cause, ils font au mieux avec une mission infaisable par manque de temps ou parce qu’ils n’ont pas eu de formations pertinentes pour accompagner ces élèves.)

Alors que va faire Yaya ? Va-t-il reconnaître ses errements passés pour que l’expérience acquise puisse être utilisée à préparer le futur ? Va-t-il continuer à complaire à ses amis et diffuser les éléments de langage qui consistent à nier les étapes de maturité du jeune de l’espèce humaine en particulier celle de 15 ans où dans tous les pays du monde, il y a une diversité de parcours avec des contraintes liées à la variété des acquis sur les deux compétences fondamentales : l’expression orale et écrite et les mathématiques. Des personnes dignes de foi lui expliquent que le but de celles et ceux qui imposent le déni des étapes de maturité, est de détruire la capacité de produire un enseignement de haut niveau dans le lycée général public. Le dilemme qu’affronte Yaya est difficile d’autant qu’il a perdu l’habitude d’avoir une pensée rigoureuse. Il aurait du mal à donner le change s’il y avait un changement de paradigme à gauche sur l’éducation. Heureusement, Yaya sait qu’il peut compter sur ses amis. Tout va bien finir pour lui.

Ce lien explique la démarche de la série d'articles de blog "Les tribulations de Yaya"

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